GODF | Loge : L’Intime Fraternite - Orient de Tulle | 27/03/2009 |
Le
Silence
J’ai choisi de vous
parler ce soir du silence. Nom commun qui ne m’est pas
indifférent au regard de
la symbolique qu’il représente. Peut
être est ce aussi un clin d’œil au
silence
observé sur les colonnes faute de trouver les mots justes
pour m’exprimer. Au silence viennent
s’opposer les mots, les paroles avec leurs redoutables effets
d’interprétation.
Souvent complices ou dévastatrices, les paroles sont
l’expression audible d’une
pensée tandis que le silence est source de
réflexion ou d’interrogation. Des mots couchés sur du
papier, des mots jaillissants d’une bouche. Déplacements
d’air ou
d’encre, capables du pire et du meilleur Armes terrifiantes,
complicités
magiques, merveilleux véhicules, mensonges destructeurs. Outils fondamentaux de
communication, ornements stériles d’une
conversation, moments
privilégiés,
horribles mésententes, lumière,
obscurité. Les mots sont tout
cela, guerre et paix. Il suffirait pourtant d’apprendre
à les comprendre, à
bien les respecter, à les aimer vraiment pour
n’être que lumière. Et le silence dans tout
cela ? C’est un mot à la
sonorité superbe. La première lettre de ce mot
dessine deux courbes douces et opposées, symboles de la
dualité qui nous dirige
encore. Les mots écrits
sont-ils encore silence ; les mots parlés sont-ils
absence de
silence ? Le silence n’est pas un état
mort, ni l’absence de bruits.
Comment le définir ? Que
représente-t-il ? Vaste sujet … Enfant du silence, je
le suis depuis toujours par penchant naturel. Enfant enfermé
dans un milieu
social empreint de certitudes, il m’est désormais
possible de braver l’art de
la libre expression dans une affirmation de ma personne. Se
libérer du silence
par une prise de parole est encore pour moi source
d’effort et peut être
aussi un manque de confiance en soi. Les paroles n’ont
été
en rien, témoins de certitudes, en rien, susceptibles de me
rassurer sur
l’existence de toute chose. En grandissant, le
silence était encore pour moi un compagnon plus vrai que les
paroles. Dès que
je le pouvais, je savourais le calme, plongeant dans mes lectures. Les
mots
écrits, silencieux, réfléchis ont pour
moi plus de poids, plus de sens, plus de
pérennité. Sans cesse, si on
l’écoute, le silence nous parle, nous renseigne
sur l’état des lieux et des êtres, sur
la texture et la qualité des situations
rencontrées. Il est notre compagnon intime,
l’arrière fond permanent sur
lequel, tout se détache. Le message oral d’un
individu à un autre est facilement
altéré et ouvre plus grande la porte à
l’erreur, à l’interprétation,
à l’incompréhension. Et j’en viens à
rêver
d’un monde plein de regards, d’écoute et
de silence. Le silence n’est-il pas le
souffle du logos : car, avant que le monde soit, le
silence a
précédé le verbe, de même
que la nuit a précédé le jour. Pour ma part, le
silence pur n’existe pas : il est une question
d’amplitude, de relativité.
Il fait partie du rythme de la vie. Toute circulation
d’énergie fait du bruit,
nos pensées font du bruit, les battements de nos
cœurs font du bruit. Le
silence relatif n’est pas le vide et diffère en
cela de la véritable
méditation, état bien particulier qui
m’est encore étranger. Nombreuses
jusqu’à
l’infini, les formes du silence dénotent des
états multiples de l’être :
désespoir, mépris, peur, respect, secret,
attente, réflexion, rêve ou
communion. Selon les cas, le
silence peut se décliner en trois
états : d’abord il se fera fermeture,
puis point de suspension et enfin ouverture. LE SILENCE
FERMETURE Dans notre monde
actuel, il est vrai que le silence se partage moins aisément
que les
bavardages. Certains silences crient, quémandent, se
plaignent plus fort encore
que des paroles. Le silence subi ne traduit souvent que solitude,
indifférence
et abandon. Ce silence là n’enrichit pas. Les
personnes qui le subissent
éprouvent un manque énorme que les bruits
extérieurs peuvent dissimuler, mais
ne peuvent combler. Passés les bruits, le silence se
rétablit. Le même
qu’auparavant, plus lourd encore, empli d’absence
et de désespoir. Que dire du silence
mutisme ? Il est le reflet de la fermeture du cœur,
des manques de la peur
inconsciente de grandir. C’est un silence refuge. Combien de personnes
refusent le silence, miroir de leur conscience. Elles craignent
d’y plonger, se
voulant plus ou moins satisfaites d’une vie sociale bien
remplie, cependant
jamais vraiment légère. Elles refusent tout
dialogue profond avec elles-mêmes
et s’éparpillent en une débauche de
paroles, souvent inutiles. Un proverbe turc
dit : « La bouche du sage est dans son
cœur, le cœur du fou est dans sa
bouche ». Parfois le silence peut
devenir une arme. C’est le silence de
l’indifférence, voire du mépris. En
