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Le Pavé Mosaïque

L'analyse du symbole du PAVÉ MOSAÏQUE ne paraît pas une tâche facile, même si de multiples pistes ont pu être élaborées par des générations de Francs-Maçons. Raoul Bertaux écrit dans la Symbolique au grade d'Apprenti que la "structure du modèle en damier est complexe, aussi conseillons-nous de ne l'utiliser que si l'on dispose d'une base préalable très élaborée".

Dans ces conditions, à mon grade, il me paraît vain et pré­somptueux de vouloir faire oeuvre originale. En revanche, il est peut-être possible de faire oeuvre personnelle.

Parmi les pistes de réflexion, deux me semblaient importantes à cerner :

- La première renvoie à la "Symbolique des Nombres" et à l'enseignement du "Livre des transformations" de l'antique sagesse chinoise ;

- La deuxième renvoie à la tentative d'homogénéiser le sym­bole binaire et le symbole ternaire : devant la difficulté de la

tâche, j'ai préféré remettre à plus tard ces deux pistes de recherche qui me paraissent essentielles.

LE PROPRE DE L'HOMME EXISTANT EST DE POU­VOIR CHOISIR.

Dans un premier temps, j'ai choisi d'en rester à l'évidence des principes liés à la symbolique du Nombre DEUX : principe de séparation, principe d'opposition, principe de complémentarité et principe d'alternance.

En présentant cette simple question :

LE PAVÉ MOSAÏQUE EST-IL UNE HARMONIE ?

Le PAVÉ MOSAÏQUE peut être considéré comme le sym­bole qui met en présence les CONTRAIRES, qui se rencontrent à tout instant dans le monde physique, intellectuel et moral, tels que le feu et l'eau, le chaud et le froid, le sec et l'humide, la lumière et les ténèbres, la vérité et l'erreur, le bien et le mal, la vie et la mort, le paradis et l'enfer.

Le BINAIRE était présenté par PYTHAGORE comme "un symbole de trouble et de division" pouvant porter au désordre, symbole de la diversité, de l'inégalité, de la séparation et des vicissitudes.

Pourtant, on ne peut pas perdre de vue que le dualisme est indispensable pour constituer les associations les plus utiles et l'accord des plus doux sentiments.

Fait de dalles carrées, alternativement noires et blanches, le PAVÉ MOSAÏQUE forme un damier. Il peut, dans sa conception binaire, polarité Blanc-Noir, opposer le Blanc, illustrant la Lumière, la Spiritualité, au Noir, représentant les Ténèbres, la Matérialité.

Rappelons que le Binaire, en Maçonnerie, est un symbole du premier Degré.

Pourtant, ces dalles blanches et noires sont tissées ensemble. Si l'on considère les traits virtuels qui les séparent, on voit qu'ils forment un chemin rectiligne ayant le Blanc et le Noir tantôt à droite, tantôt à gauche.

Les dalles du PAVÉ MOSAÏQUE sont réunies comme par un ciment qui unit étroitement les Maçons du monde entier, malgré les difficultés, les disparités des hommes, les différences des races. Ce ciment est celui de la Fraternité. Je vais le démontrer.

Si, à l'origine, le PAVEMENT MOSAÏQUE occupe l'espace au sol d'un édifice sacré dans son entier, c'est qu'il a peut-être pour fonction, structuré par une anti-thèse apparente, d'opposer d'emblée deux sortes d'hommes : ceux qui sont invités à pénétrer les lieux et ceux qui sont conviés à emprunter un autre itinéraire. Par hasard ou par destinée, il détermine le partage des hommes.

Il devient symbole de l'Unité et de l'Identité : car le Temple (ou l'édifice sacré) est impénétrable parce qu'il est sacré au sens étymologique : rappelons que seul est sacré ce qui a été rendu invulnérable et inviolable par une consécration, ou une initiation.

Ces dalles blanches et noires, ne sont-elles pas alors la pola­rité sacrée et la polarité profane ?

Le sacré ne peut plus être profané.

En revanche, le profane peut faire l'objet d'une sacralisation. Mais nous savons aussi que le profane est au coeur du sacré, comme le sacré au coeur du profane.

Pour moi, le sacré renvoie uniquement à l'initiation, à la quête initiatique, dans son sens étymologique le plus simple :

TOUT COMMENCE LORSQUE NOUS PRENONS LE CHEMIN DU CENTRE DE NOUS-MÊMES.

