GLDF |
Loge : Conscience et Fraternité - Orient de Paris |
14/02/2007 |
Le
dégrossissage
de la pierre brute est un Art
L’initiation
est un commencement, et ce
commencement débute pour le récipiendaire par une
déstabilisation qui consiste
à l’arracher aux habitudes rassurantes de sa vie
profane pour le faire renaître
au monde des symboles dont il ignore tout, où il perd tous
ses repères et où
ses certitudes
n’ont plus cours. Le travail de
l’Apprenti consiste en une
sorte « d’archéologie
spirituelle »,
permettant de découvrir la dimension
transcendante de l’homme, son positionnement dans
l’Univers, sa volonté
affirmée par son Travail d’appartenir au Tout,
à l’Unité, afin de découvrir
la
raison, le sens de la vie. Cette
quête d’intériorité
s’effectue au
travers d’épreuves : - L’épreuve de la
terre qui est une
réflexion au plus profond de notre humanité sur
cette matière
dont nous sommes faits, sur
cette pierre cachée qui est son essence et qui contient peut
être une fraction
de la Lumière, de l’Unité primordiale
dont nous sommes issus ; - L’épreuve de
l’air,
emblème de
la vie spirituelle, certains diraient « Souffle Divin »,
fonde la
conscience spirituelle ; - L’épreuve de
l’eau vivifie,
crée
véritablement, donne vie aux deux premières
épreuves confondues, en permettant
à l’homme
unifié
d’oeuvrer pour sa perfection ; - L’épreuve du Feu, symbole de
l’amour fraternel bien sûr, mais aussi de
l’amour au sens agape du terme,
c’est-à-dire don de soi. Il s’agit
là d’un amour total, indice de notre
appartenance à l’Univers, indice de notre
foi dans l’Unité de
création. Par cette
exploration en profondeur,
l’Apprenti possède en lui le niveau de conscience
spirituelle qui lui donne une
place active prépondérante dans la
démarche qu’il va poursuivre pour entrer,
nous dit le rituel, « dans les voies qui lui sont
tracées », en l’inscrivant dans une
tradition,
c’est-à-dire dans ce qui le relie au plan de
la vie, à l’ordre du monde, aux lois de la vie. Après
avoir ainsi subi les épreuves
destinées à le purifier et à tester sa
volonté, après avoir reçu la
Lumière
dans la chaîne d’union, après avoir
prêter son serment, le Néophyte est conduit
à l’Orient jusqu’au plateau du
Vénérable Maître. Ce n’est pas un hasard si
c’est à l’Orient qu’il
effectue
le travail de son grade par trois coups de maillet, comme
c’est à l’Orient
qu’il est créé, constitué,
et reçu Apprenti Franc-maçon par les trois coups
de
maillets du Vénérable Maître. Le symbole de
« l’aveugle
portant sur ses
épaules
le paralytique » me
semble évoquer le mieux la double nature
de l’homme, l’une temporelle et en quête,
l’autre intemporelle et immuable,
l’une terrestre et l’autre céleste,
mettant en évidence une apparente dualité entre
l’Action
et la Contemplation. Dans ce symbole,
l'aveugle, pour véritablement
réussir ses actes et être « récompensé », doit
parvenir à se concentrer et à
écouter celui qui le dirige dans ses actes malgré
l'immense brouhaha qui
l'entoure. L'aveugle en
rapport avec la vie active,
lui seul ayant deux jambes et pouvant se mouvoir,
caractérise une connaissance
temporelle et donc changeante ; le paralytique, lui, en rapport avec la
vie
contemplative est immobile ou plus exactement immuable, il se situe sur
un
autre plan plus
élevé que celui de l'aveugle et
caractérise ici une connaissance intemporelle et immuable
que l'on pourrait «
définir » comme “ La Véritable Connaissance “; et
c'est
lui seul qui préside et dirige l'aveugle et qui
s'élevant au-dessus de celui-ci
s'élève à un niveau où il
agit pour des motifs
supérieurs à « lui-même » si
l'on peut
dire participant alors, comme le dit Guénon, d'un
caractère universel. Mais si l'aveugle
est en quête sur un
chemin cyclique et temporel, chemin du devenir, sa quête
n'est nullement une
vaine agitation aveugle et inutile par la présence
même du paralytique qui le
conduit, paralytique lui permettant de ne pas s'égarer, ni
de tomber dans tel
ou tel précipice. Le paralytique
lui préserve la vie. Et bien cet
aveugle, c'est ce que nous
sommes lorsque nous pénétrons dans le Temple.
