Fraternité
et Solidarité
Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous allons
faire une petit détour
dans une boulangerie. Cela nous permettra d'associer le sentiment
fraternel et
la farine du pain. Nous savons ce que représente la
fraternité
quand nous
bénéficions de ses
bienfaits. De même nous apprécions le
goût du pain quand le boulanger fait bien
son travail.
Mais lorsque l'inimitié s'installe dans
une
communauté, lorsque le sentiment fraternel
disparaît au profit du jugement;
avons-nous la volonté de rester objectif et d'entreprendre
un voyage intérieur
afin de mieux comprendre le sens du déséquilibre
communautaire ? De même
lorsque le pain est fade, trop cuit ou rassis, allons-nous trouver le
boulanger
pour savoir ce qui s'est passé ? Où
changeons-nous de boulangerie ? Où
encore cessons-nous de
manger du pain ?
Le travail que nous
développerons dans cette planche s'apparente à
celui
qui consiste à chercher conjointement avec le boulanger le
pourquoi du mauvais
goût.
De cette façon nous irons dans le moulin
pour
comprendre les techniques de mouture de la farine, puis chez le paysan
pour mieux
saisir les interrelations entre la nature, le sol, les engrais
et le type de blé. Puis, nous chercherons à
comprendre le processus de
germination du grain de blé en faisant confiance
à notre intuition. Nous irons
aussi parler avec la boulangère et avec l'association des
maîtres boulangers
pour leur annoncer que notre désir le plus fort est que tous
les pains sur
cette terre puissent avoir un bon goût. Enfin en tant
qu'amateur de bon pain,
nous nous assurerons que la qualité de la farine soit
optimale chez tous les
boulangers.
La
Fraternité est selon le Larousse un "lien de
solidarité qui
devrait unir tous les membres de la famille humaine" et la
solidarité " un sentiment d'un
devoir
moral entre les membres d'un groupe ou d'une communauté
fondé sur l'identité de
situation d'intérêt.". Notons que la
solidarité met en évidence un
sentiment d'un devoir moral c'est
à dire de l'acceptation
d'un ensemble de règle de conduite
considérées comme bonne de façon
absolue ou
découlant d'une certaine conception de la vie.
La
fraternité est donc par définition le
comportement normal d'un groupe
d'individus voulant assurer la
cohésion et l'identité d'une
communauté.
Nous concevons aussi
qu'il est indispensable d'établir
des liens de solidarité pour en assurer la
pérennité. D'autre part, nous
pouvons imaginer que la dimension du groupe, son environnement, son
organisation interne, ses objectifs, son niveau culturel, son histoire,
son
idéologie, sa conception de la spiritualité sont
des paramètres essentiels qui vont qualifier le sentiment
fraternel
et les actions de solidarité.
N'y
aurait-il pas alors dans cette évidente recherche
d'identité du
groupe et de sa gestion le germe de l'exclusion des autres groupes ? La
définition de la fraternité du Larousse confirme
bien que le lien de solidarité
doit unir tous les membres de la famille humaine.
C'est cela l'important. Malheureusement, notre
société humaine est multiple,
car elle est constituée de peuples et de nations avec des
histoires très différentes
qui n'ont pratiquement jamais cohabité pacifiquement.
D'autre part les
idéologies ont engendré des comportements
antagonistes qui sont viscéralement
intégrés dans les mentalités des
peuples. Pourtant chaque individu vit une
histoire unique, reflétant un potentiel historique
générateur d'attitudes
complexes pouvant être géré par la
raison. La réalité montre que tout est
totalement interdépendant que le passé souvent
rattrape le présent et que
malheureusement la raison est plus la fille de l'instinct que de la
synthèse.
Ce
constat fait que le multiple sous toutes ses formes est la substance
ontologique de référence. Il ressort
évidemment que l'analyse prime sur la
synthèse et privilégie les mouvements
désordonnés. l'Homme est agité,
à
l'égal d'un simple matelot sur un bateau perdu dans une
tempête dont il
ne sait plus quand elle a commencé, ni quand elle finira.
Cela a pour
conséquence que l'évolution de la
société semble sans espoir,
car rien de
bon ne peut sortir du multiple.
Mais au-delà de la multiplicité existe
l'unicité qui heureusement apparaît
lorsque le bateau navigue dans l'oeil du cyclone, dans cet espace de
calme
absolu qui transforme l'énergie au
bénéfice d'une volonté sans faille
vers la
conquête du Soi, sous peine de retrouver les
éléments
déchaînés.