Au coeur de l'édifice, le PAVÉ MOSAÏQUE me rappelle que l'EXPÉRIENCE DU CENTRE, l'INITIATION, est fondée dans la durée sur la FIDÉLITÉ et sur la PROGRESSION.

Le Franc-Maçon devrait constamment se préoccuper de la question : "LES CHOSES SONT-ELLES ET NE SONT-ELLES PAS TELLES QU'ELLES PARAISSENT?"

Je suis allé un nouvelle fois à l'étymologie, sélective, et j'ai retenu ceci :

PAVÉ : tiré de l'ancien français pavement, pourrait être la continuation d'un verbe du latin populaire PAVERE. Le "Gaffiot" traduit PAVERE par "ÊTRE TROUBLÉ PAR UN SEN­TIMENT VIOLENT".

MOSAÏQUE : emprunté du latin médiéval Musaicum, tiré de Mussivus, autre forme MUSEUS (des Muses, mélodieux, harmo­nieux) dérivé du grec MOUSEIOS qui veut dire "QUI CONCERNE LES MUSES".

Voyez, mes Frères, ce qui s'y rattache.

Le trouble, expression d'une émotion : THÉSÉE, dans RACINE, je cite: "DIEUX ! ÉCLAIREZ MON TROUBLE, ET DAIGNEZ À MES YEUX MONTRER LA VÉRITÉ QUE JE CHERCHE EN CES LIEUX!"

Le trouble peut être un sentiment indéfinissable, indicible, inexplicable, insurmontable et CE QUI CONCERNE LES MUSES ne peut effectivement que provoquer un trouble saisis­sant.

Il y a dans la présence des MUSES, filles de ZEUS, une continuité dont le sens est inscrit dans ce que les Grecs appellent MUSIQUE et que nous avons pris l'habitude de nommer "cul­ture".

Le poète de l'épopée grecque est impuissant à chanter sans le secours de la MUSE qui sait énumérer les noms des meilleurs guerriers ou la liste des vaisseaux venus devant Troie. Car elle seule POSSÈDE LA MÉMOIRE, c'est-à-dire, à l'époque archaïque, le pouvoir de contempler à la fois le passé, le présent et le futur, et de savoir, dans la présence d'un regard, LA TOTA­LITÉ DES CHOSES.

Les disciples de PYTHAGORE renouvellent en Grande Grèce le Culte des Muses en y ajoutant le concept de la CONNAISSANCE D'UN SAVOIR OÙ L'HARMONIE DES SPHÈRES CONDUIT LA MUSIQUE VERS L'ASTRONOMIE ET LES MATHÉMATIQUES.

Héritiers des milieux philosophiques qui plaçaient leur acti­vité sous le patronage des Muses, les néo-platoniciens contribuent à diffuser une représentation des Muses ordonnant des scènes de la vie intellectuelle, dont elles disent la vertu purificatrice et la fonction d'immortalité.

Ce sont les MUSES qui ont enseigné à HÉSIODE "TOUT CE QUI A ÉTÉ ET TOUT CE QUI SERA".

J'ai à coeur, à ce moment, de vous raconter quelques histoires de COSMOGONIE qui est "la description hypothétique de la manière dont l'UNIVERS ou un monde particulier a été formé" selon la définition donnée par LITTRÉ.

Il y avait sous les HAN, dans l'ancienne Chine, une représen­tation du Monde qui faisait appel à la figure géométrique du CARRÉ.

La TERRE, CARRÉE, avait un CENTRE : la Capitale Royale. Celle-ci était aussi CARRÉE avec quatre portes, à l'image du monde : l'Autel du Ciel, dans le sanctuaire, était ROND, celui du SOL était CARRÉ. Quant au TEMPLE DE LA LUMIÈRE, dans lequel le souverain circulait comme un soleil pour se conformer aux rythmes saisonniers, il avait une BASE CARRÉE et un TOIT ROND.

A ces données, il faut ajouter qu'à l'époque HAN ce sont les yeux de l'homme cosmique qui deviennent le SOLEIL et la LUNE. Ce sont là les représentations par excellence du YIN et du YANG, dont les oppositions et les interactions constituent la vie de l'Univers. Le SOLEIL est le YANG parfait, la LUNE est l'essence même du YIN. Le SOLEIL est du FEU, la LUNE est de l'EAU. Pour cette raison, la rosée lunaire était recueillie au moyen d'un MIROIR CARRÉ et s'appelait EAU LUMINEUSE.

