Obédience : NC | Site : http://www.avs-philo-ethno.org | 01/2001 |
L’Eau et la vie
L'eau
source de vie ; l'eau source de mort ? Il
y a 4,5 milliards d'années, la "soupe primitive" de la
Terre, formée
d'eau, de méthane, d'oxydes de carbone, d'ammoniac et
d'hydrogène, était un
milieu hostile à toute forme de vie. C'est toutefois
à partir de ces éléments
chimiques, présents dans les océans
formés par les pluies diluviennes qui
suivirent le refroidissement de notre planète, que furent
élaborés les acides
aminés et les protéines, ces briques de la Vie. Elle
est devenue depuis lors une, je dirai « la condition de vie
de l'Homme
désormais apparu sur Terre, dans le sens où elle
peut être pour lui une cause
de mort. La plupart d'entre nous sait que, milieu de vie, elle
héberge parfois
des microorganismes, des bactéries et des parasites
hautement dangereux. Les
hépatites virales et le choléra leur sont dues
dans une grande partie des cas,
les amibiases, dysenteries les plus pernicieuses, dans presque tous les
cas, et
la bilharziose dans tous les cas. La dernière grande
épidémie européenne a
frappé Hambourg en 1892 ; elle a tué 8600
personnes ; elle avait été provoquée
par de l'eau non filtrée qui s'était introduite
dans le réseau de distribution
de la ville : dans nos cités très
organisées, on est encore à la merci
d'accidents de ce genre ; que dire de la qualité de l'eau
dans les contrées où
cette notion de qualité est subordonnée
à celle de quantité ? Peut-être
avez vous entendu comme moi, lors d'un débat TV que 25 000
personnes meurent
chaque jour dans le Monde à cause de l'eau, non pas du
manque d'eau mais de sa
souillure. Un rapide calcul conduit au nombre effarant de plus de 9
millions de
morts par an. Alors
oui, l'eau condition de vie, c'est-à-dire source de vie et
source de mort.
Mais, me direz-vous, de l'eau, il y en a, imparfaitement
distribuée
certes, mais il y en a : alors, pourquoi tant de soucis, tant de morts
? Je
me propose d'apporter très modestement quelques
éléments de réponses en trois
volets :
L'Eau, un élément suivis
de trois autres :
L'eau dans la Société avant
d'aborder une conclusion, faite plus d'interrogations que de
propositions. 1
- L'élément En
France, nous recevons en moyenne 440km3 de pluie ou de neige
par an A
l'échelle du monde, il s'agit de : -
1 milliard 370 millions de km3 d'eaux marines, soit 95% de l'ensemble
des -
La part de l'eau douce est réduite à un peu plus
de 5% mais pour les eaux - eaux lacustres:
0,2% Là,
vous me permettrez une nécessaire dérive, car je
vais parler du climat. Chacun
présentement s'interroge en effet où que ce soit
sur les perturbations
climatiques dans lesquels l'eau élément est
toujours présent, soit par carence,
soit par excès. L'Océan
mondial joue un rôle important dans la vie sur la
planète: c'est lui qui pour
l'essentiel régit le climat; c'est un
générateur de courants, un formidable
échangeur de chaleur et la « banque centrale 'des
vents et des précipitations
atmosphériques, superposant aux flux réguliers
des alizés et des moussons les «
coups de bourse 'des tempêtes, des typhons et des cyclones.
