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Le Miroir

Ce travail sur le miroir fait suite à la planche tracée par notre Frère Ora\.
Nous nous intéresserons au symbolisme du miroir dans la Grèce ancienne et nous tenterons d’intégrer ce symbolisme dans notre vie maçonnique.
Dans la Grèce antique, le miroir était un objet uniquement féminin, interdit aux hommes.
Ces miroirs de formes circulaires, taillés dans l’airain, étaient prolongés dans leur partie inférieure d’un manche en forme de croix.
Nous trouvons encore aujourd’hui les vestiges de cette appartenance du miroir à un sexe, dans l’écriture du sigle féminin formé d’un cercle surmontant une croix. C’est le miroir de Vénus, qui s’oppose à l’arc d’Apollon, cercle d’où monte une flèche oblique.

Il était interdit aux hommes de se regarder dans les miroirs d’airain.
Les hommes n’étaient autorisés à regarder leur visage que dans les miroirs naturels tels que la surface de l’eau, mais surtout à la surface du vin emplissant les coupes. (Chez le barbier, l’homme fraîchement rasé pouvait se regarder dans le miroir, le rasage étant considéré comme une sorte de féminisation. Mais il n’y avait que le barbier qui tenait le miroir d’une main et le rasoir de l’autre).
Le miroir était donc le symbole de la futilité, de la beauté, de la présence domestique. Il était le prolongement du corps de la femme.

Mais un jour, les femmes grecques décidèrent d’être reconnues en tant que citoyennes.
Elles partirent donc pour l’assemblée munies de leur miroir, mais aussi revêtues de la cape et de la canne des hommes. Voyant cela, les hommes s’indignèrent et refusant d’être assimilés à des femmes déguisées en hommes, ils abandonnèrent la canne et choisir l’épée.
L’assemblée était maintenant composée d’hommes à l’épée et de femmes à la canne.
Dans notre Temple, au bout du pavé mosaïque, la canne et l’épée, le féminin et le masculin sont représentés par le F\ Exp\ et le M\ des Cer\
L’un et l’autre réalisent une face à face, l’un et l’autre se regardent dans le miroir.
L’épée masculine, éclairée par la lumière féminine de la lune, qui est le miroir du soleil, renvoie le reflet féminin de la canne.
La canne féminine éclairée par la lumière masculine du soleil renvoie le reflet masculin de l’épée.
La canne et l’épée sont à la fois objet et reflet de l’autre. Il y a une interdépendance totale entre le manifesté et le reflété.
Ce qui peut donc nous sembler être une dualité entre le féminin et le masculin, n’est autre que l’action révélatrice du miroir faisant apparaître la part féminine du masculin et la part masculine du féminin.

La séparation par le miroir de l’objet et de son essence, crée une fausse dualité qui est en fait l’expression de l’Unité.
Il existe d’ailleurs un moment dans notre rituel, ou la canne et l’épée s’unissent intimement.
Cette union se fait en regard du delta lumineux qui de sa base duelle, s’élève vers l’unité absolue.
L’union de la canne et de l’épée réalise peut-être une androgynie parfaite ou l’objet et son reflet sont intimement liés et indissociables.
Sur le pavé mosaïque, de la même manière, on peut imaginer un miroir placé entre chaque carré. Le noir étant le reflet du blanc et le blanc, le reflet du noir.
Il n’y a à ce moment là plus aucune opposition entre le blanc et le noir. Mais simplement une dualité révélée par le miroir pour nous amener à l’unité primordiale.
Ici encore, le miroir a une action révélatrice, faisant apparaître les parties composant le grand Un, indicible et incompréhensible.
La dualité est l’expression de l’unité.
 
Si l’airain était réservé aux femmes, les hommes étaient cependant autorisés, dans certaines occasions, à regarder leur visage.
Le miroir des hommes était le vin.
Au cours des agapes, ou plutôt des banquets, l’homme pouvait regarder le reflet de son visage à la surface du vin emplissant les coupes.
Ce miroir du vin était double.
Tout d’abord il était ce miroir liquide renvoyant l’image de celui qui tenait la coupe.
Mais pour voir son visage, le citoyen grec était obligé de baisser les yeux et d’avoir un regard vertical orienté de haut en bas (et non un regard horizontal comme avec le miroir féminin).
C’était un regard cherchant la profondeur. Très souvent d’ailleurs, au fond de la coupe était peint le visage d’un vieux guerrier mourant, ou bien le masque d’un démon grimaçant.
Ceci rappelait au buveur l’aspect illusoire et parfois faux de l’image superficielle que l’on se donne. La réalité est derrière le reflet, il faut descendre encore plus profondément pour apercevoir son image véritable.

