La Pierre Brute
On peut dire que cette image emblématique remonte au
début de l’histoire
de l’humanité.
Nos ancêtres se servaient de la pierre pour chasser et la
transformer en
outils.
Mais la pierre ne fut pas seulement une arme ou un outil, elle devient
très vite un objet de vénération de
l’homme.
Et tout au long de notre civilisation la pierre a
été
considérée comme un symbole divin
représentant le
TOUT.
La Pierre Brute est attribuée aux apprentis afin de la
dégrossir, de la dépouiller de ses
aspérités, et de la rapprocher d’une
forme en
rapport avec
sa destination.
Le
nouveau maçon est une Pierre Brute qui doit travailler de
lui-même et sur lui-même pour un travail constant
et
intérieur.
Cet apprentissage avec le dégrossissement de la Pierre Brute
se
rapporte aussi à la jeunesse durant laquelle la vie
exubérante jaillissante du germe
construit l’individu.
Symboliquement cette Pierre Brute se trouve sur les marches de
l’autel du vénérable, à la
colonne où
se trouvent les apprentis.
Le dégrossissage de la Pierre Brute correspond à
la fois
au grand oeuvre de l’alchimiste et à
l’organisation
du monde par son créateur, dégrossir cette Pierre
Brute
est donc le travail essentiel de l’apprenti.
Le
dégrossissage est également oeuvre collective,
l’incorporation au temple vivant dont les initiés
sont
à la fois les constructeurs et les matériaux.
L’ouvrier initié réalise le travail sur
la pierre, sur lui-même, et dans l’ensemble du
cosmos.
Il faut de l’humilité pour accepter de
dégrossir la
Pierre Brute, mais il faut de l’ambition, une
véritable
ambition métaphysique, pour se vouloir un
destin personnel confondu dans le destin de
l’espèce
humaine et pour passer du « connais-toi toi-même
» au
« découvres à quoi tu sers ».
Ce travail est évidemment en liaison étroite avec
le
symbolisme des outils dont la connaissance constitue essentiellement le
grade de compagnon.
L’apprenti attaquera tout d’abord la Pierre Brute
à
l’aide du ciseau et du maillet pour faire
disparaître
l’une après l’autre toutes les
aspérités du bloc
qu’il importe de façonner en impeccable pierre
cubique.
Mais
pour rendre possible son incorporation, l’ouvrier
matière
doit savoir se transformer en se livrant lui-même
à un
travail constant de
perfectionnement.
La Maçonnerie peut permettre ce travail initiatique sur le
plan
mental, parce qu’elle a conservé la transmission
spirituelle initiatique.
De cette manière la Franc-maçonnerie accepte les
hommes
issus des ténèbres afin de recevoir la
lumière
pour accéder à la réalisation promise.
En Franc Maçonnerie le symbole du temple à
construire
constitue le but même vers lequel convergent tous nos
efforts, ce
temple peut être considéré comme image
symbolique
de l’homme et du monde, et c’est sur moi que
s’effectue ce travail Le néophyte
l’entreprend
dès son initiation en frappant les trois premiers coups sur
la
pierre brute à l’aide du ciseau et du maillet.
En
commençant un travail intérieur sur la pierre
brute,
l’apprenti est à la fois sujet et objet de son
travail.
C’est l’origine divine qu’il nous est
proposé
de rechercher dans notre quête de la lumière.
C’est
le sens même de notre travail intérieur.
Mais l’aspect brut de notre pierre n’est
qu’une
enveloppe dont les volumes, les aspérités, les
fissures,
les creux, ne sont que les blessures engendrées
par la société de l’homme, nos vies et
nos passions.
Des
travers que nous devons vaincre à l’aide du ciseau
qui
choisit et du maillet qui réalise. Ciseau de la morale et
maillet de la volonté.
Nous devons travailler avec discernement, dégager avec
patience,
avec douceur mais fermeté et ténacité,
tout en
gardant une forme et un volume à
notre pierre brute afin qu’elle puisse trouver sa place dans
le
temple, participant ainsi au grand oeuvre de la Maçonnerie.
