Judaïsme
et
Franc-Maçonnerie
Roi de Judée et
d’Israël fils de David, Salomon règne sur
un territoire qui va de l’Euphrate
à l’Egypte. Au Xe
siècle avant notre ère, la capitale du
royaume est déjà Jérusalem,
là où Salomon fait construire le premier Temple
des
juifs grâce à la main-d’œuvre
d’esclaves taillables et corvéables à
merci. Le
roi est le roi, son autorité est sans partage, son jugement
supposé inspiré de
Dieu. Les ouvriers sont légion: dix mille hommes coupent les
cèdres du Liban,
cent cinquante mille hommes portent et taillent les pierres; comme il
se doit,
une minorité, trois mille trois cents hommes, surveillent
ceux qui travaillent.
Le Temple est bâti en une trentaine
d’années, sur le mont Moriah, la montagne
de Sion. « Vanité des vanités, tout est
vanité», dit cependant la Bible.
Le Temple est endommagé
plusieurs fois, avant d’être
détruit en -586 par Nabuchodonosor. Au retour de
captivité des juifs de
Babylone vers -536 le temple est reconstruit, puis Hérode le
Grand le fit
agrandir et embellir, jusqu’à ce que Titus, au 1
siècle de notre ère, le
réduise définitivement en cendres. Rome a raison
de Jérusalem.
Dix-sept siècles plus tard,
des Européens un peu fous
rêvent de reconstruire le temple de Salomon. Toutefois, ils
ne sont ni juifs ni
ouvriers. Ils décrètent donc que la reconstruction
sera symbolique. Pour ce faire, il
faut des outils. Ceux
des maçons sont là :
l’équerre, le compas, le fil à plomb,
la truelle, le
maillet, le ciseau. Des outils trop lourds à porter
cependant, trop difficiles
à manier pour des intellectuels. Qu’à
cela ne tienne, ils seront déclarés «
symboles ».
Ces Européens, Anglais et
Ecossais pour la plupart,
s’appellent francs-maçons entre eux et veulent que
le monde les reconnaisse
comme tels. Salomon pouvait compter sur l’aide d’un
habile fondeur, un dénommé
Hiram. Au XVIIIe siècle, Hiram n’est plus, il faut
le remplacer. Mais que faire
d’un fondeur, même s’il peut
ériger les colonnes du Temple? Mieux vaut
s’adjoindre un architecte digne de ce nom, un
maître ès constructions.
D’autant
que le projet de reconstruction a pris cette fois
des proportions démesurées, proprement
titanesques :
ce n’est plus seulement le temple
de Salomon qu’on ambitionne de construire
à nouveau,
c’est l’humanité tout
entière! Une
véritable utopie, un vent de folie qui souffle sur
le Vieux
Continent.
Pour un temps, Rome l’avait
emporté sur Jérusalem. Les
temples étaient détruits, anéantis.
Les
Romains avaient tué Jésus, le roi des Juifs. Mais
c’était sans compter sur les
francsmaçons, qui
allaient prendre le relais, épouser la cause des juifs,
devenir comme eux le vecteur de l’histoire.
Reconstruire
l’humanité! Il faut des
centaines et des centaines, des milliers et des milliers
d’architectes, des clones d’Hiram
qui forment la chaîne d’union,
de génération en
génération, qui se
transmettent le message.
Reconstruire l’humanité! Eh quoi! II y a
bel et bien
une alliance objective entre juifs et
francs-maçons! Rien à voir avec la
judéo
maçonnerie chère aux antis
maçons et aux
antisémites de tous poils.
Rien à voir avec un complot ourdi dans le secret
des loges
ou dans les
arrière-salles des synagogues. Juifs et maçons
devaient
se rencontrer, se prêter main-forte, unir
leurs efforts pour qu’advienne
la Jérusalem
céleste... terrestre et universelle à la fois.
La
lumière luit dans les ténèbres et les
ténèbres ne l’ont
pas comprise», disent
ensemble l’évangile de
Jean et le rituel maçonnique. Longtemps, les
chrétiens n’ont pas reconnu les juifs.
Longtemps, les
maçons ont été chrétiens.
Mais que
des frères bénéficiaires
d’une élection humaine n’aient
pas vu tout de
suite dans les
juifs leurs frères, bénéficiaires
d’une élection divine, voilà
peut-être
le paradoxe biblique.
Elire, c’est choisir. Choisis par Dieu ou choisis
par les
hommes, sortis du lot de la commune
humanité, juifs et maçons ne pouvaient
que susciter
l’incompréhension et la jalousie, avant
d’être
les victimes de la haine meurtrière.
C’est le sort
réservé aux minorités actives,
naturellement
élitistes parce que élues. Les
dictateurs et les
dogmatiques de tous les temps ne s’y sont
pas trompés: en pourchassant juifs
et maçons
d’une même vindicte, ils ont donné corps
à leurs
fantasmes. Investis d’une mission
qui les
dépasse et qu’ils ne parviennent pas à
remplir, les
boucs émissaires sont désignés
coupables. Coupables de
n’avoir pu reconstruire le Temple,
coupables de n’avoir pu arracher
l’humanité
à l’ignorance, au fanatisme, à la
superstition.
Justement, mon F, parle nous de la
rencontre des Juifs et des FM. Fut
elle d’emblée harmonieuse?
Tordons
d’emblée le cou à une idée
reçue : entre juif et
FM, la tolérance fut loin d’être
une vertu
naturelle qui s’imposa spontanément lors de la
création de la FM, une institution pourtant
fondée au début du XVIII siècle sur
cette idée
généreuse. Et pour cause… la difficulté
de la pratique de la tolérance vient en
réalité
de ce qu’elle met en jeu l’acceptation de
l’Autre, du différent, du dissemblable.
L’étranger est
étrange. Tolérer c’est accepter ce
qui nous est étranger.
Lorsqu’ils se rencontrent
pour la première fois, juifs et
francs-maçons ne se reconnaissent
pas d’emblée. Leurs yeux mettent du temps
à se dessiller. Des
rabbins s’étonnent que certains de leurs
coreligionnaires souhaitent sortir des murs étroits
de leur ghetto. Parce qu’ils sont juifs.
Des
chrétiens rechignent à initier des juifs.
