Obédience : NC | Site : Lurker R.A.M. | 04/2006 |
Le SelLe
sel constitue l’un des premiers
éléments
offerts à la vision du futur initié au
cœur du Cabinet de Réflexion où il
écrira son testament symbolique. C’est la pierre
initiale pavant la voie initiatique,
première perception du Souffle qui l’accompagnera
dans le silence qui lui est
offert et qu’il apprendra, s’il en a la
capacité et s’il l’accepte, à
entendre
d’abord puis à écouter. Le
sel symbolique qui repose au cœur de la Terre, premier
véritable voyage de
l’initiation, se présente sous la forme
cristalline de notre sel de cuisine.
Mais, cette image, comme tous nos symboles, est une
représentation d’éléments
aux significations plus complexes. La démarche
maçonnique implique de ne pas
s’attarder sur les apparences mais bien de rechercher, comme
le disait
Rabelais, la « substantifique
moelle » des choses, le sens caché
derrière les voiles de la forme première. Ainsi,
la compréhension du sel, comme celle de tous les symboles
maçonniques, offre au
nouvel apprenti les outils de l’analogie qui lui permettrons d’accéder à ses
significations. Mais,
si le Sel qui nous occupe n’est pas le condiment qui donne du
goût à nos
aliments, même s’il en revêt
l’apparence, s’il n’est pas non plus
cette denrée
précieuse qui servait à payer les
légionnaires de la Rome Antique et qui donna
son nom au salaire, … quel est-il ? Oswald
Wirth ( la franc-maçonnerie rendue intelligible à
ses adeptes T1 – l’Apprenti )
s’appuie sur les principes alchimiques qui sont pour lui la
clé de
l’apprentissage. La symbolique qu’il
décrit propose trois
éléments :
l’élément positif,
l’élément négatif et
l’élément neutre. Celle-ci.
précise que
toute chose créée contient ces trois principes
qui concentrent les énergies. Le
corps auquel serait associé le principe neutre, le
sel ; l’âme symbolisée
par le souffre et l’énergie créatrice,
l’Eprit à laquelle est attribuée le
Mercure. Pour
Karl G Jung, le sel et l’esprit sont proches parents[1]… les
invitations des traités alchimiques
au travail par le sel recouvrent des invitations au travail sur
l’esprit. Le
secret essentiel de l’art est caché dans
l’esprit. C’est pourquoi, dans ces
traités, il faut bien faire la différence entre
les propos
« chimiques » et ceux purement
philosophiques. Le
sel, une fois dissout, ne se recristallise pas tel qu’il
était, ses impuretés
demeurent au fond de l’eau. Une nouvelle cristallisation
offre une nouvelle
existence à l’élément qui se
trouve purifié. Le
principe posé par le sel se perçoit dans
plusieurs traditions. On
le retrouve en Europe chez les alchimistes et, bien sûr, chez
les
francs-maçons, mais aussi en extrême orient par la
représentation du yin et du
yang, ce que les chinois appellent
« Tao » ou encore par la danse de
Shiva, le « Nataradja », danseur
dans un cercle, des hindous. Le
sel est souvent cité dans les textes bibliques qui forment
l’assise de
l’alchimie et de la maçonnerie :
jeté, là où jaillissent les eaux,
à leur
source, il les purifie et les rend fécondes[2], symbole de
nourriture spirituelle et de
non-corruption, il rappelle l’alliance entre
l’homme et le créateur, tout
sacrifice au Temple doit en être accompagné . Du
sel est déposé sur le front
des enfants lors de leur baptême, c’est ce qui
indique symboliquement que
l’alliance ne peut être brise car le sel est aussi
l’image de
l’incorruptibilité. Dans
certaines cérémonies, comme c’est le
cas au cœur du cabinet de réflexion, il
est accompagné de pain. Durant ces
cérémonies, comme le repas du Shabbat, il
représente l’amitié,
l’hospitalité et participe à la
rituélie d’ouverture du
temps sacré. Mais
plus qu’un partage, ce qui est recherché,
c’est la purification. L’étranger
à
qui l’on offre le sel est purifié par ce geste et
ne représente plus de menace.
Pour nous, Franc-Maçon, ce sel n’est
matériellement présent qu’une seule et
unique fois : avant que nous n’entrions dans le
temps sacré de
l’initiation. L’étranger
que nous étions devient alors un maillon de la
chaîne … le symbole est
identique. Si
cette vision d’offrande et de partage est la
première peut se référer un
impétrant, son entrée dans le cabinet de
réflexion lui ouvre à la fois les
portes du temple et celles d’un ordonnancement symbolique
qu’il lui faudra des
années pour comprendre et apprendre à
utiliser : celui d’une forme
d’ésotérisme conduisant, pour
paraphraser notre rituel, à une recherche
essentiellement humaniste, philosophique et progressive, dont
l’objet sera la
recherche de la vérité et dont la
finalité s’appliquera à
l’étude de la morale
et la pratique de la solidarité. Le mot
solidarité signifie d’ailleurs
alliance par le sel. Produit
par la rencontre et l’union du Souffre et du Mercure, le Sel
ne renvoie pas à
un corps physique, mais, tout comme ceux qui sont à sa
source, à des principes,
à des états différents, des
modalités d’évolution de la
matière. Plus
que la représentation d’un
élément neutre, le sel est le lien qui unit les
complémentaires. Le sel est pour une feuille de papier, ce
qui unit le recto et
le verso. Sans
le sel, les deux faces n’existent pas. Sans le sel, les
complémentaires se
transforment en opposés. Sans le sel, le pavé
mosaïque devient la réunion de
cases noires et de cases blanches qui ne seraient rien
d’autres que l’image du
bien et du mal. Sans le sel , on sépare ce qui est
en haut de ce qui est
en bas. Avec
le sel, les cases noires et blanches, les colonnes Yakin et Boaz sont
l’image
du féminin et du masculin[3], de la Femme et de
l’Homme, c’est-à-dire
des compléments inséparables. Dès
lors ce symbole nous offre celui de l’homme, lien entre ce
qui est en haut et
ce qui est en bas, fil directeur d’une recherche
« à l’intérieur de
la
terre » qui permettra de découvrir une
« pierre cachée ». Ainsi
le sel opère la jonction, le lien entre les deux principes,
en leur permettant
d’atteindre un point d’équilibre.
