Le
Silence, premier travail de l’initié
Ce
travail sur le Silence je l'avais déjà
envisagé lors de mon élévation au
grade
précédent. J'avais en tête un plan
réfléchi avec de belles idées.
D'abord
j'aurai commencé par un instant de Silence absolu totalement
déstabilisant,
puis en me guidant avec quelques maximes comme le dicton Suisse " La
parole est d'argent, le silence est d'or " j'aurai pu affirmer que
cette
épreuve du Silence que je venais d'affronter servait en fait
à préparer le
Verbe, à affirmer la Parole, celle qui mérite
d'être entendue et écoutée.
Je
n'aurai pas manquer d'évoquer ce paradoxe qui est de parler
de son contraire,
rappelant que étymologiquement Silence est tiré
du latin Silentium, mot de la
famille de Silere qui signifie se taire, donc avec une connotation
passive.
J'avais
déjà relevé cette
ambiguïté apparente où le travail
maçonnique repose sur la
transmission orale, alors que le Silence, toujours associé
à la voie
initiatique sert de point d'ancrage à cette recherche
intérieure.
C'est
ainsi que l'Apprenti, dans le Silence, doit observer pour apprendre, et
méditer
avant d'affirmer.
Mais en
disant cela je reste finalement proche de tout ce qui a fait mon
éducation, pas
si loin de ce que disait ma grand-mère Marguerite : " on est
sur Terre
pour préparer le Ciel ", ou de divers adages
trouvés dans des cultures
très différentes que je cite de
mémoire, " il faut tourner sept fois la
langue dans sa bouche avant de s'exprimer " pour les Chinois, ou " on
sème par la parole, on récolte dans le silence "
pour les Russe.
Rien de
bien nouveau, chacun sachant qu'une bonne nuit où l'esprit
travaille sans
contrainte, est la promesse d'une belle journée.
Cette
étape obligatoire nous est d'ailleurs rappelée
par Oswald Wirth pour qui
" l'Apprenti Franc-Maçon a pour premier devoir de
méditer les
enseignements du Rituel afin d'y conformer sa conduite. C'est son seul
devoir
et il comprend tous les autre " et par ailleurs " pour apprendre
à
penser il faut s'exercer à s'isoler et à
s'abstraire "
Je
comprenais déjà bien que ce Silence
imposé au nouvel Initié, rappelé
à chaque
Tenue, bien différent du Secret Maçonnique, (qui
pourrait faire l'objet d'une
autre planche) est en fait un réel travail offert
à l'Apprenti.
Ce
travail commence d'ailleurs le jour de l'Initiation dans le cabinet de
réflexion par l'Epreuve de la Terre, souvenir encore
très présent car j'ai
immédiatement compris alors que cette épreuve
devait me servir à quelque chose.
Dans ce
lieu quitte à être retiré du monde
profane,
à être dépouillé de mes
métaux,
autant aller jusqu'au fond de moi-même en respectant
totalement
ce temps
exceptionnel, me mettant en communication avec moi-même, en
rupture apparente
avec l'Univers, c'était alors ce que je pensai.
Pour
mémoire je me souviens, après avoir
hâtivement rédigé mon testament
philosophique, avoir pris un livre qu'il m'a été
impossible de feuilleter, trop
imprégné par l'esprit de ce lieu qui en fait
était crée en grande partie par ma
présence.
Dire
qu'à cette époque de ma vie je revendiquai mon
droit au silence et qu'à cet
instant précis où il m'était offert
profond, rare, il m'était impossible de me
concentrer comme si cette situation exceptionnelle était
facteur de
déstabilisation et me contraignait à me replier
en moi-même.
J'entrai
là dans une certaine logique où le Silence parce
qu'il me coupait de mon
univers connu créait cette intimité qui me
poussait à cette conversation avec
moi-même.
Tout
dans le monde profane est manifestation du son, agression par
excellence, car
nul ne peut s'en soustraire (hurlement de sirène d'un
véhicule de secours,
vacarme du deux roues d'un adolescent interpellant bruyamment la
société, cri
d'un enfant déchirant le silence de la nuit,
déclaration de guerre aboutissant
toujours trop tard au silence des armes...)
On a
parfois l'impression, comme le disait Raymond Devos, que "
dés que le
silence se fait, les gens le meuble "
C'est
compréhensible et parfaitement acceptable si l'on admet que
le bruit est le
propre de la vie, comme le mouvement, la multitude, la marche,
l'horizontalité,
la terre, le savoir, la lumière.