C’est
à
croire que tous feignent d’ignorer que les rituels
maçonniques sont construits autour
d’épisodes
bibliques, que des hébraïsmes
sont utilisés
à foison, que le calendrier maçonnique
s’inspire
de la chronologie juive, que la Kabbale est juive avant
d’être chrétienne. Au XVIIIe
siècle, il était de bon ton
d’être
francmaçon, si l’on avait de
l’estime pour
soi-même et si l’on voulait
tenir son rang. Princes et nobles, philosophes et
scientifiques,
prélats et religieux,
tous voulaient en être : on payait cher quelquefois
les
passages à des degrés supérieurs. Pour
cette élite en mal de fraternité,
l’égalité n’était
qu’un
mythe. Pour les juifs de l’Ancien Régime qui
voulaient compter dans la société,
l’entrée dans une loge maçonnique
constituait un
vecteur
d’émancipation en même
temps qu’un lieu
de sociabilité hors du commun. Pour eux, la
franc-maçonnerie aura été ce
creuset idéologique et philosophique où
se
préparaient leur
émancipation et l’acquisition de
leurs droits
civiques. Que les trois siècles d’histoire de la
maçonnerie soient jalonnés de
préjugés anti-juifs et de
réactions
antisémites ne doit pas cacher
cette réalité.
Reprenons d’ailleurs
l’origine de
la franc-maçonnerie spéculative
Elle
a vu le jour au XVIII siècle, dans l’Europe du
siècle
des Lumières. Ce n’est pas un hasard.
Sous la forme
qui était la sienne alors, et qui
annonçait le visage qu’elle
offre aujourd’hui,
elle n’aurait pu qu’au prix
d’insurmontables
difficultés naître un siècle ou deux plus tôt. Seule
l’émergence des Lumières a pu permettre
l’éclosion d’une
société aussi
originale et novatrice.
Pour autant, si la maçonnerie est
fille des Lumières, elle conserve une
place
singulière au sein du large mouvement
d’affranchissement des esprits qui caractérise
cette époque.
C’est qu’elle s’affiche comme
résolument
pluraliste, ainsi que l’ambitionnent
ses fondateurs, les
protestants Anderson, Desaguliers et
l’équipe qui, avec eux, travaille à la
rédaction
dès Constitutions de 1723.
Rappelle nous le texte de
l’article premier de la deuxième partie des
Constitutions, les « obligations»
du maçon.
Cet article
célèbre, intitulé «concernant
Dieu et la
religion », renseigne sur la conception
de la
franc-maçonnerie naissante que partageaient les
fondateurs. Il évoque en particulier
l’orientation
philosophique et religieuse de la jeune
société maçonnique. On comprend
dès lors qu’il concerne au
premier chef l’étude des rapports
entre judaïsme et franc- maçonnerie.
Très souvent
cité et abondamment commenté, il
mérite d’être
reproduit ici in extenso «Un Maçon est
obligé, par son engagement, d’obéir
à la loi
morale, et s’il comprend correctement l’Art, il ne
sera jamais un athée stupide ni
un libertin irréligieux. Mais quoique
dans les temps anciens,
les Maçons fussent obligés, dans
chaque pays, d’être de la religion de
ce pays ou nation,
quelle qu’elle fût, aujourd’hui, il a
été considéré plus commode
de les astreindre seulement à
cette religion sur laquelle tous les
hommes sont d’accord, laissant à
chacun ses propres
opinions, c’est-à-dire d’être
des hommes
de bien et loyaux ou des hommes d’honneur et de
probité quelles que soient les
dénominations ou croyances religieuses qui
aident à les
distinguer, par suite de quoi, la maçonnerie
devient le Centre de l’Union et le
moyen de nouer une
amitié fidèle parmi des personnes qui
auraient pu rester à une perpétuelle
distance.»
Que nous
enseigne ce texte
fondateur ?
Ce
texte comprend deux idées
essentielles et fondatrices.
Il y est dit d’une part que la franc-maçonnerie
naissante est une
institution qui ambitionne de réunir des
personnes diverses dans une fraternité pluraliste
et d’autre part que la religion
du maçon est le déisme.
Les Constitutions
consacrent à leur façon le principe de la
religion naturelle en n’ouvrant les
loges
qu’à ceux qui partagent «la
religion sur laquelle
tous les hommes sont d’accord».
Les ateliers
maçonniques sont alors composés de
chrétiens
de toutes confessions, de quelques rares juifs et de musulmans, et les
athées y sont plutôt
rares au XVIII siècle. Mais on aurait
tort de
n’expliquer le caractère relativement pluraliste
de
la nouvelle société maçonnique que
par le seul jeu du
déisme partagé peu ou prou par tous les
membres.
Mon F peux tu m’expliquer
pourquoi certains éléments bibliques se trouvent
présents dès les origines de
la franc-maçonnerie ? En effet comment nier ou ignorer
cette influence au regard des
éléments symboliques proprement juifs, des
hébraïsmes qui donnent aux rituels
un accent particulier et qui empêchent de concevoir la
maçonnerie comme une
société exclusivement chrétienne et
par ailleurs n’y a-t-il qu’une influence de
la tradition juive
Il ne faut pas sous-estimer
l’influence du protestantisme
en ce domaine. Au XVIII siècle, l’Ancien
Testament est à l’honneur, les
prénoms bibliques à
la mode et le pluralisme théologique encouragé,
sur fond de tolérance sur le terrain
du déisme moralisateur, judaïsme et
christianisme réformé peuvent facilement se
rejoindre
l’Alliance» bien proche de celle du
judaïsme. Dans ce contexte, on peut concevoir que
les
fondateurs de la franc-maçonnerie moderne soient
des protestants pétris de culture biblique
pour lesquels l’hébreu n’est
point une langue incompréhensible, ni la Bible
juive un livre qui
ne peut être lu et interprété
qu’à la lumière du Nouveau
Testament.
Cette
influence ne se fait elle pas
plus sentir aux degrés supérieurs ?
En effet, aux
différents degrés de la
franc-maçonnerie, les
références aux textes sacrés restent
des
références d’ordre traditionnel, sans
aucune liaison à
la pratique d’une quelconque
religion. Les rituels
maçonniques et leurs récits
initiatiques et légendaires trouvent une
authenticité
dans un rattachement à des textes sacrés, mais
c’est l’interprétation
ésotérique et
non religieuse, qui
prime et leur donne une haute valeur
symbolique »
Au rite
écossais ancien et accepté, cinq
degrés se référent
à la construction du temple de
Salomon : le
maître secret (4e), le maître parfait (5e), le
secrétaire intime (6e), le prévôt et
juge (7e) et
l’intendant des bâtiments (8e). Le
treizième
degré du rite écossais ancien et
accepté est
celui de Royale Arche ou chevalier de
Royal-Arche. De quelle arche parle- t-on?
