Le
Temple, lieu sacré
Les hommes ont toujours
cherché,
pour célébrer les
événements qu'ils considèrent comme
importants, à se réunir
en tel ou tel lieu spécifique. Pour
célébrer leurs divers cultes, pour les
fêtes, les baptêmes, les enterrements, pour le
chant et la prière, pour la joie
ou pour la peine, l'endroit choisi ne sont jamais
indifférents.
Et il leur paraît naturel, sans doute, de se retrouver en un
lieu approprié.
Peut-être est-ce parce que trop d'actions nous paraissent
évidentes que nous
avons toujours vu se dérouler de même. Ce que nous
avons toujours connu nous
semble avoir toujours existé. Et pourtant, la protection que
nous apporte le
couvert n'est pas une donnée naturelle. Il nous a fallu la
conquérir et la
conserver.
Tout être vivant cherche la protection pour
lui-même et les siens, pour son
repos et sa tranquillité. Protection contre les
éléments naturels, protection
contre les agresseurs éventuels, mais aussi, plus
inconsciemment, protection
contre certaines forces, dont nous subissons l'influence. Tel par
exemple que
le rayonnement cosmo-tellurique
L'animal creuse son terrier, construit son nid ou son refuge. L'homme a
longtemps utilisé des abris naturels. Puis il apprit
l'assemblage des briques
ou des pierres pour créer son abri.
Les abris que construisent les hommes sont de toutes sortes, pour tous
les
usages. Celui qui nous intéresse ici est destiné
à protéger et accueillir les
assemblées à vocation spirituelle. C'est donc un
lieu sacré, c'est ce que l'on
nomme, étymologiquement, un Temple. Parmi les plus puissants
exemples, les
Pyramides et les Temples Egyptiens nous sont une inépuisable
source d'études.
Toute l'importance du Temple, tant pratique que symbolique, tient en
cela que
c'est un objet matériel, ayant une utilité et une
utilisation précises et
évidentes. C'est un contenant. Il est possible d'y
pénétrer, de s'y tenir, d'y
demeurer. Le Temple est une unité de lieu où les
hommes sont ensemble, où ils
deviennent un Ensemble au sens mathématique du terme. Ils y
sont réunis, unis.
Ils y acquièrent des caractéristiques communes.
Sans le Temple, comme dirait
Bachelard, l'homme "serait un être dispersé.
Parce
que le Temple est un point fixe, il est un point de ralliement. Le
Temple, comme la maison, est là, immobile dans l'espace,
toujours prêt à
accueillir, à protéger. Il est point de repaire,
Etoile Polaire, point d'appui,
lieu de rendez-vous. Le Temple attire, réunit, retient.
Mais si le Temple est une maison, ce n'est pas n'importe quelle maison.
Pour que cette maison devienne un Temple, il faut, ainsi que
l'écrit R.-A.
Schwaller de Lubicz
"donner la maison à son maître".
C'est-à-dire qu'il faut "la
rendre propice à la venue du Maître qui viendra
l'animer"... Car "le
Temple est autre chose qu'une église, c'est le milieu
magique qui transporte
l'être humain au-delà de lui-même. Dans
le Temple, l'humain subit ce que
normalement il est incapable de comprendre ; il y prend conscience d'un
état
d'être que la pensée rationnelle ne peut plus
formuler... C'est pourquoi le
Temple ne peut être qu'à l'image de l'Univers,
c'est-à-dire du Ciel, le Symbole
du Ciel et de toutes ses influences..."
La première fois que l'Homme pénètre
dans le Temple, c'est généralement pour y
vivre une cérémonie d'intégration
à sa future communauté spirituelle. Qu'il
s'agisse du baptême, de la bar mitzva, de l'initiation ou de
toute autre forme
de cérémonie, elles ont toutes un point commun.
Il va symboliquement y mourir
au passé et y renaître à une forme de
vie nouvelle. C'est donc que la vie
commence dans le Temple. C'est un lieu de naissance. Bachelard
écrit que la maison est le "premier monde de
l'être humain", elle est
un rempart où la vie "commence bien, elle commence
enfermée, protégée,
toute tiède dans le giron de la maison". Et la vie de
l'homme commence
bien dans le Temple, sous l'égide des énergies
polarisées.