Les cartes météos
du globe, présentées à la
télévision montrent parfaitement la ceinture
nuageuse
équatoriale et les vortex, les spirales cycloniques
dépressionnaires. Quand
on dit que L'Océan mondial est le régulateur
mondial du climat mondial, on
s'expose à ce type de question : « Mais,
Monsieur, que faites-vous de la forêt amazonienne ? ' à
laquelle on répond, sans forcément être
bien entendu, que la forêt amazonienne
intervient peu dans le climat mondial et dans la répartition
des eaux et
qu'elle joue un rôle visible plutôt dans le climat
régional. Elle intervient
comme partie de la surface terrestre solide et son rôle se
manifeste dans les échanges
entre sa surface et l'atmosphère. Aussi
lorsque l'on examine l'eau en tant qu'élément,
non seulement il faut parler de
climat mais il faut aussi parler de la surface du sol. Suivant la
présence ou
l'absence d'une couverture végétale sur cette
surface, suivant la qualité de
cette couverture végétale, steppe, savane,
prairie, cultures, bocage, forêt,
les échanges seront moins ou plus grands. Il
s'agit là d'un phénomène
appelé « albédo 'qui est intimement
lié à l'énergie
solaire. Le
sol nu d'un désert est clair et son albédo,
c'est-à-dire la fraction d'énergie
solaire qu'il réfléchit, est fort, de l'ordre de
35 à 45%. Le sol sec ne peut
perdre de chaleur par évaporation. Il se produit un appel
horizontal de masses
d'air qui n'apportent pas de pluie. Les
processus qui augmentent la réflexion des rayons solaires
tendent donc à
réduire les pluies: destruction de la forêt,
changement de pratiques
culturales. Le rôle de l'homme est
prépondérant dans l'évolution des
climats
régionaux notamment pour ce qui concerne le
régime des vents et des
précipitations. En
Côte d'Ivoire par exemple, du fait de l'exploitation totale
de la forêt
primaire - il n'en reste plus hormis les réserves - ,
l'harmattan, vent sec du
Sahara, chargé de sable, qui, en 1950 s'arrêtait
au centre du pays, atteint
désormais l'Atlantique et submerge Abidjan. Les cours d'eau
de cette région de
permanents sont devenus temporaires et les lacs de barrage deviennent
des
réservoirs de sédiments. Voilà
très synthétisée la situation de l'eau
considérée en tant
qu'élément. 2
- L'eau, milieu de vie Il
y a quelques dizaines d'années, je suis entré en
relations professionnelles
avec un Directeur régional de la Navigation fluviale,
chargé de la police des
eaux, et j'ai été amené à
regretter le peu d'empressement de son Service à
combattre la pollution sur le réseau navigable. Cela
m'attira la réponse
suivante: « Mon
cher Collègue, l'eau, c'est fait pour
porter des bateaux »', ce
qui était une évidence dans son esprit
d'Ingénieur des Ponts et Chaussées mais
ne franchissait pas le seuil de sa propre
spécialité. Cela revient à dire que
chacun considérait à l'époque l'eau
dans son optique d'utilisation, parfois
étroite, sans trop se préoccuper des autres
usages. Cela a un peu changé depuis
et chacun a désormais conscience que l'eau est un milieu de
vie, un milieu de
vie fragile. La conscience et le souvenir en sont tragiquement
ravivés à chaque
pollution catastrophique des mers comme des rivières, la
mortalité des poissons
en étant l'indicateur le plus brutal. L'eau
chimiquement pure n'existe pas dans la nature, même dans les
profondeurs
souterraines: elle ne permettrait pas la vie. L'eau que nous
connaissons, même
si elle est d'une grande limpidité, est un milieu, un milieu
de multiples
composants qui par photosynthèse (mais parfois sans) sont
générateurs de vie.
L'eau permet donc la manifestation d'une vie qui se présente
sous les
architectures les plus complexes allant des algues unicellulaires aux
mammifères en passant par les bactéries, les
végétaux aquatiques, les crustacés
et les vers, sans parler des grenouilles et des poissons, dans une
infinie
variété trouvant ses niches dans les
différents compartiments: pleine eau,
fond, surface, berges, courants, calmes et dans une
interdépendance totale. Ces
habitants sont autant d'indicateurs et on sait les utiliser pour
établir des
normes de qualité, pour analyser des situations, pour
établir des diagnostics
de la santé de tel lac, de tel cours d'eau. Une
eau limpide sera pauvre en nombre d'espèces la peuplant mais
ces espèces seront
caractéristiques de sa qualité, voire de sa
potabilité. Une
eau verte contient une soupe de plancton végétal
dont se nourrit le plancton
animal, les poissons se nourrissant des deux: elle ne sera pas potable
mais
très productive en protéines, animales et
végétales. Une
eau brune, un peu épaisse, est le siège de
décompositions multiples et intenses
; elle ne permet plus la vie, faute d'oxygène. Enfin