De celle de
Noé, mais aussi de l’arche d’alliance de
Moïse
et de l’arche du saint des saints du
temple de Salomon. On
trouve aussi dans ce degré des
références multiples à la Kabbale,
notamment à
« l’arbre des sefirot ».
Lors de
l’initiation à ce degré, les noms des
sefirot sont prononcés en
hébreu. Le treizième degré est sans
doute
celui qui est le plus empreint de la
tradition
ésotérique juive.
Au
trente-deuxième degré du rite écossais
ancien et
accepté, le Sublime Prince du Royal
Secret, le nom
sacré de l’Eternel est
évoqué.
La Bible servira de
cadre au déroulement rituel et graduel
de la maçonnerie, mais aussi les
légendes
nées autour des événements bibliques.
Parmi ces
légendes : Hiram, la reine de Saba,
le forgeron
Tubalcaïn et le roi Salomon dont il est
question dans des rituels anglo-saxons, la
franc-maçonnerie
constitue une des formes d’expression de
la tradition judéo-chrétienne au
sens où elle
unit le judaïsme et le christianisme, les deux
Testaments :
L’usage de
l’hébreu pour les mots sacrés, les
continuelles
références aux temples de
Salomon et de Zorobabel,
le calendrier lunisolaire, le
travail tête couverte au 3e degré, la
datation rituelle
coïncidant à peu de chose près avec la
datation hébraïque, tous ces indices et
bien d’autres
sont là pour attester l’importance du
trésor
symbolique hérité des fils de l’ancienne alliance.
Peux tu nous
expliquer quelle différence
y a- t- il entre le calendrier
maçonnique
et le calendrier juif
?
Le calendrier
maçonnique fait débuter
l’année au ler mars
de l’année civile ou profane à
laquelle on ajoute 4000.
Ainsi, le ler mars 2000 est-il le
ler jour du 1er mois de l’an 6000 pour
les maçons
alors que pour les juifs il représente le 24e
jour du mois d’Adar de l’an 5760, qui
s’écrit
Adar 24, 5760. Dans le calendrier maçonnique, cette
adjonction de 4000 ans serait due à Anderson
lui-même qui fait remonter la création du monde
à quatre millénaires avant Jésus-Christ. Dans le calendrier juif, des
calculs savants basés
sur les données bibliques ont amené
des rabbins,
dès avant le IX siècle, à fixer la
date de la
création du monde à 3761 ans avant
notre ère.
Que peut on dire des
hébraïsmes dans la franc-maçonnerie ?
Les
hébraïsmes dans la franc-maçonnerie, qui
se bousculent
au gré des degrés pratiqués, et
dont la
présence semble incongrue tant leur signification
échappe à la plupart de ceux qui les
utilisent?
C’est une question qui taraude les esprits des
maçons depuis le siècle
précédent.
Certes, la critique
historique aurait tôt fait,
aujourd’hui, de démonter
l’hypothèse mythique
d’une origine
templière, hébraïque ou
égyptienne de la maçonnerie.
Certains auteurs prétendent
trouver
l’origine des mystères de la FM en remontant
à l’époque des croisés.
En effet , on ne serait
pas surpris que ceux qui s’armaient
en vue de reconquérir la Terre
sainte, d’y
planter l’étendard de la foi catholique, ayant
trouvé les mystères conservés dans
cette partie de
l’Asie par le peu de chrétiens qui y
étaient encore, les aient adoptés comme un
lien qui les unissait
plus étroitement à des hommes qui
pouvaient et qui devaient leur être fort utiles.Il ne serait pas
étonnant, disons-nous, que les nouveaux
initiés eussent adopté, avec la
langue des premiers, le
projet même de la reconstruction du
temple de Jérusalem, construction
qui est toujours
l’objet des voeux du peuple juif, et que,
par cette raison, ils se fussent
désignés sous le titre de maçons
libres. Cela posé, il nous semble
facile de concevoir comment la maçonnerie a
puisé dans la Bible les moyens et les titres
de son organisation, Certains termes ont
été empruntés au Zohar ou à
d’autres
livres majeurs de la Kabbale.
Souvent, les mots
hébreux présents dans les rituels sont
déformés, les rendant
incompréhensibles
pour un hébraïsant. Pour celui qui ne
connaît pas l’hébreu, ce qui devrait
être le cas
pour une majorité de maçons, de telles
déformations ne font pas obstacle à une
compréhension
qui demeure, de toute façon, pour le moins
difficile...
Le Grand Architecte de
l’Univers pourra lui être
représenté
par l’étoile flamboyante à cinq
branches, ou encore par
un triangle, le delta lumineux, qui
figure à l’orient, au-dessus de
l’autel du
vénérable. Pareil symbole n’est pas une
création
maçonnique. On trouve par
exemple sur le fronton
de l’église Notre-Dame des Victoires
à Paris un triangle renfermant le
Tétragramme
divin.
Mon cher F, tu viens de nous dire
que certains termes ont été emprunter
à la kabbale peut on parler d’une
influence de la kabbale sur la FM ?
En
réalité il est difficile d’affirmer que
la kabbale telle
quelle est ait une influence directe sur la FM
D’abord parce
que les juifs ne furent admis dans les loges
que tardivement et en tout cas après
la formation de la FM
spéculative, laquelle hérita d’un
corpus spirituel et philosophique déjà
forme, ensuite pour
cette raison que nul ne peut pénétrer
la kabbale sérieusement sans un
bagage religieux et
linguistique adéquat hors ce n’était
pas
le cas de la majorité des mâcons
du XVIII
siècles.
Pour juger de la place réservée à la
Kabbale dans la franc
maçonnerie, de l’usage qui en est
fait, et
déterminer comment cette tradition va affleurer
dans le monde maçonnique, il importe
de retracer rapidement
les grandes étapes de son histoire.
Tradition ou
transmission : c’est ce que signifie
littéralement la Kabbale (du mot hébreu
Qabbalah), Mais le mot
vient aussi d’un verbe hébreu
(qibbel qui signifie « recevoir par
tradition».
Réception et transmission forment bien la trame
de toute tradition. La Kabbale s’est donc
constituée au fil des siècles, enrichissant son
patrimoine littéraire, charriant au
passage son
cortège de légendes et de mythes.
En
réalité, la Kabbale n’est rien
d’autre que la principale
tradition mystique du judaïsme,
tradition souterraine,
ésotérique, réservée
d’abord à une
poignée d’initiés, transmise oralement
de maître
à disciple, et qui quelque fois s’achoppe
à
l’orthodoxie et aux autorités rabbiniques.