Nous sommes face à l'idée dominante qui veut que chacun des grands principes cosmiques contienne une parcelle de prin­cipe opposé. Car ce que "le TAO engendra d'abord, ce fut l'UNITÉ d'où procédèrent le YIN et le YANG". Ce sont eux qui produisirent les TROIS SOUFFLES ÉNERGIES : le PUR, l'IMPUR et le MÉLANGE, qui, à leur tour, constituèrent le CIEL, la TERRE et l'HOMME.

Dans la pensée chinoise, les alternances du YIN et du YANG commandent la vie du Cosmos, celle de l'Homme mais aussi le Développement de l'Histoire.

Ce mouvement de l'Histoire, nous le retrouvons dans le récit de GILGAMECH, le Babylonien, quand ENLIL (le Seigneur­Vent) eût emporté la Terre et sépara à jamais TERRE et CIEL.

GILGAMECH confère à ENLIL le pouvoir révolutionnaire de faire basculer définitivement L'IMMUABLE DANS LE MOU­VEMENT, évolutif ou réversif, peu importe. Il s'opère toujours un PASSAGE, pour le monde, pour l'Homme, pour nous, entre un TEMPS QUI EST FIXITÉ, un temps bloqué, sans "avant", sans "après", et un TEMPS HISTORIQUE où le monde s'organise, où chacune organise sa pensée.

ENLIL est le VENT, mais aussi SOUFFLE, VERBE, PAROLE CRÉATRICE. Comme tel, il est fixateur des destins.

ENLIL organise l'ESPACE en séparant ce qui n'était que masse indifférenciée (Pierre brute, peut-être ?).

D'autre part, il exerce une action par le HAUT sur la Terre en gravitant sur elle et en le parcourant dans tous les sens. Aussi bien l'AIR que l'EAU sont d'une parfaite fluidité et la terre com­pacte et solide se trouve ainsi prise entre deux éléments mobiles et fuyants. L'action de l'un et de l'autre peut se révéler tour à tour bienfaisante ou dévastatrice.

En vérité, ne sommes-nous pas en face de fonctions et de notions morales ?

Si j'ai évoqué le TEMPS et l'ESPACE, n'est-il pas venu le moment de BÂTIR ? Un rituel qui a été trouvé à BABYLONE était récité lorsqu'on devait procéder à la destruction d'un temple en ruine et à sa reconstruction. Le cérémonial du rite consiste dans un ensemble d'actes, dont celui-ci, accompli par celui qui doit reconstruire le temple : revêtu d'un vêtement pur, il enlève la brique de fondation du temple en ruine et la transporte dans un lieu interdit au profane. Cette action a pour but d'empêcher que le passé ne puisse en aucune façon influer sur ce qui va être construit. Le processus de création, de reconstruction peut s'enga­ger : ON NE RESTAURE PAS, ON RECONSTRUIT.

On reconstruit avec nos outils symboliques.

LA BRIQUE EST LE TEMPLE QUI EST LUI-MÊME LE MICROCOSME DU MONDE.

C'est à nous seuls d'opérer la "rupture", de nous faire CONTEMPORAINS DE LA TRADITION.

Nous n'oublions pas que nous appartenons à un ordre tradi­tionnel initiatique.

Si la nature commune à tous les hommes est la séparation, je pense qu'il en est pour lesquels cet état peut être un point de départ pour une évolution ultérieure. Un point de départ qui implique l'approfondissement de soi, qui implique une expérience personnelle, qui implique un cheminement.

L'opposition qui existe entre deux mondes est un combat, celui de la sauvagerie et celui de l'ordre.

Ceci vaut pour l'homme et les grands dualismes mis en évi­dence par les docteurs Freud et Groddeck : DUALISME PUL­SIONNEL ET DUALISME TOPIQUE DE L'INCONSCIENT.

Et pourtant ! Si j'existe, je ne suis pas un autre. Je n'admets pas en moi cette équivoque pluralité.

Là où le profane va s'ingénier et se complaire à pratiquer des mélanges, aussi subtils soient-ils ! - je pense à l'art de la poli­tique, à certaine philosophie, à la psychologie de masse, l'initié va mettre tout son art à séparer le "pur" du "non-pur", dans un but solidement affirmé : celui de la quête de réaliser l'unité.