Le Temple a donc un rôle de protection. Et comment mieux
établir cette
protection des occupants qu'en interdisant l'entrée aux
indésirables?
Symboliquement, l'entrée du Temple se veut donc effrayante
pour le profane,
afin de l'empêcher de devenir un profanateur. Comme celle
d'une coquille, son
étrangeté doit repousser le
non-initié, et assurer ainsi la tranquillité du
refuge. Mais cet aspect repoussant est tout symbolique et tient surtout
au mystère
dont il est entouré ainsi qu'à l'état
d'esprit du visiteur. La protection
offerte par le Temple peut donc apparaître comme assez
comparable à
celle du nid. Objectivement, tout comme le nid, c'est un refuge
précaire. Il
est bien évident que la défense des Temples, et
donc leur protection, est toute
relative. A quelques exceptions près, nulle force
armée n'en a jamais interdit
l'entrée. Pourquoi donc l'homme s'y sent-il en
sécurité? C'est que,
paradoxalement, ce refuge précaire est ressenti comme
parfait par acceptation
symbolique.
Il s'agit alors, pour les occupants du Temple, d'un "appel à
la confiance
cosmique.
C'est une forme de mimétisme relativement à la
confiance du monde, à l'Univers.
Cette confiance en l'Univers, l'homme la reporte sur le Temple, car il
y a
communauté dynamique entre ses occupants et le Temple en
tant que lieu de
refuge. L'espace symbolique du Temple se confond avec l'Univers, et
donc
l'espace habité transcende l'espace
géométrique.
"Les Egyptiens considéraient le temple comme l'image, sur la
terre, de
l'univers
Le Temple n'est pas seulement à l'image de l'Univers, il en
a les dimensions.
L'infini de l'Univers est renfermé dans l'espace
limité dont il brise les
dimensions humaines ; et cette explosion
géométrique se retrouve dans la
dimension spirituelle.
C'est uniquement parce que les dimensions
ésotériques du Temple sont
surhumaines, supra-humaines, que l'esprit de ses occupants peut
s'élever
au-delà des limites habituelles.
Dans le Temple, comme dans la maison "la ligne droite... est
dominatrice,
le fil à plomb... a laissé la marque de sa
sagesse, de son équilibre.
Les Symboles qui entourent les occupants du Temple les forcent
à se situer hors
de l'espace-temps, hors de leur échelle de petits hommes
perdus dans
l'immensité. Etre dans le Temple, c'est être dans
l'Unité de l'Univers, c'est
se retrouver partie intégrante de cet infini qui, non plus
nous effraie, mais
nousberce.
Car le Temple est semblable à ces maisons dont parle
Bachelard on y soigne
la laustrophobie.
"Il est des
heures où il est salutaire d'aller les habiter".
La transposition à l'humain se fait tout de suite,
dès qu'on prend le Temple
comme espace de réconfort, de
sécurité, d'intimité, comme un espace
qui doit
condenser et défendre cette
ntimité et
permettre à la liberté de se faire jour,
de s'exprimer, de régner. Mais il n'est pas
indifférent que le Temple soit
situé ici ou là. Le Temple en effet exerce une
influence différente sur ses
occupants selon le lieu où il est situé. Au moins
sur ceux qui sont assez sensibles
à ce type d'influence pour la ressentir. Le Temple de la
ville, recroquevillé
au cœur de l'immeuble, enfoui parmi d'autres, recouvert,
entouré, protégé par
la pierre et le béton, agit comme un isolant. Les influences
extérieures ne
l'atteignent que difficilement, et, sans doute, l'atmosphère
qui y règne est
moins intense,
souvent. Il est comme l'appartement, accroché au milieu des
airs, aussi loin du
sol que du ciel, dont les habitants ne subissent pas les
mêmes flux que ceux de
la maison, par leurs différences de confort et de certitudes.
