Obédience : NC Loge : NC 16/04/2011

Les Trois Marches

Elevé dans une famille sensible au milieu montagnard, j’ai toujours étais confronté au besoin intangible de grimper, de prendre de la hauteur, de voir de plus haut les constructions et édifices que nous offre la nature, de m’élever par la force de mes jambes. J’ai été sensibilisé aux embuches et pièges de la montagne qui sont nombreux, sournois, parfois indétectables même pour un guide (que je ne suis pas) qui, dans ce milieu naturel pourrait être considéré comme un « maître ».

J’ai donc passé une partie de mes loisirs à monter et à escalader puis à descendre, glisser et dévaler des pentes ou des versants escarpés.

Aujourd’hui me voici jeune maçon et je suis confronté en tant qu’apprenti, à un défi ascensionnel qui dépasse tout ce que j’ai pu réaliser à ce jour.

Je ne sais ni lire ni écrire mais je découvre et déchiffre sur le tableau de loge de mon grade, véritable « présentoir » d’objets hétéroclites, des symboles figuratifs dont l’un d’entre eux représente l’accès à une porte par trois marches, trois paliers, trois degrés, trois étages, trois plans… Que signifient-elles ? Pourquoi sont-elles-la ? Pourquoi sont-elles au nombre de trois ? Quel message veut-on me faire passer, me transmettre? Quel sens suis-je en droit de leur donner ? Quel défi dois-je relever ? Est-ce une nouvelle invitation à l’ascension d’un sommet caché que je ne distingue pas encore car trop imprégné, voir trop englué, dans les brumes et brouillards matériels de mon ancien aveuglement ou de mon ignorance ?

Le challenge qu’ouvre ce questionnement n’est pas matériel, il n’est pas basé non plus sur la simple force physique mais sur la force mentale, intellectuelle, réflexive.

En fait, depuis mon initiation qui commença par mon passage dans le cabinet de réflexion, dans ce lieu obscur et noir ou le rituel maçonnique me fit prendre conscience ,entre autres choses, de la brièveté et de la fragilité de la vie, je suis déjà en marche, j’ai commencé ma progression, mon ascension. Je suis sorti de la terre telle la graine qui fermente pour donner naissance à une nouvelle plante attirée par la lumière et guidée par elle. J’ai laissé mes métaux et rédigé mon testament philosophique puis me suis tourné vers l’est ou la lumière me fut donnée par ces trois mots du vénérable Maître : crée, constitue, reçoit. Je venais de recevoir une influence spirituelle, un adoubement comme les chevaliers de l’époque du moyen-âge qui bercèrent les histoires et les jeux de mon enfance. Dés lors, je devenais à même de relever le défi, et le désir, de participer à cette « grande cordée » à cette grande entreprise morale, en quelque sorte sacrée, que l’on m’offrait.

C’est ainsi que se faisant, j’ai débuté mon ascension, maladroitement par les trois pas de l’apprenti, le pas trainant je me suis approché des marches à gravir dans l’espoir qu’un jour la porte du temple me soit ouverte. Je suis passé du monde profane au monde initiatique et, pour progresser et tendre vers une métamorphose, je dois gravir et entreprendre l’ascension de ces marches.

Mais quel sens faut-il donner, quelles significations dois-je apporter au terme « marche » ?


Dans le dictionnaire profane du « Larousse illustré » la lecture de la définition du terme possède plusieurs sens :
  • Issu du verbe marcher, c’est l’action de celui qui marche ;
  • Physiologiquement la marche est la forme la plus ordinaire de la locomotion humaine ;
  • Musicalement, et la je parle sous le couvert de mon frère Henri, les marches sont ordinairement écrites dans un mouvement large, sans hauteur, à quatre temps, les temps forts étant vigoureusement appuyés de façon à bien soutenir l’allure de la troupe qui défile ;
  • Plus communément ce mot est tiré du latin « scalaria » pour désigner le degré qui sert à monter et à descendre, (par exemple une marche d’escalier) ;

Dans le monde profane le terme marche possède donc plusieurs significations selon l’action ou l’état, selon à qui ou à quoi, l’utilisateur fait référence. Pour ma part je ne retiendrai que le dernier sens celui de degré.

En effet, si l’on veut approfondir la définition, en architecture, la marche, le degré est une pièce horizontale sur laquelle on pose le pied. Dans sa forme une marche peut-être droite ou carrée, balancée, dansante ou biaise. Dans un escalier, la marche du bas est la marche du départ, celle du haut est la marche d’arrivée ou palière. A la marche répond la contre marche qui est la partie verticale entre deux marches. La contre marche a pour vocation de sécuriser un escalier.

Au niveau planétaire, cette notion de marche, de degré, apparait dans les constructions de temples ou d’édifices sacrés de nombreuses civilisations. Les pyramides égyptiennes, les temples amérindiens : incas, aztèques mayas, les mastabas syriennes, babyloniennes, sont construites selon une architecture en degrés. Cette architecture constitue une forme symbolique d’escalier monumental indiquant une progression vers le savoir, une invitation à une ascension vers la connaissance et la transfiguration. S’élevant vers le ciel, ces monuments incitent à la connaissance du monde apparent et spirituel, ils possèdent aussi une signification astrale et psychologique.

Astrale car les degrés figurent le chemin que le soleil parcours durant l’année.

Psychologique car les marches représentent des étapes, des stations sur le chemin de la délivrance. Dans les civilisations précolombiennes, au sommet de l’édifice ce tient l’autel sur lequel une victime était conduite pour y être sacrifiée. La victime symbolise la libération de l’homme de ces liens organiques. La mort constitue le renoncement aux joies terrestres et, le devenir, la récompense d’une renaissance spirituelle. Pour la victime non consentante, c’était cher payer cette libération !