Nous
voyons bien que la définition de la famille humaine est
complexe,
mais sans une approche spécifique de cette notion il ne peut
y avoir de lien de
solidarité universelle. En maçonnerie, nous
sommes dans un effort constant
pour
édifier un temple universel. Cet effort s'exerce avant tout
dans la
connaissance de soi, car c'est en l'homme, et en lui seul que
réside
l'universalité. Celle-ci prendra véritablement un
sens lorsque l'enseignement
pratiqué dans les loges portera ses fruits et lorsque les
initiations permettront l'émergence d'un
état de conscience élargit. Cette transmutation
des valeurs est la condition
nécessaire pour que le maçon puisse
insérer sa pierre dans l'édifice. C'est
dans une telle situation que la Beauté de l'oeuvre sera
perçue et que le
véritable travail commencera.
Parler
de fraternité universel, c'est d'abord
s'intéresser au premier
Homme et rechercher ce qu'il représente puisque en quelque
sorte nous sommes
ses descendants directs.
Toutes
les civilisations ont cherché à comprendre
l'origine du monde et
de l'apparition de l'homme. Au
6 ème siècle avant J.-C. un poète
grecque nommé
Parménide a
qualifié cette
recherche par ces quelques mots: " il
y a qu'il y a."
Nous
sommes aujourd'hui encore et toujours dans ce besoin de chercher
ce que signifie le savoir. Le progrès, bien
sûr, a éliminé toutes les pratiques
sacrées
de nos ancêtres car aujourd'hui la foudre et les
étoiles ont livré leur secret.
Il n'est donc plus nécessaire de continuer à
déifier les forces de la nature. C'est
la conscience qui
maintenant remplace les éléments
expliqués par la science. L'âme
et l'esprit sont les
composants de cette recherche et sont constitutifs de la notion de
spiritualité. Ce n'est plus un regard interrogatif vers un
mystère cosmique mais
c'est une prise de conscience de soi qui engendre le mystère
de soi et des
autres.
Cette
nouvelle orientation nécessite une relecture des mythes et
légendes
afin de trouver de nouveaux équilibres plus en rapport avec
les dernières
découvertes de la psychanalyse et de la psychologie des
profondeurs. Mais c'est évidemment plus
difficile aujourd'hui, car dans notre civilisation
mécaniste,
l'intuition n'est plus reconnue comme une valeur à part
entière puisqu'elle fournit des informations qui ne
satisfont pas les critères
de reproductibilité demandés
par
l'expérimentation
scientifique.
Le
plérôme des sorciers d'antan appartenait aux
sphères célestes tandis
que celui de l'homme moderne est dans sa psyché. Mais
au-delà des notions de
progrès qui engendrent un égocentrisme toujours
plus fort, il reste des valeurs
primordiales qui caractérisent la notion de premier Homme.
L'une
de celles-ci est l'androgynie qui est
fondamentale
pour la
compréhension du sentiment fraternel.
Il
faut, tout d'abord, être clair, il n'existe pas d'androgyne
sur terre.
Tout au plus, il y a quelques individus qui ont la malchance de
naître
hermaphrodite, c'est
à dire
de posséder deux sexes distincts dans un même
corps et de vivre un véritable
calvaire. L'androgynie est donc un mythe et doit
être compris comme tel. Il
représente un état irrationnel qui
détermine un espace dans notre conscience où
cohabite une symbiose apaisée
des forces
constitutives de
notre existence matérielle. Dans la tradition il est dit
qu'au début l'homme et
la femme ont un même corps pourvu de deux visages et que Dieu
a fait naître
l'homme et la femme en faisant don à chacun d'un dos. Selon
le mythe de la
Genèse,
Eve est née
d'une côte d'Adam ce qui confirme
l'indifférenciation
primordiale.
L'androgyne
se retrouve aussi dans ''alchimie" puisque la pierre
philosophale est appelée Rebis, l'être double qui
naît de la fusion de Sol et
de Luna, c'est à dire du souffre et du mercure. L'oeuvre au
Blanc, inspirée par le souffre est
appelée Rebis car elle est autonome et
parfaitement pur. Le Rebis est souvent représenté
comme l'oeuf philosophique
des alchimistes ou l'oeuf cosmique contenant en
essence l'état androgyne dont
la partie féminine brandit l'équerre et la partie
masculine le
compas.
