GLSA | Loge : Fidélité et Prudence - Orient de Genève - Suisse | 15/06/2006 |
Que venons-nous faire en Loge
La question
à laquelle j’aimerais que nous réfléchissions ensemble ce soir est celle-ci :
... « Que venons-nous faire en
Loge ? » Pas un seul
d’entre nous, après des années de pratique, n’a échappé à cette question. Qui ne s’est
pas demandé un jour ou l’autre quelle mouche avait bien pu le piquer pour qu'il
se retrouve habillé d’oripeaux bariolés, évoluant dans un décor de
carton-pâte ? Et je vous
invite d’ores et déjà à un débat sur ce sujet tout à l’heure, non pas en me
posant des questions, mais en exprimant chacun votre sentiment personnel
vis-à-vis de cette question. Le système
de questions et de réponses rituelles que nous connaissons bien procède d’une
dialectique et cette dialectique est une clé. Ce système
est utilisé depuis la nuit de temps par toute Société dite initiatique, Frédérik Tristan, que j’ai bien connu , qui était ancien orateur de la Loge de Recherche Villard de Honnecourt et ancien rédacteur en chef de la revue éponyme, a écrit un livre sur la société de Houng en Chine où il nous montre que ce système était déjà en usage à l'époque de Lao-Tseu. Nous n’avons rien inventé. À cette question donc, certains rituels ont naturellement donné une réponse.Au REAA le rituel dit de 1802, pratiqué dans quelques loges à la G.L.N.F. la réponse est celle-ci : « Vaincre nos passions, soumettre notre volonté et faire de nouveaux progrès en F.M. » Réponse très insuffisante à mes yeux. En effet, le terme « soumettre notre volonté » prête à caution. J’y reviendrai. Mais cette réponse peut varier. Ainsi dans le rituel pratiqué à la G.L. de F. c’est : « Chercher la Lumière ». Mais là encore quelle lumière ? S’agit-il de
celle dont il est question dans le Prologue de l’évangile de Jean, de cette
« Lumière des hommes » dont l’évangéliste était venu
témoigner, cette « véritable Lumière qui éclaire le monde et que le
monde n’a pas connue », mais qui, je vous le rappelle « a été
donnée à ceux qui ont le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Alors
sommes-nous enfants de Dieu ? Je ne m’aventurerai pas à vous donner une
réponse Le R.E.R. de
Willermoz, fait l’économie de la question, ce qui n’appelle naturellement
aucune réponse. Mais qu’il y
ait une réponse rituelle ou non ne change pas le problème. La question nous est
posée : « que diable venons-nous faire en Loge ? ». Et la
réponse rituelle à cette question n’est pas, contrairement à ce que l’on
pourrait croire, l’utilisation de la « langue de bois ». Elle ouvre
en effet à qui se la pose un large champ de réflexion, car chaque réponse n’est
jamais définitive puisqu’elle induit la réflexion personnelle de celui qui
entre dans la dialectique de laquelle elle procède. *** Lorsque je
me suis décidé, il y a presque 27 ans, à « frapper à la porte du Temple »,
je ne me la suis pas posée cette question. Le temps
passant, je me suis laissé dériver tranquillement dans le courant de
l’expérience que je vivais, prenant conscience peu à peu d’une lente
transformation de moi-même à laquelle participaient les hommes avec lesquels je
travaillais, mais cela sans vraiment me poser de questions. Et puis, ce
n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que j’ai procédé à un retour en
arrière. J’ai alors
tenté d’analyser le plus objectivement possible ce qui avait pu, à un moment
donné de ma vie, me conduire à prendre cette décision et, qu’alors, s’est
révélée à moi, progressivement, à la suite de longues réflexions, un peu comme
le ferait le négatif d’une photographie dans un bain d’acide, une évidence. « Je
n’en savais toujours rien ! » Ou plutôt si
! … *** Il y a
quelques années Sigmund Freud invente le terme : libido. De quoi
s’agit-il ? Pascale
Marson, dans un petit ouvrage de vulgarisation à la psychologie, compare la
libido à « une pièce de bois brut par rapport au chef-d’œuvre façonné
par un artisan compagnon ». La libido
est une force inconsciente, nous dit-on, qui habite chacun d’entre nous,
distincte du Moi conscient, c’est-à-dire de notre personnalité, autrement dit
ce que nous nous sommes construits délibérément pour nous introduire dans
milieu où nous vivons et nous y conformer. Cette
personnalité est elle-même distincte de notre essence instinctive, mais
complémentaire à celle-ci. Alors la
libido est peut-être le désir qui traduit l’énergie qui est en nous. Et le mot
énergie a une signification majeure dans le phénomène initiatique. Freud, nous
le savons, voit dans la libido l’ensemble des pulsions inconscientes générées
par la sexualité. Mais Jung,
dont je suis un admirateur inconditionnel, lui, va beaucoup plus loin. Il ne nie
pas l’importance de la sexualité, mais la ramène à une plus juste mesure.
