GODF Loge : NC Date : NC

V.I.T.R.I.O.L.

La formule V.I.T.R.I.O.L. réunit un ensemble de confluences et de traditions particulièrement intéres­santes pour un jeune maçon, car elles constituent un héritage souvent mal connu, qui pourtant entre en réso­nance profonde avec le travail qu'il tente d'accomplir. Parce due l'alchimie et l'hermétisme sont souvent peu compris pour ce qu'ils sont vraiment, V.I.T.R.I.O.L. est un thème qui peut sur­prendre dans le monde d'aujourd'hui. Et pourtant...

Le mot V.I.T.R.I.O.L. est écrit dans le cabinet de réflexion où s'en­ferme le futur initié pour rédiger son testament philosophique. Moment important de solitude qui doit préparer le profane à l'initiation.

Deux remarques s'imposent d'emblée. Il faut d'abord rappeler qu'au Rite Français, le cabinet de réflexion possède les emblèmes suivants : « On y place au mur quelques maximes, des tableaux représentant un coq et un sablier, et sur une tablette à gauche du Livre (...] éclairé par une simple bougie, un crâne, du sel et du soufre, et, à droite, du pain et de l'eau ». C'est dans ce contexte, où chaque objet est un symbole appelant une étude spécifique, que V.I.T.R.I.O.L  prend tout son sens. Nous ne sommes pas dans un environnement symbolique lié à la construction, mais à l'al­chimie.

Remarquons aussi le singulier du mot réflexion. Il ne s'agit pas, dans ce cabinet, d'avoir des réflexions même pertinentes : le futur initié est invité à « se réfléchir » lui-même en entrant en lui. Cette remarque est décisive, car rien n'est plus difficile qu'un tel retour en soi, qui n'est pas, aussi paradoxal que cela puisse sembler, un retour psychologique sur soi-même. Il ne s'agit pas de découvrir qui nous sommes, mais ce que nous sommes d'avoir rapport à notre humanité en tant que telle.

Cet effort demande, pour être mené à bien, un moment de grand courage pour lui puisqu'il est invité à se regarder en face de la manière la plus radicale.

Angoisse et courage donc : « Je vais, d'ici peu, dans l'initiation qui va suivre ma réflexion, être appelé à mourir pour mieux renaître éclairé par la lumière de la franc-maçonnerie  qui ne cesse d'éclairer celui qui se tourne vers elle. » Cette lumière, je ne l'ai encore jamais vue, même si mon coeur  la cherche et la désire depuis toujours.

Cette angoisse n'a rien à voir avec son entente courante comme opposée au bien­être, une expérience pénible qu'il faut calmer, par exemple en allumant la télévision pour se distraire ou en prenant un comprimé.

Au contraire, l'angoisse est l'expérience de celui qui est prêt à affronter l'essentiel. Elle n'est, en ce sens, nullement un obstacle dont il faut se débarrasser, mais le courage authentique de faire face à sa propre existence. Or, si nous sommes maçons, entrant dans le temple, c'est pour nous tourner vers la vraie lumière. Y a-t-il activité plus extrême à laquelle puisse se consacrer un être humain ?

N'est-il pas essentiel que nous soyons alors émus et presque tremblants dans cette expérience où l'on doit faire face à quelque chose d'aussi pénétrant qui nous engage d'une manière aussi pleine?

Autrement dit, l'angoisse est ce qu'éprouve l'homme qui ne se met pas à genoux. L'angoisse est un don, et nous en défendre, lutter contre elle, c'est prendre le risque de se fermer entièrement le cœur. La maçonnerie ne vise pas à un tel confort-ce qui est souvent difficile à comprendre tant cela va à l'encontre du discours ambiant­ mais à exposer au sacré.

Ce qu'on nous demande, c'est de participer à la construction de soi-même et de l'humanité  

Mais, comme une pierre grossière dévale une montagne en se laissant rouler malheureusement nous dévalons à notre tour quand nous nous détournons de nous-même. Martin Heidegger dit à ce propos : « Que serait toute vaillance, si elle ne trouvait, dans l'expérience de l'angoisse essentiale son point d'appui permanent? » Le mot « essentiale » est technique et difficile, mais il est une manière de préciser qu'angoisse ici n'a pas son sens courant, son sens est beaucoup plus fort et beaucoup plus haut. Le courage authentique - ou « surnaturel », pour reprendre la nomination de Simone Weil - n'est pas le fait de ne pas éprouver d'an­goisse mais, au contraire, de pouvoir en faire l'expérience.

Le travail que nous allons devoir accomplir est la recherche de la pierre philoso­phale, la pierre complètement polie des francs-maçons afin de concourir à la construction du Grand Oeuvre ou du Temple. Dans ce dessein, le maçon doit affronter qui il est. Or la pierre, c'est lui-même, et c'est sur nous-même que nous tra­vaillons. De la même manière que l'apprenti est à la fois la pierre brute et celui qui la dégrossit, l'homme est à la fois la matière et l'alchimiste du Grand OEuvre.

