GLDF | Loge : Conscience et Fraternité - Orient de Paris | Date : NC |
Le Bandeau
Le voyage
maçonnique dont personne ne revient indemne commence sous le
Bandeau. Et ce passage
s’effectue, non d’un lieu à un autre,
mais s’accompagne d’un changement
d’état.
L’individu isolé du monde par une simple bande de
tissu noir se retrouve seul face
à lui-même.
Les voix
interrogatives qui sortent de l’ombre donnent au profane
l’impression qu’il se
trouve hors de son espace-temps habituel. Sa propre voix lui semble
étrangère. Le Bandeau tel un miroir
lui renvoie son image intérieure. Ses réponses
lui deviennent visibles. Il
entend le silence qui l’entoure en même temps que
lui deviennent sensibles les ondes qui
traversent le Temple à sa rencontre. Impression
extraordinaire que je n’ai pour
ma part ressentie nulle part ailleurs et nulle autre fois.
C’est
notre
première rencontre avec le bandeau et nous ne savons pas
encore qu’il ne nous
quittera désormais plus… Car boiteux,
mi-nu mi-vêtu, de nouveau
aveuglé…c’est ainsi que le
néophyte se présentera
dans le Temple le jour de son Initiation.
Il
n’est pas
au mieux de son apparence, c’est le moins que l’on
puisse dire ! L’apparence,
me direz vous n’est pas le but lorsque l’on frappe
à la porte du Temple.
Quel est le
but ? La recherche
de la Connaissance, la quête de la
Lumière… Mais alors
pourquoi la première réponse de la
Franc-Maçonnerie à cet élan vers la
lumière
est-elle l’aveuglement ? Je cherche la
lumière et on m’impose un bandeau…je
voulais mieux voir…voilà que je ne vois
plus rien !
Je cherchais
la Liberté…on me choisit un guide ! La
réponse est
paradoxale, du moins c’est ainsi qu’elle
m’était apparue au début. Cependant
les paradoxes ont ceci de positif, qu’ils
réveillent. Je me suis
donc posé avec véhémence la
question : Pourquoi
le Bandeau ? Au premier
degré, le bandeau figure l’aveuglement de
l’homme qui est asservi par ses
passions, ses préjugés, ses prétendus
savoirs. Il se croit libre, il ne l’est
pas. Il veut voir, il n’en est pas capable.
Un long
apprentissage sera nécessaire afin qu’il se
dégage des scories qui l’encombrent
et brouillent sa vision. Mieux que des mots, la présence
matérielle du bandeau
met le néophyte au contact avec la
réalité de sa faiblesse, de ses limites. Il
ne voit rien, de plus il ne peut se diriger. Il a besoin des autres, il
a
besoin d’un guide. Aussi prend-il conscience du premier
dépouillement :
celui de l’orgueil.
L’individu
est
obligé de reconnaître sa dépendance et
de faire confiance à ses Frères. La
notion de chaîne est dès lors
suggérée, car sitôt aveuglé,
l’homme n’est pas
abandonné. Une main saisit
la sienne et ne la lâchera plus. Main
sûre…quelqu’un voit pour lui et le
guide.
C’est
un parti
pris de fraternité, de confiance. Cette notion
de confiance paraît d’ailleurs surprenante, la
confiance est passive :
attendre, croire sans comprendre, cela semble aller à
l’encontre de la démarche
initiatique. Or la
confiance dont nous devons faire preuve lors de notre Initiation ne
symbolise-t-elle pas le chemin inverse ? Suffirait-il de croire ? De se laisser guider ? Sans voir, ni comprendre !
Le serment qui
se fait sous le bandeau est révélateur, il repose
uniquement sur la notion de
confiance. Nous croyons que c’est la Bible
puisqu’on nous le dit ! Nous subissons sans les voir, toutes sortes d’épreuves. Nous acceptons que les premières étapes de notre cheminement nous ramènent à un état entièrement dépendant. Notre sens critique ne s’exerce plus, le doute…nous acceptons de nous en débarrasser. Quelle faiblesse…ou bien alors quelle force !
