La Pierre
Brute
Je vais traiter ce soir de « La
Pierre Brute ». Dans un premier, par une
réflexion sur ce qu’est la « Pierre
» et à quoi elle est destinée dans le
monde profane, je vais essayer de comprendre la nature de la
« Pierre Brute » à
tailler et l’objectif à atteindre par le travail
présent et à venir.
L’étude du travail des bâtisseurs sur
les pierres me permettra alors de mieux appréhender la
métaphore de la « Pierre Brute
» dans le cadre du travail en loge et plus
particulièrement la nature de ma propre Pierre.
J’ai volontairement souhaité dans ce morceau
d’architecture rester le plus proche possible de la
matière pour percevoir plus physiquement le travail des
outils.
(Etude et sélection de la Pierre Brute dans le monde
profane).
Dans le village de mes ancêtres en Corse, les maisons et les
chemins sont en Pierre Brutes. Tous ces édifices tiennent
solidement depuis quelques siècles aidés par le
ciment. Les façades sont inégales. Pour les
maisons, on s’est contenté du schiste en profusion
localement. Pour combler les trous, on a inséré
des lamelles de lauze grossièrement ajustées.
Seule la vielle église du village et les tombeaux regroupant
des familles ont bénéficié
d’un traitement de faveur: les murs sont lisses, les pierres
ont été soigneusement taillées, les
sols sont presque parfaitement homogènes.
On note ainsi que même si les maisons sont solides, les
habitants du village ont ressenti le besoin pour donner plus de
solennité à certains bâtiments de
tailler des pierres pour les assembler.
Comme partout ailleurs, les bâtisseurs
d’habitations ou d’édifices
sacrés sont confrontés au choix de la pierre
à utiliser qui s’adaptera le mieux au besoin
requis. Dans tous les cas de figure, pour la base de
l’édifice, on choisira des pierres très
solides capables de porter le bâtiment. La base
d’un édifice sera faite de blocs
taillés. Ensuite suivant l’importance de
l’édifice, on choisira des pierres de
qualité différentes.
Pour une habitation simple, on se contentera de pierres suffisamment
friables pour lui donner grossièrement sa place au milieu
des autres, le ciment étant de toute façon requis
pour faire le liant. Ce plâtre sera
réinséré en couches successives lors
des multiples travaux de réparation de cette habitation. La
solidité du bâtiment sera alors limitée
dans le temps.
Pour un édifice plus travaillé, les pierres
seront soigneusement choisies. On prendra certes des pierres
agréables à regarder (le marbre par exemple),
mais surtout suffisamment solides pour résister aux
pressions naturelles et suffisamment tendres pour que l’on
puisse les travailler pour leur donner leur place au sein de
l’édifice. Un bel ensemble sera composé
de pierres aux caractéristiques différentes,
certaines se prêtant plus à une place dans
l’édifice que d’autres: les pierres
servant de base ne seront pas forcément les mêmes
que celles du toit ou des frontons. Le bâtiment ainsi fini
n’aura vu que très peu l’utilisation du
ciment et pourra rester des siècles durant sans
nécessiter d’intervention pour le
réparer ou le restaurer.
Une « société partiellement
civilisée, où les vérités
essentielles sont entourées d’ombres
épaisses, où les préjugés
et l’ignorance dominent » peut être
comparée à une habitation simple. Ses membres,
pierres brutes plus ou moins bien taillées, participent
à un édifice qui nécessite sans cesse
d’être cimenté, restauré,
réparé. Des coups de ciseaux inachevés
ou imprécis laissent penser que des pierres sont
taillées et résisteront au temps. Elles sont de
toute façon trop peu nombreuses pour éviter les
constants et incessants rafistolages dus à des trous
béants dans l’édifice parce
qu’à certains endroits capitaux les pierres
n’ont pas été choisies ou
n’ont pas été taillées.
Les édifices plus durables où les pierres sont
préalablement soigneusement choisies pourront être
comparés à un monde idéal que nous
espérons bâtir en loge. Dans une
société initiatique qui cherche le parfait, les
pierres brutes choisies sont étudiées et surtout
travaillées avant de prendre leur place dans
l’édifice.
Ainsi pour trouver toute sa richesse, une Pierre Brute doit
être taillée.
Tailler une Pierre permet de la rendre unique, tout comme les
compagnons tailleurs de pierres rendaient uniques chaque Pierres
qu’ils taillaient en les signant. La Pierre Brute
taillée, sans avoir été
uniformisée, trouvera alors sa place au sein d’un
édifice pour la beauté de l’ensemble.
Elle sera alors, dans un édifice sacré, un
élément nécessaire pour une
élévation spirituelle. Les bâtisseurs
de pyramides, de temples ou de cathédrales cherchaient tous
à symboliser par leurs bâtiments une
élévation soit physique vers le ciel, symbole de
divin, soit spirituelle en créant un lieu imposant dont le
parfait agencement des pierres taillées ne pouvait
qu’inspirer la méditation.
Tailler une pierre brute prend alors le sens de
l’élévation de l’Homme pour
sa propre évolution et pour
l’élévation de l’ensemble de
ses congénères.
La volonté de passer de l’état de
Pierre Brute à l’état de Pierre
Taillée sera ainsi motivée, en ce qui me
concerne, par l’envie de servir d’exemple par le
travail et la discipline, et par l’envie d’aider
les autres à suivre un chemin idéal.