La maison, ancrée dans le sol, possède une force
verticale, une polarité
qui fait
défaut au logement des villes
et qui s'avère indispensable au Temple. La force tellurique
qui
enveloppe le
Temple des campagnes conditionne le psychisme de ses occupants et
tourne leurs
réflexions vers des valeurs peut-être plus
éternelles. Les Compagnons
bâtisseurs le savaient bien, qui choisissaient l'emplacement
de
l'église qu'ils
s'apprêtaient à construire en fonction des failles
et des
cours d'eau
souterrains, afin que le rayonnement tellurique ainsi
utilisé
aide à élever les
visiteurs sur le chemin initiatique. Le Temple de la ville,
entouré, se sent
plus en sécurité, puisque l'union fait la force.
Alors
que le Temple de la campagne,
isolé, offert aux attaques de la pluie, du vent, du froid,
vient
donner à ceux
qui l'occupent "des images fortes, c'est-à-dire des conseils
de
résistance... Il est un instrument à affronter le
cosmos.
Il appelle l'homme à un héroïsme de
cosmos. "Il le
force à" hausser son
courage
Cette confrontation avec l'Univers est une incitation à une
réflexion plus
approfondie, plus vraie, plus humaine. C'est un aiguillon toujours
renouvelé,
parce que toujours présent et dont celui qui en a pris
conscience ne peut plus
se passer. Le Temple doit être comme un accumulateur de
forces. Les forces
conjuguées de ceux et celles qui s'y trouvent
réunis rejaillissent sur les uns
et les autres. Comme dans une pile atomique où les atomes
s'entrechoquent pour
libérer de l'énergie, dans le Temple, les
sensibilités s'entrechoquent pour avancer vers la
Lumière.
Car "le Temple est aussi le symbole de l'accomplissement en l'homme de
l'œuvre cosmique, c'est-à-dire Horienne et non
plus Osirienne. C'est le Temple
en l'Homme, l'Homme devenu Bouddha, l'éveil du Christ en
l'Homme
Et ceci nous amène à cet autre Temple que
Schwaller de Lubicz définit quand il
écrit : "Le corps mortel animé du souffle
immortel, devient le
Temple". Ce Temple microcosme, c'est chaque individu, chaque
être humain.
Car "Le Temple est en l'Homme en ce sens que l'homme est le Temple de
l'œuvre naturelle, comme le Temple en tant qu'œuvre
humaine ne peut être qu'à
l'image de l'homme".
"…les mythes conservent le souvenir de cette
époque fabuleuse où vivaient
des hommes doués de facultés et de pouvoirs
extraordinaires, presque des
demi-dieux. Or, il y a rupture entre ce " temps-là "
mythique et les
temps historiques – et toute rupture indique, au niveau de la
spiritualité
traditionnelle, une transcendance abolie par la " chute.
Cette rupture est effacée par le Temple. La vibration qu'il
engendre ou qu'il
amplifie reconstitue la transcendance, en quelque sorte la ressuscite.
Les
fidèles réunis dans le Temple quittent la
dimension habituelle de
l'espace-temps pour se retrouver dans un infini intemporel qui peut
être
ressenti comme un centre vital, où tout se rejoint pour se
fondre en une
équivalence de l'unité primordiale. La
synthèse se fait par confrontation des
différences, des disparités qui, s'enrichissant
mutuellement, atteignent à une quasi-perfection.
Là, se trouve la réponse aux questions les plus
fondamentales, les plus
mystérieuses. Chacun est en mesure de la
découvrir et de la comprendre pour peu
qu'il se laisse pénétrer et emporter par
l'ambiance, par l'égrégore. De tous
temps les temples furent et sont encore des lieux couverts,
c'est-à-dire à
l'abri de la lumière solaire directe. Les temples
égyptiens, les dolmens
celtes, les catacombes des premiers chrétiens, les arbres
même des forêts
gauloises, tous ces lieux furent créés ou choisis
pour arrêter ou filtrer la
lumière. De même les chapelles et les
églises romanes dont les murs épais
percés de rares ouvertures engendrent une
pénombre permanente au sein de
l'édifice.
