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La Fraternité


La planche que je trace ce soir a pour sujet « La Fraternité ». Une première approche nous amène à identifier deux thèmes principaux ; d’une part le lien charnel qui unit frères et sœurs au sein du foyer familial, la fraternité de sang ; d’autre part, ce lien de solidarité et d’amitié qui unit les hommes, les membres d’une société, fraternité de cœur, fraternité choisie, fraternité désirée.

La fraternité de sang relève d’une filiation biologiquement imposée. On ne choisit pas sa famille. A l’âge de l’enfance un fils unique ne s’imagine pas qu’un jour il devra partager l’attention et l’affection des parents ; devra partager les jouets, les jeux, l’espace de vie. La naissance du cadet emplit la maison de joie ; pourtant, ce bonheur intense génère une inquiétude ; à la prise de conscience par l’aîné que le bébé bénéficie de toutes les attentions, surgit un sentiment de délaissement ou d’abandon qui fait souvent naître des conflits entre frères et sœurs ; l’attitude jalouse de l’aîné est une réaction naturelle, il devra cependant admettre que le nouveau né bénéficie de droits équivalents. Les enfants éduqués dans une famille nombreuse auront toujours plus de capacités qu’un enfant unique à se socialiser, à s’intégrer aux monde des adultes. S’il existe des familles qui cultivent avec sincérité une affection authentique entre frères et sœurs, il en est d’autres pour lesquelles solidarité et amour fraternel s’estompent pour laisser place à l’indifférence. Dans d’autres familles une ambiance de conflit conduisant parfois à l’agressivité, n’est pas rare ; convoitise et jalousie, à l’occasion d’un héritage par exemple, peuvent donner naissance à des sentiments égoïstes et destructeurs.

La bible nous enseigne qu’à l’origine des temps, Dieu accepta les offrandes d’Abel mais refusa celles de Caïn. Cette provocation divine engendra les conditions du premier meurtre de l’humanité. La première fratrie se disputa si fort que l’aîné Caïn, par jalousie tua son cadet Abel. Colère et jalousie sont à l’origine du meurtre d’Osiris par son frère Seth. Romulus premier roi de Rome, pour s’approprier le pouvoir sans partage passa au fil du glaive son jumeau Remus. Tout se passe comme si l’avenir de l’humanité, ou la prospérité d’une cité devaient résulter de l’œuvre d’un individu unique, la tribu ne concevant pas une double autorité. Bien que condamnable, le meurtre fratricide fait pourtant parti du mythe fondateur des sociétés humaines.

Si dans le cas général la fraternité est lien de parenté imposé, pour nous francs-maçons elle résulte d’un choix et d’une motivation pour travailler à la réalisation d’un objectif commun : la construction d’un temple spirituel. En complément à la fraternité consanguine, il existe donc une fraternité de cœur que l’on ressent comme un sentiment d’appartenance qui s’impose, plus puissant que l’amitié ou la sympathie.

Le profane qui frappe à la porte du temple s’évertue, lors du passage sous le bandeau, à convaincre l’auditoire ; les maçons évaluent le potentiel de travail du néophyte, mesurent ces capacités pour œuvrer à la construction du temple. Lorsqu’à l’issu du passage sous le bandeau, le candidat ému et inquiet quitte la loge, nous procédons au vote protégés par le périmètre de la corde aux lacs d’amour. Cette corde symbolise le lien fraternel qui raffermit notre cohésion. Si le décompte des boules noires et blanches conduit à résultat favorable, le lien fraternel créé à l’issu de la cérémonie d’initiation deviendra un engagement réciproque irréversible, lien indestructible tressé par tous les participants. L’expérience commune de gestation, vécue au sein de la même matrice, le cabinet de réflexion, sacralise et rend indissoluble le lien fraternel qui nous unit.

Le thème de la fraternité suscite de nombreuses interrogations.

Comment naissent les sentiments de fraternité ?

Ce lien familial, lien sacré parce que lien de sang oblige au devoir moral de dispenser amour fraternel et protection à ses frères et sœurs. Mais l’on peut nourrir pour autrui un sentiment fraternel fort sans qu’il y ait aucun lien de sang.

C’est un lien de solidarité et d’amitié entre les hommes. Dans le contexte particulier de situations dramatiques naît parfois un comportement fraternel spontané. On parle d’élan de fraternité. Cet élan s’est vérifié par le passé, lorsque la troupe envoyée contre le peuple, refusant d’obéir aux ordres, fraternise avec les grévistes. Je pense notamment au 17ème régiment d’infanterie immortalisé par notre frère Montéhus : « Salut, salut à vous, Braves soldats du 17ème ».

Pendant la 1ère guerre mondiale d’autres soldats déserteurs fusillés « pour l’exemple » appartenant aux deux camps refusèrent de combattre et mirent crosses en l’air. L’ordre établi en est ainsi bouleversé car les troupes ennemies qui fraternisent prennent conscience de la barbarie d’un affrontement fratricide sacrilège. La fraternité se concrétise lorsque dans l’urgence, il y a intérêt commun à démonter les mécanismes conduisant à toute forme d’agression injustifiable. Jean Ferrat en fournit une illustration avec le cuirassé « Potemkine », lorsqu’il dénonce le meurtre « c’est mon frère qu’on assassine », ou qu’il supplie « marin ne tire pas sur un autre marin » ; il suggère qu’agresser le frère innocent du camp adverse c’est s’agresser soi même. L’appel à la non violence s’apparente là, à un acte fraternel.

