GODF | Loge : NC | 25/09/2011 |
Framitié,
breveté SGDG
Breveté SGDG ? Tout simplement parce que le mot valise "framitié" n’est pas de moi. Un F\ d'une autre loge l’a énoncé lors d'une rencontre récente. L’idée m’a plu, je l’ai reprise. Fraternité et amitié. Dans le monde profane, ces valeurs sont pensées comme proches. Qu’en est-il pour le monde maçonnique ? Freud a écrit un mythe fondateur de l’humanité qui permet de différencier deux grandes fraternités. Le livre de Roy Lewis « Pourquoi j’ai mangé mon père » romance cette fiction de façon plus drôle que le résumé que je propose ici. Au tout début, il y a la horde primitive, avec son chef terrifiant de violence. Il accapare à son seul profit toutes les richesses : il use de toutes les femmes, y compris de ses propres filles et en interdit l’accès aux autres hommes, ses fils. Pour la nourriture, il se sert d’abord à l’envie et envoie les autres membres du clan chasser et cueillir pour lui. Non seulement il est le mieux nourri, mais encore il est à l’abri des accidents de chasse et généralement des mauvaises rencontres. Les fils sont frères… mais ils ne le savent pas : leur fraternité est celle de l’assujettissement dans la violence du chef, dans la terreur. Les rebellions individuelles trouvent rapidement une issue. Il existe grosso modo deux possibilités. Pour la première, le rebelle échoue, il est exécuté, ce qui manifeste quand même une bonne dose de prudence, voire d’intelligence de la part du chef. La seconde solution est à peu près aussi simple : le chef est vaincu, il est exécuté par la vainqueur, ce qui est le destin de tous les chefs de horde. Un nouveau chef est appelé à régner, les autres mâles, les frères du nouveau chef se soumettent alors … ou disparaissent. L’histoire peut se poursuivre. Freud ajoute qu’il existe une autre façon d’être frère. L’autre fraternité est issue de la coalition de tous les fils contre le chef de la horde, leur père. Ensemble, ils sont forts, ils le tuent. Pour ne pas reproduire cette violence insupportable, ils créent des instances de régulation entre eux, ils créent des institutions politiques. La civilisation peut alors advenir. Le meurtre du chef de la horde les rend honteux : l’organisation sociale est née dans le sang. En tuant le tyran, ils se découvrent à la fois fils, frères, tous dotés d’un père à jamais disparu. Leur fraternité s’exprime et se vit dans le partage de la même expérience, essentiellement honteuse. Si l’on suit Freud, nous sommes en présence de deux types de fraternité. Pour le premier type, la fraternité est réduite à une expérience commune dans l’assujettissement à la violence. Est-que cette fraternité est absente de notre époque ? Je ne le pense pas. L’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma raconte l’épopée contemporaine d’un enfant soldat dans son roman « Allah n’est pas obligé ». Qu’est-ce que Kourouma nous dit ? L’enfant soldat fait d’abord l’objet d’une initiation et vit ensuite une grande fraternité. Bref, que des termes qui nous sont chers, à nous FM\. L’initiation consiste à commettre un crime abominable devant des témoins. Il s’agit de faire en sorte que l’enfant ne puisse plus jamais revenir en arrière, casse radicalement avec tout ce qu’il a été jusqu’à présent. Au sens propre, ce crime ouvre à une nouvelle naissance. Ensuite, l’initié vit dans la fraternité avec ses pairs, tous liés par un crime identique, sous la férule de l’initiateur. La seconde fraternité fonde la civilisation et ses institutions. Elle est fondée sur le meurtre du chef de la horde qui, à peine assassiné par les fils coalliés, prend alors une figure de père, parfois d’un dieu. Ce fait anthropologique, nous dit Freud, est la source des conceptions déistes de la vie : le tyran assassiné est déifié, il est considéré comme la source et la condition de la société des hommes et c’est vrai si l’on suit ce mythe. Cette seconde fraternité est plus apaisée que la première. Les institutions sont là pour accompagner et encadrer l’évolution de chacun, pour baliser la violence qui peut resurgir n’importe quand, n’importe où. Nous avons besoin des institutions pour mettre au plus loin la violence fondatrice qui demande peu pour réapparaître, y compris dans nos anciennes civilisations : l’Europe a connu une guerre il y 20 ans… à une heure d’avion de chez nous … La première fraternité confond les frères dans la violence du tyran. La seconde les constitue comme frères d’une humanité plus régulée par les institutions et la civilisation. Ce mythe raconte les fondements de la fraternité humaine, aux bases de notre fraternité maçonnique. Notre fraternité maçonnique s’inscrit dans celle du processus civilisationel, celle qui rend nécessaire les médiations des institutions, dont les nôtres, constituées de nos outils, de nos méthodes, de nos rites, mais aussi de chacune de nos obédiences et de leurs organisations. Monde commun des SS\ et des FF\ en fonction des obédiences, la pratique maçonnique appelle la fraternité civilisationnelle : elle procède d’une expérience commune. Elle est espace partagé d’un cheminement individuel et collectif. L’égrégore devient la manifestation de cette fraternité, de ce partage dans lequel l’ensemble des FM\ présents dans le temple est plus que la somme de chaque FM\. Ce qui est spécifique à la fraternité maçonnique est qu’elle est médiatisée, construite à partir de nos outils et de nos méthodes maçonniques. Outils avec l’équerre, le compas, le niveau, le fil à plomb. Méthodes avec la méditation, les silences, la construction et l’approfondissement d’une pensée singulière pendant et hors des prises de parole. La fraternité se construit dans le partage de cette expérience commune en loge. Toutes obédiences et toutes loges confondues, la fraternité comme mouvement se poursuit dans la salle humide sous la forme de l’amitié que les FF\ et les SS\ éprouvent les uns pour les autres. L’amitié autorise des rapprochements, des complicités, des élans. Si l’amitié a toute sa place en salle humide, elle contribue, en tant que sentiment, à brouiller la pensée et la posture de chacun en Loge. De ce point de vue, elle est laissée à la porte du temple. La framitié est donc de mouvement en deux temps, en deux lieux qui intègre le FM\ au monde. Il taille sa pierre, réfléchit en sécurité dans le temple et il s’ouvre au monde sans crainte avec l’amitié qui le soutient. La dialectique de l’amitié et de la fraternité le porte au doute sans aigreur, à la curiosité partagée, à la découverte incessante du monde. Cette dialectique heureuse fait la « joie dans nos cœurs ». J’ai dit VM\. D\ A\ |
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