Mettant de côté l’aspect sexuel de la libido donc, il la considère simplement
comme un « élan vital ». C’est alors
que semble apparaître en filigrane un autre concept, celui de sublimation. La
sublimation stricto sensu n’est pas seulement le « passage d’un état
solide à un état gazeux sans passer par un état liquide », comme tout le
monde le sait, mais est - selon le Littré - « un mécanisme par lequel
les pulsions primaires sont inconsciemment détournées de leur objectif primitif
et reportées sur des destinations plus nobles et socialement plus utiles ». La
sublimation est donc un processus mental, un mécanisme psychique, et c’est cet
aspect-là que je me propose de retenir… afin de savoir finalement ce que je
suis venu faire en loge. La
sublimation procède d’un désir, certes… … Mais un
désir de comprendre… et aussi de créer. Qu’est ce
qu’un désir ? Je retiendrai la définition qu’en donne Spinoza :
« c’est l’appétit, le fait de chercher à atteindre avec conscience de
soi-même. C’est l’essence de l'homme ». Nous passons
donc de l’état de pulsion inconsciente à celui d’un état conscient, maîtrisé. Le désir est
donc une énergie consciente qui nous habite et qui va nous permettre en effet
de libérer ce qu’il y a en nous de forces créatives, comme le ferait un
détonateur. Il se
produit alors une espèce de substitution, de transfert de nos pulsions
instinctives vers les niveaux supérieurs de l’âme, vers un but idéalisé
(destinations plus nobles). Ainsi
l’artiste ou le scientifique va créer. Et en créant, il va se créer lui-même,
il va se sublimer. Un peintre,
un compositeur, un écrivain va exprimer l’énergie inconsciente qui l’habite
sous la forme d’un artéfact, d’une œuvre, lesquels, en soi n’ont que peu
d’importance, l’important étant le phénomène dynamique de créativité. Et si
artiste il y a, il s’agit bien d’un art et, dans la Franc-Maçonnerie, cet art
nous l’appelons l’Art royal. Le scientifique,
lui, peut manifester cette créativité sous la forme d’une intuition exprimée
sous la forme d’équations. Chez le
sportif de haut niveau, il s’agira d’un record. Mais dans
tous les cas, il s’agit d’une forme de sublimation, c’est-à-dire de l’intuition
que quelque chose qui est en nous nous dépasse, et que nous éprouvons le besoin
de l'atteindre. Chez
l’individu à la recherche d’une initiation se manifestent en même temps, dans
le phénomène de création, une activité intellectuelle et un désir de recherche
spirituelle. C’est cet
aspect des choses - l’un étant le vecteur, l’autre le but - qui se manifeste
chez l'initié que nous cherchons à devenir sans jamais être certain d’y
parvenir complètement. Ce processus
- essentiellement individuel - ne peut se réaliser que si nous travaillons en
groupe, car il procède d’une forme de capillarité entre les membres de ce
groupe. À cet
endroit, mes Frères, je voudrais vous rappeler la thèse du psychiatre Jacob
Moreno sur l’importance qu’il donne au psychodrame collectif. Car évidemment
nous ne sommes pas seulement spectateurs mais aussi acteurs dans le psychodrame
de la mort d’Hiram. Moreno, mort
en 1974, propose la « psychologie sociale ou groupale »
dans le souci de nous initier à nous-mêmes, de nous comprendre en faisant
intervenir une « interaction » permanente entre l’homme et la
société. Ici la Loge
représente en l’occurrence un microcosme de la société. L’espace
vital individuel se trouve fondu dans un ensemble interactif, dont les membres
sont en interaction constante. Au sein
d’une Loge, en bute aux difficultés de sa propre recherche individuelle,
tiraillé entre les aspirations, les exigences que lui souffle sa volonté de
liberté, et le moule de la norme sociétale, le Franc-Maçon tente, par son
adaptation au groupe de trouver un juste équilibre. Le
psychodrame de la mort d’Hiram, vécu en Loge, vise à la recherche sur soi-même.