l'odeur de telle eau , quelle que soit sa couleur, donnera parfois une
idée de
ses constituants ou de la pollution dont elle est affectée. La
santé des animaux qui vivent dans l'eau conditionne la
santé de l'homme et je
me souviens d'une affichette qui fut largement répandue
naguère par
l'Association « Eaux et Rivières de Bretagne ': «
Quand le saumon meurt, l'homme est
menacé » : c'est
vrai. C'est
vrai car, non seulement l'eau est un milieu de vie, mais, on en a
déjà un peu
parlé, c'est une condition de vie des êtres
vivants terrestres dont nous
sommes. Notre corps, pour plus de 90% est constitué d'eau,
un patrimoine qui ne
souffre guère de fluctuations. On peut se passer de manger
pendant des journées
mais non de boire. Nous sommes donc assujettis les uns et les autres
à un
approvisionnement régulier en eau de consommation, un
assujettissement parfois
très lourd comme celui de ces femmes andines qui, dans
l'altiplano des mines de
cuivre, font quotidiennement 10 à 15 kilomètres
pour ramener de l'eau potable
alors que le ruisseau coule à leur porte mais un ruisseau
chargé de sels
toxiques. 3
- L'eau en tant que produit. Et
l'eau est devenue un produit, qui s'achète, qui se vend et
qui ne connaît pas
de mévente. L'eau
des rivières, res communis par définition
juridique, une fois pompée et traitée
par la Lyonnaise des Eaux ou par la Générale des
Eaux, ou encore par des
Sociétés satellites cotées en bourse,
est vendue à tout un chacun; elle est
devenue res propria. On
parle d'eau industrielle mais, en tant que produit, il n'est
guère différent de
l'eau de consommation courante, la plupart du temps potable; il
coûte le même
prix sauf pompages privés autorisés pour telle ou
telle industrie riveraines de
cours d'eau. On
ne peut même pas quantifier les besoins industriels qui,
suivant l'évolution
des techniques et la pratique on non du recyclage, font que la
consommation
d'eau pour produire une tonne de papier va de 80 à 1000m3,
ou d'une tonne de
sucre de 3m3 à 400m3. Les besoins en eau pour le
refroidissement des centrales
électriques varient eux mêmes dans le rapport de 1
à 30 suivant que les
centrales sont thermiques ou nucléaires et leurs circuits de
refroidissement
ouverts ou fermés. L'eau
de boisson et les eaux minérales constituent un secteur
très porteur: plus de
60 litres en moyenne par habitant et par an; 7 milliards de litres
tirés et
embouteillés en France chaque année dont
près d'un quart exporté! Après
l'ère
du seau et du puits, on est passé à celle de la
pompe à main faisant toutes
deux appel au muscle, puis coup sur coup à celle du robinet
et de la
bi-bouteille en plastique sollicitant le seul porte-monnaie.
Curieusement,
l'eau gratuite jouissait naguère de la
considération due à l'effort immédiat;
l'eau payante ne jouit désormais d'aucune
considération; par ce fait, elle est
devenue une ressource en danger. L'eau du robinet fait oublier les
efforts
nécessaires pour l'amener jusque là: ils sont
dilués dans l'anonymat collectif. Le
phénomène n'est pas seulement
français, il est européen. Selon l'OCDE, chaque
Européen consommait l'an dernier entre 220 et 280l/jour,
directement et
indirectement. 4
- L'eau dans la société L'eau
a toujours pesé son poids dans les
sociétés humaines. Les habitats
préhistoriques sont presque toujours localisés
à toute proximité d'un lac,
d'une rivière ou d'une source. Les nomades ont
développé un sens aigu du
repérage des puits au point que les Bochimans du Kalahari
savent où creuser
pour découvrir des sables aquifères un peu
humides, voire même où trouver des
racines succulentes capables de les désaltérer
Notre histoire nous montre
l'établissement de bourgs et de cités
là où il y avait de l'eau et le droit
coutumier, désormais aboli, prévoyait
l'utilisation équitable par les membres
de la communauté des puits et des lavoirs
féodaux. De
nos jours, l'eau interpelle différemment la
société en ce que son accès est
devenu plus facile et ses usages plus nombreux ce qui conduit de plus
en plus à
des situations non seulement compétitives mais
conflictuelles, ce qui est plus
grave. Ces
usages ont entraîné et entraînent encore
l'instauration de structures sociales
particulières : régies municipales de
distribution d'eau, syndicats
intercommunaux de rivière, institution
interdépartementale d'exploitation des
eaux (pas moins de 16500 services indépendants assurent en
France la
distribution de l'eau!). Tôt dans l'histoire, la navigation
fluviale est
intervenue aussi bien dans la technique que dans le creusement et
l'aménagement
de canaux et, d'une façon concomitante dans la
réglementation de l'usage.