Les représentations mythiques nous donnent à voir des monstres, des êtres mi-réels, mi-fantastiques : serpents géants, hydres, dragons, etc. Ces monstres, une fois leurs combats ache­vés, sont confinés, en principe, en gardiens des espaces sacrés, placés aux LIMITES DES TEMPLES.

"AUX LIMITES" car le statut de gardien peut être remis en cause et afin d'indiquer que le souffle passionnel peut ù tout moment, si l'on n'y prend pas garde, nous faire redevenir des êtres prêts au combat et à la barbarie.

Peut-on dire, dès lors, que l'opposition dualiste suit ou est simplement une période chaos, c'est-à-dire un ÉTAT DE CONFUSION, comme l'ont vu les stoïciens ? Ou peut-on dire que le schème dualiste implique une PÉRIODE DE POTENTIA­LITÉ ? De ce concept de potentialité, active ou passive d'ailleurs, ne doit-on pas tirer l'éclaircissement de la reconstruction de l'être fragmenté, séparé, et de l'Harmonie Universelle ?

Car deux principes antagonistes se livrent un combat, des épreuves, et le YIN et le YANG désignent les deux côtés de la montagne. Et, pour comprendre la naissance, la reconstruction, ne devons-nous pas situer les rapports d'opposition en termes de complémentarité : un NOIR et un BLANC, réunis dans une mutuelle combinaison géométrique ou une mutuelle RELATI­VITÉ ! car JOUR et NUIT ne sont pas dissociables et se conju­guent dans leur opposition, chacun d'eux impliquant l'existence de l'autre.

Nous devons avoir à l'esprit que dans la THÉOGONIE grecque, EREBE, la NUIT NOIRE, et ÉTHER, LA LUMIÈRE DU JOUR, se rencontrent, s'interpellent, échangent leur position pour équilibrer leur parcours et le rapport de tension qui les oppose et les unit à l'origine ne cesse jamais de les tenir attachés l'un à l'autre. Il n'est point de nuit qui ne s'achève à l'aurore ! Ne travaillons-nous pas de MIDI à MINUIT ?

J'ai évoqué en filigrane dans ce tracé les COSMOGONIES CHINOISE, GRECQUE, MÉSOPOTAMIQUE, TIBÉTAINE.

Toutes évoquent sans ambiguïté une DISSOLUTION DU MONDE et sa RECONSTRUCTION, avec des variantes dans cer­tains principes dualistes, dont les caractères dominants sont géné­ralement définis par "Lumière" et "Ténèbres".

Tout ce qui est juxtaposé ne constitue pas une véritable union.

Et il faut donc avoir un point fixe pour jugement.

Avec le PAVÉ MOSAÏQUE, suivant une autre logique philo­

sophique, peut-être maçonnique, nous sommes en présence d'un modèle symbolique d'une pensée qui n'est pas étrangère aux cos­mogonies évoquées. Cette pensée est à la fois mythique et savante, traditionnelle et personnelle, poétique et abstraite, narra­tive et systématique.

C'est une spécificité qui fait la difficulté et l'intérêt de nous retrouver ensemble.

Le PAVÉ MOSAÏQUE peut exprimer tout ce qui présente à l'esprit l'IDÉE d'un ensemble unique, harmonieux, infini. Mais il peut représenter surtout la CAUSE DES CAUSES, le principe générateur, la puissance créatrice : l'UNITÉ, disait PYTHA­GORE, est l'attribut essentiel, le caractère sublime. C'est, disent les francs-maçons, le GRAND TOUT : Symbolique de la Nature, Harmonie de l'Univers, Lumière de la Vérité, Intelligence et Génie. Cette dernière phrase est du Frère CAUCHOIS, dans son Cours Oral de Franc-Maçonnerie écrit en 1863.

Le PAVÉ MOSAÏQUE peut nous rappeler aussi le vieil adage alchimique :

"SI TU LE SAIS, JE T'AI TOUT DIT; SI TU NE LE SAIS, JE NE T'AVANCE EN RIEN."

Mes Très Chers Frères, nous pouvons habiter notre monde, ce Temple, parce qu'au-dessus du PAVÉ MOSAÏQUE, étiré entre l'OBSCUR et le LUMINEUX, il y a ce sombre ciel nocturne, mais constellé d'étoiles.

C\ T\ (Par)


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