Fraternité Libertaire
Maçon
et
Libertaire ?
Vaste sujet car
traité maintes fois. Alors que pourrai-je
apporter de plus? Bien sûr je pourrai remonter aux sources,
relire les bons
auteurs (comme on dit). Mais ils sont si nombreux. Lequel prendre et
auquel
adhérer sans me mettre en danger, risquer que ma
pensée adopte une ligne de
conduite toute faite ?
Pourquoi tel ou tel
théoricien de la pensée libertaire
serait-il le meilleur et digne de devenir un guide pour celui qui pense
être de
cette sensibilité ? Suivre un guide sans le soumettre
à son esprit critique
n’est-ce pas déjà accepter de ne plus
être SOI?
Il me semble
qu’être libertaire est le résultat
d’une ascèse
intellectuelle tournée vers le SOI tout en étant
disponible pour l’AUTRE ; non
pas l’ÉTRANGER, mais le SEMBLABLE. C’est
se construire, faire de soi un HOMME,
LIBRE dans ses pensées et ses actes.
C’est aussi
être TOLÉRANT. Attitude positive vers tout ce
qui aide et installe une reconnaissance de l’HOMME
RESPONSABLE de ses actes.
Mon parcours professionnel m’avait déjà
amené à pratiquer des formes d’actions
peu courantes qui m’avaient mis parfois en
porte-à-faux par rapport à mon
Institution. La base des désaccords portait le plus souvent
sur un non respect
de règles. Règles ne me permettant pas
d’œuvrer au mieux de ceux qui
attendaient une réponse du système en place.
C’est ainsi que
j’ai installé dans mes lieux
d’affectation,
la transparence des décisions, des orientations et des
« comptes » et pratiqué
la co-gestion, voir l’auto-gestion. Ne pouvant changer
à moi seul un système,
j’ai préféré agir en
montrant que certaines formes d’actions pouvaient tout
à
fait venir battre en brèche l’existant et
soi-disant impensable à changer. J’ai
parfois été raillé mais aussi suivi et
les réalisations de nouvelles formes
pédagogiques centrées sur l’individu
ont bel et bien vu le jour. De même dans
la gestion des équipes administratives qui très
vite ont été responsabilisées
et libres de décisions dès lors que celles-ci
allaient dans l’intérêt de
l’INDIVIDU.
J’ai rejoins la Franc-maçonnerie par
idéal HUMANISTE, parce que le besoin se
faisait sentir d’approfondir une réflexion sur ce
que j’étais. Je voulais
confronter mes « utopies », acquérir une
méthode progressive permettant de
dégager l’HOMME de sa gangue.
Aujourd’hui j’entrevois quelques
réponses mais elles demandent encore à
être
soumises à critique. Je ne suis pas
gêné dans mes pensées car comme le
disait
Léo Campion « la vocation libertaire de la
Maçonnerie est indéniable (…) elle
est la seule association à laquelle puisse
adhérer celui qui n'adhère à rien
».
Je prends bien sur « adhère à rien
» dans le sens où une adhésion serait
un
renoncement à des idées personnelles par rapport
à des dogmes, quels qu’ils
soient.
Je trouve dans ma Loge une vraie Fraternité. Mes voyages me
font connaître des
Frères d’autres obédiences …
et certains par leur comportement et leurs idées
m’ont amené à une réflexion
plus pointue sur les miennes. Ainsi être de
sensibilité libertaire et être
Franc-maçon ne serait pas incompatible ?
J’ai entrepris
d’observer ma Loge pour voir si ses modes de
fonctionnement cadraient avec ce que je mettais dans un comportement
libertaire.
«Un maçon libre dans une loge libre». Je
reconnais que cela se pratique dans ma
Loge. Tout est fait pour que la liberté de chacun soit
respectée et que le
foisonnement des différences n’entraîne
pas - comme on pourrait s’y attendre -
le chaos. Chacun s’exprime très naturellement quel
que soit le sujet. La parole
est forte et entendue car chaque Frère est
considéré comme responsable.
Étudions comment se passent la plupart des
réunions-débats, des prises de
paroles, des discussions de groupe. Souvent ce ne sont
qu’attitudes convenues,
interruptions, monopole de la parole, … autant
d’outils qui entretiennent les
dominations. En Loge, pas de cela. Nous nous sommes donné
des règles pour
débattre, pour favoriser l'écoute, la prise en
compte des diverses opinions...
Les dialogues sont exclus, la parole demandée est
adressée à tous les membres
présents. La parole s’autorégule. Elle
n’en a donc que plus de valeur et de
poids. On ne la conteste pas, on l’enrichit par des nouveaux
apports, la
critique est toujours positive. A chacun de suivre une
démarche personnelle pour
prendre en compte les multiples facettes d’un
problème et se forger une ligne
d’action. Cette ligne, résultat d’un
apport collectif, ne peut qu’être un liant
et en aucun cas une « Vérité
révélée » à
accepter comme telle.