Aveugle aux réalités, aux
vérités, aveugle mais conscient de notre handicap
ou plus exactement de nos
limites inhérentes à la raison et à sa
perception de notre monde ; aveugle qui
accepte avec humilité
d'être guidé par la Parole de
celui qui voit et qui par là même
connaît. Si l'aveugle a
une démarche cyclique
autour d'un Centre encore inaccessible, la Parole du paralytique,
Parole
intemporelle et qui éclaire si l'on peut dire l'aveugle par
reflet, vient du
Centre symbolisé également en notre Loge par
l'Orient. Centre et Orient
ne sont qu'une seule et
même chose ; c'est de là que viennent la Parole,
la Lumière, la Vie. C'est là
que sont présentes d'une façon unifiée
et par là même non séparées
les trois
Lumières que sont la Sagesse, la Force et la
Beauté ; c'est là que se «
projette » la Lumière Éternelle. Si l'aveugle se
situe sur la périphérie
et est entraîné par le mouvement du monde, le
paralytique est quant à lui au
Centre et c'est lui qui en fait dirige ce mouvement. Ce paralytique
est le Vénérable Maître,
Maître du temps car porteur du Pouvoir temporel mais aussi,
et cela est une
autre histoire, porteur de l'Autorité Spirituelle. Et parce que nous
savons que « Dans le Principe
était le Verbe »,
qu’en prononçant la formule rituelle « je vous crée,
reçois et constitue
apprenti Franc-maçon », le
Vénérable Maître par sa Parole, crée
l’initié non
pas à partir du Néant mais des
Ténèbres, du Chaos,
c’est-à-dire de la somme de toutes
les potentialités, le
reçoit au sein de la Loge et de la
Franc-maçonnerie Universelle et le constitue
c’est-à-dire
lui donne une structure, une ossature. Pour parachever
son Oeuvre, une fois ces
paroles prononcées, le Vénérable
Maître relève le Néophyte et lui donne
pour la
première fois le baiser fraternel, qui a une
importance essentielle puisqu’il
symbolise la transmission du souffle de vie. Ce souffle vital fait de lui un
être d’une autre nature
: une nature fraternelle, mais dès lors, par le nom
qu’il reçoit, et qui est
l’unique qu’il recevra, il est en mesure de se
mettre en marche vers la grande
qualité archétypale qui est celle de « Frère ». Ce
n’est donc pas à un Apprenti qu’au
cours de cette cérémonie le
Vénérable Maître communique le souffle vital, mais
à un
symbole renouvelé incarné par un nouvel
initié. Ce n’est donc pas qu’un Apprenti
que l’on initie, mais la Loge qui revit la Joie de cette
nouvelle respiration en
transmettant la tradition
initiatique. Il peut alors
recevoir les décors de son
degré : le tablier et les gants dont il ne se
départira jamais pour pénétrer en
Loge et effectuer le Travail qui lui est
assigné dans ce lieu qui est un
Temple et dont il comprendra qu’il est à
l’image de l’Univers, qu’« il est le lieu sacré et couvert où la
Lumière naît d’elle-même par
la communion des
symboles ». Cette
Lumière vient d’un « ciel », de
la voûte
étoilée de la Loge et
transmise par les trois Fenêtres du tableau de
Loge. Dès
lors que tout est inclus dans la
Loge qui est une représentation de l’Univers, on
peut légitimement se demander
avec quoi les Fenêtres
communiquent-elles, sur quoi elles ouvrent, et
pour quelles raisons ce que l’on considère comme
le Tout comporte des
ouvertures. Sont elles réellement
des ouvertures ? Ces trois Fenêtres du tableau de
Loge semblent ouvrir le Temple sur un temps : celui de la vie de la
Lumière, apparaissant
à l’Orient, se revoilant à