La
tradition maçonnique a repris les
éléments androgynes de l'oeuf
cosmique alchimique en intégrant l'équerre et le
compas en tant que symbole du
premier grade. D'autre part, le tracé à partir de
l'équerre donne des angles
droits qui mènent naturellement au carré puis
avec l'aide du compas
il est
possible d'inscrire un cercle autour du
carré et de déterminer une nouvelle figure
symbolisant l'androgyne primordial.
Le soleil et la lune situé à l'orient de part et
d'autre du V.'. M.'. donne analogiquement la direction à
suivre , c'est à dire le retour vers l'Un , vers
l'androgynie.
La
tradition chinoise exprime
la notion d'androgynie, relative au divin par le duo
complémentaire lumière-obscurité.
L'Etre originel est androgyne avant de
recevoir sa polarité, c'est à dire avant que
l'oeuf primordial ne se casse en
deux moitiés et exprime les
notions
complémentaires mâle et femelle, ciel et terre, Yang et
Yin. Le Yin et Yang à l'instar de l'Adam de la
Genèse représente cette nécessaire
fusion des principes complémentaire associé
à la notion de liberté car il est
nécessaire d'être libre pour parcourir les chemins
qui mènent à l'oeuf cosmique
et au paradis. Il en est de
même
pour le maçon qui doit
s'élever suffisamment haut afin de découvrir les
lignes de partage du pavé
mosaïque et entreprendre une marche volontaire pour discerner
au loin, du côté
de l'orient, une ligne d'horizon baignée d'une lueur
d'espoir.
L'androgynie
est un symbole universel puisqu'il est présent dans de
nombreuses traditions et à des époques
différentes. Il est donc un élément de
la loi de correspondance et peut donc être utilisé
valablement dans une
réflexion analogique.
Ce
symbole est important, car il qualifie une origine
primordiale
où existe un état
indifférencié qui est le
générateur
d'énergie fraternelle. Ce retour à
l'Unité est la quête de l'initié, ou de
tout
individu suffisamment libre pour entreprendre de tels
voyages intérieurs. Une telle démarche n'est pas
facile car elle dépend du
niveau de conscience ou du degré de liberté mais,
quel que soit celui-ci,
il sera
nécessaire de
travailler, de privilégier
le plus
souvent les devoirs
que les droits. C'est dans une telle disposition d'esprit que la
quête sera
fructueuse et transformera l'obscurité du début
en une pénombre prometteuse. La
recherche de la Lumière est
l'objectif premier du maçon, car il ne peut se satisfaire
d'un clair
obscure illuminé par des flashs dont l'origine est
douteuse.
Les
chemins ne seront pas les mêmes pour tous, mais
le sommet
de la montagne reste toujours présent en dépit du
vécu et du karma des vies
antérieures. Le désir et le besoin
de marcher
en direction de l'Orient reste tributaires d'une composante
culturelle spécifique. Ainsi
le matérialiste, souvent agnostique, adversaire convaincu de
la métaphysique cherche la
Vérité dans la réalité
visible plutôt que dans
des concepts spirituels ou ésotériques. Pour ne
pas s'affronter à ses angoisses
existentiels il trouve toujours des pirouettes intellectuelles qui le
satisfont. Il privilégie la raison raisonnante qui apporte
des explications et
qui élude les problèmes atypiques. Le hasard
détermine la cohérence en
attendant mieux. Son comportement est difficile, car il donne force
à une
logique de conflit afin de d'identifier le vainqueur du vaincu. Son
sentiment de fraternité
est souvent très fort, mais il est défensif
car
appliqué
unilatéralement à ce qu'il juge conforme
à sa raison.
L'universalité fraternelle est souvent absente, mais peut se
développer dans une logique comportementale liée
à l'acceptation d'une
cohérence
philosophique.
Il
y a ensuite le théologien qui trouve toujours une
réponse à ses
angoisses métaphysiques dans les textes sacrés de
la Bible, du Coran ou de la
Thora pour ne parler que des religions monothéistes. Son
comportement est dicté
par la nature du dogme qui est la croyance en un Dieu unique et
révélé, dont la
finalité est le salut de l'âme
pour tout
ceux qui respectent
les directives sacrées.
Croire en
un dogme c'est
malheureusement exclure les autres philosophies du salut quel que soit
le
contenu universel de leurs textes sacrés. Une expression
forte comme "aimez-vous les uns les
autres"
donne sa pleine mesure
dans
la communauté chrétienne. Pour qu'elle trouve une
valeur universelle elle doit
être élargie à la famille humaine par
la conversion de tous au dogme chrétien. Cette attitude pose
un vrai problème pour
tout ceux qui réprouvent les propositions dogmatiques.