Elle est donc aussi une
gnose, une connaissance de type
ésotérique, marquée par le secret
Quelles sont
les oeuvres
importantes de la K
Il existe un nombre
considérable d’œuvres mais les plus
importantes restent le Livre de la Création (Sefer Yetsirah),
et le Zohar ou Livre des splendeurs.
C’est dans le
livre de la création, difficile à dater,
où,
pour la première fois, il est question des
fameux sefirot sur
lesquels les kabbalistes des siècles
futurs spéculeront à l’envi : le Dieu
créateur
exprime sa volonté au moyen de trente-deux
mystérieux sentiers de la sagesse, qui
sont les dix sefirot et
les vingt-deux lettres de
l’alphabet hébraïque. Les dix sefirot sont
partout à
l’oeuvre: on les retrouve dans la création du
monde, dans les dix commandements, et
jusque dans le corps de
l’homme, animé par la volonté,
l’intelligence et la pensée (la tête), la
grâce et la
victoire (le bras et la jambe droits), la
rigueur et la soumission (le bras et la jambe
gauches), enfin
l’harmonie, le fondement et la royauté (le
cœur et le sexe). D’autres
traductions
françaises des termes hébreux donnent : la
Couronne suprême, la sagesse,
l’intelligence,
la bonté, la force, la beauté, la
royauté,
le fondement des âmes, le triomphe et la majesté. Remarquons
déjà que le triptyque maçonnique
Sagesse - Force - Beauté,
désignant les
trois piliers qui soutiennent la loge, est
bel et bien présent...
Mais
l’événement le plus
considérable dans l’histoire de la
kabbale est l’apparition vers 1270
en Espagne
d’un livre fameux qui rapidement et pour
longtemps va devenir la bible des kabbalistes le Zohar ou livre des
splendeurs .
Son influence sur toute
la tradition ésotérique occidentale
va être déterminante jusqu'à nos
Jours
Alors où chercher le
chaînon
manquant, comment les maçons sont ils
rentrés en contact avec la
kabbale ?
Par la kabbale
chrétienne bien entendu, des
chrétiens, des humanistes de la renaissance ont
importé la kabbale
que l’on revisité a partir du XV
siècle ,les italiens Jean Pic de la
Mirandole , Paul Ricci
un juif converti , le français
guillaume Postel traducteur du Zohar s’en
servent à des
fins apologétiques pour tenter de prouver la
véracité de la seule religion
chrétienne et
partant pour convaincre les juifs de la
nécessité de se convertir . Ainsi tentent ils
de prouver par le jeu
des valeurs numériques des lettres
hébraïques que le christ est bien le
messie. On se trouve
manifestement ici devant des lectures
de la K qui tiennent davantage d’une tentative de
récupération que d’une
exégèse
authentique De nombreuses exploitations de la kabbale
par des traditions
qui lui sont étrangères vont se
faire jour :
Alors que dés
le siècle des lumières elle commence à
sentir
le souffre, que le XIX siècle la
tient pour un vestige de
l’obscurantisme, certains
ésotéristes s’en emparent sous sa forme
chrétienne
principalement pour l’intégrer dans leur
construction hasardeuse d’un occultisme
de bazar ou se
mêlent, magie, tarot, spiritisme et
divination.
Qu’est
ce que la kabbale peut en
définitif enseigner au mâcon ?
Peut être comme le disait
Léon Ashkenazi, fin connaisseur
de cette tradition : une morale pratique plus qu’une
métaphysique abstraite.
Quel sort était
réservé aux juifs dans la maçonnerie
de la France de
l’Ancien Régime?
Après
l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492, on assiste
au retour des juifs en France, qui en avaient été
chassés en 1394. Ce sont des séfarades qui,
dans une semi clandestinité, viennent
s’établir
dans le sud du pays. Au XVIII siècle, la France
contrôle l’Alsace, puis la Lorraine en
1766.
Nonobstant
l’acceptation des principes généraux de
la FM,
la question des juifs n’est pas
résolue pour
autant. On se demande alors si la religion
juive est ou non un obstacle à
l’assimilation
et à l’intégration de ceux qui la
pratiquent .
De la même
façon, les Devoirs enjoints aux Maçons libres
(1735), «premier texte constitutionnel de la
maçonnerie française », transforment
le texte d’Anderson concernant
Dieu et la religion dans
un sens exclusivement chrétien.
Les statuts du comte de
Clermont affichent un catholicisme
des plus orthodoxes et n’admettent en loge que
«des gens d’une naissance honnête,
de bonne vie et moeurs, craignant Dieu et ayant le baptême
». Faut-il y voir une marque
d’ostracisme vis-à-vis des nonchrétiens,
des juifs et des
musulmans en particulier? Nullement Pierre
Chevallier n’explique cette évolution, pour le
moins étonnante, que par le
changement qui s’est opéré alors dans le
recrutement des loges. A
Paris, la bourgeoisie a pris la
place de l’aristocratie et cette
bourgeoisie est
«catholique romaine, pieuse, voire dévote,
sinon janséniste ».
Une autre publication marquante dont il faut tenir compte
est L’Etoile flamboyante (1766) du baron Théodore
de Tschoudy.
En effet, conseiller
d’honneur au parlement de Metz,
vénérable d’une loge de la
même ville, Tschoudy écrit à
propos des futurs initiés: «Il sera requis
en eux qu’ils soient au moins
convaincus des
mystères saints de la religion
chrétienne.»
Ce qui laisse évidemment peu de
latitude aux juifs qui
voudraient entrer dans ce type de
loge écossaise, même si Tschoudy
ajoute : «Ce
n’est qu’exceptionnellement, par respect pour
l’Ancien Testament, qu’un juif
peut être, en
de rares occasions, admis à y prendre part.»
Attachante est la
personnalité d’un théosophe
d’envergure,
d’un mystique même, Martines de
Pasqually, un catholique
d’origine juive sans doute, qui
entend animer les loges d’un nouveau
souffle mystique. Pour
atteindre ce but, il fonde un ordre
des Chevaliers maçons élus Cohen de l’univers (en
hébreu, le mot Cohen signifie prêtre).
S’il n’est plus juif, Pasqually ne
manifeste pas pour
autant une stricte orthodoxie
catholique.
En 1773, la création du Grand Orient de France,
obédience
qui allait s’inscrire dans un
courant nettement plus
rationnel et libéral, puis en 1791
l’octroi de la citoyenneté manifestent
une évolution
déterminante et irréversible vers une
coexistence beaucoup plus heureuse entre
les mondes juif et
maçonnique, et, d’une certaine manière,
entre mondes juif et chrétien. En
même temps,
ces événements se distinguent nettement des
réactions négatives observées dans
d’autres pays
et font figure de précurseurs.