Ce psychodrame joué en Loge par les acteurs que sont les Frères, comme nous
venons de le voir, exerce sur eux un effet libérateur. En jouant le
troisième degré, nous entrons dans la peau des personnages. Nous vivons
une tragédie. Aristote
voyait déjà dans la tragédie une « catharsis » ou une délivrance, notion
que Racine reprendra sous le terme de « purgation », c’est-à-dire une
« purification » des passions, des instincts en les regardant
incarnés par un personnage fictif qui devient lui-même. Dans le
psychodrame, l’acteur doit devenir le créateur de son propre rôle. Son
engagement s’en trouve approfondi. Il réveille « l’enfant qui sommeille
en lui » comme en chacun des membres du groupe. *** Certes, nous
ne sommes pas tous égaux devant cette situation. Freud est catégorique sur ce
point : « la sublimation n’est réservée qu’à une élite ».
Il faut comprendre ici par « élite » ceux qui sont prédisposés
naturellement à ce type d’expérience. En termes
clairs, tout le monde ne peut pas être initié, tout le monde ne peut pas
devenir Franc-Maçon. Ce n’est pas souhaitable. *** La réponse à
la question que posait tout à l’heure le rituel devient alors limpide : Que venons-nous faire en Loge ? Rechercher notre propre sublimation. Cette
initiation par notre sublimation individuelle au sein d’une collectivité
d’hommes poursuivant le même but : « trouver la pierre cachée qui
est en nous, en rectifiant », est un processus alchimique de
transformation du plomb en or. Celui de
l’apparition de « l’homme nouveau » que nous cherchons à être,
invitation qui apparaît dans toute sa clarté dès le Cabinet de Réflexion où
l’acronyme VITRIOL nous est chuchoté à l’oreille sans qu’aucun d’entre nous
n’en comprennent alors la signification. C’est ce que nous appelons :
« la connaissance de soi ». Faisons
toutefois au passage quelques réserves : la naissance de « l’homme
nouveau » ne doit pas systématiquement correspondre à la mort et la
disparition inconditionnelle du « vieil homme », qui a aussi
des qualités et nous devons rester vigilants à ne pas « jeter le bébé avec
l’eau du bain ». La « connaissance
de nous-mêmes » est la connaissance de notre inconscient, de notre
être intérieur avec la puissance propre de sa nature immanente. Nous n’en
sommes plus à « soumettre notre volonté » comme nous l’avons
vu au commencement, mais à affirmer cette volonté en la maîtrisant, et c’est
exactement là que se situe le concept de « maîtrise ». Mais sachons
aussi nous souvenir que cette sublimation, cette alchimie de nous-mêmes, cette
lente transformation, procède aussi de notre travail. Tout cela n’intervient
pas après un simple claquement de doigts. La
réalisation de l’œuvre prend des années nous le savons. Là encore, tout est
prévu : Le mot persévérance accolé à V.I.T.R.I.O.L. nous souffle que
la route sera longue… *** Le processus
exposé n’est pas monolithique. En effet,
l’Institution maçonnique, qui n’est que le cadre de cette réalisation