L'agriculture a suivi de près avec l'éclosion de
la pisciculture au Moyen âge,
les nécessités du drainage et de l'irrigation,
qui ont conduit à la création
des associations de riverains, puis des syndicats de curage. Les
loisirs de
l'eau, inexistants au siècle avant-dernier, sauf pour ce qui
concerne la pêche
à la ligne, sont désormais partie prenante dans
la gestion de l'eau: motonautisme,
canoë-kayak, raft, ski nautique, véliplanchisme
etc. 5
- La société et l'eau Ce
qui fait que la société a dû se
positionner par rapport à l'eau et réglementer
son usage. Le droit coutumier féodal a
été repris dans un corpus de textes qui,
avec la centralisation napoléonienne a donné le
Code rural. Sont venues
s'ajouter des dispositions contenues dans d'autres codes dont le code
minier et
celui de la navigation fluviale et il a fallu attendre 1964 pour
arriver en
France à une réflexion
générale sur le problème de l'eau. *
La Loi de 1964 Pourquoi
cette réflexion ? A cause de l'ampleur des pollutions de
toutes natures:
domestiques, industrielles, accidentelles et chroniques qui s'est
développée
depuis le milieu du XIXème siècle. Curieusement,
les pollutions d'origine
agricole ont été peu relevées lors de
l'élaboration des textes. Cette
loi a créé les Agences de l'Eau et le dispositif
d'établissement, de perception
et de réemploi de taxes sur l'eau, la pollution et
l'assainissement, qui
entrent dans nos propres facturations et bien davantage encore dans
celles des
industries. Rappelons
que, pour ce qui nous concerne, nous autres individus, la facture est
partagée
entre la consommation d'eau et l'assainissement. Collectivités
régionale, départementale et locale
perçoivent cette dernière part qui
constitue l'enveloppe nécessaire au financement des travaux
d'adduction d'eau
potable, de collecte des eaux usées et des pluies d'orage et
d'équipement en
moyens de traitement et d'épuration. Les
Agences de l'eau sont attributaires des redevances imposées
aux industriels
suivant la formule « qui pollue paie '. Cela signifie que la
redevance résulte
d'un calcul entre la qualité de l'eau reçue par
l'industriel, la quantité qu'il
emploie, la quantité et la qualité de l'eau qu'il
rejette dans le milieu
naturel: moins le rejet est important, moins il est pollué,
moins la redevance
est élevée. Les
recettes sont employées à donner aux
collectivités des subventions d'équipement
en moyens d'assainissement et d'épuration et aux industriels
des prêts ayant le
même objectif. Il faut ajouter que d'autres organismes comme
l'ANVAR (Agence
nationale de valorisation de la recherche) ont un pouvoir incitateur
non
négligeable par des aides à l'innovation:
recherche de procédés de fabrication
moins polluants et plus économes en eau, mise au point de
techniques
d'épuration spécifiques, pour l'industrie
papetière notamment. L'amélioration
de la qualité des eaux de surface est incontestablement
à porter au crédit de
cette politique et il faut noter des acquis qui ont tendance
à disparaître de
notre mémoire: la cessation des pollutions chroniques de
rivières qui
entraînaient, chaque été des crises
aigües avec mortalités de poissons par
suite d'anoxie, mais aussi la réapparition du saumon dans
maints cours d'eau
français : Bresle, Garonne, Dordogne ainsi que dans le Rhin.
L'implication
de la société vis-à-vis de l'eau est
donc en marche mais l'affrontement d'une
productivité sans frein raisonnable avec une ressource
aquatique jusqu'alors suffisante
mais limitée a conduit à des dysfonctionnements
naturels dont les quelques
dérèglements climatiques de ces
dernières années ne sont pas la seule cause. A
user de l'eau de façon débridée pour
nos propres besoins, à pomper de façon
inconsidérée dans les rivières et dans
les nappes, à modifier sans de sages
vues prospectives le paysage naturel: les cours d'eau mais aussi leur
bassin
versant, on a conduit nos pays tempérés,
hydrologiquement équilibrés, à des
situations de crise, telles celles que connaissent les pays tropicaux.