l’Occident. Les
Fenêtres sont trois car Trois est la
formulation du Un dans le monde crée; en formulant ainsi les
Fenêtres, c’est la Fenêtre
unique qui
s’ouvre dans le Temple ; la Lumière est
perceptible
non dans son unité mais à travers
l’acte créateur, le Un qui devient Deux. Un peu comme si
au moment de la
création, une pierre fondamentale possédant un
caractère principiel se serait
dédoublée en pierre brute et en pierre cubique, deux
expressions de la pierre, deux approches de l’origine, deux
approches
indissociables, sans lesquelles la perception de l’origine ne
serait pas
possible. Par cette pierre
fondamentale,
l’inconnaissable peut être perçu. Sous
ce nom, l’être principiel peut être
connu : sa substance est pierre brute ; sa forme est pierre cubique ; la
présence
de ces deux pierres, telles qu’elles se trouvent à
l’Orient est indispensable. Le Un est devenu Deux. Nous sommes
dans le premier instant de la création du monde, dans la
lumière du premier
matin, au début du temps. La pierre brute nous situe dans l’instant du commencement, dans celui
de la « première
fois ». La
différenciation en pierre brute et en pierre cubique
privilégie le voyage, le déplacement de
l’être en devenir. Support des
possibilités de toutes
actions créatrices, la pierre brute met à
la disposition de celui qui veut
accomplir le travail une abondance de possibilités. Car elle
n’est pas seulement un bloc de
pierre, mais elle est toutes les pierres. En ce sens elle est un
résumé de la
voie initiatique artisanale, qui consiste à travailler sur
un matériau pour
façonner quelque chose selon les lois d’harmonie. « A quoi travaillent les Apprentis
? » « A dégrossir la pierre brute
afin
de la dépouiller de ses aspérités et
à la rapprocher d'une forme en rapport
avec sa destination ». « Quelle est donc cette pierre
brute ? » « C'est le Profane, produit
grossier de la nature, que
l’Art de la Franc-maçonnerie doit polir et
transformer ». Quel est cet Art de la
Franc-maçonnerie ? Laissons
répondre Oswald WIRTH: "Cet art est « l’Art Suprême est
celui de bien
vivre. Se considérant comme les ouvriers du Grand Architecte
de l’Univers, nous
devons nous appliquer à
remplir la tâche qui nous incombe dans l’oeuvre de
la création car le monde
n’es pas achevé. Apprendre
à travailler, tout est
là ! L’initiation au Grand Art est un
perpétuel apprentissage de la Vie. Ce
qui nous importe le plus c’est
de nous initier aux mystères de la vie. Vivre,
agir et travailler ont
toujours été synonymes pour les
initiés. Le travail est donc la condition de la
vie »". La piste peut
semblée bien balisée, en revanche,
l’objectif n’est pas défini, et les
Maîtres
présents qui ne sont pas « des Maîtres à
penser »,
n’en savent
pas plus que les Frères Apprentis, sur la
finalité de la démarche, et peut-être
plus encore le Vénérable Maître qui,
pour montrer son ignorance, se décoiffe à
l’ouverture des travaux, lorsque la Lumière
apparaît, en signe d’humilité. La seule chose
possible est d’indiquer,
par touches subtiles, quelques voies à explorer ; mais le
gros du travail est
dans la lente maturation des éléments que vous
« grappillerez
» par
vous-mêmes, tenue après tenue,
réflexion après réflexion et que vous
assemblerez pour construire un Frère
qui deviendra Compagnon et
peut-être un jour Maître. De quoi
s’agit-il vraiment ? S’agit-il d’un simple accomplissement
personnel, qui ne