Par
conséquent, on peut affirmer que, en dépit du
tournant
nettement chrétien pris par la
Grande Loge de France et
de quelques rares épisodes de
conflits, l’admission des juifs au sein
des loges
françaises ne semble pas, la plupart du temps,
avoir été prétexte à
controverses et à débats au cours du XVIII
siècle.
A la fin du XVIII siècle, trois
événements d’une portée
considérable vont définir
l’évolution ultérieure de
l’histoire des juifs.
D’abord les
partages successifs de la Pologne.
Ensuite, la
Déclaration d’indépendance
américaine.
Enfin la
Révolution française. Elle va accorder
à son tour
l’égalité civile et politique aux juifs. En Angleterre et dans les colonies,
où le fait précéda le
droit, l’émancipation fut plus une
question de
mentalités que de légalité.
Peut
on affirmer alors que la FM et le judaïsme libéral
partage les mêmes valeurs ?
Dans le cas de la
France, Jean-Marc Chouraqui considère
qu’il existe un lien évident entre le discours éthique et les
valeurs communes que partagent la
franc- maçonnerie et le judaïsme
libéral.
Aux yeux de ce dernier,
accorder le judaïsme avec les
nécessités de la vie moderne,
c’était notamment interpréter la
loi en la confrontant à la raison
et à la science.
Et il n’est pas étonnant de retrouver ici la
marque de la
franc- maçonnerie, qui partageait avec le mouvement libéral et
réformateur du judaïsme une même
inclination vers l’universel. De surcroît, la franc-
maçonnerie, comme certains
éléments du judaïsme libéral
et du protestantisme, visait à un
dépassement des clivages
confessionnels pour atteindre une religion unique, universelle suivant
des voies variables
selon qu’elle fût spiritualiste ou
positiviste.
On constate donc une normalisation progressive de
l’accès
des juifs à la franc-maçonnerie
dans les pays
d’émancipation après 1830, dans un
siècle et
des régions où la francmaçonnerie
devient
véritablement universaliste. C’est le cas en
France, où dominera sur la
scène juive
et sur la scène maçonnique la figure d’Adolphe
Crémieux.
C’est le cas
enfin en Grande Bretagne, où Moses
Montefiore, qui donnera son nom à
plusieurs loges, devient
le deuxième parlementaire juif
anglais et se donne la stature d’un
dirigeant juif
international - il dirigera le Board of
Deputies of British Jews de 1838 à 1874.
La Grande-Bretagne a
cette particularité de connaître des
loges juives : il en est ainsi peut-être
de la loge Hiram, de la
United City Lodge et de la Mount
Moriah - dans laquelle Moses Montefiore sera initié en
1812 - et certainement de la
Lodge of Israël, la plus ancienne loge dite juive enregistrée par
la Grande Loge d’Angleterre
Fondée en 1793, elle accueille des
membres juifs - surtout
ashkénazes - et non juifs, mais ne
se réunit ni durant le shabbat ni
durant les
fêtes juives et respecte les interdits
alimentaires du judaïsme.
En France, avec le saint-simonisme - rappelons au passage qu’Adolphe
Crémieux fut l’avocat des saint-simoniens
-, la franc-maçonnerie demeura
longtemps un des seuls cadres de sociabilité
réels pour les juifs. Dans une société
encore marquée par le critère de
l’appartenance
ethnique et religieuse, les salons, les
cercles littéraires, les clubs restent en
réalité
relativement fermés aux juifs.
Un autre maçon, juif et marocain, le docteur
Samuel
Guitta, représente une figure importante de cette époque. Pendant
vingt-cinq ans, ce président
honoraire de la Ligue des droits de
l’homme est le
vénérable de la loge Morayta,
rattachée au
Grand Orient espagnol. Cette loge va connaître une scission :
plusieurs frères, juifs et non
juifs, vont quitter l’atelier, dénonçant
la mainmise de
frères juifs sur les fonctions d’officiers
de la loge! Ils s’en iront fonder la loge
Samuel Guitta n°
360 à Casablanca.
Un épisode révélateur de
l’antisémitisme en France,
l’affaire Dreyfus, devenue l’Affaire,
tant elle a ébranlé
le pays tout entier. En toile de fond, un
antisémitisme issu des milieux
conservateurs et
cléricaux, symbolisé par la parution, en
1886, d’un livre de Drumont ; dans La France juive, Edouard Drumont tente
de faire croire que
juifs, protestants et francs-maçons
sont unis dans une
même volonté de détruire la France
bien-pensante des traditions catholiques et nationalistes qui
s’accommode mal de la
laïcité républicaine.
Comment les maçons
français
vont-ils réagir face à l’Affaire?
Alors que la Grande Loge
de France se retranche dans le
mutisme de l’indifférence, le Grand
Orient de France
s’engage activement, bien qu’avec un peu
de retard, dans la défense du
capitaine lors du
convent de septembre 1898.
Peut on imaginer une influence quelconque de la FM sur le
judaïsme ?
L’influence de
la franc-maçonnerie sur l’évolution
religieuse du judaïsme au XIXe siècle
n’est
peut-être pas négligeable. La réforme
religieuse
juive fut proche, sur le plan esthétique
comme sur le plan
doctrinal, de ce que professait alors la
franc-maçonnerie. L’on retrouve des
parentés dans
les références symboliques, dans
l’orientalisme, dans l’usage même du
terme de temple,
qui montre certes une évidente analogie avec le
protestantisme, mais qui peut aussi
être
interprété comme une
référence au temple de Salomon,
patrimoine partagé avec la
maçonnerie.
Le discours libéral juif semble lui aussi
marqué du sceau de la franc-maçonnerie,
par la promotion de
l’universalisme et d’une seule religion
idéale de l’humanité, par le
rapprochement au sein
d’une alliance religieuse universelle
aussi, par le pont que jeta la franc-maçonnerie entre
protestantisme libéral et judaïsme
libéral
enfin.
Outre le grand rabbin
Elie Aristide Astruc en Belgique ou
Samuel Hirsch, affilié aux Enfants
de la Concorde
fortifiée -dont il est orateur entre 1845 et
1854 et grand rabbin de Luxembourg -de nombreux rabbins
réformés furent maçons,
L’influence
supposée de la maçonnerie sur la
réforme du
judaïsme se lit aussi dans
l’esthétique
nouvelle - temple, symbolisme, orientalisme -
du judaïsme LIBERAL, qui n’est pas exclusivement
marquée par l’empreinte chrétienne.