Il
y a enfin le spiritualiste qui cherche le plus souvent dans la
Tradition ésotérique les réponses
à sa spiritualité. Son comportement premier
est de donner du sens aux symboles proposés par la Tradition
et de trouver une
voie personnelle qui l'engage à chercher inlassablement sa
propre dignité pour
mieux respecter celle des autres. Son devoir est de rendre intelligible
l'invisible et de transmettre aux générations
futures la Vérité.
Les
trois courants de pensées que nous venons
d'évoquer se retrouve dans
la maçonnerie à la fois au niveau des
obédiences et des Frères. Le Grand Orient de
France est l'exemple d'un
courant de pensée rationaliste et agnostique tandis que les
loges régulières
c'est à dire celles reconnues par la Grande Loge Unie d'Angleterre
sont
d'inspiration théiste ou déiste par
la reconnaissance constitutive du G\A\D\L\U\.
Ce
qui unit indifféremment chaque maçon c'est
l'initiation qui donne à la
fois la qualité de frère et la
reconnaissance d'un sentiment fraternel. Ce
dernier s'exprimera distinctement selon la densité des
courants de pensées que
nous avons identifiés plus haut et sera fonction de la
famille culturelle et
spirituelle du frère (agnostique, théiste ou
déiste) et du rite pratiqué
dans sa
loge (REAA, Rectifié, Français, Memphis
Misraïm etc.). Ainsi
un Frère agnostique membre d'une loge pratiquant le rituel
rectifié se posera
bien évidemment des interrogations différentes sur
le sens de sa venue en maçonnerie qu'un frère
chrétien.
Avons-nous
le droit de remodeler son psychisme pour qu'il colle au rituel
? Bien sûr que non et par cet exemple nous montrons
l'importance que l'on doit
accorder aux enquêteurs afin que ceux-ci orientent le
candidat vers une loge
adaptée à ses pensées. Dans le cas
cité, il aurait été
préférable que le
candidat frappe à la porte d'une loge pratiquant le REAA
La
maçonnerie est multiple dans ses rituels parce que les
hommes sont
multiples dans leurs conceptions philosophiques. Les
différents rituels permettent
d'aborder dans les
meilleures conditions une progression initiatique dont le seul but est
la
recherche de la Vérité. Mais
au-delà du bon choix de la loge, il est
nécessaire qu'un sentiment
fraternel, véritable ciment de l'édifice
rituélique accompagne la progression
du nouveau frère. Rien ne pourra s'accomplir et s'assembler
sans lui quelle que
soit la volonté
intellectuelle d'un
candidat ou des membres d'une loge.
Mais
qu'est-ce qui est à l'origine de ce sentiment fraternel ?
Nous sommes tous des Frères, c'est à partir de cette affirmation
forte que le V.'. M.'. qualifie la communauté d'une Loge et
définit magistralement le sentiment
fraternel. Mais de quelle façon une telle affirmation
peut-elle être reçue par
un nouveau Frère, car dans un premier temps ce dernier doit
s'identifier dans
une nouvelle structure psychique, s'accepter dans une
démarche initiatique
pleine de mystères, partager ses doutes et ses joies dans un
contexte méditatif
et finalement aimer ce qu'il devient. Puis, parallèlement,
il doit ressentir le
sens communautaire de sa loge, s'intéresser à son
activité,
participer aux
décisions et
aimer inconditionnellement sa loge à travers l'amour de ses
Frères. Enfin, il
doit appréhender le sens de la famille humaine en
général et tout faire pour
que le sentiment fraternel l'engage dans une attitude humaniste globale
dans le
monde profane.
Comme
nous le voyons le parcours est exigeant et demande une
persévérance
tenace car, rien ne sera épargner à celui qui a
choisit d'être un fils de
Lumière.
Son
espoir est la certitude d'être sur le bon chemin qui
mène vers la
source d'où jaillit la Vérité. Mais
parfois rien ne se passe comme prévu.
L'échec est au bout du chemin . Pourquoi ?
Le
théologien Anders Nygren dans
son livre Eros et Agape a remarquablement distingué l'amour
éros de
l'amour agape. Son analyse nous permettra de bien distinguer ce qui
parfois
fait problème avec le sentiment fraternel.