Les grandes cathédrales dites gothiques, construites entre
le XIème et le
XIIIème siècles, elles-mêmes ne font
pas exception. Certes, la croisée d'ogives
a permis, enfin, de laisser entrer la lumière,
d'éclairer la nef, d'illuminer
le vaisseau de pierres. Cela est vrai, et pourtant ce n'est pas
contradictoire
avec les affirmations précédentes. Car cette
lumière dont le flot illumine les
fidèles n'est pas le rayonnement solaire brut, la
lumière blanche des
physiciens. Cette lumière est filtrée par les
vitraux de couleurs, qui ne
laissent passer que les rayons les plus doux, les plus purs,
arrêtant et
absorbant ce qu'il peut y avoir d'agressif dans le rayonnement solaire,
même
adouci. Ce n'est plus la lumière du soleil qui
pénètre ainsi l'édifice et
baigne ses occupants, c'est un équivalent symbolique de la
lumière lunaire, qui
est celle de l'initiation et de la recherche spirituelle.
Dans le lieu sacré l'homme est comme une pâte.
Après avoir subi l'action des
trois éléments qui l'ont formé, il va
subir le quatrième qui l'achèvera, pour
le porter à la perfection. Après que la Terre a
donné le blé, d'où l'on a
extrait la farine, l'Eau a permis de la transformer en pâte.
Celle-ci, malaxée
et mélangée à du levain, a
gonflé sous l'effet de l'Air qu'elle emmagasine.
Alors, dans le four, le Feu vient achever ce travail de nature et faire
de
cette pâte indigeste parce qu'inachevée, un pain
doré, semblable au métal vulgaire que le
ontact avec la Pierre Philosophale a transformé en or. Ses
qualités gustatives
et ses vertus nutritives vont donner à l'Homme la force
vitale qui lui est
nécessaire, tout comme la Connaissance acquise dans le
Temple, va le rendre
fort et conscient face à la fausse apparence d'un
environnement froid et
hostile.
"…la métallurgie, comme l'agriculture - qui
implique également la fécondité
de la Terre-Mère - a fini par créer chez l'homme
un sentiment de confiance et
même d'orgueil : l'homme se sent capable de collaborer
à l'œuvre de la Nature,
capable d'aider les processus de croissance qui s'effectuaient au sein
de la
Terre. L'homme bouscule et précipite le rythme de ces lentes
maturations
chthoniennes ; en quelque sorte, il se substitue au Temps.
Rien de cela n'est possible dans le Temple. Là, pour que
l'homme mûrisse, rien
ne peut se substituer au temps. Certes, d'un individu à
l'autre l'évolution se
fera à des rythmes différents, mais le temps
toujours sera nécessaire. Il
existe un parallélisme parfait entre le processus alchimique
et l'évolution de
l'être dans le lieu sacré. La
différence fondamentale étant que l'alchimie
travaille la matière pour parfaire le Grand Oeuvre, alors
que l'homme travaille
sur lui-même pour atteindre la perfection spirituelle -
idéal par définition
inaccessible - mais dont la poursuite est indispensable à
l'évolution, même
limitée, de chacun.
Dans le Temple, chacun est alchimiste et chacun est métal.
Dans le temple,
chacun agit sur soi-même pour mener à bien sa
propre transmutation, pour se
transformer symboliquement et moralement en or. Le lieu
sacré hausse
l'imagination humaine. Par son influence, par son action, il oblige -
sans
qu'il s'en doute parfois - l'être qui le fréquente
régulièrement à élever son
esprit, sa sensibilité, non seulement au-dessus des
contingences matérielles
habituelles, mais au-delà même de ce dont il
aurait été capable dans un autre
environnement. L'influence d'un lieu sacré est toujours
verticale. Elle incite
l'homme à se tourner vers le Cosmos.
Tout comme l'arbre dont, de ce point de vue, le symbolisme est
évident, le lieu
sacré est un lien entre la terre et le ciel, entre ce qui
est en bas et ce qui
est en haut.