L’influence de la franc-maçonnerie,
en particulier de
l’adoption maçonnique, est aussi sensible
dans les formes et l’esprit de la
cérémonie religieuse juive de
l’initiation
telle qu’elle est pratiquée par nombre
de
communautés israélites modernistes dès
le début du XIXe
siècle.
Même si elle correspond autant à la
volonté délibérée
d’acculturer une partie de la
liturgie et de l’esthétique du culte, en puisant dans le
cérémonial des cultes chrétiens,
qu’à
celle de confiner la pratique traditionnelle de la bar mitsvah au
domaine privé, cette
cérémonie peut selon nous avoir une
réelle
inspiration maçonnique.
Dans le cadre du judaïsme traditionnel quelles furent les
réactions du judaïsme à la
présence de juifs en maçonnerie, et en
particulier
l’attitude des rabbins à cet égard ?
Il est difficile de
l’établir. Le peu
d’éléments connus
témoignent sans doute du fait que cette
présence ne
constitua en rien un enjeu dans la vie juive.
D’autre part le judaïsme,
organiquement,
n’était pas appelé à se
prononcer à ce
sujet. N’étant ni structuré ni
hiérarchisé
à
l’image du catholicisme romain, le judaïsme
n’eut pas
d’attitude globale à faire entendre,
n’eut pas
d’excommunication à prononcer au même
titre que
l’Eglise. En réalité, il se marqua
toujours beaucoup plus
par un silence sympathique à l’égard
de la maçonnerie - en raison
même du nombre
de rabbins et de responsables communautaires
juifs en son sein - que par une réprobation bruyante.
Il est toutefois probable, sinon sûr, que les
préventions
des rabbins, à quelques exceptions
près,
devaient demeurer importantes, surtout au XVIII eme
siècle et au début du XIXe siècle.
En effet, non seulement
la maçonnerie pouvait paraître
contribuer à éloigner socialement
certains juifs de leur
communauté d’origine, mais encore
elle constituait une sorte de substitut
qui transcendait les
clivages religieux traditionnels - à
la fois imposés par les aléas de
l’histoire
mais aussi facteurs de contrôle social. Comme
pour les catholiques et les protestants, l’élément
rabbinique traditionaliste ne devait sans doute
que modérément apprécier
qu’une forme de spiritualité ou
à tout le moins d’accomplissement
spirituel s’exerçât en dehors du
cadre religieux habituel.
Car si certains juifs francs-maçons eurent à
subir les
foudres de certains rabbins ou des courants conservateurs au sein de leur
propre communauté,
en raison de leurs opinions modernistes, il est fort difficile de
faire la part des
reproches qui leur étaient adressés. Le fait
qu’ils fussent
maçons n’ajoutait vraisemblablement rien ou
presque au catalogue des blâmes
qu’ils
encouraient.
Par ailleurs, la
présence de symboles a priori chrétiens
dans la maçonnerie a peut-être
découragé
certains candidats juifs à l’initiation, non
tellement pour des raisons religieuses,
mais en raison de
l’impact très profond sur les consciences
juives du temps des conversions au christianisme.
Le mythe du complot
judéo-maçonnique
La
théorie du complot est une figure dominante de nos
sociétés contemporaines. Toute
menace
intérieure ou extérieure, toute atteinte
à l'ordre
moral inspiré par l'Eglise, tout vecteur
de la
modernisation de la société ont
systématiquement été
perçus par l'opinion réactionnaire,
depuis la
Révolution française, comme les effets d'une
puissance occulte qu'il s'agissait de diaboliser. La
franc-maçonnerie fut particulièrement
visée de ce point de vue.
Avec les années 1860, en Allemagne puis en
France, le discours
antimaçonnique va s'emparer de la thématique
juive pour
fustiger la conspiration antichrétienne qui
serait à l'oeuvre dans la modernité européenne.
L'antijudéo-maçonnisme sera d'abord
essentiellement théologique puis, avec
l'encyclique
papale Humanum genus (1884), qui en lancera
le mot d'ordre, se fera politique.
C'est en effet avec l'encyclique de Léon XIII, qui se
donnait pour objectif de mettre bas les masques, que le discours
antijudéo-maçonnique sera
popularisé, jusqu'à la caricature. Il nous
a
semblé utile d'interroger ici les figures de ce
discours sur le complot, là où Juifs et
maçons sont associés
pour incarner la coalition diabolique
chargée de mettre à mal la civilisation
chrétienne
: la Synagogue de Satan, métaphore du lieu du
secret des maçons et du lieu du
pouvoir des
Juifs, sert de fil rouge à un discours où
Juifs et francs-maçons sont visés comme
vecteurs d'une
oeuvre diabolique de trahison de l'ordre
social.
L'expression Synagogue de Satan, qui est appliquée
à la
franc-maçonnerie avec l'encyclique
Etsi Multa de
Pie IX (1873), sert ainsi ce discours sur
le secret, l'obscur, le souterrain, le
démoniaque,
cette vision crépusculaire du monde : c'est
le combat du monde visible contre le
monde
invisible. Le dévoilement du complot se fait en
sondant les ténèbres : Mgr. Meurin en
fera le titre
d'un de ses ouvrages (La Franc-maçonnerie,
Synagogue de Satan - 1893), qui connut une grande diffusion.
Il popularisera l'expression
en la fixant dans l'imaginaire catholique, servant une
mobilisation politique et
théologique qui visait à faire du Juif
l'incarnation
du maçon, celui que le secret ne permettait
pas d'identifier.
Dans
cette triste mouvance
disons quelque mots du non moins triste « Protocole des Sages de
Sion »
Les Protocoles des Sages
de Sion apparaissent au tout début
du XXe siècle. Ce document se
présente sous
la forme de vingt-quatre conférences comme
une copie d'un plan de campagne, méthodique, cynique, mis
sur pied par les juifs dans le but
de détruire les sociétés existantes.
Ce plan est accompagné du programme de l'ordre nouveau que
ce peuple imposerait au monde, après le chaos
général. Les Protocoles dévoileraient
l'objectif caché du peuple juif :
Asseoir une domination
sans partage sur le monde.