L'éros
est un désir, une aspiration, une faim qui nous fait
convoiter ce
qui nous manque. Amour et valeur sont dans ce cas
étroitement liés. L'Homme
cherche à vouloir se faire reconnaître des dieux
qui est la suprême valeur.
Mais les dieux n'aiment pas les hommes car ils vivent sans se
laisser troubler par le désir ou la
nécessité. L'amour n'appartient qu'aux
hommes et va de bas en haut. Dans une telle conception, l'amour est
intéressé
et doit se mériter. Le modèle grecque de l'amour
est l'amitié. L'ami doit
mériter l'amour qu'on lui porte. Toute
défaillance de l'ami rompt
cette amitié. Enfin,
c'est l'homme qui va chercher Dieu dans son for intérieur
à travers la mystique
et qui se fond avec lui.
Dans
l'autre conception, l'amour agape
va du haut vers le
bas, de Dieu vers
l'homme. Il aime sans tenir compte de la valeur, d'une
manière spontanée et immotivée. Dieu
aime toutes ses créatures sans limites et
ne
réserve pas seulement son amour
aux justes,
à ceux qui font
du bien, mais il s'adresse à tous, aux justes, aux injustes,
aux bons et aux
méchants. Il support le refus, l’ingratitude.
Cette conception de l'amour agape
est vécue pleinement parce que le Christ est mort sur la
croix pour sauver les
hommes. Nous n'avons donc rien à redouter de nos
péchés puisque le fils de Dieu
s'est sacrifié pour nous. Un tel acte engendre naturellement
l'amour du prochain et le sentiment
fraternel. Aimer sans raison son
prochain, ses ennemis
son Frère et
par suite la famille humaine est la voie qui mène
à un
comportement social respectueux des diversités.
La
voie initiatique maçonnique est sans
ambiguïté puisqu'elle demande au
néophyte à la fois d'aimer ses frères
et de rechercher en lui-même la Vérité
en
clair de vivre l'amour agape en toutes occasions jusqu'à
même verser son sang
et sacrifier sa vie pour un frère et d'identifier l'amour
éros par la mort du
vieil homme. C'est une démarche difficile qui
nécessite beaucoup d'humilité, de
persévérance et de patience afin
d'éviter de créer des confusions puisque en
tout temps un choix peut être fait entre l'amour agape
et l'amour éros.
Dans
la conception matérialiste du destin humain qui
est celle, rappelons-le,
de notre société
libérale
dite de progrès infini l'amour agape n'apporte
aucunes valeurs
particulières. Au contraire, elle tend à
contrarier l'objectif premier qui est
de maximiser le profit pour quelques actionnaires. C'est le
règne de l'amour
éros puisque le mérite est de
récompenser et de distinguer le plus fort en
exploitant tous les autres. Nous
retrouvons aujourd'hui quelques deux milles ans plus tard, la
conception policée de la spirituelle grecque, qui accordait
des droits
distincts aux élites et aux serviteurs. D'un
côté, les nantis-actionnaires
recherchaient une béatitude infinie
dans le but
d'être reconnus
des dieux, représentés aujourd'hui par le capital. De
l'autre côté,
les
esclaves-salariés étaient assujettis corps et
âme à leur maître,
n'intéressaient pas les dieux car sans valeur propre. Depuis
le début du
vingtième siècle, le libéralisme n'a
pas trop montré son caractère esclavagiste
vu qu'il devait se méfier d'un socialisme de type agape
prôné par l'idéologie
communiste.. Mais après la chute du mur de Berlin le
capitalisme pur et dur
peut régner sans partage et retrouver les vertus de l'amour
éros.
Le
développement technique, d'autre part, amplifie ce
phénomène en
accentuant l'individuation de tous. Il
est en effet intéressant de noter que plus les besoins de
base d'un
individu sont réalisés, plus il devient
égoïste, peu fraternel et pratique une
solidarité indirecte c'est à dire, qu'il
privilégie une action impersonnelle,
par le paiement d'un chèque à une institution,
par exemple, au lieu de réaliser
un projet spécifique en tant que membre à part
entière d'une association
caritative.
La
démarche maçonnique
nécessite de comprendre le sens des deux amours agape et
éros et de rechercher
dans les rituels les symboles qui s'y rapportent. Lorsque le V.': M.'.
ouvre
les travaux en salle humide en disant de pratiquer la fraternité
par l'harmonie, il indique que l'amour agape est la base
de l'amour fraternel,
qu'il doit
être inconditionnel, sans jugement pour les actes
passés comme
nous l'avons définit plus haut. En
faisant suivre le mot fraternité par le vocable harmonie, il
enseigne
qu'il existe en nous des forces antagonistes blanches et noires,
souvent
dissonantes et mal ordonnées, formatrices
d'attitudes conflictuelles appartenant à l'amour
éros.