prendrait en compte qu’une considération morale, et qui
n’aurait en fait aucun rapport avec l’initiation ? Le dégrossissement de la
Pierre brute n’est-il pas un véritable
Art, dont la
fonction n’est pas uniquement de nous faire
découvrir, de nous révéler le Beau,
mais de: Cet « Art qui révèle
à la conscience la
Vérité sous une forme sensible », selon la belle
formule d’HEGEL reprise par Henri TORT NOUGUES. Et
il poursuit : " N’est-il pas une
activité
essentielle", Et
comme l’a admirablement écrit Ferdinand ALQUIE: « Il se charge de l’espoir et
apparaît, avec l’amour, comme
le messager de
l’attente de l’homme. Il
nous restitue le sens de notre
destinée et apparaît comme
le moment suprême et la
manifestation de l’esprit, le
signe même de l’homme. » « La maçonnerie, en
subordonnant
l‘activité de chaque maçon, non
à sa propre fantaisie, mais à la
réalisation
d’un Plan, fait appel à cette transmutation qui
est un véritable Art. Le Maçon
va donc prendre la pierre brute qu’il est, il sera la
matière première du Grand OEuvre. » « Matière première
et outil, il
sera également le produit de son propre travail, dans lequel
il se sera fait
l’instrument de l’activité
ordonnée et progressive de l’Univers ». Le Grand OEuvre, c’est
le
travail que doit accomplir notre conscience sur elle-même
pour se purifier, se
sublimer, et transformer nos facultés, nos instincts et
même nos passions en
les élevant sur un plan supérieur. Nous avons donc
le pouvoir de vouloir ou
non dégrossir
la pierre pour lui donner
une forme susceptible de la rétablir en sa
véritable place à savoir le Centre,
d’où viendront et d’où
partiront toutes les
manifestations, parce que de ce Centre, tout se meut
selon une Loi universelle dont nous
devons être les témoins. Nous devons
participer de cette Loi universelle dans la
simplicité de notre Etre. Parce
qu’il faut de l’humilité pour
accepter de dégrossir la Pierre Brute, mais il faut de
l’ambition, une
véritable ambition métaphysique, pour se vouloir
un destin personnel confondu
dans le destin de l’espèce humaine et pour passer
du « connais-toi toi-même » au
« découvres
à quoi
tu sers». Sommes-nous si
loin de ce temps où la
Loge n’était avant tout qu’une
bâtisse adossée à
l’édifice en cours de
construction, un lieu couvert où les ouvriers se
réunissaient pour se reposer,
se restaurer, ranger leurs outils, parler des problèmes du
chantier et préparer
le travail du lendemain, dans ce lieu où les Compagnons
enseignaient aux plus
jeunes, les Apprentis, les arcanes du métier, à
ces hommes qui ne savaient ni
lire ni écrire, mais qui possédaient une
expérience et une connaissance
intuitive de leur Art comme un
véritable Secret? C’est
une véritable démarche artistique à
laquelle
nous sommes conviés, que l’on peut rapprocher des trois étapes
fondamentales de
l’initiation : 1. la quête de la
lumière,
véritable
ascèse silencieuse d’un humble postulant
plongé dans les ténèbres acceptant
d’être guidé dans ses voyages ;
ascèse qui est tout à la fois une
méthode, une
règle, un sacrifice et un rite impliquant la
volonté de l’impétrant. 2. La Contemplation dans la
chaîne d’Union
précédée par Trois Grands Coups et où
nous
découvrons le début et la fin de
l’oeuvre à réaliser, la pierre brute et
la
pierre cubique à pointe. La réalisation du
dégrossissage de la pierre semble
impossible sans la contemplation de l’œuvre finale. 3.