Le document rapporte, dans le plus grand désordre, les
moyens que les juifs seraient amenés à
utiliser pour parvenir
à leurs fins. Il s'agirait pour eux
de discréditer la religion, la franc-maçonnerie
étant l'un
des fers de lance de ce combat - de répandre des
idées subversives, pour entretenir la haine entre les classes
sociales -
d'encourager le luxe, pour abattre les capacités
de résistance
- de développer l'industrie, pour anéantir
l'agriculture et l'aristocratie traditionnelle - d'entretenir des
crises économiques, pour
encourager les révoltes - de faire
main basse sur l'or,
pour acquérir de la puissance - de
posséder les organes de presse, pour
manipuler l'opinion - de
répandre la doctrine libérale,
pour corrompre le peuple et désagréger
les nations -
d'instrumentaliser les partis politiques,
pour instiller les mêmes idées - de diriger
l'enseignement, pour
endoctriner la jeunesse - de faire
éclater un conflit mondial, pour hâter le
règne des
chefs d'Israël... Une fois ces manœuvres
accomplies, les conjurés n'auraient plus
qu'à
récolter les fruits de la déstabilisation
générale et
à prendre les rennes du pouvoir
mondial.
La force de ce document réside dans sa
simplicité. En
focalisant l'attention sur un groupe
humain particulier, il
donne une explication unique aux
maux dont souffre la société. Il rend
l'histoire contemporaine
" intelligible ", selon
le mot de Taguieff, en expliquant le passé
récent, en
rendant possible le décryptage du présent et en
permettant le déchiffrement de l'avenir. Le tout en stimulant
l'imagination. Un autre de
ses atouts est de se présenter comme
écrit par les
chefs juifs eux-mêmes, les Sages de Sion. Ce
serait un document de première
main, un aveu
émanant des comploteurs. La France fut, avec
l'Allemagne, l'un des pays où les Protocoles rencontrèrent le
plus vif succès. La Libre
Parole d'Edouard Drumont, la Vieille
France d'Urbain Gohier,
La Revue internationale des
sociétés secrètes de Mgr Jouin, tous
trois férocement
antisémites, en firent leurs choux gras. Léon
Daudet, dans la royaliste Action Française, crut
également à leur authenticité.
Les Protocoles furent
traduits en suédois, en danois, en
roumain, en espagnol, en arabe... Henri Rollin, en 1939,
écrivait : « On peut donc considérer
les Protocoles comme l'ouvrage le plus répandu dans le monde
après la Bible »
Nous dirons
quelques mots de la maçonnerie en Israël.
Il y aurait
aujourd’hui en Israël plus de trois mille
maçons et plus de soixante-dix loges.
Pourtant, la
franc-maçonnerie s’y est implantée avec
quelque difficulté, et seulement depuis la
seconde
moitié du XIXe siècle.
Dans les années 1860, Robert Morris, un maçon
américain qui
fut grand maître de la Grande
Loge du Kentucky, se met
en tête de rechercher des traces
de l’existence de loges maçon
niques à
l’époque biblique. Pour tenter d’asseoir
une si
brillante intuition, il se rend en Terre
sainte. Las, non
seulement il ne découvre aucun indice
d’une quelconque présence
maçonnique
aux temps bibliques, mais en outre il ne
rencontre sur son chemin aucun maçon
ni aucune loge en
activité. Morris fait contre mauvaise
fortune bon coeur: puisqu’il n’y a pas
la moindre
franc-maçonnerie en Palestine, il va la mettre
sur pied. A Jaffa, il aperçoit le
bateau Lord Clyde de la
marine britannique et va aussitôt à
la rencontre du capitaine et de ses
officiers. Cette fois,
son intuition le sert: il se trouve
bel et bien des frères parmi eux. Et que
font des
maçons en déplacement à
l’étranger lorsqu’ils se
rencontrent? Ils tentent d’organiser
une tenue
maçonnique.
C’est ainsi que le 13 mai 1868 se
tient sans doute la première
réunion
maçonnique à Jérusalem, dans la grotte
de Sédécias située près de
la porte de Damas et dont
l’entrée ne fut découverte
qu’en 1852. Cette
caverne - située à l’emplacement
des fondations du
Temple! -, on la connaît sous le nom des
carrières du roi Salomon...
Aujourd’hui encore s’y déroule chaque
année une tenue
internationale des maîtres de la
Marque. Mais Morris ne
s’arrête pas en si bon chemin. Il
faut aller de l’avant, donner un
caractère
permanent à la loge. Ce sera chose faite en 1873.
La première loge maçonnique implantée
sur le territoire
d’Israël est donc celle du Roi
Salomon, reconnue en
1873 par la Grande Loge du Canada.
La
plupart de ses membres sont des colons américains de
Jaffa appartenant à l’Eglise du
Messie, un mouvement chrétien à
tendance sectaire. Elle
accueille aussi des résidents
palestiniens. Elle cesse cependant ses
activités au
début du siècle. Puis, a Jaffa, autour de
1890, des frères arabes et juifs fondent la
loge Le Port du temple
du roi Salomon, travaillant en
français. C’est un atelier qui va
connaître un
certain succès auprès des ingénieurs
français
venus construire la première ligne
de chemins de fer en
Israël celle qui relie Jaffa à
Jérusalem.
Avant l’indépendance de l’Etat
d’Israël en 1948, il se
trouve donc déjà des loges qui
travaillent soit en
hébreu, soit en anglais et qui sont
rattachées soit à la Grande Loge
d’Egypte, soit
à la Grande Loge d’Ecosse ou à la
Grande
Loge unie d’Angleterre, soit encore
au Grand Orient de
France. Fondées pour la plupart dans les
années trente, elles se réunissent
à
Jérusalem, à Haïfa, à
Tel-Aviv ou à Jaffa. La première
obédience maçonnique en Israël la
Grande Loge nationale de
Palestine, est constituée en 1932
mais les loges anglophones refusent de s’y rallier.
La Grande Loge de
l’Etat d’Israël voit le jour le 20
octobre 1953, elle a son siège à Tel-Aviv,
où se
réunissent régulièrement 22 ateliers.
La plupart
travaillent en hébreu (14 exactement),
tandis que les autres
loges se réunissent en anglais, en
français, en espagnol, en turc et même
en roumain.
