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Le
Bandeau R - NI NU, NI VÊTU, mais dans un état décent, privé de l'usage de la vue et dépourvu de tous métaux. D - Pourquoi dans cet état ? R - Pour rappeler que la vertu n'a pas besoin d'ornements. Le genou droit mis à nu,
pour marquer les sentiments
d'humilité qui doivent présider à la
poursuite du Vrai. Le pied gauche
déchaussé par respect pour un lieu qui est
Saint, parce qu'on y recherche la vérité. Privé de l'usage de la vue,
afin d'indiquer l'ignorance du
Néophyte, encore privé de la Lumière
que lui apportera l'instruction, sans
laquelle il reste plongé dans les
ténèbres. Dépourvu
de tous métaux, en preuve de
désintéressement et pour apprendre à
se priver
sans regret de tout ce qui peut nuire à notre
perfectionnement. Cahier du
Premier Degré Cette
privation de l'usage de la
vue a déjà été
vécue par le profane au moment de son audition sous le
bandeau.
C'est sans aucun doute la première épreuve
à laquelle est soumis le candidat.
Il s'agit là d'une épreuve de
déstructuration au cours de laquelle le profane
va passer par divers stades. Tout
d'abord, l'obligation de
faire confiance à celui qui va lui bander les yeux et lui
faire parcourir un
dédale de couloirs, une succession de brèves
lignes droites assortie de virages
et de demi-tours, tels que l'on pourrait imaginer un parcours
labyrinthique. Si
quelqu'un l'accompagne et le guide, le chemin ne peut être
dangereux, mais la
sensation de dépendre de l'autre pour atteindre un but
renforce le sentiment de
déstabilisation qu'il éprouve. La
méconnaissance des questions
qui vont lui être posées, jointe à
l'angoisse de passer devant un
"jury" qui décidera de son sort sur les quelques
réponses qu'il devra
improviser, renforce l'émotion négative qui
l'envahit. C'est avec soulagement
qu'il s'assied lorsqu'on l'y invite. A
l'angoisse succède un temps de
questionnement. Il est assis "sur la sellette" et se sent
plongé au
coeur d'un silence pesant. La voix du Vénérable a
beau être rassurante, les
questions parfois indiscrètes qui lui sont posées
par des voix qui semblent
sortir de sa propre obscurité, parfois proches de lui, sur
sa gauche ou sur sa
droite, parfois plus éloignées,
derrière lui, lui posent question. Doit-il tout
dire ? Qu'attendent-ils de lui ? N'est-ce qu'un jeu, celui du chat et
de la
souris ? Que fait-il là à se dénuder
mentalement face à ces gens qu'il ne
connaît pas et qui peut-être ne vont pas l'accepter
en leur sein ? Et demain,
dans la rue, ils le reconnaîtront et sauront tout ou presque
de lui, mais lui
ne saura rien d'eux. Et
tout cela sans savoir combien
d'yeux le scrutent, le détaillent ou veulent le mettre en
pièces… Puis
on le remercie, on le
reconduit par un chemin qui lui semble "raccourci", et il se retrouve
à la porte du Temple, sans savoir ce que pensent de lui ceux
qui l'ont parfois
obligé de répondre à des questions
qu'il ne s'était jamais posées. Il
y a là déstructuration, mais
sans restructuration. S'il
est admis à subir les
épreuves de l'initiation, il portera encore une fois le
bandeau avant d'entrer
dans le cabinet de réflexion. Il lui sera
ôté pour cette épreuve de la Terre,
puis lui sera remis pour entrer dans le Temple jusqu'au moment
où la Lumière
lui sera donnée. Des mots, plus que des phrases, résonnent en lui, parce que martelés, mesurés par une sorte de rythme perçu inconsciemment… …mourir à votre vie passée… …la boisson d'Oubli… …mon fils, venez avec moi… …mon élève, suivez-moi… …mon ami, appuyez-vous sur moi… Puis des marques de reconnaissance réitérées: … je vous félicite de votre courage… le
réconfort de l'Eau de Mémoire
qui va faire enfin de lui le Maçon militant, le
véritable Enfant de la Veuve. Puis
enfin le Serment qu'il va
répéter mot pour mot après que le
Vénérable en aura détaché
les
phrases…Parole
partagée, créatrice d'un nouvel Adam. Comment
ne pas penser en effet à
la torpeur qui envahit Adam avant qu'il ne s'endorme et que
Yahvé ne tire de
son côté celle qui le compléterait. Adam
ignorait qu'il portait en lui
son côté non accompli, cette partie "femelle" de
lui, mais est-ce à
dire qu'après la séparation des corps, sur le
plan charnel, sur le plan du visible,
sur le plan des sens, il ne restait rien d'autre en lui que sa partie
mâle
d'âme ? Rien n'est moins sûr, car lorsqu'il se
réveille, il devient mâle parce
qu'il se souvient. C'est le rôle de l'Eau de
Mémoire, qui fait de lui un
porteur de Devenir, lui qui n'a pour souvenirs que les bêtes
sauvages et les
oiseaux du ciel à qui il a donné leurs noms. Il
n'avait qu'un passé, subissait
les épreuves du présent, il a maintenant un
avenir. "La
femme enceinte sait
qu'elle porte dans ses flancs un embryon qui deviendra un enfant. (...)