Ce n'est
plus le seul qualitatif qui est en cause: ce sont à la fois
le qualitatif et le
quantitatif. Il faut désormais gérer la pollution
des nappes et des littoraux
et la pénurie. La
Loi de 1964 s'est révélée
insuffisante; la sécheresse, les inondations
catastrophiques et la pollution souterraine ont provoqué un
nouveau sursaut des
décideurs politiques, sourds jusqu'alors aux recommandations
des scientifiques
et des techniciens, à croire que sans catastrophe, l'homme
n'avance pas. *
La Loi sur l'Eau de 1992 est née de la pression des
dernières tragédies. Ses
décrets d'application, miracle!, sont pratiquement tous
sortis. Le législateur
a enfin compris que la gestion de l'eau ne pouvait plus être
du ressort des
seuls technocrates mais devait recourir à la
responsabilité de chacun. La loi
de décentralisation-déconcentration a
joué; les collectivités locales et les
associations sont parties constituantes des Commissions locales
d'aménagement
et de gestion des eaux. Les Schémas directeurs
d'aménagement des eaux (SDAGE)
sont conçus avec leur participation, de même sur
un plan plus local et en
fonction de l'urgence, les Schémas d'aménagement
et de gestion des eaux (SAGE)
de tel bassin fluvial, de tel périmètre
d'exploitation, de tel aquifère. Cela
me donne une transition toute trouvée pour aborder: 6
- l'Homme et l'Eau La
loi dit que le citoyen est concerné par l'eau. Elle le dit
et elle l'institue
parce que le citoyen, de son propre mouvement, ne se sent pas
concerné par
l'eau. Il se sent moins concerné par l'eau que par sa
voiture, par exemple.
Paradoxalement, l'importance de l'eau a disparu de son conscient
individuel
alors qu'elle apparaît dans le conscient collectif. Le
phénomène d'urbanisation
n'y est pas étranger, accompagné des techniques
collectives de mise à
disposition qui suppriment l'effort physique direct dont je parlais il
y a
quelques instants. Le phénomène d'urbanisation
fait basculer en effet depuis
une centaine d'années la répartition
géographique des populations humaines du
globe. La désertification des campagnes est
générale. 50 à 80% des gens,
suivant les pays, sont désormais des citadins et, au sens
propre, des citoyens,
ayant à intégrer leur
intérêt individuel et
l'intérêt collectif, au minimum
celui de la cité. L'urbanisation implique
l'éducation et la responsabilisation
du citoyen et sa nécessaire information sur les
problèmes de la collectivité
humaine, dont celui de l'eau, et cela doit déborder
à l'évidence les frontières
nationales. Mais
qui connaît l'existence de la charte européenne de
l'eau? Et cependant c'est le
26 mai 1967, 1967, que le Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe l'a
proclamée, à Strasbourg. Ses intentions sont
bonnes, mais son rayonnement dans
le public est inexistant. et sa mise en vigueur quasiment nulle. Je
suis resté
d'ailleurs un peu "sur ma faim" en la lisant. L'article 9 parle
vaguement d'information publique. C'est quoi l'information publique?
Quel a été
son rayonnement en France ? Pourquoi les rédacteurs
n'ont-ils pas jugé utile
d'écrire que le bon usage de l'eau devrait entrer dans
l'éducation de
l'individu, de l'enfant puis du citoyen ? Peut-être parce
qu'en 1967 la
situation de la ressource aquatique n'était pas assez grave
pour justifier
l'entrée de la notion d'éducation ? J'aime
bien la devise de l'Europe Bleue: « L'Eau
est le miroir de notre Avenir »' mais
je dirai volontiers comme Markus BRAUN, un de mes collègues
suisses: « L'Eau
est le reflet de l'esprit
humain »' L'environnement
de l'Homme est l'image, j'oserais dire « palpable ', de son
monde intérieur.
L'état de santé d'un lac, par exemple,
reflète les pensées et les sentiments de
l'Homme qui exploite l'espace environnant dont le lac est tributaire.
La
solution du problème écologique que pose la
qualité de l'eau d'un lac ne réside
pas seulement dans le monde physique et extérieur de ce lac
mais aussi dans le
monde psychique et intérieur de l'Homme. Quand
je parle de l'Homme, avec un grand H, je parle de l'individu et de la
collectivité humaine ; le psychisme de l'un est
interdépendant de celui de
l'autre, à ceci près que la
Collectivité et ses expressions structurées
pèsent
forcément sur l'individu et conditionnent parfois son
comportement.