l’initié comprend que l’art est la bonne manière de
créer, de se
créer et
qu’en fait l’homme est la fin
essentielle de l’Art ;
l’œuvre lui
permet également de découvrir que le Secret de l’Art repose en fait
en l’artiste lui-même. Pierre Hadot, dans
« Plotin
ou la simplicité du
regard » nous
dit que: « l’Art ne doit donc pas
copier la
réalité : il ne serait alors que la mauvaise
copie de cette copie qu’est
l’objet qui tombe sous nos sens. La
vraie fonction de l’Art est «
heuristique » : par
lui, nous découvrons, nous «
inventons », au travers de l’oeuvre qui cherche
à imiter, le modèle éternel,
l’idée, dont
la réalité sensible n’était
qu’une image ». Cette
définition donne tout son sens à celle de
l’Art selon St THOMAS D’AQUIN : « L’art est
l’imitation de la
nature dans son mode opératoire » C’est-à-dire
l’imitation de la nature comme cause et non comme effet, la réalisation de
l’oeuvre pouvant alors
être vu comme une véritable imitation de l’activité divine. Placées
à l’Orient, la pierre brute et la pierre
cubique sont des pierres de lumière. Ne
concrétisent-elles pas cette lumière
que nous sommes venus cherché ? Pour que la pierre brute engendre une
oeuvre rayonnante de lumière du premier matin, il faut
qu’un travail soit
effectué, conformément au travail primordial
accompli par le Grand Architecte
de l’Univers, et consistant à penser et
à formuler le Verbe. La pierre est brute non point parce
qu’elle n’a pas encore
été taillée, mais parce que sa
destination nous reste à découvrir. Par Trois Coups de maillet
portés,
l’initié
enclenche un processus sonore, ouvrant ainsi la voie initiatique par la
formulation du Verbe et il comprend
que son travail consiste à
reconnaître la cause divine de la manifestation, à
extraire de la pierre toutes
les formulations dont elle est grosse ; il comprend que la « pierre brute »,
c’est
l’homme « charnel » qui
porte en lui l’image latente,
potentielle, de Dieu et que la « pierre cubique à pointe », lui
donne
le modèle de l’homme « déifié », qui
a accédé à la « ressemblance ». En
bâtissant son oeuvre, la Loge agit
pour que le Principe soit
l’architecte de sa propre demeure. Sur le Tableau de
Loge, pierre brute et pierre cubique sont
représentées de part et d’autre de la
porte, le long des colonnes. Les
métaux laissés à la porte du Temple
sont des métaux à transmuter, pour
qu’ils soient purifiés,
c’est-à-dire
activés, il faut les y faire entrer. Ce
n’est pas par hasard qu’ils sont
apportés au Nord, au pied de la pierre brute sur le Plateau
du Frère Hospitalier. Le qualificatif
de « brut » ne
signifie
pas « primitif » ; le
travail de l’Apprenti, par trois coups de maillet, n’est
pas le
début d’une énumération de
travaux mais constitue un éveil de ladémarche
initiatique. La pierre brute n’est
pas une
pierre au sens matériel du terme ; elle symbolise la
substance mystérieuse de
la création, et cette substance est à la fois
matière et esprit. Au pied
à la pierre brute,
l’Apprenti
est placé face aux quatre éléments par
lesquels il vient d’être purifié lors de
la cérémonie d’initiation. Il ne
s’agit pas d’un nettoyage, il ne s’agit
pas
d’un lavage, mais d’une réorientation.
Purifier, c’est orienter vers la
Lumière. Il est
placé face à l’origine du
processus initiatique, car la pierre brute est un
témoin de cette origine, elle
est une pierre mémoire de la première fois, qui
contient en elle le germe de la
création. Les Trois Coups de maillet
portés par
l’Apprenti sont une mise en harmonie, une écoute
de la musique de la pierre,
ils expriment l’acte de création du monde et
établissent la ternaire de
l’organisation de la vie dans son origine, dont le coup de
maillet du Vénérable
maître, à l’ouverture
des travaux, pourrait être
un écho. Dans la pierre brute,
matière et
esprit semblent indifférenciés, et il faut une
impulsion créatrice pour que les
éléments s’organisent, pour que
l’esprit anime l’oeuvre. Les Trois Coups de maillet
portés par
l’apprenti constituent cette impulsion en la pierre brute, et
la pensée
ternaire jaillit comme au premier matin. Le ternaire
s’éprouve par une
participation à l’oeuvre, qu’il
s’agisse des Trois Coups de maillet sur la pierre brute, des trois
pas, du mouvement selon les trois piliers. Par le ternaire,
la dualité n’est plus
une opposition d’éléments
figés de manière inconciliable. Par son aptitude
à susciter un mouvement
de réunion des contraires, le ternaire permet
l’émergence d’une pensée
créatrice. Le rituel
d’ouverture et de clôture des
travaux est la célébration et la mise en oeuvre
de cet accomplissement. En effet comme on
formule le nombre trois en
Loge, par trois coups de maillets, trois pas,
trois piliers, trois
Grandes Lumières, on montre à
l’Apprenti un chemin pour penser suivant trois
qualités : la Sagesse, la Force, la
Beauté. Ainsi le Trois établit-il
que
la liberté ne consiste pas seulement à choisir
une chose ou son contraire, mais
suscite un mouvement de la conscience entre les antagonismes de la
dualité et
suggère une pensée affranchie du binaire, une
pensée suscitant le discernement. La
pensée ternaire reproduit ce que le Principe a accompli au
début de la création ; les trois premiers sons,
reproduits sur la pierre brute, support du
travail primordial, semblent être de la nature du Verbe. Les Trois Coups de maillet
portés par
l’Apprenti l’inscrivent comme partie prenante en
qualité de « Frère ». Cet
instant
du travail
primordial est
gravé en chaque être par la puissance du Ciseau et du Maillet. Lors de la
célébration de la tenue
principielle, notre nom est changé pour celui de « Frère », et
nous
adoptons une vêture rituelle qui marque ce changement de
monde. Pour être en fonction dans le
Temple, il faut enlever tout ce qui n’est pas de la nature de
la fonction. En
devenant des êtres de fonctions, nous
devenons des êtres porteurs de forces de création.