Dans le temple maçonnique cette notion de marche, de degré, si elle est plus modeste dans sa réalisation physique, n’en est pas moins symbolique.

Dans l’observation des lieux, les trois marches ne sont pas matérialisées dans le temple et ne sont pas non plus à l’entrée de celui-ci comme on peut le voir sur d’autres édifices ou autres constructions. Par contre, elles sont de part et d’autre de l’autel des serments. Elles sont la pour permettre l’accès aux plateaux des officiers et à celui, plus lointain, du vénérable Maitre.

Elles figurent uniquement sur le tapis de loge et indiquent à l’apprenti, dés son initiation, qu’il aura à progresser par degré successifs et que pour chaque palier, il devra prendre le temps de comprendre, de se poser, de s’imprégner de la vie de la loge de la pensée de ses frères et sœurs maçons.

Sur le tapis de loge, c’est donc par trois marches que se fait l’accès au temple de Salomon. En règle générale, dans tout les temples, églises, sanctuaires ou autres édifices, le lieu le plus sacré est placé à une certaine hauteur du sol pour montrer que le sacré n’est pas du domaine du terrestre, et qu’il est aussi nécessaire de travailler pour accéder à la connaissance. Les trois marches sont la pour rappeler à l’apprenti les trois voyages de son initiation qui représentent son premier contact avec le monde spirituel. Elles symbolisent son âge. Chaque marche évoque un état, une étape à franchir, un progrès à réaliser. Elles sont un révélateur du symbole de l’ascension. Cet escalier de forme réduite, est symbole de passage d’une existence à une autre, de la communication entre le ciel et la terre. Cette notion de verticalité, reprise dans la symbolique du fil à plomb, pousse à la connaissance de son moi intérieur au travers de l’ascension et de l’introspection.

Elles peuvent également représenter les trois stades de la vie : jeunesse, maturité, vieillesse ; ou encore successivement, le plan physique ou matériel, le plan médian ou intermédiaire révélant le monde en creux du monde physique, et le plan psychique ou mental. C’est trois plans correspondent à la division ternaire, aux trois composants de l’être humain : corps, âme, esprit.

Enfin on pourrait penser que la première marche s’identifie aux premiers pas de l’apprenti, la seconde représente le binaire qu’il doit passer au prix d’efforts pour se libérer des contingences matérielles et atteindre ainsi la troisième marche symbole du ternaire.

Dans le temps de la Rome antique les pontifes et autres grands personnages donnaient à ces trois marches, ces trois degrés, ces trois niveaux, le nom de: discipline, initiation, adeptat (du terme adepte qui signifie personne initiée au secret d’une doctrine).

La franc-maçonnerie en à fait : l’apprentissage, le compagnonnage, la maitrise.

Toutes ces tentatives d’explication toutes ces notions, se déclinent sur le mode ternaire. Il serait difficile d’en faire abstraction et de mettre à l’écart le chiffre trois. Très succinctement, Le « trois », nombre de l’apprenti, se défini pour certains comme étant le nombre mystérieux qui intervient comme la signature de la création dans l’ordre maçonnique. Symbole du ciel il se rapporte à l’esprit. Mesurant un temps qui n’a pas de limite, il correspond aux trois degrés d’actions qui relèvent du cercle : la médiation, la spéculation, la contemplation. Pour Aristote « trois renferme toute les dimensions possibles : le commencement, le milieu, et la fin formant ainsi le nombre de l’univers … »

Avant de clôturer ce morceau d’architecture, et reprenant le fil de mon avant propos, je dirais, qu’en comparaison avec le milieu naturel étagé montagnard, la première marche correspondrait au domaine de la beauté physique :des champs, des prairies, des fleurs et des arbres, la deuxième à celui du domaine minéral ou toute végétation à disparue mais ou la roche et les minéraux apparaissent et livrent leur richesse, leur vitalité et leur force, la troisième celui du domaine des neiges éternelles, celui que les géographes qualifient de « nival » et qui est le but final de tout ascensionniste. C’est celui ou l’esprit prend le pas sur le corps, ou la fatigue s’estompe pour ne garder que la pureté de l’air. Celui ou le regard porte à l’infini et ou les domaines qui s’étalent à vos pieds apparaissent minuscules et insignifiants.

Mais de même qu’une pièce de monnaie à son avers et son devers, ce qui à été gravi peut être, et dans certaines circonstances doit être, descendu. Dans la bible, lorsque les tables de la loi furent données à Moise malgré la béatitude et l’illumination dont il fut semble-t-il rempli, il dû redescendre de la montagne pour les transmettre à son peuple.

De même, le vénérable maitre, sa tâche accomplit, descend de l’orient ou il a contribué à la progression et à l’enrichissement des frères et des sœurs de la loge, pour rejoindre l’occident, ou, dans l’ombre, remplie de la sagesse acquise, il contribue à faire progresser la loge, regard directement tourné vers la lumière de l’orient.

Pour le maçon, l’ascension vers les cimes est donc constante, sa quête de connaissance est perpétuelle. A l’inverse d’un sommet montagneux qui peut être atteint et vaincu, celui qu’il vise et difficilement atteignable et nécessite une progression continue degré après degré.

Heureux donc l’apprenti qui non plus physiquement mais en esprit sera arrivé à gravir ces trois marches. Il pourra alors considéré qu’il est en bonne voie pour poursuivre son ascension. Les éclats de sa pierre brute viendront grossir les fondations du temple et la pierre ainsi taillée viendra rejoindre l’édifice commun.

J’ai dit vénérable Maître et vous tous mes frères et sœurs en vos rangs, grades et qualités

B\ S\


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