L'information qui est donnée par la collectivité
à l'individu, ou bien déclenche
des mouvements de panique, ou bien l'endort dans une
quiétude trompeuse. Les
habitants de notre cité ont eu en main la circulaire de la
DDASS , jointe à la
dernière facture d'eau : en grosses lettres, en bas de page,
on lit : «
Actuellement, l'eau peut être
consommée »' Ce
qui est dérangeant dans la mesure où l'annonce
s'établit dans le provisoire et
l'aléatoire. Un
peu plus haut, à la rubrique « pesticides ',
l'usager attentif peut découvrir,
en petites lettres que: « L'eau
distribuée n'est pas conforme aux
exigences réglementaires en ce qui concerne ces substances
', ce qui revient à
dire qu'elle peut être consommée, mais pas sans
risques. Face
au risque potentiel, le consommateur prudent achète de l'eau
minérale, celui
qui ne peut pas ou qui est inconscient boit l'eau du robinet. Mais
il convient de faire un distinguo entre les collectivités
administratives un
peu régaliennes et les collectivités associatives
« réactives '. A mon avis,
c'est dans ces dernières que seront trouvées
quelques solutions aux problèmes
de l'eau. J'en veux pour preuve le rôle
déterminant des pêcheurs à la ligne,
parfaitement structurés, forts de leurs 2 millions
d'adhérents qui ont obligé
l'Etat, dans les années 60 à se
préoccuper des pollutions parce qu'ils avaient
payé de leurs propres deniers les 4 premières
voitures-laboratoires de
détection des pollutions des eaux, et qu'il a bien fallu
réglementairement
encadrer leur action. Cela
me conduit à deux propositions conclusives, mais auparavant,
je souhaiterais
vous faire toucher du doigt, s'il en était besoin, la
gravité des problèmes. Cela
semblerait être une boutade mais qui n'en est pas une: le
département des Côtes
d'Armor est peuplé de 33 879 000 habitants. Bien
sûr, j'imagine votre stupeur;
j'aurais dû employer la notion
d'équivalent-habitant, officiellement admise
pour évaluer les charges de pollution de l'eau, et
préciser: 33 879 000
équivalents-habitants. Ce n'est pas rien pour une si faible
superficie; on
compte en effet, en sus des 538 000 humains, 2 millions de porcs, 188
600
truies-mères, 374 700 bovins, 267 000 vaches
laitières, 26 696 000 poulets, 548
000 pintades, 602 000 canards, 2 676 000 dindes, 600 000
éq-hab. truites. Le
calcul en équivalents-habitants fait que les cours d'eau,
nappes et littoral
des Côtes d'Armor reçoivent la pollution de 33 879
000 habitants. Même si
l'efficacité des stations d'épuration
était de 80%, - ce qui n'est pas le cas -
il resterait la pollution absolue de 6 775 800 équi-hab. qui
ne pollue pas les
nappes profondes car elles sont peu importantes en Bretagne, mais qui
aboutit
inexorablement à la mer. Là
est l'origine des nuisances dues à la
prolifération des algues vertes sur le
littoral breton. Elles ont pris le pas sur les risques de pollution par
les
hydrocarbures au point que la télévision, sans
toutefois battre le record de
couverture de la chronique de l'Erika, au point que la
télévision en a parlé.
(Une observation en passant, l'impact est plus grand de montrer des
nappes de
pétrole et des oiseaux mazoutés que des
kilomètres d'algues vertes dont la
couleur est d'ailleurs plutôt sympathique, la TV ne
transmettant pas
encore les odeurs!) Est-ce
que d'un coup de baguette magique, on va faire disparaître
les milliers de
tonnes d'azote et de phosphore en excès, sans parler des
pesticides ? Est-ce
que, par le même coup de baguette on va réduire
à des proportions admissibles
un prélèvement qui s'élève
à près de 3 millions de m3/an, sans compter celui
plus ou moins occulte qui est nécessaire au maïs et
aux autres cultures avides
d'eau? Assurément
non. Au travers de ces derniers chiffres, la responsabilité
du citoyen se situe
au tréfonds de l'entendement de plusieurs
générations humaines, sauf accident,
donc bien au delà de l'observance de seuls arguments
techniques. Je
vais toutefois, en fin d'exposé, aborder quelques solutions
techniques, qui
sont tout simplement issues du bon-sens commun. Parmi
les informations, il en existe qui sont immédiatement
à notre portée, que nous
avons mises en oeuvre ailleurs. On les connaît: les mesures
d'économie de l'eau
au niveau du simple citoyen, de la famille, de la
collectivité;