Symboliquement,
nous
dit la Table d'Emeraude, ce qui est en haut est comme ce qui est en
bas, et
réciproquement. Dans le lieu sacré, l'homme
devient à l'image de Dieu, la Terre
devient le cosmos universel, la pensée devient
prière, et la prière devient
élan vital. Et ce lieu sacré, ce Temple, existe
sous nos yeux depuis bien
longtemps, porteur de cette Tradition et de son message
éternel. Il est un
Temple pourtant que nous n'avons pas évoqué
encore. Ni des
villes, ni des champs, ni d'ici ni d'ailleurs. Le Temple macrocosme, le
Temple
originel, le seul où tous les hommes pourraient s'unir en
une ronde autour du
monde. Ce Temple, c'est la Nature, c'est la terre brute, c'est le ciel
libre,
ce sont les nuages, les merveilleux nuages de Baudelaire, les
étoiles comme
autant de portes ouvertes sur la Connaissance. Où, mieux que
dans ce Temple,
l'Homme peut-il se retrouver ? Où, mieux que dans la Nature,
l'Homme peut-il
être lui-même ? Face à la
simplicité d'un paysage, en symbiose avec la grandeur
de l'espace libre, comment envisager un seul instant de se rapetisser
encore
par des pensés mesquins, par des réserves
égoïstes ? Comment ne pas tenter de
se hisser hors de soi-même, vers un idéal, vers
l'inaccessible étoile ?
N'est-ce pas le dernier endroit où l'homme peut oublier ce
qu'il est devenu
pour tenter de retrouver ce qu'il fût ou ce qu'il aurait
dû être ? Nous
pourrions y retrouver des racines fortes et profondes. Car
hélas, la Nature
nous avait tout appris et nous avons tout oublié. Que
faisons-nous dans le
Temple, sinon tenter de retrouver cette Sagesse enfuie, cette
Connaissance
évanouie, cet équilibre détruit entre
l'Homme et la Nature, cette parole perdue
qui permettaient à l'intelligence du cœur de
s'éveiller?
Tentons d'élargir encore notre vision. Nous sommes
passés du Temple exotérique,
bâtiment clos, au Temple ésotérique,
dont l'homme est l'enceinte, puis du
Temple microcosme au Temple de la Nature, ouvert sur l'infini. Passons
à
l'échelle supérieure, à la dimension
suprême. Notre Temple à tous, celui qui
nous fut offert de tous temps et qui renferme tous les autres, c'est la
Terre
et l'Univers, notre planète, notre refuge, notre seul lieu
de vie, notre
maison, notre Mère, notre source. Les hommes se tournent
vers l'espace qu'ils
veulent
coloniser, vers l'infini qu'ils veulent posséder, ils
construisent des fusées
et risquent leurs vies pour quitter la Terre. Mais où
vont-ils?
Et que vont-ils
y faire? Porter ailleurs ce qu'ils ont construit ici?
C'est-à-dire la mort et la
destruction? Avant d'aller dans d'autres mondes, il serait
préférable,
peut-être, de garder et protéger celui qui est le
nôtre, où l'humanité est apparue et
dont, de ce
fait, nous avons la responsabilité!
Si
le Petit Prince
de Saint-Exupéry a compris qu'il était
responsable de sa rose, c'est parce
qu'il a réalisé qu'il l'aimait, et que sa rose
l'aimait. La Terre aime
l'humanité, mais l'homme ne le sait plus, s'il l'a jamais
su, et il a oublié
son amour pour elle. Donc il ne la connaît plus, puisque pour
connaître, il
faut aimer.
On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible
pour les yeux
A quoi sert d'aller voir plus loin, si l'on est aveugle à ce
qui est proche.
Ouvrons notre cœur à notre Terre, à
notre Temple, réapprenons à aimer la Nature,
à la protéger. Nous ouvrirons les yeux sur
l'Univers et nous comprendrons que
nous en faisons intimement partie, que nous y sommes autant chez nous
que dans
notre maison. Les hommes partent dans l'espace à la
recherche des questions
qu'ils se posent. Mais les plus importantes, les plus fondamentales,
celles que
nous cherchons à résoudre ici, il ne sert
à rien de s'éloigner pour y répondre.
Les
réponses comme
les questions sont en nous, et il suffit de savoir regarder dans son
cœur pour
y lire les solutions. Les Symboles nous offrent toutes les
réponses ; apprenons
à les comprendre. Le Symbolisme est le langage de la
Sagesse, de la
Connaissance! Cherchons en la clef. " La sagesse consiste en une seule
chose : être familier de la pensée qui gouverne le
tout par le moyen du tout.