Le
silence quant à lui est constitutif de la mort, comme
l'immobilité, la
solitude, l'élévation , la
verticalité, l'espace, la connaissance, les
ténèbres.
Si le
Silence met si mal à l'aise l'impétrant c'est
parce que la vie profane est
marquée par la verbalisation avec ses limites s'opposant
ainsi à la démarche
initiatique ou le Silence est une règle : on peut
évoquer les expériences à
type de retraite spirituelle, les voyages ou séjours
à vocation initiatique,
tout cela a d'ailleurs été maintes fois
évoqués dans différents travaux que
nous avons écoutés ici même.
Dans la
suite de mon parcours maçonnique, vécu en grande
partie dans le Silence, mes
lectures et les travaux vécus en Loge ont
stimulés mes réflexions, ont guidés
mon travail, démontrant ainsi que le Silence (dans quelque
culture initiatique
que ce soit) est la première contrainte imposée,
le premier travail proposé à
l'Inititié.
Parce
que si la Transmission est une obligation pour tout Etre Humain par la
transmission de la vie, c'est aussi un devoir incontournable pour tout
mouvement initiatique par la transmission de la Connaissance.
L'aspect
extraordinaire de cette mission est là mais que
transmettre, comment le
transmettre et à qui ?
La
recherche des réponses à ces questions
existentielles ne peut débuter que dans
le Silence parce que ce que l'on souhaite transmettre on
préférera le faire en
le montrant plutôt qu'en le disant.
Nous
savons bien que plus que les mots qui s'évaporent, ce qui
fait la valeur d'un
enseignement ce sont les traces indélébiles
qu'ils laissent en nous et qui en
guidant notre réflexion nous servent de balises tout au long
de notre parcours
initiatique.
L'apprentissage
Maçonnique tel qu'il doit être ne peut pas se
définir, ne peut pas s'exprimer,
il ne peut que se vivre.
C'est
d'ailleurs là que je placerai le Secret
Maçonnique, fondement de notre méthode
de travail car il oblige chacun, à son rythme, à
une découverte progressive de
lui-même.
Les
épreuves vécues lors de l'Initiation
Maçonnique (épreuve de la Terre, passage
sous le bandeau, troisième voyage), puis tout le temps de
l'Apprentissage sont
marqués par le Silence (écouter, regarder,
s'abstenir d'intervenir en Loge)
Tout au
long de son apprentissage l'Apprenti ne vit pas lui-même
l'état de Silence
puisqu'il entend, mais au même titre que le
Vénérable qui irradie la Lumière,
l'Apprenti prend sa place dans l'atelier en irradiant le Silence, lui
donnant
ainsi une valeur positive.
Le
Silence prend alors valeur de symbole dans toute sa force, un symbole
duquel je
ne peux facilement parler car c'est un symbole qui lorsque je le vis,
est un
symbole qui m'envahit et que je suis.
Dans le
Silence l'homme va oublier ce qui est autour de lui, ce qui est
à lui, pour
revenir en lui-même.
Le
Silence servira ainsi à stimuler sa
méditation intérieure
l'autorisant à envisager le caractère
infini de sa propre recherche de la
Vérité.
Comment,
après avoir compris cela, avoir encore le courage de prendre
la Parole.
Cette
exploration du monde du Silence montre à
l'évidence que pour chaque homme le
Silence pour peu qu'on se donne la peine de l'accepter et de l'offrir
en miroir
à autrui, est avant tout une proposition, celle d'une
écoute attentive, d'une
ouverture vers l'autre, un acte fraternel des plus respectueux.
Chez
l'Initié c'est de plus une prise en compte du langage des
symboles, une
injonction à l'exploration de son monde
intérieur. C'est accepter le Rituel,
c'est se rendre ouvert au subtil, c'est toucher l'impalpable, c'est
comprendre
l'implicite, c'est entendre le murmure des autres consciences.
Plus que
le Mot qui permet d'extérioriser ce que l'on semble
être, le Silence nous
pousse à l'intériorisation, à
l'exploration de ce que l'on est vraiment. C'est
une voie de passage nécessaire sur le chemin de la
Vérité et c'est pour cela
qu'il doit être recherché et même
provoqué par l'Initié.