Dans d’autres circonstances, l’agression de la patrie conduit des hommes décidés à se regrouper en guérilla ou maquis ; refusant oppression et occupation du territoire national, dans la clandestinité, ils s’organisent en réseaux de résistance pour combattre le despotisme de l’envahisseur. Ils deviennent alors des frères d’armes.

Dans ces deux exemples un grand courage entraîné par une prise de conscience conduit à une pratique réelle mais me semble t-il incomplète ou restreinte de comportements fraternels. Car lorsque ce sont des conditions ou évènements extérieurs qui la suscite, la fraternité spontanée reste éphémère. Pour qu’un sentiment de fraternité perdure entre les hommes, il lui faut un support, une structure associative et un projet commun motivant.

En maçonnerie la fraternité réunit des anneaux de solide métal en quête de purification. En entrant dans cette famille, l’apprenti est épaulé, entouré ; il profite du soutien dispensé par les maîtres. Dans la société profane nous étions électrons libres. Nous sommes dorénavant rattachés à la molécule de base de la maçonnerie, la loge mère. Ce petit électron n’est plus seul ; il fait désormais parti d’un tout et se nourrit d’amour fraternel. Il se sent soutenu par le groupe dans son apprentissage et ses premiers pas.

Cependant la fraternité ne doit pas être exclusive. Si nous nous bornions à cultiver la fraternité entre nous, nous commettrions l’erreur de nous enfermer dans le corporatisme. La fraternité ne s’arrête pas dans les parvis à l’issue d’une tenue ; à la clôture des travaux les surveillants promettent de continuer au dehors du temple le travail entrepris ; notre devoir est d’exporter la fraternité, de l’infuser dans le monde profane pour tenter d’améliorer la condition du genre humain.

Les franc-maçons travaillent à la construction d’un temple idéal, la réalisation effective de la fraternité universelle. Cependant au sein même de la maçonnerie, de graves rivalités persistent.

Ce chantier gigantesque sera toujours en perpétuelle activité. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ? La nature érode constamment notre travail. Atteindre une forme de perfection définitive conduirait à la contemplation béate de l’œuvre accomplie. Le Grand Œuvre terminé nous assignerait à une passivité éternelle donc à la mort. Travailler sans relâche à réunir les hommes dans la fraternité, par la fraternité, est une garantie salutaire de vivre.

Comment se cultive et s’entretient la fraternité ? Quels sont les outils qui permettent sa réalisation ? Est-elle une utopie ?

Frères de sang ou de cœur, la fraternité ne va pas de soi, il faut l’enrichir, la cultiver, la rendre démonstrative. L’engagement maçonnique nous a fait choisir d’entrer dans une famille dont, parrain mis à part, nous ne connaissions pas les membres. Cette démarche d’adhésion en aveugle, procède d’un sentiment absolu de confiance. La fraternité sans confiance serait un non sens.

Générosité, solidarité, confiance sont des outils indispensables pour resserrer les liens fraternels. Apprécier et valoriser les qualités de nos frères plutôt que mettre leurs faiblesses en relief permet de se nourrir et de s’enrichir des différences de chacun. Quiconque a une attitude tolérante, équitable, partageuse, bénéficiera en retour de la générosité de la collectivité. D’abord donner pour recevoir.

Sans tomber dans la complaisance, c’est à dire plaire pour plaire, l’apprenti démontre à la loge qui l’a initié ces capacités d’intégration ; il s’efforce d’être attentif. Le silence imposé l’incite à la pratique d’une écoute active ; l’enseignement dispensé étant perçu, non pas comme La Vérité mais comme un moyen pour l’atteindre. Chaque frère a présent à l’esprit le souci d’être disponible pour le groupe. Une fraternité démonstrative efficace passe par l’effacement du moi, par l’autodestruction de l’ego de chacun au profit du groupe.

Accepter les rugosités de l’autre, tout en travaillant à éliminer nos défauts n’est pas une tache facile. Cependant se complaire dans une tolérance condescendante qui conduirait à tout accepter de la part d’un frère serait malsain. La fraternité c’est parfois aider un frère à se replacer sur le rail de la raison, l’aider à affûter l’outil pour mieux rectifier sa pierre. Notre projet commun est de construire le temple idéal, mais de manière cyclique, le gros œuvre de l’édifice se fissure et demande à être consolidé ; les bases existantes ont parfois besoin d’être remaçonnées, d’être relissées à l’aide de la truelle outil symbolique de la fraternité pour gommer les imperfections des pierres en cours de polissage.

La fraternité utilise des outils pour se construire et s’enrichir, mais elle-même est un outil fiable. La fraternité est un but à atteindre certes, un objectif qui mobilise notre énergie ; elle est aussi un moyen, un socle sur lequel on peut compter. La fraternité est un véritable outil, mais un outil qui s’entretient, qui doit être régulièrement affûté. Elle est à la fois le sujet de nos préoccupations, idéal jamais atteint, mais supposé réalisable, et un objet bien réel, outil palpable efficace. La fraternité se battit sur l’échange de la transmission du savoir et la soif d’apprendre ; donner pour recevoir ; c’est prendre réel plaisir au partage des différences. La quête de vérité et de perfection ne peut se réaliser sans solidarité, compréhension et confiance en l’autre. La fraternité, force de cohésion qui assemble chaque pierre du temple, tire sa puissance de l’Egrégore, être vivant doué de conscience, créé par notre volonté. Elle n’est pas une utopie ou un rêve inaccessible puisque nous en ressentons les effets bénéfiques, mais pour l’éternité elle reste perfectible. La cérémonie rituelle la plus représentative est la chaîne d’union qui par le magnétisme, la concentration psychique et le serment prêté maintient la confrérie dans l’UNITE.

J’ai dit V\ M\

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