Notons la présence d’une loge
d’expression
française à Jérusalem, la bien
nommée
France, fondée en janvier 1993 en présence du
grand
maître de la Grande Loge nationale française
(obédience régulière). Au total, on
peut dire que la majorité des maçons
d’Israël
sont juifs (orthodoxes ou non), mais qu’il est
aussi des maçons chrétiens, musulmans
ou Druzes
On retrouve cet esprit de tolérance jusque dans le rituel
des loges où ce sont trois volumes de
la Loi sacrée
qui sont ouverts côte à côte : la Bible
hébraïque (Tanakh), la Bible chrétienne
et le
Coran. Sur le sceau de la Grande Loge de l’Etat
d’Israël
figurent la croix chrétienne, le
croissant musulman et
l’étoile de David. Et il y a au sein
de la direction de l’obédience trois
chapelains : un juif, un
chrétien et un musulman. Cette
harmonie s’est par ailleurs concrétisée
en 1981 par
l’élection d’un Arabe
chrétien à la fonction de
grand maître. Enfin, la loge n° 16
dite Elie le
Prophète, à Haïfa, a pour tradition de
travailler aussi bien en hébreu qu’en arabe.
En conclusion quels sont les points de vue communs entre le
judaïsme et la
FM
Après tout,
il n’est pas interdit de tenter de trouver des
points communs entre la franc-maçonnerie
et le
judaïsme... Réhabilitons le concordisme, mais de
manière douce, sans forcer
les
interprétations convergentes. Si donc l’on veut
bien
s’attarder sur les similitudes de nature
entre
la franc-maçonnerie et le judaïsme, on
découvre au
moins trois thèmes à explorer.
D’abord la valeur du travail
On sait que le
maçon est invité à travailler sur
lui-même,
à polir sa pierre brute, à se
perfectionner avant de
songer à améliorer le monde. La
symbolique maçonnique, avec les
outils du constructeur
et le tablier, témoigne de cette
orientation primordiale. Mieux, tout
l’appareil
symbolique de la franc-maçonnerie est d’abord
là
pour enseigner des vérités
morales. Trois
siècles de littérature maçonnique
témoignent
de la fonction moralisatrice du symbolisme maçonnique Le
judaïsme connaît lui aussi cette
valorisation du travail, qui prend évidemment sa source dans
la Torah. Avant même d’être
chassé du jardin d’Eden et de devoir
travailler à
la sueur de son front, Adam devait déjà
entretenir le jardin. Alexandre Safran peut
écrire, dans
une étude sur la conception juive du travail,
que «le travail n’a pas été
conçu uniquement pour répondre
aux nécessités immédiates de
l’homme, pour lui assurer sa
subsistance, pour lui
donner un gagne-pain, mais pour lui
permettre d’atteindre un but moral,
qui concerne autrui et
se projette dans l’avenir qui est le
Bien ».
En découle
une foi commune en la perfectibilité de
l’homme. La franc-maçonnerie
constitue une formidable utopie de la
modernité, elle croit que
l’homme peut s’améliorer et
améliorer le monde, en dépit de la
notion de progrès qui, depuis
Auschwitz et Hiroshima, a du plomb dans
l’aile. La
franc-maçonnerie a souvent inscrit cette notion
de progrès dans ses textes
fondateurs. Le
judaïsme reconnaît semblable ment que si
l’homme est corruptible il est
néanmoins
tourné vers le bien. L’homme travaille
à son
perfectionnement éthique. Juifs et
francs-maçons
affichent une même foi en l’avenir de
l’humanité, qui ne trouve certes point la
même origine.
«Fidèle à l’action
prophétique, le judaïsme,
écrit le grand rabbin Safran, ne
saurait admettre que
l’homme renonce à instaurer le royaume
de Dieu sur terre. E...] Mais les jours du Messie
s’édifient dans la vie présente
»
Enfin l’absence de dogme ou l’adogmatisme. La franc-
maçonnerie ne propose ni
n’impose aucun dogme. Elle a même
érigé en dogme cette aversion pour
le dogme! La francmaçonnerie
n’a pas de
doctrines, elle n’est qu’une méthode
d’appréhension de soi et du
monde. Elle
n’est en rien théologique. Elle se contente de
favoriser le cheminement et la réflexion personnels, au
départ de l’initiation. Elle veut
faire de l’initié un nouvel homme,
même si elle
n’y parvient pas toujours... Le judaïsme
n’a
pas plus de dogmes. La Torah n’est
pas un traité
théologique, elle relate seulement des
expériences religieuses. C’est encore
Alexandre Safran qui
écrit « Le judaïsme ne saurait avoir de
dogmes; il se propose de connaître la
volonté de Dieu, et non Sa nature; il n’impose
donc pas aux croyants de vérité ni
de foi toute faite; il
encourage la recherche personnelle
de la foi »
Nous voudrions terminer sur cette note, qui n’a rien de
moralisateur : judaïsme et franc-maçonnerie sont
condamnés à s’entendre et à
unir leurs efforts pour réaliser un monde
meilleur. Si les
francs-maçons veulent bien reconnaître que
leur société est née en terre
chrétienne et
qu’elle demeure un véhicule de la symbolique
judéo-chrétienne, ils comprendront alors sans
peine l’idée centrale émise par
Franz Rosenzweig (1886-1929) dans son grand livre L’Etoile de
la rédemption:
c’est par l’amour que le monde sera
sauvé. Or la vie juive est au cœur de
l’étoile de la rédemption, tandis que
les chrétiens en constituent les rayons.
Ne peut-on imaginer que les maçons soient les nouveaux
rayons de l’amour
fraternel, et qu’ils doivent tout faire pour que le
cœur de l’étoile continue à
battre? Voilà qui dessinerait ainsi les contours du visage
de la «
judéo-maçonnerie» du je
siècle.
Au total, le bilan historique est
largement positif, si
tant est que l’on puisse établir
une comptabilité
en pareil domaine. La plupart du temps, juifs
et francs-maçons ont harmonieusement cohabité,
réunis dans le partage de mêmes
valeurs. Si l’idéal
fédérateur de la
maçonnerie n’a que partiellement réussi
à
faire éclater les murs de la méconnaissance et de
l’incompréhension, au moins
a-t-il patiemment construit une école de la
tolérance.
Là où, dans la société
globale, chrétiens et juifs se méprisaient ou
s’ignoraient, dans les ateliers
maçonniques ils apprenaient au moins à se
connaître. Le résultat n’est pas
mince. Peut-être faut-il y voir une résurgence du
dialogue
inter religieux
auquel seules quelques figures de proue avaient jusque-là
participé. A ceci
près que ces rencontres prennent, dans le cadre
maçonnique, un caractère
relativement stable, non éphémère,
à
défaut d’être institutionnel.
A l’heure
où les vieux démons de la droite la plus
bête et
la plus extrême ne cessent de
se réveiller dans une Europe amnésique
et balbutiante, il est
urgent de faire mémoire d’un
passé lourd
d’incompréhensions et de restituer le visage
d’un présent porteur d’espoir |