Dans
le cas du puer aeternus, l'enfantement se
déroule dans
le secret le plus absolu. Il y a bien initialement une semence. Elle
provient
du monde invisible. Le réceptacle existe. Il ne se
réduit pas à un corps animé,
pourvu d'un nom. Le fond de l'être expérimente une
vasteté, une immensité sans
frontières. L'oiseau ailé, entreprenant un long
voyage, doit connaître une
telle ivresse. Le migrateur sait où il va. Le porteur d'un
enfant qui n'est ni
de chair ni de sang entre dans l'anonymat, et il ignore ce qu'il va
découvrir.
Désormais, comme le dirait Kierkegaard, c'est l'incognito". Marie
Madeleine DAVY (Traversée en solitaire) Ce
"puer aeternus" est l'Enfant de l'Eternité dont parle
Silésius: «
Si l’Esprit de Dieu te touche de Son essence,
l’Enfant de
l’Éternité naît en toi
» Johannes
Scheffler, dit Angelus Silesius (1624 - 1677) Là
est le véritable
commencement du chemin, où l'homme devient un
pèlerin en marche vers sa patrie
intérieure, comme le dit encore Silésius: " Je
suis un
mont en Dieu et dois me gravir moi-même, si Dieu doit me
montrer sa face
bien-aimée ". Où
se tient mon séjour ? Où moi et toi ne sommes.
Où est ma fin ultime à quoi je
dois atteindre ? Où l'on n'en trouve point. Où
dois-je tendre alors ? Jusque
dans un désert, au-delà de Dieu même. Et dans
cette obscurité qui l'enveloppe, il rejoint Maître
Eckhart qui a l'audace et la
témérité de penser que Dieu n'est
rien: " Dieu n'est rien de
rien…je serais dans l'erreur si
j'appelais Dieu un être, comme si je disais que le soleil est
pâle ou
noir…quand nous présentons Dieu dans
l'être, nous le présentons sur son parvis,
car l'être est son parvis, mais où est donc son
Temple?" Silésius dit aussi: "
Dieu est un authentique
néant, un pur et simple néant, un
néant opaque et
ténébreux…la pauvreté est
sa
principale caractéristique, car il est le vide et le
désert." Mais au-delà des mots
apparents, nier que Dieu soit être,
ne signifie pas en diminuer l'être ou le lui retirer, mais
plutôt l'en
augmenter et le lui attribuer Au
moment même où Silésius dit que "
Dieu est néant ", il ajoute qu'il est
plutôt "surnéant…
un Sur-Rien… Qui rien ne voit en tout, crois-moi, homme le
voit… S'il
n'est pas être, Dieu est
toutefois "Superêtre, Superessence…" Les
yeux bandés, le néophyte perd
la notion du temps et de l'espace. Du
temps, comme Silésius encore,
qui dit: " Je ne connais que trois
jours : hier, aujourd'hui et demain. Mais quand hier est enfoui dans
aujourd'hui et maintenant, quand demain est effacé, je vis
un jour semblable à
celui qu'avant d'être je vivais en Dieu. " En
ce présent ténébreux, il
retrouve l'espace de quelques instants sans durée, le temps
d'un rêve enfoui au
plus profond de lui-même, cette unicité
première qui l'unissait à l'Indicible. Du
noir jaillissent des phosphènes
colorés. Des formes humaines semblent émaner de
raies de couleurs vives, comme
si la couleur précédait l'humanité
elle-même; raies de couleurs convergeant en
jets vers un centre d'où émergerait l'humain,
centre évoquant précisément un
lieu de commencement ou d'une naissance. D'où
vient cette lumière ? Jean
Paulhan avait demandé un jour
à Georges Braque : " D'où vient la
lumière de ce tableau? " D'où
vient le feu? Le Sepher Yetsirah nous enseigne : le feu vient
de l'eau, l'eau vient du souffle, le souffle vient du souffle et cet
autre
souffle vient du Dieu vivant. Ainsi la vie palpite dans la
proximité du feu. Les
trois voyages vont s'accomplir, la purification par les trois
éléments va permettre au néophyte de
se transformer. La
Bible nous enseigne deux approches de l'humain : Adam est
créé
(Genèse 1, 27) et il est formé : "L'Eternel Dieu
forma l'homme, - poussière
détachée du sol, - insuffla dans ses narines un
souffle de vie et l'homme
devint une âme vivante" (Genèse 2, 7).