Je me souviens dans le cabinet de réflexion, avoir lu l’inscription V.I.T.R.I.O.L.
Descends en toi-même, cherche, trouve-toi. Tu es la coupe, tu es le vin. Ignore ce reflet en surface de toi-même. Continue à descendre, ne te mens pas. Et si tu descends assez loin, tu verras qui tu es véritablement.
Au fond de la coupe, il y a la lie. Il faut boire la coupe jusqu’à la lie pour se connaître.
Ensuite, le vin est le miroir de l’âme. Le vin une fois bu, libère l’esprit de son carcan, il fait éclater les apparences et montre l’âme véritable.
Il est ce breuvage libérateur qui détruit le mensonge de l’illusion.
Le vin est donc à la fois un miroir individuel réflexif du « connais-toi toi-même » et un miroir collectif, un miroir de la connaissance mutuelle du « connaissez-moi tel que je suis ».
Lors de nos agapes, ou de nos banquets d’ordre, souvenons nous de ce breuvage sacré que nous partageons. Ce partage du vin dans la plus grande fraternité est un peu le serment de ne pas se mentir à soi-même et de ne pas mentir à ses frères.
Le vin est le miroir de l’introspection honnête et rigoureuse, c’est aussi le miroir du respect et de l’amour de ses frères.

Les miroirs dont nous avons parlé, sont des miroirs d’ouverture, de réciprocité.
Ouverture sur soi-même, nous acheminant vers l’introspection, vers le début d’un travail de perfectionnement.
Ouverture sur les autres, afin de donner l’image la plus fidèle, la plus honnête et la plus juste de soi.
Rectitude, droiture, amour et honnêteté, sont symbolisés dans notre Temple par l’équerre, le compas et le VLS.
Mais pour que notre miroir réfléchisse vers nos FF\, il lui faut une lumière.
Dans l’obscurité, dans les ténèbres, le miroir meurt. Il se voile et ne peut plus rien dévoiler.
Il nous faut alors nous exposer au flamboiement de nos trois grandes lumières afin d’éclairer notre miroir et de pouvoir réfléchir notre Amour et notre Fraternité.
Sans ce « Fiat Lux » primordial, le miroir n’existe pas, il n’est qu’illusion et chimère.
Avant de prendre le miroir, il nous faut trouver la lumière, « la vive flamme d’Amour » dont nous parle Saint-Jean de la Croix.
Chaque tenue, doit être en premier lieu un allumage des feux intérieurs.

Sans développer ces thèmes, nous possédons une multitude de lumières qui peuvent éclairer notre miroir : Les trois grandes lumières dont nous avons déjà parlé, le delta lumineux, les trois piliers Force-Beauté-Sagesse, le V\ M\ et les deux Surv\ et la puissant lumière de midi, à laquelle nous commençons nos travaux.
Mais à côté de ces miroirs d’ouverture, d’Amour et de fraternité, il existe de petits miroirs fermés, égoïstes. Le mythe de Narcisse nous en donne l’exemple.
Dans le refus de partager son amour, dans le refus de recevoir de l’amour, il y a - au bout, derrière le miroir - la mort.
L’égocentrisme, l’amour exclusif de soi-même, l’autosatisfaction, le mépris génèrent la mort.
Narcisse est mort noyé, englouti, dévoré de cet amour exclusif, réflexif qu’il avait de lui-même.
Le miroir devient alors carnassier et tue par la bouche même de celui qui se regarde.
Il est facile d’en faire l’expérience.
Essayez d’embrasser votre image dans le miroir. Vous ne pourrez ni embrasser votre front, ni votre joue, ni rien d’autre. Vous ne pourrez embrasser que votre bouche.
Lèvres contre lèvres, la morsure sera mortelle. La mort est derrière le miroir.
On meurt peut-être de s’être trop aimé pendant une vie.

Le miroir est peut-être alors le lieu de passage d’un monde à l’autre, d’un état à l’autre ?
Y a t-il un miroir derrière le miroir ?


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