Décidément,
pas moyen d’échapper aux contradictions, le Pavé
Mosaïque est bien
présent. A moins que cette confiance soit l’expression, non d’une dépendance mais d’une volonté farouche d’espérance.
Car
au-delà de
la réalité du guide humain qui symbolise la Loge
toute entière, c’est sans
doute la présence d’un guide surhumain qui nous
est suggéré. Il
n’est pas
nécessaire de lui donner un nom ni, à plus forte
raison un visage, laissons
cela aux religions.
Ce guide tout
puissant nous est intérieur en même temps
qu’extérieur. Il
procède du
1, du tout, qui est en nous et dans lequel nous sommes inclus. Ce
n’est pas
avec les yeux que nous pouvons le voir, c’est ce que nous
suggère le bandeau,
qui, en nous voilant l’extérieur, nous
dévoile (au sens propre du terme) une
autre forme de vision, celle dirigée vers le
dedans.
Il ne
s’agit
nullement de nombrilisme, ni de narcissisme : le
Fil à
Plomb est implacable,
sa descente entamée, il ne s’arrête
plus.
Il transperce, je dirais même, il rend transparent. Et cette
transparence n’est pas exempte d’angoisse. Le
bandeau
me semble directement lié au Fil à
Plomb.
A ce niveau,
le bandeau n’est plus perçu comme une entrave mais
comme une voie. Le Petit
Prince a raison
lorsqu’il dit : « on
ne voit bien qu’avec le
cœur » L’initiation
en nous imposant un bandeau nous oblige à un autre mode de
perception. Aller
au-delà des apparences afin de
pénétrer le caché. C’est en
quelque sorte
l’ouverture du troisième œil,
l’œil du cœur. La seule voie qui ne soit
pas
limitée, celle de l’Amour.
A un niveau
plus élémentaire, la présence du
bandeau fait s’exacerber nos autres sens. Le
mental s’écarte, nous redevenons instinctifs.
Tandis que nous sommes plongés
dans l’obscurité, notre ouïe est
décuplée, les bruits, les voix prennent une
place prépondérante. Notre sens tactile
s’accroît…je me souviens de la chaleur
et de la détermination que me communiquât mon
guide. Si j’avais pu voir, il
n’est pas certain que cela m’aurait autant
frappé. L’épreuve
initiatique nous indique clairement que l’essentiel est en
deçà du Bandeau. L’initiation est re-naissance, elle figure en raccourci, le chemin initiatique tout entier, ce que devra être notre vie.
Le passage du
Cabinet de Réflexion peut s’apparenter
à la Matrice. Tandis que les
différentes épreuves qui se déroulent
dans le Temple figurent les épreuves de
la vie elle-même.
Dans cette
optique, le bandeau qui nous est imposé est celui qui nous
est mis le jour de
notre venue au monde car cette venue est en fait une venue à
l’ombre. Sommes-nous
donc condamnés à ne voir que le plus
facile : la surface des êtres,
l’ombre des vérités ? L’initiation
n’est-elle pas là pour nous dessiller les
yeux ? Ne nous
livre-t-elle pas un espoir en nous ôtant le bandeau en fin
d’épreuve ? Sans doute,
mais ce cadeau est en fait piégé.
Tout
dépend de
celui qui le reçoit car nous sommes tentés de
croire que toute difficulté est
alors aplanie, puisque la lumière nous est
donnée… Nous
sommes sauvés, nous serons élus ! Halte
là ! Ce serait prendre un feu de Bengale pour la
lumière de la
Connaissance !
Car
il ne s’agit pas de voir la lumière, ni de la
reconnaître, mais d’être
la Lumière.
J’ai dit Jean Paul GOS\ |
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