Plutôt que de le définir comme un
élément
neutre, il paraît crucial de bien mettre l’accent
sur cette idée d’équilibre,
et de rencontre. Il n’est d’ailleurs pas anodin que
le sel soit symbolisé en
alchimie, par un cercle partagé en deux parts
égales, par un trait, produisant
une image qui rappelle fortement celle du Tao. L’homme
est le sel de la terre par le fait qu’il est dès
l’origine le lien entre le
ciel et la terre, le lien entre ce qui est en haut et ce qui est en bas. A
la toute fin ,son enveloppe se réduit en
poussières, cendres dans le sein de la
terre qui est l’image de la création. Sa mission
est de purifier. C’est de
cette enveloppe qu’il est question dans
l’Ecclésiaste lorsqu’il est dit « et que la poussière
retourne à la
terre comme elle en est venue et le souffle à Dieu qui
l’a donné. », Et
puisque que nous avons vu que le sel correspond au corps mais aussi
à la terre
par la forme cubique des cristaux ou encore à ce qui devient
cendres, il a donc
toute sa place au sein du cabinet de réflexion en restant
offert à la sagacité
de celui qui, non encore rituellement reconnu parle la
communauté s’engage à
rassembler ce qui est épars au plus profond de
lui-même avant d’unifier sa
perception du monde, comme le lui indique la formule VITRIOL, inscrite
elle-aussi sur les murs du cabinet de réflexion. Cette
invitation formulée par le sel à ne pas
s’emprisonner dans ce que l’on est dans
l’équilibre ponctuel d’un moment
donné, est confirmée,
réitérée par le
testament philosophique écrit dans le cabinet de
réflexion et détruit par le
feu, réduit en cendres à
l’extérieur de ce lieu obscur, à
l’issu de la
cérémonie. Le
profane se libérant du « vieil
homme », de
« l’homme-animal »qu’il
était sera purifié par les voyages. De
même,
le sel, une fois dissout ne se recristallise pas tel qu’il
était. Ses impuretés
demeurent au fond de l’eau. Une nouvelle cristallisation
offre une nouvelle
existence à l’élément qui se
trouve purifié. Le
Vénérable Maître précisera
d’ailleurs : « madame,
monsieur, vous
venez de subir les épreuves qui vous permettrons de
comprendre votre vie de
maçon, les testaments que vous avez
rédigé durant l’épreuve de
la terre sont
encore le lien qui vous rattache à votre vie profane, nous
allons vous en
libérer. » Le
sel du cabinet trouve alors naturellement son reflet durant le temps de
la
cérémonie. Il prend tout son sens si
m’on garde présent à l’esprit
ce qu’en
disait Paracelse, c’est-à-dire, qu’il se
résout en cendre. Il n’est pas la
cendre, il n’est pas l’objet, il est
« l’objet se
transformant » par
l’image de ce lien, le testament philosophique, qui devient
cendres. Celles-ci
seront lors confiées au nouvel apprenti pour qu’il
puisse en renaître, y fonder
ses évolutions, mais sans s’y enfermer. Le
sel indique au profane qui va devenir F\M\ que son travail
initiatique
sera
permanent et qu’il devra toujours se méfier de
l’illusion qui l’amènerait à
penser qu’il est, maintenant, un initié. Et
aujourd’hui, je comprends enfin ce que signifient les mots
prononcés par
l’Expert alors qu’il me poussait les yeux
bandés, ni nue, ni vêtue, entre les
colonnes : « Voici
l’Homme, Vénérable Maître, et
je n’en réponds
plus »[4]. « ECCE HOMMO »
[1]
Psychologie et
alchimie – Karl Gustav Jung – n°358
à 360 [2]
II Rois 2 – v 20
/ 21 [3]
de lenveloppant
et de l’enveloppé [4] cf. la
cérémonie d’initiation est donc une
cérémonie de recréation du monde. Et
nous
conduit au logion 21 de l’Evangile de
Philippe : « ce qui
disent que le seigneur est mort d’abord et qu’il
est ressuscité ensuite se
trompent, car il est d’abord ressuscité, il est
mort ensuite. Si quelqu’un
n’est pas d’abord ressuscité, il ne peut
que mourir. S’il est déjà
ressuscité, il est vivant comme Dieu est
vivant. » |
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