refusant de parler au cours d’une dispute, le combat cessera
faute de combattants. DE GAULLE disait
« Rien ne rehausse mieux
l’autorité que le silence, splendeur des forts et
refuge des faibles ». Dans l’histoire du
monde, le silence est un préalable. Dans celle de bon nombre
d’humains, c’est
une fin. Une telle certitude donne au silence une connotation
négative. Sans
foi, sans recherche spirituelle, l’homme ne cesserait
d’être paralysé par
l’aspect tragique de sa destinée, du processus
fatal, qui fait de sa naissance
le commencement de sa fin. A la réflexion, le
silence n’est menaçant que
si on le charge de nos propres erreurs. L’homme doit vider sa
mémoire, laver
ses mots, nettoyer ses images et apprendre à regarder,
apprendre à écouter le
silence. LE
SILENCE : POINTS DE SUSPENSION En travaillant sur ce
sujet, j’ai rencontré des blocages. Le silence ne
me parlait plus. Je n’y
voyais que des points de suspension. Comme un funambule sur son fil, je
ne
pouvais ni avancer, ni reculer. Cette attente me paraissait
stérile. Et
pourtant, cette pause arrêtait le mouvement et venait
l’éclairer. Il me fallait
retrouver mon centre de gravité et, avec force et vigueur,
continuer ma marche
vers la lumière. Ces points de suspension devenaient de la
paix en suspens, un
espoir de métamorphose. Cette ponctuation devait me faire
prendre conscience de
la mesure du temps, de l’espace, de mon espace et de ma
liberté de choix. C’est
ainsi, que de silences en points de suspension, et de points de
suspension en
silences, je pourrais peut être toucher au subtil de
l’âme, cœur animé et
éclairé de la pierre brute que
j’étais, que j’ai dégrossie
mais que je polirais
sans cesse. LE
SILENCE OUVERTURE Bien utilisé le silence
saura ouvrir toutes les portes. C’est la voie royale de
l’intériorité, garant
de la vigilance. C’est une donnée essentielle de
toutes les disciplines et des
règles spirituelles. Par sa densité, le silence
est un passeur, un
catalyseur : il provoque les communions et devient alors un
breuvage, un
élixir de longue vie. Un écrivain ne parle
pas, il couche des mots sur du papier, en silence et avec amour. La lecture est souvent
une aide pour découvrir les arcanes du silence. Il est des
livres qui
favorisent cette intériorité :
l’imprécision dans la représentation
est
comme des non-dits qui appellent la participation, en laissant des
vides
textuels, des vides virtuels, que le lecteur peut utiliser à
sa guise (d’où
souvent une déception en voyant un film tiré
d’un livre). Quoi de plus fort
qu’une complicité magique, qu’un partage
mutuel, offert par des silences
entendus, écoutés, bien compris, par des regards
éloquents. Quoi de plus puissant
qu’un silence collectif après un concert,
un opéra, un ballet réussi. Des
milliers de spectateurs ont retenu leur souffle et après le
déferlement des
applaudissements, il règne alors sur la foule un immense
silence, une parfaite
communion, des vibrations intenses. Pour moi, un des plus
beaux symboles du silence, est la flamme d’une bougie dans la
pénombre :
sa flamme s’élève, brille, danse et
pourtant elle va s’éteindre. Elle est
toujours présente dans nos cœurs. A nous de
raviver sans cesse notre flamme
intérieure. Une autre forme superbe
du silence est la peinture. Là encore, le temps est
suspendu, l’absence de
mouvement appelle le silence. Dans certaines toiles, le silence devient
cri : dans d’autres, le silence devient harmonie.
Sachons laisser l’œuvre,
seule juge du silence, seule messagère de sens, seule source
de sérénité et
effaçons nos discours pour regarder et écouter la
peinture. Il y a encore le
silence des gestes : qui n’a jamais
été émerveillé par
l’éloquence
silencieuse du mime MARCEAU ? Dans un autre domaine,
par le silence
des chasseurs à l’affût, des
pêcheurs méditant sur leurs lignes, le silence des
sourds-muets conversant entre eux ? En ces lieux sacrés, il
existe une autre forme de silence : le SILENCE
MACONNIQUE C’est que le silence
anime un nouveau type de connaissance : celle de
soi-même, des autres et
de l’univers. Le secret n’est pas lié
à une vision sectaire, à un non vouloir
dire, mais plutôt à un non pouvoir dire, pour
éviter, tant aux nouveaux
initiés qu’à nous
même, une mauvaise appréhension des principes
maçonniques qui doivent se vivre et non se dire. En conclusion, je dirai
que le silence est comme une porte qui peut être
verrouillée, fermée,
entrebâillée ou grande ouverte. Dans ce dernier
cas, à la lumière du silence,
tous conflits, frictions et problèmes devraient pouvoir se
dissoudre. Entre
le silence et la
parole, il y a le cheminement et la maturité d’une
expérience. En ce sens, Paul
VALERY a pu écrire : « Silence, silence,
chaque atome
de silence est la
chance d’un fruit
mûr ». |
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