initiatique espérée, est diverse. Et j’en viens à la diversité des chemins qui nous sont offerts, diversité manifestée sous la forme des rites différents. Cette diversité est naturellement influencée par l’inconscient collectif de ceux qui se consacrent à la pratique de cet « Art royal ». Ainsi voit-on souvent se profiler chez nous les Institutions séculaires des pays où la Franc-Maçonnerie est pratiquée.La pratique maçonnique suisse, par exemple, n’est pas la même que la pratique française, car la Suisse n’est pas la France, même si Genève est culturellement plus proche de la France qu’elle ne l’est de Zurich. De plus, nous constatons une évolution de l’esprit de la Franc-Maçonnerie au cours des années. À l’origine, la Franc-Maçonnerie, celle du XVIIIe siècle, est aristocratique. Sinon, il ne s'agirait pas d’Art royal. C’est une forme « d’initiation des purs » comme le conçoit René Guénon, quelque chose à ne pas « mettre entre toutes les mains ». Et pour
expliciter ce point précis, j’aimerais vous lire un extrait du « Pendule
de Foucault ». Je suis loin
de partager inconditionnellement la conception d’Umberto Eco, car à bien la
comprendre, à en lire le filigrane, on s’aperçoit qu’elle est fortement
inspirée des idées de Julius Évola, lequel, comme chacun sait adhérait à
l’idéal fasciste mussolinien. « Aglié
comprit mon malaise et me proposa d’aller nous asseoir dans un bar de
Copacabana ouvert toute la nuit. Je me taisais. Agliè attendit que je commence
à siroter ma batida, puis il rompit le silence, et la gêne. La race ou la
culture, si vous voulez, constituent une part de notre inconscient. Et une
autre part est habitée par des figures archétypiques, égales pour tous les
hommes et pour tous les siècles. Ce soir, le climat, l’atmosphère, ont affaibli
notre vigilance à tous ; vous l’avez éprouvé sur vous-même. Amparo a
découvert que les orixàs, qu’elle croyait avoir détruit dans son cœur,
habitaient encore dans son ventre. Ne croyez que ce fait soit positif à mes
yeux. Vous m’avez entendu parler avec respect de ces énergies surnaturelles qui
vibrent autour de nous dans ce pays. Mais ne croyez pas que je vois avec une
sympathie particulière les pratiques de possession. Être un initié et être un
mystique ce n’est pas la même chose. L’initiation, la compréhension intuitive
des mystères que la raison ne peut expliquer, est un processus abyssal, une
lente transformation de l’esprit et du corps, qui peut amener à l’exercice de
qualités supérieures et jusqu’à la conquête de l’immortalité, mais c’est
quelque chose d’intime, de secret. Elle ne se manifeste pas à l’extérieur, elle
est pudique, et surtout elle est faite de lucidité et de détachement. C’est
pour cela que les Seigneurs du Monde sont des initiés, mais ils ne
s'abandonnent pas à la mystique. Le mystique est pour eux un esclave, le lieu
d’une manifestation du numineux, à travers lequel on épie les symptômes d’un
secret. L’initié encourage le mystique, il s’en sert comme vous vous servez
d’un téléphone, pour établir des contacts à distance, comme le chimiste se sert
du papier tournesol pour savoir qu’en un certain lieu agit une substance. Le
mystique est utile parce qu’il est théâtral, il s’exhibe. Les initiés, par
contre, se reconnaissent seulement entre eux. L’initié contrôle les forces dont
pâtit le mystique. En ce sens, il n’y a pas de différence entre Thérèse d’Avila
et San Juan de la Cruz. Le mysticisme est une forme dégradée de contact avec le
divin. L’initiation est le fruit d’une longue ascèse de l’esprit et du cœur. Le
mysticisme est un phénomène démocratique, sinon démagogique, l’initiation est
aristocratique. Dont acte.