Ce travail d’apprenti ne cessera jamais.. Qui peut se vanter
d’avoir atteint la perfection ? Et la pierre la plus
dépréciée ne peut elle à
force de travail
devenir pierre angulaire ?
Déposer
le ciseau et le maillet serait donc un renoncement, un échec
au
devoir de maçon dans la reconstruction du temple.
Chacun doit y trouver sa place, chacun est irremplaçable
mais ne vaut que par les autres.
Habitué à enseigner les arts martiaux le plus
souvent
à des débutants complètement bruts de
connaissance, je ne cacherai pas les difficultés que
j’ai rencontrées à écrire
cette
première planche, ne voyant pas vraiment ce
qu’elle m
apporterait de nouveau.
Me
voilà donc maintenant non plus le maître
d’arts
martiaux, mais l’apprenti qui découvre un monde
nouveau,
qui écoute, observe et
enregistre tous ces symboles qui me laissent perplexe.
Tout cela m’apparaît comme une contradiction.
Parler de la
pierre brute donc parler de moi-même, que dire, je me sens
tout
nu de pensées pour le
peu de temps passé parmi vous.
Me
revoilà plongé au moment où je
débutais les
arts martiaux pour la première fois, où dans les
vestiaires mon maître me remettais un kimono et
une ceinture blanche, et où je me retrouvais sur un tatami
avec
comme seul outil ce kimono, cette ceinture, et moi-même.
De là débutait le travail de ma pierre brute.
Le travail de mon physique a été impressionnant
et laborieux pour progresser dans cet art martial.
Plus j’avançais et plus je m’apercevais
que le
travail de mon « intérieur »
était tout aussi
important que celui de mon physique.
Que de barrages j’ai du surmonter pour arriver à
relier
mon corps et mon esprit afin qu’une harmonie parfaite
apparaisse
dans mes gestes et mes
mouvements.
Si
je devais trouver un modèle pour diriger mon ciseau je le
prendrai chez ces maîtres d’arts martiaux
rencontrés
au fils des ans chez lesquels je
percevais une sérénité, une maitrise
du corps et
de l’esprit, cette maitrise intérieure et cette
sagesse
qu’eux seuls étaient capables de maitriser.
Ce regard est celui de l’apprenti qui sans cesse rappelle au
maître combien son art est difficile.
Transmettre son
savoir pour un maître représente le fruit du
travail de toute une vie.
Reconnaissant en moi cette pierre brute lors de mon initiation, je pris
conscience du travail pour le dégrossissage de ma pierre
brute.
A ce moment là je me rendis compte des
difficultés à intégrer tout ce
symbolisme.
En me confiant le ciseau et le maillet, je
m’aperçois que
seule la persévérance me sera
nécessaire à
l’aboutissement de la transformation de
cette pierre brute.
Ce
travail me permet de me débarrasser des imperfections afin
d’atteindre l’harmonie et la perfection vers la
lumière.
« Se connaître soi-même. »
J’ai pourtant
l’impression de bien me connaître, je ne crois
guère
me berner sur mes défauts, et mes points faibles. Je vois
bien
où diriger le ciseau en priorité.
«
Dégrossissement de la pierre brute, autrement dit formation
de
l’individu en vue de l'exact accomplissement de sa fonction
humanitaire et sociale. »
Que voilà une belle définition ! Mais que ma
pierre
à moi me semble coriace. On m’a bien mis un
maillet et un
ciseau en main, mais leur
maniement me parait bien délicat. En effet à mes
débuts parmi vous, je cherchais un mode d’emploi
et je
souhaitais une matrice toute faite,
oubliant que la taille de la pierre proscrit la technique du moulage.
Tailler
c’est enlever, alléger, sans
possibilité d’ajouter.
La
Pierre Brute n’est pas une pierre matérielle dans
le sens
du terme, elle symbolise la substance mystérieuse de la
création, et cette substance est à lafois
matière et esprit.
J’aimerai
à mon tour « retoucher » un petit peu
cette pierre
brute, présentée sous ses aspects principalement
négatifs de l’imperfection, en
proposant à nos réflexions le symbole de
liberté qu’elle peut aussi comporter.
J’ai dit
vénérable Maître
M\
L\
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