Par le
Mot l'homme dit ce qu'il pense, par le Silence l'Initié
pense ce qu'il dit.
Par
cette épreuve d'abord imposée, puis ensuite
librement vécue, l'Apprenti Franc
Maçon apprend en franchissant les frontières du
langage profane, à
découvrir ce monde insoupçonné qui est
en lui, à explorer cet univers
inespéré
qui est lui.
Le
Silence prend alors toute sa valeur, car contrairement au mutisme, il
ne s'agit
pas du tout de la négation de la parole, c'en serait
plutôt la limite, car se
taire ce n'est pas " ne rien dire ", c'est dire " Rien "
Retenir
sa parole, c'est exprimer quelque chose dans le non-dit, quelque chose
qui fait
partie de notre intimité la plus secrète. On a
fait le choix d'un mode de
communication non verbal.
En tant
que profane je pensais maîtriser l'essentiel de ce qui
m'étais utile, j'étalais
mon maigre savoir et m'étonnais de ne pas être
compris.
A
présent Initié, je peux espérer
accéder à l'univers de la Connaissance, et ce
travail se fait dans le Silence parce que la Voie Initiatique est un
chemin que
l'on emprunte seul.
J'étais
prisonnier du Mot et ne pouvais m'évader que par le
Silence., et c'est pour
cela que je suis ici aujourd'hui.
Ainsi
d'un Etre incompréhensible, je compte bien devenir dans le
Silence, et par le
Silence un Etre communicant parce qu'à l'écoute
de l'autre, de moi-même et donc
de l'Univers.
En effet
si l'on considère la force d'expression d'une parole sage,
forte et belle
naissant d'un Silence digne et respectueux, on est en droit de dire que
c'est
le bon chemin sur la voie de la Vérité et de la
Sagesse.
Lorsque
la parole profane se tait c'est la mort du Vieil Homme, lorsque le
Silence de
l'Initié naît c'est une vie spirituelle qui
s'ouvre alors.
L'Apprenti,
en explorant cet univers qui lui est offert par son travail sur
lui-même, peut
alors espérer changer de dimension en s'élevant
au dessus de l'espace temporel
défini par le Verbe pour accéder à une
dimension spirituelle où le Silence est
roi.
Le
Rituel ne précise-t-il pas que lorsque la parole
s'éteint le " Silence
règne sur l'une et l'autre colonne " ?
Pour
l'Apprenti Franc Maçon plus particulièrement, ce
voyage personnel, libre, dans
le silence de son cheminement intérieur, pourra s'exprimer
dans le Silence de
ses Frères en dehors de tout jugement de valeur.
C'est un symbole vécu
physiquement, une nouvelle épreuve, un outil d'exploration.
Alors
mon Frère Apprenti si tu me permet de t'interpeller pendant
que tu œuvres dans
le Silence, je te dirai que ce premier travail pour Toi permet
d'être un repère
pour Moi, parce que ton Silence permet de signifier un ressenti sans
rien en
dire, Silence sur lequel je m'appuis parce qu'il exprime le Rien sur
lequel je
me guide, Silence qui participe ainsi à
l'éclosion de l'Egrégore dont je
profite.
Si tu
veux une preuve de ce que j'avance -mot à prendre au sens
premier- je te dirai
: " comprend ce que tu nous dit lorsque tu traces le Tableau de Loge au
début
des travaux et écoutes la réponse de tes
Frères "
Pour moi
le Mot, comme support de la Parole, est emprunté, il ne
m'appartient pas car il
fait parti d'un monde écrit, borné,
limité, conscient et fini. Tout ce
que je vous livre aujourd'hui a déjà
été dit et sera redit sous une forme ou
sous une autre. On peut le mettre en parallèle avec la
matérialité.
Le
Silence quant à lui m'est personnel, propre, il appartient
à un monde illimité,
inconscient et infini. L'instant de Silence que je respecterai
à la fin de ce
travail n'a jamais été vécu et
n'existera jamais plus. C'est profondément un
attribut propre de l'esprit et il tend vers
l'éternité.
Pour
terminer ce travail, je me suis demandé comment on pouvait
expliquer par des
mots ce qu'est le Silence, alors pour moi mes
Frères,
le Silence
....................................................................
c'est le
bref instant de partage que nous venons de vivre ensemble.
R\G\
- Copyright Loge :
Stella
Maris - Orient de Marseille
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