Vous en penserez ce que vous voudrez. Donc si la
Franc-Maçonnerie originelle est hiérarchisée, elle se doit d’être centralisée
autour de l’autorité qu’est l’obédience. Et dans le mot obédience, il y a le
mot obéir. La
sublimation telle que nous l’avons vue ne peut se réaliser qu’au sein d’une
collectivité, laquelle possède ses règles. Cette notion
d’obéissance n’est d’ailleurs pas propre à la Maçonnerie dite spéculative. Elle
préexistait dans les Guildes compagnonniques où la hiérarchie s’établissait
selon l’expérience, la connaissance du métier et la confiance que se vouaient
entre eux maçons et charpentiers groupés autour de l’architecte. Or, il est
clair que la notion d’obédience n’a pas la même signification en Suisse qu’en
France ou en Angleterre et que les Institutions historiques et politiques de ces
pays ont eu une influence sur celle de leur Franc-Maçonnerie nationale. Cette
obéissance, cette discipline, est pratiquée ici dans les Loges plutôt qu’au
niveau de l'Obédience. La France
est un pays centralisé, la Suisse ne l’est pas. Et il est
intéressant à regarder comment ces deux modes institutionnels, diamétralement
opposés l’un par rapport à l’autre, ont pu avoir une influence sur le
fonctionnement des Institutions maçonniques, respectivement en Suisse et en
France. Je vous le
disais à l’instant, la Franc-Maçonnerie anglaise, à la base, est aristocratique
dans l’esprit comme dans la forme. Souvenons-nous de la composition des Loges à
Londres au début du XVIIIe siècle où se côtoyaient nobles et savants. Le choix des
Français pour la République - insidieusement soutenue par un Genevois célèbre
dont je tairai le nom par discrétion puisque l’un des plus illustres de ses
disciples a pris place ce soir sur vos colonnes - ce choix donc va colorer la
Franc-Maçonnerie française d’une tonalité républicaine. Dès lors,
les Loges vont devenir, dans le rôle qui est le leur, les vecteurs des idées
nouvelles, républicaines et démocratiques. Je ne dis pas que ce soit mal, mais
je ne suis pas sûr que ce soit là leur destination première. Car si
chaque maçon est libre de manifester ses opinions, il ne semble pas utile que
la Franc-Maçonnerie en tant qu’Institution y soit mêlée. L’athéisme
aussi va y trouver sa place, car il est de bon ton de « bouffer du
curé ». Et ainsi jusqu’à la suppression par le G.O.D.F. de la principale
des lumières maçonniques : le V.D.L.S. Nous nous
éloignons là de plus en plus de la sublimation. La
Franc-Maçonnerie française va se trouver alors mise au ban des hérétiques par
Londres jusqu’à ce que se constitue sous l’influence d’un autre Suisse - un
Vaudois cette fois-ci, le frère Édouard de Ribaucourt - qui, contribuant
largement à la reconnaissance de la G.L.N.F par les autorités anglaises en
1911, permit que lui fût reconnue la « régularité », mot qui en
décoiffe encore beaucoup. La Suisse,
pendant ce temps-là, respecte son credo sous la forme d’une phrase sans
appel : « un Maçon libre dans une loge libre »,
appliquant là le concept extrêmement ambigu de Liberté qui continue
éternellement à chatouiller l’inconscient des peuples. En effet,
qu’est ce que la Liberté ? La liberté
implique apparemment la notion de libre-arbitre et le libre-arbitre n’est en
fin de compte qu’une illusion de la liberté. Je m’explique : Agir selon
notre plaisir ou selon notre volonté n’est pas la liberté. Toujours selon
Spinoza, « l’impossibilité du libre-arbitre vient que toute chose
produisant un effet quelconque est nécessairement déterminé par un Dieu
immanent dans la nature » Au IVe
siècle avant J.C. Démocrite énonçait : « Tout ce qui existe dans
l’univers est le fruit du hasard ou de la nécessité » (Jacques Monod).