" Héraclite d'Ephèse, Fragment 41
Où donc cette
réflexion nous a-t-elle
menés ?
Vers une meilleure compréhension de la signification des
Symboles? De leur
nature profonde? Certes non! Des centaines de pages seraient
nécessaires pour
cela, qui existent d'ailleurs. Mais peut-on comprendre un Symbole en
lisant
même des milliers de livres? Comprendre un Symbole, est un
acte individuel
auquel nul "Maître" - ou prétendu tel - ne peut
nous aider à
parvenir. Vers une meilleure compréhension de
nous-mêmes? Certes l'outil qu'est
le Symbolisme peut permettre d'y atteindre, et ce n'est donc pas un
rêve
insensé.
Vers une meilleure compréhension du monde? Qui sait? Puisque
le
Symbolisme est la révélation de la cause
abstraite par la forme concrète.
Certes pas la compréhension du monde matériel,
celui que la science explore et
nous explique.
Mais
du monde
abstrait, de l'Univers de l'esprit, du Cosmos
énergétique, cela n'est pas
impossible, puisque le Symbolisme est une porte ouverte sur la
compréhension du
monde, puisque chaque Symbole puise son sens caché dans la
Nature. Mais c'est
une compréhension qui intervient par le cœur et
non par la raison et c'est en
cela que la porte du Symbolisme est une porte étroite.
Et cette porte étroite, sur quoi débouche-t-elle?
Vers quoi mène-t-elle?
Plusieurs réponses existent évidemment
à cette question. Chacun pourra choisir
la sienne propre. Pour ma part, je souhaiterais en proposer une, encore
qu'elle
ne soit pas évidente à première vue ni
sans doute aisée à percevoir.
Cette vision toute personnelle porte un nom tout simple, et pourtant
fort riche de complexité : HARMONIE.
Mais il ne suffit pas de le dire! Comment faire partager une telle
conviction ?
Comment mener le lecteur vers le but que j'entrevois?
Expliquer l'Harmonie, est-ce possible? Ce sujet est si vaste, si riche,
qu'il
parait sans limites.
En effet, il est de nombreuses façons d'aborder le
problème.
L'Harmonie est d'abord une notion mathématique. Elle se
manifeste à travers les
trois médiétés les plus importantes,
à
savoir, la médiété
arithmétique, ou
moyenne, la médiété harmonique, qui
est à
l'origine de la gamme musicale, et la
médiété
géométrique, qui est la clef
du Nombre d'Or
Il faut donc développer chacune de ces trois notions. C'est
ce
qu'a
parfaitement réalisé Dom Néroman c'est
la raison
pour laquelle je renverrai le lecteur à son ouvrage.
L'Harmonie est ensuite un équilibre qui se manifeste dans
les Arts, aussi bien
dans la musique que dans la peinture, la sculpture ou l'architecture.
L'Harmonie est enfin une notion symbolique fondamentale. C'est en effet
par
l'Harmonie que l'Univers se manifeste. Et voici encore un
développement que le
lecteur pourra trouver dans l'œuvre de R.-A. Schwaller de
Lubicz dans les
livres de Robert-Jacques Thibaud
Chacun sait que la métaphysique - et même toute la
philosophie - se partage, en
gros, entre deux grandes familles de pensée, dont nous
importent peu ici les
subdivisions et les nuances. Il s'agit, le lecteur l'aura compris, du
spiritualisme et du matérialisme.
Face à toute question touchant de près ou de loin
à la métaphysique, le
spiritualisme répondra par la volonté du
Démiurge : pourquoi l'Univers
existe-t-il? Parce que Dieu l'a créé. Pourquoi
est-il ainsi que nous
l'observons et pas autrement? Parce que Dieu l'a voulu tel. Pourquoi
l'Homme
a-t-il deux yeux, un nez, une bouche, etc.? Parce que Dieu l'a
créé à son
image.
Aux même types de questions, le matérialisme
répondra par l'évolution
darwiniste, le hasard et la nécessité.