L'harmonie ou
l'état
androgyne est dans ce cas la seule voie qui donne du sens à
la fraternité. En
effet comment imaginer pratiquer une démarche fraternelle en
gardant à l'esprit
un sentiment de haine envers autrui en général ou
d'un frère en particulier. Le
paradoxe chez l'homme est qu'étant libre il
acquière la possibilité de définir une
fraternité à la carte et de lui trouver
parfois une universalité subjective. Heureusement
que l'harmonie remet tout à plat et casse
l'édifice de la
raison si minutieusement et patiemment construit et accepté.
Le rituel
maçonnique est alors une des voies qui propose de reconnaître
la fraternité
afin qu'elle satisfasse
à nouveau à une morale
fraternelle comprise par l'ensemble de la famille humaine. Une telle
attitude
présuppose évidemment le rejet de toutes
considérations militaristes. En effet,
comment concilier conjointement l'amour du genre humain et sa
destruction. Le maçon doit être clair dans
ses objectifs et ne peut pas cautionner deux attitudes antagonistes
même si la
raison d'état le demande. Dans notre rituel nous disons
qu'il faut fuir les
méchants. Il n'est jamais dit qu'il faut les tuer. C'est
pourquoi, la
maçonnerie
doit entrer en sommeil
chaque fois que les dispositions d'un état
proposent des problèmes de conscience insoutenable pour un
initié. La démarche
est identique au niveau de la loge. Chaque fois qu'un frère
a un comportement
non fraternel. Il faut lui rappeler ses engagements et lui demander de
retrouver le sens profond de son initiation et les vertus de l'amour
agape car
nous savons qu'une loge n'est que la représentation de
l'ensemble de ses frères
et qu'il suffit d'un seul maillon faible pour que la chaîne
d'union perde de sa
puissance spirituelle. Tous unis, main dans la main, loin des
métaux, nous
sommes alors une vraie fratrie, c'est à dire une
communauté de frères égaux
pratiquant avec l'intelligence divine symbolisée par notre
coeur cette
fraternité qui donne du sens à notre vie.
Que
propose la loge pour vivre activement cette fraternité
universelle ?
Tout d'abord elle crée et constitue des
francs-maçons. Ensuite elle s'assure
que l'enseignement est suivit, puis elle propose un espace de communion
fraternelle qui apaise les douleurs du monde profane. C'est
dans une telle
dimension spatio-temporelle sacrée que
l’androgynie devient la source d’énergie
fraternelle et qu’elle donne la force d'affronter dans la
joie et sans peur la
réalité du monde profane. Mais, l'homme
privilégie spontanément le pouvoir au
sentiment fraternel. Mais en même temps, il a aussi soif de
connaissance et de
comprendre le sens de sa vie. Pour ne pas rester esclave de sa pulsion
égoïste,
il doit retourner en loge. Cette demande mainte fois
proposée par le rituel est
essentiel, car il faut boire à la source du sens
pour
affronter cette
abîme de complexité qu'est devenu la
société humaine dans sa gestion du
progrès
technique.
Les
loges maçonniques au 18 ème
siècle comprenaient de nombreux frères d'origine
aristocratiques, bien placés dans la
société civile, ayant la confiance du roi
et faisant partie de l'élite au pouvoir. Ils ont pourtant
manifesté l'intention
de partager leur idéal avec d'autres frères
provenant de milieu plus modestes.
Ils nous ont ainsi transmit cet élan égalitaire
initiatique qui respecte la
personnalité de chacun tout en lui insufflant un esprit
chevaleresque.
Par leurs actions, ils
ont
été les précurseurs de la
démocratie et d'une fraternité, où
l'intelligence du
coeur a prédominé sur les
intérêts corporatifs. Il faut encore plus
aujourd'hui
que hier donné un cadre de vie qui corresponde aux besoins
de l'homme du vingt
et unième siècle en définissant les
rapports du temporel et du spirituel dans
la cité. Le maçon peut parfaitement
représenter ce lien et
doit travailler dans ce
sens. La loge, dans cette optique, est donc ce lieu de fermentation
où
s'exprime cette continuité chevaleresque, où les
devoirs sont naturellement
associés à la communauté et les droits
à l'amélioration qualitative de sa
personnalité. La structure d'une loge permet à
chacun d'exprimer et de
développer ses capacités propres et de faire
valoir ses mérites sans flatteries
aucunes. L'objectif final étant bien sûr
d'acquérir suffisamment de force morale pour travailler avec
joie dans la société profane afin
de la transformer en une
véritable démocratie moderne.