La purification
n’est
donc pas
une astuce pour se débarrasser de ses souillures, mais
l’activation, par les
éléments, des êtres de fonction. Si
c’est un être en fonction qui accomplit
le travail primordial, l’acte rituel ne peut plus
être considéré au plan d’un simple
événement humain. Ce travail
n’est pas accompli par tel ou
tel individu, mais par l’Apprenti
archétypal et au nom de
tous les Frères de la Loge. Il ne
s’agit donc pas simplement d’un
geste de métier, à reproduire
régulièrement pour améliorer
l’individu et tendre
vers la perfection. Par
délégation du Vénérable
Maître,
l’Expert montre à l’Apprenti comment
accomplir ce travail, et le laisse faire
ensuite, sans lui préciser exactement la manière
de porter les coups : ni leur
rythme, ni leur emplacement, ni l’angle d’attaque
des outils. Pour
l’accomplissement de ce travail, l’Apprenti devient le
maître du
jeu. Est-il accompli
par un individu ou par
un être incarnant une fonction, celle du grade
d’Apprenti? On pourrait se demander si ce travail
relève véritablement
de la responsabilité de l’Apprenti. Les Trois Coups de maillet
portés sur la
pierre, ne correspondent-ils pas à trois actes majeurs : - celui
impliquant la Sagesse,
c’est-à-dire
une connaissance de l’harmonie ; - celui
impliquant la Force impliquant
une connaissance du dynamisme de la réalisation, la
manière d’incarner l’idée
juste ; - celui
impliquant la beauté correspondant
au fini de son oeuvre, à l’art de prolonger
l’oeuvre du Principe. Se trouver en
présence de la pierre brute, ne
revient-il pas pour l’apprenti à inverser le cours
du temps et à regagner
l’origine inconcevable dont il est issu ? Si ce travail est
la marque du
commencement de la vie initiatique, elle est toujours là,
devant nous, et on
réessaye constamment de la travailler, mais elle reste
brute, et on continue à
faire accomplir l’acte rituel par les Apprentis. Chaque
être est unique et irremplaçable ;
l’individu n’est pas une fin en soi, mais un outil
de travail que l’on veut
mettre au service d’une oeuvre ; « Se connaître
soi-même, c’est se
conformer à l’ordre de l’univers » dirait Bruno Etienne. Devenu
« Frère
»,
à l’instar
des Compagnons Opératifs réalisant leur chef
d’oeuvre, nous devons par notre
travail sur nous-mêmes, comparer nos
progrès intimes réalisés, avec nos
motivations pour que l’oeuvre soit conforme à ce
que nous voulons être, pour
devenir ce que, sans doute, nous sommes déjà :
des êtres de chair et de sang mais
aussi des êtres d’esprit. Le rituel est
l’expression d’un travail
artisanal accompli, exigeant que chaque Frère membre
d’une Loge soit un artisan dans sa
fonction. Si artisan est « celui qui fait vivre », la fonction du « Frère »,
c’est de
faire vivre le matériau, c’est de faire vivre la
pierre brute. Cette pierre est
unique dans l’édifice
tout entier, comme elle doit l’être pour symboliser
le Principe dont tout
dépend. N’y
a-t-il pas là une analogie entre le
« premier
» et le
« dernier
»,
entre le « Principe » et la
« fin
» : la
construction représente la manifestation, dans laquelle le Principe
n’apparaît
que comme l’achèvement ultime. C’est
en vertu de cette analogie que la
« première
pierre », la pierre brute peut
être regardée comme un « reflet » de la
« dernière
pierre », de la « pierre angulaire ». Cette pierre qui
a une forme spéciale et
unique qui la différencie de toutes les autres, et qui ne
peut trouver sa place
au cours de la construction, parce que les constructeurs ne peuvent
comprendre
sa destination et décident de « la rejeter parmi les
décombres ». La destination de
la pierre ne peut être
comprise que par une autre catégorie de constructeurs, qui
à ce stade
n’interviennent pas encore: ce sont ceux qui
sont passés « de l’équerre au
compas »,
c’est-à-dire de la forme carrée
à la forme circulaire, symbolisées par la terre
et le ciel; la forme
carrée correspond à la
partie inférieure de l’édifice, et la
forme circulaire à sa partie supérieure,
constituant la voûte. « La pierre angulaire » est
bien une
« clef
de voûte ».