Tel être un beau jour naquit du hasard de la rencontre de
plusieurs facteurs
favorables. Etant suffisamment adapté aux conditions
immédiates de son
environnement, il put survivre et se reproduire. L'espèce
ainsi
apparue fut
dans la nécessité soit de s'adapter aux
éventuelles modifications de cet
environnement, soit de disparaître. Et au fil des
millénaires, une sélection naturelle eut lieu,
qui
aboutit à ce qui existe aujourd'hui. Nous avons
là
l'image d'un monde absolument et exclusivement mécaniste.
Il est évident que ces deux conceptions sont incompatibles.
Et pourtant, nous pourrions nous poser la question de savoir si une
troisième
ne pourrait pas les concilier, qui serait l'Harmonie ?
Pour tenter d'expliquer cette sensation, lisons deux passages de R.-A.
Schwaller
de Lubicz dans Le Miracle Egyptien :
"Un ordre de choses quel qu'il soit, du moment qu'il est naturel, se
groupe toujours harmonieusement. Si cet ordre est
dérangé artificiellement, il
reviendra de lui-même à son harmonie naturelle,
comme la Rose non cultivée
redeviendra églantine comme l'animal domestique redeviendra
sauvage, comme la
surface de la mer redevient lisse après la
tempête, etc.
L'Harmonie est toujours un état naturel non
modifié par un artifice ou
accident.
Tout ce que la Nature produit, elle le produit sous l'impulsion d'une
cause qui
se conforme aux conditions ambiantes, s'harmonise avec elles et produit
l'effet
qui ne peut pas ne pas être et ne peut être
autrement qu'il est. Dans les mêmes
conditions la même cause produira donc les mêmes
effets."
Ceci peut parfaitement se concilier avec la théorie
matérialiste précitée.
Mais voici, quelques lignes après, une autre citation, du
même :
"La nécessité évidente pour que puisse
être l'Harmonie, c'est la Cause et
l'ambiance de sa Genèse. Si l'un ou l'autre de ces
éléments fait défaut, il n'y
a pas d'Harmonie.
L'Unique absolu non causé, non variable, est hors de
l'Harmonie. Dès que
l'Unique se dédouble, il y a
génération, cause et condition de Devenir, donc
il
y a Harmonie".
Cela ne pourrait-il pas s'accorder parfaitement avec la plupart des
systèmes
spiritualistes?
Cependant, ces différentes lectures ayant nourri ma
pensée, j'en suis arrivé à
me poser une question, qui sait, peut-être fondamentale?
Supposons, par convention et pour faciliter notre réflexion,
que nous
acceptions tous les arguments matérialistes, du hasard, de
la nécessité, de
l'évolution, etc. Nous en arrivons, de cause en effet, ou
plutôt, puisque nous
remontons vers l'origine, d'effets en cause, au commencement et
à la cause première.
Peu importe que le big bang soit ou non la bonne théorie.
Une autre question se
pose, plus fondamentale encore que le mécanisme du
commencement de l'Univers,
et c'est celle de son existence. Pourquoi y a-t-il quelque chose
plutôt que
rien?
Pourquoi un Univers - celui là ou un autre, peu importe -
plutôt que le Néant ?
Et j'en arrive à me demander si la réponse
à cette question formidable, qui
englobe toutes les autres, ne tient pas justement, dans la notion
d'Harmonie.
A priori, il n'y a pas de raison évidente pour que
l'Harmonie existe dans
l'Univers. On pourrait peut-être imaginer un Univers ne
contenant pas
l'Harmonie, fonctionnant hors de ses lois. Or, ce n'est pas le cas.
Comment
imaginer qu'un concept aussi subtil, et, en apparence, aussi inutile
à
l'apparition de l'Univers, existe malgré tout? Pourquoi
l'Harmonie est-elle
présente partout dans la Nature alors même que
rien n'indique que l'Univers en
ait eu besoin pour son évolution ?...
Ne serait-ce pas parce que l'Harmonie, loin de naître avec
l'Univers et en son
sein, est préexistante à l'Univers et que de ce
fait, elle présida à sa
création, à sa formation ?
Certes, ce n'est qu'une question, non une réponse. Mais les
questions nous
l'avons vu sont plus importantes que les réponses. D'abord
parce qu'elles
forcent à la réflexion, à la
recherche, au lieu d'en fermer la porte ; ensuite
parce que toute question posée correctement contient en
elle-même sa réponse. A
charge pour chacun d'aller l'y dénicher…
après s'être assuré que la question est
effectivement posée correctement.