L'homme
de demain, responsable de la Beauté divine sera à
nouveau le
porteur de l'arche d'alliance, sublime symbole des vertus
chevaleresques et
véritable pont entre le Haut et le Bas.
Nous
pouvons être fier d'appartenir à une
société qui a décidé de
transmettre un tel esprit aux générations
suivantes. Mais nous devons faire très
attention de ne pas introduire des valeurs morales qui pourraient
contrarier
l'expansion naturelle du sentiment fraternel. Dans les temps qui
courent il est
tentant de considérer l'homme comme un produit asservit
à
un système économique et de l’aspirer
au nom de la modernité et du
progrès vers la négation de sa liberté
principielle afin qu'il devienne un
jeune loup au service
d'une caste financière. La reconnaissance du
mérite associée au seul force du
pouvoir est contraire à l'idéal
maçonnique et ne peut mener qu'à des actions
n'apportant que ruines et pleurs. Le maçon est un
constructeur qui doit insérer
sa pierre dans un édifice reconnu par tous. C'est son credo.
Ce dernier génère
parallèlement une prise en compte d'une action sociale
à la fois dans le monde
profane et dans sa loge.
La morale
maçonnique est complexe car elle nécessite une
adaptation
permanente de nos pulsions duales au service d'un altruisme universel. C'est
au nom de cette
complexité que la tolérance dérange ;
mais elle est nécessaire car elle gère la
communication entre les différents niveaux de conscience.
Sans elle,
rien ne pourrait être créer au service de l'homme
compte tenu
de sa diversité caractérologique et de son karma.
C'est une valeur essentielle
qui permet à chacun de nous d'arpenter les chemins vicinaux
de la connaissance
dans une reconnaissance fraternelle respectueuse des mérites
de chacun. Mais, par ailleurs, elle a
disparut dans la bouche de nos grands commis d'entreprise. Car elle ne
sert pas
le profit, ni le" juste
à
temps".
Il
y a donc une inadéquation entre les objectifs du monde
moderne et ceux
de l'homme en générale. Cela pose un vrai dilemme
pour le maçon engagé dans le
monde du travail. La discrimination par la recherche du plus fort et du
plus
qualifié engendre évidemment l'exclusion des
moins performants. C'est
inacceptable d'un point de vue maçonnique parce qu'elle
crée deux castes qui
génèrent des sentiments de haine l'une envers
l'autre. Tout système qui
construit des familles qui s'excluent par essence est mauvais. Comme
nous l'avons dit plus
haut, il faut s'élever au-delà de la ligne de
partage du pavé mosaïque
pour savoir
où nous allons poser les pieds. Ce choix est celui du
maçon
et devrait être celui de tout homme responsable. Il doit
simultanément
s'accompagner d'une prise de conscience afin de briser le miroir qui
reflète la
virtualité égotique. De cette manière
ils seront vraiment libres et de bonnes
moeurs pour créer dans la joie.
Jérémy
Bentham est un homme
qui a accepté cette démarche. Il a
développé
l'utilitarisme
qui est une
tentative très intéressante d'organiser une
société en terme
de maximisation des utilités au service de tous. Son
credo est que les hommes sont gouvernés par deux
maîtres, le plaisir et la douleur et qu'ils tentent
naturellement d'accéder au
premier et d'éviter le second. Bentham part
du principe que chaque individu préfère voir ses
buts, ses idéaux,
ses désirs réalisés plutôt
que frustes. Il est donc normal d'un point de vue
moral d'aider les autres afin qu'ils puissent réaliser leurs
besoins.
D'autre
part, chaque désir, chaque besoin
valent
indépendamment
de sa valeur morale ou éthique. C'est donc une philosophie
du progrès
démocratique moderne car elle est respectueuse des
mérites de chacun sans
discrimination professionnelle ou par l'argent.
Dans
un tel système, l'état doit évidemment
intervenir en tant que
gestionnaire du plaisir, du bonheur de chacun. Il doit
réguler les
dysfonctionnements des lois du marché par la
création d'activités au service
des plus démunis. Il
doit intervenir dans les crises économiques
pour identifier et satisfaire les
besoins de chacun. Le monde politique n'est que le gestionnaire du
bonheur des
citoyens et non pas le valet inconditionnel d'un système
commercial d'échange.