C’est la pierre qui « achève » ou
« couronne
»
l’édifice.
Elle est l’« oeil » de la
voûte, la « pierre
d’achèvement » et ne
peut
être placée que par le haut. Elle
représente un « accomplissement » et la
fin
ultime du « Grand OEuvre ». Lors de la
cérémonie d’initiation,
l’Apprenti a traversé les épreuves des
éléments en tant que potentialités ;
il
reçoit ensuite son nom de « Frère » et
voit la distinction pierre
brute/pierre cubique. Il perçoit les matériaux
à travailler, il perçoit le
chemin menant de l’une à l’autre pierre,
il perçoit deux visions
indissociables, complémentaires, de la totalité
du chemin initiatique à
parcourir. Hélas
! Ou peut-être heureusement, nous
ignorons tout du Plan du Grand Architecte de
l’Univers. « Hélas ! »,
parce que, en possession de ce Plan, la vie
serait plaisamment simplifiée, bien qu’un peu
monotone ; « Heureusement », car
ce
manque de précision du produit fini nous confère une responsabilité et une
autonomie qui motive et valorise notre quête. Et nous
comprenons que ce que nous
cherchons vraiment ce ne sont pas des «Frères », au
sens
profane du terme, mais puisque nous sommes « les enfants de la veuve », nous
cherchons peut-être un « Père »,
c’est-à-dire « Celui qui est plus grand que nous ». La
Lumière que nous avons, un soir reçue,
symbolise celle dont parle Jean dans son prologue : «
Mais à ceux qui l’ont reçu,
à
ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de
devenir enfants de Dieu. Ceux-là
ne sont pas nés du sang,
ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir
d’homme, mais de Dieu». Nous sommes
« Frères
» parce
que
nous travaillons « à la gloire du Grand
Architecte de l’Univers ». Le travail que
nous entreprenons, nous
renvoie au mot sacré de l’Apprenti qui signifie
« en
lui la Force » ; il reformule
le Devoir que nous
avons de continuer l’oeuvre commencée « dans la Liberté, la Ferveur
et la
Joie ». Cette Joie qui est la
grande caractéristique de
notre esprit. Cette Joie qui est un
critère de Vérité. Cette Joie qui est un acte
de détachement de soi,
et l’antidote de l’orgueil qui nous guette tous sur
notre voie initiatique. Quand on
possède cette Joie, personne ne
peut nous la ravir, car elle ne dépend de rien si ce
n’est ce qui est au plus
profond de notre Cœur. Car
l’Apprenti doit trouver, en lui,
cette Joie qui sera : - à la
fois, le plus agréable des
leviers et la plus belle des forces - à la
fois, la source et le fleuve qui
irriguera son cœur puis tout son Etre. Et cette Joie ne pourra que
vivre chez le Compagnon et le Maître qu’il
deviendra un jour. Méditons
mes Frères, sur la phrase que
prononce à la fin de chacune de nos tenues, le Frère Second Surveillant sous forme de
souhait et qui est en fait le rappel constant de la Tradition : « Que la Joie soit dans les coeurs ». Pour
l’Apprenti, Il est l’heure de
chercher et de retrouver le Cœur,
véritable tombeau de Vérité, pour y
découvrir le véritable signe, le véritable Plan du GADLU. J’ai
dit. J\M\ D\ |
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