L'humanité créée et formée,
ainsi
que nous l'enseigne le texte biblique, est coupée de
l'essence divine. Le mot
hébraïque "bara" que l'on traduit par
créer, signifie
"couper", comme l'on coupe la branche d'un arbre. Ainsi
l'humanité
accède à elle-même lorsqu'elle est
créée. La formation postérieure
à la
création désigne la formation sexuée,
celle qui permet la transmission humaine de
la vie et donc de la forme humaine. C'est
très étrange : nous sommes à
peine sur le chemin, nos pas hésitants nous
mènent vers un devenir incertain,
nous approchons et le regard intérieur se noie dans une
sorte de buée ou
derrière un voile que n'appellerait pas un désir
de découverte. C'est très
étrange, ce voile léger est comme une
inquiétude, une attente, un rappel de
quelque chose. Nous essayons de nous souvenir, et alors surgit
à l'horizon de
cette interrogation malhabile, comme un éclair de
compréhension. Comme
Hildegarde de Bingen, qui
évoquait " les yeux intérieurs de (son)
esprit", nous
découvrons la double nature qui vit en nous, celle qui voit
le monde avec ses
yeux de chair et celle, indissociable de l'autre, capable de regarder
l'âme. En
fait, la voie mystique est "comme
un arbre s'élevant vers le ciel et dont les racines plongent
dans la voie
commune". Chaque
religion possède un "
dehors " et un " dedans ", toute parole et tout écrit
sacré
comporte deux dimensions qui sont, d'une part, la
Vérité, d'autre part la Loi. Pas
d'ésotérisme,
donc, sans une loi exotérique… ce qui a permis
à René Guénon de conclure que le
Christianisme, du moins le christianisme des origines, ne pouvait
être qu’un
ésotérisme. En effet, ou bien
l’ésotérisme chrétien
n’existe pas, ou bien le
christianisme est un pur ésotérisme,
dès lors que le Christ n’a pas apporté
aux
hommes une Loi, mais la Vérité. La
Vérité ne peut
s'approcher qu'avec les yeux du coeur, sur la pointe des pieds, mieux,
à
quelques pas au-dessus de la poussière du sol. Éclaboussez, ô sang, les étoiles du ciel Des anges, savez-vous, qui font les clairs de lune L'un broda mon esprit avec de l'irréel, Pour me descendre vers vous Dieu fit une échelle Je ne suis pas assez long Il y manque un échelon Prêtez-moi vos ailes. Ce
poème de Max JACOB évoque
l'échelle de Jacob, deuxième dormant que nous
allons rencontrer. "
Veux-tu
entendre la couleur des feuilles de la nuit ? " demande
le rabbin Marc-Alain
Ouaknin. "Déplie l'échelle qui est dans
ton âme !" Oui. Dans
notre vie de chaque jour… Déplier
l'échelle de la qualité, Déplier
l'échelle de
l'éthique, l'échelle des couleurs de notre
ouverture, l'échelle des sons de
notre pédagogie. Déplier l'échelle de
l'attention au fragile et au vulnérable.