De là
découle cette nouvelle vision : ce n’est pas parce
que
les hommes sont égaux qu’ils ont les
mêmes droits, c’est parce qu’ils ont les
mêmes droits qu’ils sont égaux. Chacun
devient responsable et contribue à la
base de sa dignité. C’est pour cela que les
Maçons cultivent l’amour fraternel,
valeur universelle qui interdit la négation de
l’autre, son exploitation et
fait indiscutablement partie de la construction du Temple. Chacun de
nous est
donc à la fois responsable et tributaire de cette
équité, base de notre
dignité. L’équité entre
Frères vise le «juste». Elle impose un
travail
intérieur, une recherche de l’absolu et une soif
de justice.
Les règles de notre
rituel apportent à notre formule
«Liberté, Égalité,
Fraternité» une force encore plus grande car ces
mots
deviennent des facteurs nécessaires et favorables au
progrès humain et j’adhère
aux paroles de René Valfort: « Un milieu comme la
Franc-maçonnerie, dont les
principes fondamentaux sont : la tolérance, la
fraternité, la liberté de
pensée, le respect de la personne humaine, dont l'objet
principal est
l'éducation des individus et la formation d'une
élite, ne peut pas être inutile
au progrès de l'Humanité. Et de cela les
anarchistes, moins que quiconque, ne
doivent douter, vu l'importance qu'ils attachent à
l'éducation ».
C’est pourquoi je ne vois pas
d’incompatibilité entre
Franc-maçonnerie et
attitude libertaire. Les deux sensibilités concourent au
même but. Certes leurs
formes d’actions sont différentes mais les
idées sont les mêmes et la phrase «
un maçon libre dans une loge libre » prend tout
son sens : aucun dogme, aucun
système d’autorité ne peut asservir
l’Homme. Comment l’un et l’autre, le
Maçon
et le Libertaire, frères en Humanité ne
pourraient-ils pas s’asseoir et œuvrer
ensemble au sein d’une Loge. Pour eux le
dénominateur commun est l'Homme.
Prenons encore les fonctions occupées au sein
d’une Loge. Tous les ans il y a
élection des Officiers. L’un d’entre eux
est Le Vénérable Maître, qui en fait
n’est que l’administrateur de la Loge. Ils ne sont
donc « élus », « reconnus
»
par les Frères que pour un an.
Ces officiers ne sont pas des
« gouvernants », des
« mandataires », des «
représentants » mais des pairs qui,
conformément au mandat impératif,
révocable
et « tournant » qui les a
désignés doivent rendre compte, ont la charge de
tenir certains offices, et exécuter certaines «
missions » dans l'intérêt de la
Loge.
Leurs charges ne sont
attribuées que pour favoriser un
harmonieux travail de
l’Atelier et leur actes «
d’autorité » ne sont en fait que le
respect des règles
fixées en commun. A l’issue d’une charge
chacun retourne sur les colonnes.
Si on lit le Règlement de l’Obédience
on y voit tout un « système » pourvu de
tous les attributs habituellement image de pouvoir ou au sens large
d’autorité.
Mais il y a une très grande différence : tout
Maçon peut s’il le veut, quitter,
librement, sa Loge. Même dans ce cas extrême il y a
respect de son acte.
On est bien là dans une affirmation qui s'inscrit dans
l'Humanisme, lequel est
né avec la premier humain ayant pris conscience de ce qu'on
pouvait naître à
son humanité si on en faisait librement le choix. Choix de
s'engager mais aussi
de se désengager. L’engagement
maçonnique est scellé par la Liberté :
la
liberté du choix de l'individu d'abord, puis
Liberté ensuite, avec un grand
"L", constitutive d’une condition humaine.
De plus, regardons nos rituels. Ils ont évolué au
cours des siècles. Mais une
Loge peut aussi se donner un rituel. Toutes les règles
élaborées pour servir
les besoins humains doivent être par nature
adaptées aux circonstances et ne
doivent jamais pouvoir « s’institutionnaliser
».
C’est pour cela que je me sens bien en Maçonnerie.
Si mes aspirations
libertaires sont, comme je le crois, installées et
vécues elles ne gênent en
rien mon engagement et à la pensée de
Léo Campion j’ajouterai encore celle-ci:
« Tu dis que tu as choisi une idée parce qu'elle
est bonne, sache qu'en réalité
tu dis qu'elle est bonne parce que tu l'as choisie. » afin
d’être toujours en
veille
Enfin, pour terminer une définition que j’adopte
volontiers : « L'Anarchisme
est la passion de la Liberté mise en théories. Et
aussi en pratique lorsque
faire se peut ». (Dictionnaire Universel de la
Franc-maçonnerie).
Jean Richard
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