(Tailler ma Pierre Brute)
L’étude de l'objectif de tailler des Pierres dans
le Monde Profane m'a donné un premier éclairage
sur la symbolique de la construction du Temple en loge. Tout comme
l’apprenti, qui arrive sur un chantier, voit des
maîtres et des compagnons à l’ouvrage,
taillant leur Pierre pour la réalisation d’un
édifice, l’Apprenti Franc-Maçon,
à la vue des Pierres en cours de taille ou
taillées, comprend qu’il existe une Pierre Brute
qu’il doit travailler.
Sentant que je trouverai difficilement seul la voie d'une certaine
sagesse qui me permettrait d'évoluer et d'aider mes proches,
j'ai souhaité entrer dans notre loge.
On m'a alors dit que j'étais une Pierre Brute. On m'a dit
également m'avoir donné des outils pour que je
puisse tailler cette Pierre.
Progressivement la lecture et l'apprentissage du rituel, la discipline
et la régularité du travail de la loge, les
discussions et le temps donné par mes frères, si
différents et pourtant si proches, m'ont fait comprendre que
les outils sont omniprésents, portés par chacun
des membres de l’atelier, montrant comment les utiliser pour
dégrossir les Pierres Brutes, si celle-ci sont
prêtes à être taillées.
Chacun porte successivement le Maillet et le Ciseau, mais aussi pour
les finitions l'Equerre et le Niveau. La présence de la
Pierre Brute au Nord-Est de la loge, là où la
quatrième colonne du temple fait défaut, parait
souligner que cette colonne sera construite par le travail de cette
pierre. Ce symbole m'a notamment fait comprendre l'importance cruciale
que revêt pour la loge la bonne taille de cette Pierre Brute
et donc l'effort que l'atelier fait, pour sa propre construction, en
fournissant des outils aux Apprentis.
Deux composantes essentielles dans l'approche de la taille de la Pierre
Brute m'ont ainsi frappé : la Pierre et les
Frères de la Loge :
Une Pierre Brute en loge ne pourra à mon avis être
régulièrement taillée que si elle est
suffisamment tendre et prête à être
travaillée. Une des étymologies du terme
« franc-maçon »
retenue dans « La symbolique au grade
d'Apprenti » est d'ailleurs « Free-Stone
Mason » où « free
», qui a communément le sens de
« libre », signifie «
tendre » associé à « stone
». Le franc-maçon serait donc un maçon
de Pierre tendre, lui-même étant une de ces
pierres.
Comprendre que la Pierre Brute au sens maçonnique n'est en
fait pas qu'un simple morceau du chaos originel, mais une Pierre sur
laquelle sont venu se greffer des à priori, des croyances et
des certitudes est un stade crucial pour arriver à percevoir
le travail à accomplir. Il ne s'agit pas d'accumuler le
savoir en engloutissant de nouvelles connaissances sur la symbolique et
l'ésotérisme comme je l'ai cru au
début, mais bien procéder à
l'équivalent du travail de Tabula Rasa proposé
par Descartes. La Pierre Brute sera une Pierre suffisamment tendre pour
se débarrasser de ses impuretés, mais aussi
suffisamment solide pour ne pas s'effriter suite aux coups de ciseaux
et de maillets. Il s'agit là d'un profond travail
d'humilité, de confiance en ses frères, de
silence et d'écoute.
Les outils portés par les Frères de la Loge,
c'est à dire leur façon d'agir, leurs mots et
leur présence donnent régulièrement
une raison de s’interroger et de remettre en question ce
qu'on peut considérer comme un acquis. La façon
d’agir, le langage et la fraternité des
frères permettent à l’Apprenti de
comprendre comment et où taper avec son maillet sur son
ciseau pour se séparer des préjugés,
comment par la rigueur utiliser son équerre pour se
discipliner, comment ouvrir correctement son compas,
c’est-à-dire son esprit, sans pour autant perdre
sa force de caractère.
Le travail de la Pierre Brute est bien en amont de la construction du
temple. C’est la discipline du corps et la maîtrise
des émotions. C’est la base du travail dans un
monde d’initiés.
Deux principales facettes de ma Pierre Brute ont
été à travailler au cours de cette
première année maçonnique :
Tout d'abord, d'origine méditerranéenne, ma
dialectique était jusqu'à présent plus
basée sur l'intimidation et la mobilisation de la parole,
pour faire passer mes points de vues, que sur
l’écoute posée de chacun des arguments
de mes interlocuteurs.
Ensuite, la formation que j'ai suivie, qui ne cherchait pas vraiment
à favoriser l'humilité et la
solidarité, m'a permis de progresser professionnellement,
mais m'a laissé sur ma faim en ce qui concerne ma
progression d'Homme.
Maîtriser le silence et l’écoute est
pour moi un grand travail. Le silence imposé à
l’Apprenti en loge, l’égalité
entre tous les maîtres aussi bien pour la prise de parole que
pour le vote est exemplaire pour la vie profane.
La discipline du corps et la maîtrise des émotions
sont une base qu’il ne faut jamais oublier et probablement
à laquelle il faut revenir inlassablement. Je suis encore
très jeune dans la vie profane et maçonnique mais
j’ai le sentiment qu’à tous les
degrés et à tous les âges de la vie
profane ou maçonnique, il est bon de se rappeler son
état d’Apprenti pour continuer à
maîtriser ses émotions et discipliner son corps.
Il parait primordial toute la vie de maçon de montrer
comment tailler les Pierres Brutes en général et
de tailler la sienne en particulier.
J’ai dit.
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