Voici donc, succinctement, où pourrait nous mener une
réflexion, disons
ésotérique, sur l'Harmonie. Ce n'est pas sans
intérêt, évidemment, mais cela
reste du niveau de la conviction intime qu'il est bien
malaisé de partager,
surtout sans la trahir.
Pour tenter de donner un autre éclairage à cette
réflexion sur l'Harmonie, je
voudrais m'appuyer sur l'exemple offert par certains mythes.
Chacun connaît, bien évidemment, le mythe
d'Œdipe. Je le rappelle cependant
succinctement.
Le mythe
d'Œdipe
Comment
expliquer, ou tenter d'expliquer ce chaos dans la vie des descendants
d'Harmonie ? A quel moment ont-ils détruit cette Harmonie
dont je disais
qu'elle peut-être considérée comme
préexistant naturellement ?
Plusieurs hypothèses sont possibles, évidemment.
Celle que je retiendrai, celle
qui je convient le mieux, est que la faute initiale, celle qui est
cause de
tout le reste, est due à Laïos, lorsqu'il a, pour
la première fois, consulté
l'oracle de Delphes. Si, au lieu de tenter de connaître
l'avenir, ce qui n'est
pas donné aux hommes, il avait accepté le
présent comme il vient, s'il avait eu
confiance en son destin, rien de tout cela sans doute ne serait advenu.
Parce
qu'il a
interrogé l'oracle, parce qu'il a détruit
l'harmonie du fait de son inquiétude,
il s'est mis en situation de désirer modifier l'avenir qui
lui était annoncé et
de ce fait, il a créé les conditions pour qu'il
se produise. S'il avait accepté
l'oracle sans réagir, ou mieux s'il l'avait
ignoré, sans doute les événements
se fussent-ils déroulés tout autrement.
Elevé par ses véritables parents, aimé
d'eux et les aimant, pourquoi Œdipe les aurait-il perdus, lui
qui n'a agi que
par ignorance?
Il me paraît pourtant nécessaire de
préciser que le fait, pour Œdipe, de se
crever les yeux, ne fut pas seulement une auto-punition ; ce fut un
acte
profondément symbolique qui lui permit sans doute de
retrouver, dans les
Ténèbres, la Lumière et l'Harmonie.
Un autre mythe peut nous permettre d'approfondir notre sujet.
Il s'agit du mythe d'Héraklès. Chacun des Douze
Travaux qu'il dut accomplir
avait pour but de rétablir une harmonie détruite
en un lieu donné. Et
l'ensemble de ce cycle héroïque est en
lui-même harmonieux, puisqu'il comporte
douze étapes qui en font un cycle symbolique
achevé.
Je laisse à chacun le soin et le plaisir de chercher, ici ou
là, dans les mythes
ou dans les contes, de tous temps et de toutes provenances, les autres
exemples
qui pourraient illustrer, harmonieusement,
ce propos.
Dans cette optique, il peut être intéressant de
remarquer l'analogie existant
entre les "cycles d'expérimentation laborieuse", comme
l'écrit
Robert-Jacques Thibaud dont les plus connus sont le mythe d'Osiris, les
Travaux
d'Hérakles et bien entendu les récits des
Evangiles - et les notes de musique.
Chacun de ces cycles est fondé sur le nombre douze, qui
symbolise l'achèvement
de l'expérimentation terrestre et son ouverture vers un
nouveau cycle ou vers
la Lumière. Or la lumière blanche,
diffractée par le prisme laisse apparaître
les douze couleurs de l'arc-en-ciel ; et la gamme chromatique comporte
douze
notes, douze tons et demi-tons, nécessaires et suffisants
pour exprimer toutes
les musiques possibles. Là encore, le cycle est complet avec
le nombre Douze,
là encore toutes les ouvertures vers autre chose s'offrent
à l'expérimentateur,
en l'occurrence le compositeur, s'il veut s'en donner la peine, s'il
veut, et
s'il peut, aller au bout de lui-même et de son travail, de
son art.
|