Il doit créer des lois afin de satisfaire
les besoins
de tous pour le
plaisir de vivre plutôt que la souffrance de vivre. Dans la
tradition
utilitariste le transfert de richesse des riches vers les pauvres
augmente
l'utilité de l'ensemble. Cette théorie est donc
très proche de la conception
maçonnique de la construction
du temple
universelle, car elle cherche à satisfaire
les besoins de l'ensemble des citoyens dans un concept
égalitaire tout en
respectant les diversités professionnelles, culturelles,
éthiques et
spirituelles. C'est une tentative vraiment cohérente pour
traduire
rationnellement le commandement : " Aime ton prochain comme
toi-même"
et pour donner une définition rationnelle de l'altruisme. Il
reste l'un des
modèles fondamentaux de la construction de l'état
moderne et égalitaire.
Si
cette théorie n'a pas pu vraiment s'imposer dans toute son
intégralité
c'est que les nations et les peuples ne génèrent
pas spontanément un sentiment
fraternel universel. Chaque pays puise dans son histoire les raisons
d'une
discrimination sélective. Aucune morale altruiste ne
naîtra d'une révolution
sanglante qu'elles qu'en soient les beaux principes. Ainsi, la
Liberté ne peut jaillir sur le dos de millions d'innocents
sacrifiés en son
nom, l'Egalité ne perdure pas dans la purification ethnique
et la Fraternité
n'apparaît pas sans spiritualité. Malgré
les extraordinaires succès du progrès
scientifique, le vingtième
siècle a été le plus sanglant de
l'histoire de l’humanité. Il y a donc une
inadéquation violente entre la notion de progrès
et la vie communautaire.
De
même qu'une loge est un microcosme de la
société, elle est aussi un
lieu sacré où les maçons peuvent avoir
les pieds sur Terre et la tête dans les
Etoiles. C'est dans un tel laboratoire qu'ils apprennent à
être libres en ayant
l'intime conviction d'appartenir à une seule et
même conscience collective. La
Terre est issue du Ciel et chaque être naît pour
vivre les vertus du Ciel, mais
le Ciel n'a pas besoin d'aide. C'est la pratique du sentiment
fraternelle qui
permet avant tout de réaliser les efforts au service d'une
vie communautaire
harmonieuse. Vivre ensemble exige un savoir particulier dont la
résultante
première est l'existence de liens de solidarités
pour assurer la cohésion et la
pérennité de cette conscience collective.
Le
maçon sait que les civilisations ne disparaissent pas
à cause du Ciel
mais par l'attitude des hommes. Son travail est sans relâche
au service du
perfectionnement de l'homme afin d'élargir son niveau de
conscience et de
responsabilité pour que l'Oeuvre en construction respecte la
cohérence venant du
Ciel et symbolisée par le G\ A\
D\
L\ U\
Mais
ce hiatus entre progrès
et vie communautaire n'est pas inéluctable car
dans l'étude que nous venons de partager nous ressentons
bien où le bas blesse.
Le
progrès ne peut pas être isolé du
contexte politique, culturel,
économique et spirituel. De même, l'Histoire des
hommes ne peut pas être dissociée
d'un état d'esprit qui rompt les déterminismes
de la matière en établissant des rapports
étroits entre le spirituel et le
temporel. La Maçonnerie lutte contre tout ceux qui veulent
esclavager la
liberté. Pour ce faire elle privilégie l'esprit,
le coeur et le caractère pour
qu'il n'existe qu'une seule famille humaine fraternelle. Pour se faire
comprendre elle doit aider les faibles, soulager ceux qui souffrent,
combattre
l'injustice, la misère, l'ignorance et prêcher
inlassablement les vertus du
coeur. Elle ne vit que par l'Homme et ne sera jamais le jouet d'une
machine ou
d'un concept fussent-ils le plus performant ou à la mode. Sa
matière première
est l'Amour, seule énergie divine qui nous rappelle que nous
devons aimer la
vie et en comprendre les arcanes.
C'est
dans un tel état d'esprit que nous pourrons continuer
à être
moderne tout en vivant les symboles issus de la
Tradition.
V\ M\ et Vous Tous mes Bien Aimés F\
Je vous
remercie de votre attention.
André
M\ -
Frère de la Loge Fidélité et Prudence
à l'Orient de Genève |