Déplier l'échelle de l'engagement
Déplier l'échelle de notre singularité. "Comment se fait-il, demandait-on un jour à
rabbi Lévi
Yitzhak, que dans le Talmud de Babylone, à chaque
traité manque le premier
feuillet et que tous commencent à la page 2 ?" "L'homme d'étude, répondit
le rabbi, quel que soit le nombre de pages qu'il aura lues et
méditées, ne
doit jamais perdre de vue qu'il n'est point parvenu encore à
la première
page…" Nous
voilà renvoyés
à un autre commencement et à ce fameux
rêve de Jacob au livre de la Genèse. Nous voilà renvoyés à " l'arbre s'élevant vers le ciel et dont les racines plongent dans la voie commune". L'Arbre amplifié, qui montre l'interdépendance des quatre Mondes, a lui aussi plusieurs versions. Ses couleurs, comme il est précisé dans Exode 26, sont blanc (rayonnement) pour Azilouth, bleu (ciel) pour Bériah, rouge (sang et terre) pour Assiah, et violet (union du ciel et de la terre) pour Yétsirah, qui est un pont entre les Mondes supérieurs et inférieurs. Dans le schéma ci-contre, chaque Monde (ou niveau) émerge avec son propre sous-Arbre du centre du Monde au-dessus de lui, de façon qu'Émanation, Création, Formation et Action s'interpénètrent. Donc l'homme, qui a en lui les quatre niveaux correspondants (Divinité, Esprit, psyché et corps) peut percevoir tous les Mondes au cours de son retour intérieur et extérieur à la Source. Dans un processus progressif d'accomplissement et d'ouverture, l'Adam déchu devient de plus en plus conscient de la Présence Divine à chaque niveau, et le microcosme regarde, dans le macrocosme, l'Image de Dieu. La nature va vers Dieu à travers l'homme, elle passe par lui en le prenant comme " Homme, tout éprouve de l'amour pour toi ... ( Silésius) Il y a la Déité de Dieu, profondeur inatteignable et totalement cachée du Dieu Dans son doute, le néophyte a bien perçu qu'au-delà du regard qu'il porte sur ce Il doit se débarrasser des préjugés, des haines aveugles, et comprend que l'Eau Il prend conscience que l'Air se renouvelle sans cesse sans qu'aucun regard ne Le Feu le rend Purus, purifié. C'est son âme, principe divin qui l'anime, qui vient Cette Lumière qu'il va recevoir, lorsqu'on lui enlèvera le bandeau, ne sera qu'un intermédiaire : Tout s'élance vers toi pour aller jusqu'à Dieu" … La
Supra Déité est ma vie et ma lumière"
dont
les hommes
parlent. Il y a la Supra Déité qui est la vie et
la lumière, mais une lumière
vivante qui demeure inaccessible à l'homme non lumineux en
raison de la loi qui
veut que le semblable va vers son semblable. Qu'il
considère
comme la réalité, il existe d'autres regards qui
la rendent multiple. A pour
double
fonction de pérenniser la vie et de purifier le corps de
chair des scories et
des impuretés. Il est Mundus, lavé. Puisse
en saisir la moindre modification et qu'il est la chose du
monde la mieux partagée. C'est un pas vers le sous-jacent
invisible. Son Double
, médiateur entre la Forme et l'Esprit est
purifié. De
recevoir la lumière ardente. Elevé jusqu'au plan
où règnent la
Beauté, la Sagesse et l'harmonie, il pressent l'imminente
clarté de la Lumière. Les
gnostiques chrétiens évoquaient
différentes demeures de clarté
appartenant aux sept sphères.
L'Apocalypse
de Pierre et l'Apocalypse de Paul y font allusion.
L'adhésion graduelle à la lumière,
concernant par exemple l'eschatologie
individuelle en tant que traversée des sphères
lumineuses successives, pourrait
constituer une préparation à la condition post
mortem: la peur de la mort
serait ainsi transmuée. L'amour de la lumière,
durant la vie terrestre,
constituerait un véritable apprentissage à
l'égard des sphères lumineuses que
l'âme devra nécessairement affronter
après la mort. Sur les stèles
funéraires
judéo-chrétiennes, on trouve des lamelles qui ont
pour but de donner aux âmes,
par des sortes de talismans, le moyen de recevoir un " libre passage
" des anges responsables des diverses sphères lumineuses
(cf. Jean
Daniélou : Les traditions secrètes des
Apôtres). Le
chemin ne fait
que commencer, et il faut déjà s'habituer
à la mort, l'apprivoiser, mourir à
soi pour renaître sans cesse et s'emplir de
Lumière, porter en soi l'Enfant de
l'Eternité. |
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