GODF | Loge : Art et lumière - Orient de Los Angeles | Date : NC |
L’apprenti
maçon se considère t-il
Je
dédie cette planche à feu mon grand
père, tailleur de pierre de son vivant.comme pierre brute ou comme pierre taillée ? La question posée étant : L’apprenti maçon se considère t-il comme une pierre brute ou comme une pierre taillée ? Sans la moindre hésitation, je suis tenté de répondre que l’apprenti maçon, que je suis, se considère comme une pierre brute. Et pourtant….venant du monde profane il est nécessaire d’abandonner a la porte de nos ateliers, nos oripeaux de pierre taillée de profane, nos guenilles d’orgueil, nos haillons de suffisance, nos frusques de prétention, nos hardes de vanité. La Pierre Brute est attribuée aux apprentis afin de la dégrossir, de la débarrasser de ses aspérités incongrues, et de la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination. Une tache apparemment simple. Mais qui nécessite au démarrage un balayage drastique dans l’atelier de nos préjugés personnels. Car notre pierre de profane est loin d’être brute. Une mutation s’impose : Avant de tailler, il est nécessaire de commencer par détruire les cotés taillés de cette pierre profane, mettre a nu la matière en la débarrassant de ses dorures superficielles, supprimer nos œillères, briser nos parti pris, anéantir nos idées préconçues, abattre nos a priori, fracasser nos vanités, miner nos certitudes. Se découvrir, et renaitre nu, sain et pur face a soi-même, à l’état brut et originel, vulnérable a la sincérité, sensible a l’honnêteté. Ce préliminaire accompli, le nouveau maçon devient alors une Pierre Brute qui doit œuvrer de lui-même et sur lui-même pour un travail intérieur constant. Tailler sa pierre pour comprendre, admettre et tolérer, tailler sa pierre pour bâtir son chef-d’œuvre intérieur, se sera son compagnonnage Maçonnique…… Être à la fois le matériau et l’architecte qui doivent servir à bâtir son temple intérieur, c’est le cœur de ma réflexion. L’apprenti devenu matière doit savoir se transformer en se livrant lui-même à un travail constant de perfectionnement. Mais son geste n’est pas assuré, il trébuche, il doute. Ses notions de stéréotomie sont incertaines, quel outil choisir, la pointerolle, le ciseau, la chasse, la gradine, la gouge, le têtu, le taillant ? Quand une pierre, peut-elle être considérée comme pierre taillée ? Il l’ignore. Ce dégrossissage pourrait passer pour un travail de brute épaisse frappant ca et la sans distinction, mais il y a des subtilités dans sa pierre, des duretés, des tendresses, des grains, des moies, des fils, des trous, des veines qu’il faut d’abord analyser puis tailler avec calme et méthode, des fragilités accumulées au fil du temps dont il faut tenir compte sous peine de fendre ou d’éclater sa pierre définitivement. A peine a-t-il enlevé le bousin qu’il y découvre d’autres défauts. Il y aura de l’ouvrage sur cette pierre, avant de pouvoir la layer au taillant. Et puis il y a le sens de la pierre, son lit d’origine, qu’il lui faudra découvrir afin que son ouvrage soit placé a l’identique sous peine de compromettre la solidité de l’édifice. En commençant le travail intérieur sur sa pierre brute, l’apprenti est à la fois le sujet et le complément d’objet direct de son travail. « Se connaître soi-même. » il pense connaitre une partie de ses défauts, et ses points faibles et il voit bien où diriger les premiers coups de ciseau en priorité. Mais il apprendra au fil du temps a mieux se connaitre pour parfaire son ouvrage. C’est ce que l’apprenti est susceptible de faire en se fixant comme idéal de devenir un être équilibré vivant dans une société harmonieuse. Tout homme est perfectible. Ce travail lui permet de se débarrasser des imperfections afin d’atteindre l’harmonie en cheminant dans la clarté pour toucher la lumière. Bien entendu il y a l’aspect symbolique de la pierre brute devenant peu a peu pierre taillée, Pierre philosophale….en quelque sorte dont les manipulations chimiques seraient essentiellement la symbolique de la transformation Psychique, menant l’individu vers une évolution spirituelle. Carl Gustav Jung notamment voit dans la « lapis philosophicae » la métaphore culturelle du processus d'évolution Psychique de tout être humain, la force le poussant vers davantage de différenciation. Sur le plan philosophique, je revendique encore pleinement cette analogie imagée de « pierre brute ». Le fait de se sentir « pierre brute» représente quelque part un aveu de jeunesse, d’humilité, de sincérité, de crédulité, de curiosité, d’honnêteté et d’ouverture. Situant ainsi le novice dans la quête de l’amélioration constante et dans la recherche individuelle sur lui-même. Ce sentiment m’habite depuis fort longtemps, et je l’espère pour encore quelques décennies. Être en permanence en état d’apprentissage n’est-il pas le cheminement naturel que chacun doit suivre? Si cette même question réductrice était élargie à l’ensemble de notre hiérarchie, je suppose que la réponse serait identique. Ne sommes nous pas tous des pierres brutes en devenir? Quand peut-on se considérer un jour « pierre taillée » ? Être et demeurer une pierre brute me convient parfaitement, tendre vers la pierre taillée sans jamais l’atteindre me satisfait également. Être en quête permanente de perfection me semble une situation stable et non transitoire. J’aimerai pouvoir lire sur ma pierre tombale en marbre de carrare taillée-main, et lustrée a l’oxalique cette belle épitaphe : « ici git une pierre brute qui n’a jamais atteint la perfection, mais qui s’est donné beaucoup de mal pour essayer d’y parvenir » Malheureusement mes aspirations profondes me poussant vers la crémation, je n’aurai sans nul doute, qu’une pierre d’achoppement en guise de stèle. En matière de conclusion je dirais, Ce qui est inéluctable dans tout cela, c’est que, de cendre ou de pierre, nous finirons tous poussière légère au gré du vent tourbillonnant dans la nuit des mondes, tels les débris épars de nos martelages hésitants au sol de nos ateliers intimes, mais que de notre vivant nous avons travaillé notre pierre avec acharnement enthousiasme et honnêteté, pour l’œuvre commune, dans la fraternité afin d’entrevoir la lumière. Enfin, et avant de retourner a mon mutisme bienfaisant, je terminerai par un clin d’œil destiné a mon grand père, qui malgré son gagne-pain harassant, détenait ce sens rare de la dérision, en citant Alexandre Vialatte qui disait: « l’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau ! J\J\ B\ |
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