l'intensification de la lutte contre la pollution des eaux pour le
qualitatif
et, pour la protection et la régulation du quantitatif, ni
plus ni moins que
les mesures de lutte contre l'érosion, contre la
dégradation des sols des
bassins versants; introduire en pays tempérés les
techniques éprouvées et
appliquées aux bassins versants tropicaux. Les cours d'eau
français sont
devenus des oueds à sec ou quasi en
été, dévastateurs en hiver, eh bien
réorganisons l'espace rural en conséquence,
réhabilitons les bocages, les
haies, les galeries arbustives riveraines, contrôlons le
ruissellement sur les
surfaces bitumées. En
cela, l'existence, la compétence, la raison et le
poids des structures
associatives sont nécessaires face à un
argumentaire politique ligoté et
conditionné aussi bien par la gestion du quotidien local que
par les impératifs
d'une inéluctable mondialisation. S'il
s'agissait de données seulement scientifiques, je dirais
qu'elles sont
interdisciplinaires mais, voyez-vous, la part scientifique est
subordonnée à la
part éducative et consensuelle, à la part
humaine, à l'alimentation du
subconscient par la conscience, au réveil d'anciennes
valeurs perdues dans les
brumes de la facilité: je veux parler du respect de la chose
donné. Le
respect de la chose donnée: l'eau nous est
donnée, il faut la respecter et
c'est une affaire d'éducation, j'allais dire de
rééducation: la
sensibilisation, la mobilisation des politiques décideurs,
des adultes, des
parents, des éducateurs; simultanément
l'éducation des enfants par les parents,
par les enseignants et tout cela par l'emploi des formidables moyens
médiatiques mis à notre disposition et, au dessus
de tous, la Télévision, mais
hors des diktats de l'audimat. Le
plus ardent défenseur de la nature et de l'eau, c'est
actuellement l'enfant. Et
cela, sans doute parce que, en suivant l'évolution
biologique du phylum humain
auquel appartient l'enfant, on en retrouve les grandes
étapes. Pour chacun de
nous, la vie commence par un oeuf, monocellulaire, puis pluricellulaire
donnant
un embryon plus perfectionné. Ces transformations
s'effectuent dans un milieu
aqueux, probable témoin des origines marines de notre vie
(mais je ne m'avancerai
pas sur ce terrain !) La naissance marque l'émergence
à la vie terrestre. Comme
ses ancêtres les poissons, mais dans un délai
réduit de millions d'années à
quelques mois, le petit de l'homme apprend à respirer,
à ramper, à emprunter
une marche quadrupède avant d'acquérir la posture
et la démarche érigées. Ainsi
sont franchis les stades du poisson, du reptile, du
mammifère et du primate. L'enfant
ne doit plus être dévoyé de cette
prégnation, de cette impulsion intimes de pur
produit de la Nature qu'il est à sa naissance, si on veut
qu'il affronte
victorieusement les problèmes que ses ancêtres ont
créés puis n'ont pas su
résoudre. L'enfant
sera demain un Homme ayant sa place dans la Nature, ni soumis par elle
comme il
peut l'être dans les sociétés
primitives, ni dominateur comme il l'est devenu
aujourd'hui au sein des sociétés
technologiquement avancées. Il sera un Homme
allié et non ennemi de la Nature, vivant dans l'harmonie de
son environnement
naturel et utilisant ses facultés qui sont immenses, non
pour le détruire
inconsidérément mais pour le "jardiner"
amoureusement. Il sublimera
ainsi son esprit en canalisant ses capacités vers le
naturellement raisonnable
plutôt que vers un inconnu à hauts risques. La
définition du « naturellement raisonnable 'ouvre
déjà un grand chantier de
réflexion et les moyens d'y aboutir en constituent un autre
dont la composante
politique reste à imaginer et à imaginer
à court délai. Quel
challenge pour les enfants d'aujourd'hui! Et
de l'eau, nous sommes ainsi passés au devenir de notre
espèce et de son
vaisseau spatial, la Terre, en faisant l'impasse sur une autre
problématique:
l'évolution réserve probablement des surprises au
primate humain: Peut-être
existe-t-il une troisième voie, je ne sais, mais ce que je
sais par contre,
c'est que nous autres Humanistes, nous ne pouvons accepter le
dernier
terme de l'alternative .Il nous reste donc le premier terme
à étudier ou autre
chose à imaginer, mais vite. Quel
chantier pour les Hommes de demain ! Jacques
Arrignon |
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