Pas de place à la Liberté. Dont acte. Rien n’a changé. Comprendre
l’enchaînement des causes et des effets permet parfois de modifier leur
succession et d’engager la suite des événements dans une direction que la
nature n’aurait pas spontanément suivie. Rien de plus. Si on se penche un
instant sur la physique des particules par exemple, on comprend vite que nos
volontés individuelles d’êtres humains sont réduites au strict besoin de notre
survie immédiate. Ne nous faisons pas d’illusion. Mais si
Démocrite établit une polarité Hasard Nécessité, Épicure, lui, - que j’adore -
y introduit la notion d’initiative… Nous sommes
sauvés des affres de l’inquiétude de l’âme et des conjectures angoissantes sur
le pourquoi du hasard et celui de la nécessité. Cette
initiative épicurienne n’a rien de commun avec le libre-arbitre, mais a la
vertu de donner à l’être humain les moyens d’intervenir dans son destin, de lui
donner l’Espérance. Et la sublimation recherchée nous invite à cette
initiative. Certains
diront peut-être que l’Espérance relève de la poésie, de l’utopie. Pourquoi
pas ? En effet,
n’y a-t-il pas une forme de poésie dans l’éblouissement du chercheur qui après
des années de travail trouve la clé du problème qu’il étudie et en même temps
ressent une forme de vertige lorsqu’il discerne derrière la réponse qu’il
apporte… une autre question à laquelle il devra répondre ? L’initiation,
cette voie vers la Connaissance, est une forme de poésie et, comme le disait
Léopold Senghor : « La poésie ne doit pas mourir, où alors
serait le monde ? » La Kabbale
dans ses nombreuses allégories prend aussi la forme d’une poésie lorsqu’elle
énonce par exemple cette parabole : « la Connaissance ultime est
comme une maison aux dix mille portes qui posséderaient chacune sa clé. Toutes
sont données à l’être humain, mais une vie entière ne lui suffira pas à trouver
la bonne clé de chaque porte ». La
sublimation de soi est donc le souci majeur de l’être humain. Il n’y a rien de
pire que de n’être personne. Il n’y a rien de pire que le non-respect de la
personne humaine. Chacun a droit à sa propre sublimation, mais, en
contrepartie, chacun a un devoir de responsabilité envers la Société. Le philosophe
Hans Jonas, disciple d’Husserl, dans son livre « Le Principe
responsabilité » attire notre attention sur l’inanité des prêches
sempiternellement renouvelés qui invitent l’humanité à prendre conscience de
son aveuglement et nous invite à « prendre nos responsabilités ». Les jeunes
des banlieues qui brûlent des voitures ne font qu’exprimer le désespoir de leur
marginalisation. Leur crime est à la hauteur de notre indifférence. Que
cherchent-ils, ces jeunes, sinon leur propre sublimation, mais, hélas, dans le
mal. « Que
faites-vous d’autre, je vous le demande, que de fabriquer vous-mêmes les
voleurs que vous pendez ensuite ». Je vous invite, mes Frères, à
réfléchir à cette phrase extraite de l'’Utopie de Thomas Moore. Notre
responsabilité, j’irai même jusqu’à dire notre mission, à nous autres
Francs-Maçons, est de participer à la construction d’un monde qui ne serait pas
une utopie, mais une réalité concrète, celle d’une Société à laquelle nous
offririons les valeurs dont nous nous sommes imprégnés pendant toute une vie et
qui nous ont été transmises par nos anciens. « Nos
loges sont des laboratoires dans lesquels nous fabriquons des hommes ». La voici la
réponse à la question : « Que venons-nous faire en Loge ». Je vous ai
dit ceci parce que je le pense très sincèrement. Je m’adresse ici naturellement
aux apprentis mais aussi aux Maîtres Maçons qui au dedans d’eux-mêmes peuvent
se poser ces questions. Aux
pessimistes qui craignent la fin de Franc-Maçonnerie, je me veux encourageant.
La Franc-Maçonnerie, c’est la vie. Et la vie est une éternelle palingénésie,
une succession de cycles qui se succèdent et se reproduisent, une progression
permanente et adaptée. Tradition - Progression - Adaptation. John
Steinbeck écrivait : Il est dans la nature de l’homme vieillissant… de
résister au changement, particulièrement celui menant au progrès. Restons
attentifs, mes Frères ! ... ... ... J’ai dit. |
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