Obédience : NC | Loge : NC | 2001 |
La Pierre Brute
Vous m’avez demandé de traiter de la pierre brute, sujet qui fait logiquement suite aux morceaux d’architecture de nos FF J\P\ V\, M\ G\ et R\ M\. J\P\ nous a en effet présenté l’espace de travail, ce pavé symbole de l’alternance humaine. M\ nous a parlé des outils de l’apprenti : le maillet et le ciseau sans lesquels la pierre brute le resterait. R\ enfin nous a donné des informations sur la taille de cette pierre et son élévation grâce au fil à plomb qu’il a intimement lié au niveau et à l’équerre. Pour ma part, je vais donc essayer de vous parler de la pierre brute, matériau de base de notre Ordre qu’à l’aide des outils symboliques présentés auparavant, nous allons nous appliquer à dégrossir afin de la dépouiller de ses aspérités et à la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination. Mon tout premier travail d’apprenti a été, sous le regard bienveillant de notre VF J\ S\ de frapper maladroitement la pierre brute qui siège au nord de la chaire du VM avec le maillet et le ciseau. Dès lors, je savais que ce travail serait long et exaltant à la fois. Comment ne pas se poser alors la question : que vais-je tirer de cette pierre brute ? C’est ce pari que font les frères qui initient un novice. Le choix de la pierre. Choix qui s’est posé à Jésus lorsqu’il a appelé Simon : Céphas ce qui veut dire Pierre, sachant que sur cette pierre, une fois façonnée, il pourrait bâtir son église. L’Ordre se félicitant d’accueillir un nouveau frère ne peut que faire le pari que de cette pierre brute sortira une excellente pierre taillée ou mieux encore une pierre cubique à pointe. Ici un problème se pose, car il faut deux conditions à la réussite de l’entreprise. Tout d’abord que le joyau préexiste dans la gangue, mais aussi que l’habilité de l’artisan permette de tailler correctement la pierre. Deux conditions difficiles à réunir. Prendre n’importe quelle pierre et taper dessus à l’aide d’un ciseau est à la portée de tout le monde, mais choisir la pierre qui s’intégrera à l’édifice et utiliser les outils nécessaires pour l’ajuster au mieux relève du travail d’analyse, de la volonté de transmettre et de former et de la connaissance de l’homme. Peut-on savoir, à priori, si notre nature, notre vécu, notre « moi » construit au fil des jours, peut-on savoir si nous pourrons en combattant nos passions et en soumettant notre volonté, les modifier ou du moins trouver l’angle d’attaque qui nous permettra de nous façonner au mieux. Le temps ici est une variable déterminante. A quoi bon taper sur le ciseau tel un forçat pour réduire, à force de hargne, la pierre en un tas de cailloux ? Assurément, ce n’est pas la démarche proposée. Je me souviens avoir vu écrit dans le cabinet de réflexion, juste avant mon initiation, un mot : VITRIOL, acronyme devrais-je dire : Visita Interiora Terrae, Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem. « Visite l’intérieur de la terre et tu trouveras la pierre cachée ». Message d’espoir, s’il en est qui nous pousse à croire dès l’initiation que le travail nous permettra de trouver la pierre cachée, rectifiée, purifiée sur laquelle nous pourrons bâtir notre temple intérieur, pierre qui s’insérera dans la construction de l’atelier, de l’Ordre et, par la tolérance et la sagesse, de notre humanité. Que doit alors être le travail de rectification ? Celui dicté par la modération, la patience et la conviction humaniste. Le ciseau doit, avant de se poser sur la pierre s’imprégner de ce qu’elle est, choisir la bonne face, repérer la bonne veine. Puis se positionner avec le bon angle, le maillet entre en action, le coup part. Alors seulement, l’on sait si le choix est le bon. L’éclat dégagé permet de deviner la face polie. Mais combien de temps entre le choix de la pierre et ce premier coup, cette première modification visible, ce changement espéré et attendu par le reste de l’édifice ? L’évolution peut être imperceptible au jour le jour, puis on constate, un jour, que la pierre est taillée, en harmonie avec les autres, assemblable. Ou alors, dès le départ, on sent que la pierre brute que l’on tient dans ses doigts peut donner rapidement une pierre taillée. A ce moment-là, il faut surtout faire attention à ne pas la gâcher par un coup malencontreux. Encore ici, la sagesse ordonne la patience. Acquérir la dextérité nécessaire à la taille de la pierre relève de l’apprentissage, de l’imprégnation, de la vie sur le chantier. D’abord occupé à transporter les pierres, à les dégrossir, l’apprenti, sur les conseils du Maître commencera peu à peu à tailler. Cela ne pourra survenir que si l’observation, la compréhension, le ressenti permettent à l’apprenti de se construire un savoir et au maître de le reconnaître. Faut-il seulement avoir un matériau à travailler, une gemme à extraire de sa gangue, une pierre brute à polir. Engagés dans cette démarche, nous en sommes tous persuadés, nous avons trouvé en nous cette pierre à polir, la maçonnerie nous offre les outils avec un tout petit mode d’emploi. Il reste à apprendre patiemment, et lentement les faces polies se feront jour afin de nous rendre contents et satisfaits de notre travail. Toute pierre est-elle utilisable dans l’édifice ? Notre foi nous pousse à dire OUI. Nous croyons en cette étincelle en chacun des hommes et des femmes. Etincelle qui nous amène forcément à penser que toute pierre est polissable. Faut il encore que chacun s’en rende compte, aie la chance de rencontrer des gens qui vont lui faire entrevoir la pierre polie qu’il pourrait devenir. Cette chance, nous l’avons eue. Donnons-la à ceux que nous rencontrons. Après avoir été concentrées en loge, les forces de fraternité, d’humanité, de tolérance ne doivent elles pas se répandre autour de nous ? Et si nous essayions de voir en l’autre un être meilleur en devenir, lui tendre la main, le considérer comme un frère, même sans tablier ? Je terminerai ce travail par une interrogation à propos d’un passage de l’Exode : « … Mais si tu construis un autel de pierres, que ce ne soit pas en pierres de taille, car tout ciseau les souillerait ». Précepte édicté par Dieu à l’attention des juifs, mais contourné dès la construction du temple de Jérusalem par Hiram. Les pierres étaient taillées non pas sur le chantier, mais sur la carrière, de manière à ce que ne résonne le bruit d’aucun ciseau sur l’esplanade du temple. J’ai dit, vénérable maître. B\ G\ |
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