En entrant en maçonnerie, animé du désir ardent de découvrir en nous un nouvel homme, nous acceptons de nous mettre à nu. « On-dit et équivoque, avoir­ tout -vu et avoir- tout-compris», ou, pour reprendre Flaubert, l'ensemble de nos idées reçues, voilà autant d'obstacles à dégrossir.

C'est à partir de là que le profane peut juger sa propre vie, la passer au crible en rédigeant son testament philosophique. Il est prêt à mourir. La mort au monde profane est le premier temps nécessaire de l'initiation qui est une seconde naissance.

L'ensemble de cette épreuve qui commence dans le cabinet de réflexion nous pousse à une ouverture radicale, un déchirement, une mort symbolique, car elle consiste à se préparer à recevoir la vraie lumière, dont la lumière du Soleil n'est à côté qu'une copie.

Ayant ainsi décrit l'attitude qui nous est demandée dans le cabinet de réflexion, que signifie V.I.T.R.I.O.L. ?

Le sens de V.I.T.R.I.O.L. selon l'alchimie et l'hermétisme

La tradition hermétique veut que ce nom puisse être décomposé de la manière suivante : Visita Interiora Terrae Rectificando Inventes Occultum Lapidem, que l'on peut traduire ainsi: Visite l'in­térieur de la terre et, en rectifiant, tu trouveras la Pierre cachée.

L'invitation est claire: nous devons rentrer en nous-même, dans les profondeurs de notre être. Comme l'indique Françoise Bonardel, dans son livre Philosopher par le feu, le terme de V.I.T.R.I.O.L. désigne le travail de purification, intériorisation et reconstruction propre à la recherche de la Pierre. Pour trouver la Pierre, il nous faut donc faire ce chemin en nous-même, c'est-à-dire visiter l'intérieur de la terre.

Quelle est la terre que nous devons visiter?

Elle n'est pas ici le plus pesant des quatre éléments, celui en lequel la matière est la plus entachée d'obscurité et que nous nommons ainsi communément. Mais la terre que nous devons visiter est la racine de toute création, le « lieu » d'où jaillissent les trois natures du feu, de l'eau et de la terre : « Elle est à cet égard la nourrice du monde et l'on peut aussi parler d'elle comme d'un cellier. [ ...] Réceptacle de toutes choses, elle est donc le « lieu » - plus symbolique que matériel et spatial - où s'effectuent les échanges avec le ciel. »  Elle est la réelle royauté qui permet toute réalisation.

Le cabinet de réflexion reprend cette même image et figure la terre dans laquelle nous devons rentrer pour devenir véritablement.

Nous retrouvons l'image du fil à plomb qui donne l'axe vertical que nous devons parcourir pour rentrer au centre du cœur.

Cette visite de la terre, c'est ce que fait la graine qui, dans ce retour sur elle, dans cette négation d'elle-même, donne naissance à la plante. Nous sommes dans le cabinet de réflexion, enfermé symboliquement dans le vase clos, ou l'oeuf philoso­phique hermétiquement fermé. En ce lieu, le processus alchimique peut avoir lieu sans risque de perte des substances volatiles. Dans le cabinet de réflexion, à l'instar de la graine, nous favorisons le rassemblement et le mûrissement des possibles; attentif, dans ce processus de rassemblement à ne pas nous disperser.

Comme Orphée descend aux enfers rechercher son Eurydice, nous devons des­cendre dans le monde souterrain. Nous ne sommes cependant pas seul; il n'est pas question de nous y rendre sans l'aide d'Hermès, le dieu qui nous conduit comme il a guidé Orphée.

Alchimie et Hermétisme. Nous voilà maniant un bien étrange vocabulaire qui ne

 ressemble nullement à celui employé en maçonnerie et qui s’oppose en partie à celui des Lumières. V.I.T.R.I.O.L. n'est en effet rien de moins que la clef du processus de transmutation alchimique!

Alchimique! La maçonnerie a donc à voir avec l'alchimie, dont elle prend avec la notion de V.I.T.R.I.O.L. un des symboles les plus essentiels- le V.I.T.R.I.O.L. étant alchimiquement assimilé au Lion vert, solvant universel qui dévore les sept métaux ainsi que l'or?

« L'orthographe ancienne Vitryol n'est pas sans inviter d une autre interprétation, tout aussi alchimique et cette fois anagrammatique : " l'or y vit ; à savoir que le soleil philosophique s'est incorporé dans l'émeraude merveilleuse (détaché du front de Lucifer lors de la chute de l'ange rebelle des sphères de la lumière incréée et dans lequel fut façonné le Graal) après laquelle, de tout temps, les chevaliers errants soupirent et s'en vont ensemble quester.»

La franc-maçonnerie a intégré l'alchimie et l'hermétisme  

La maçonnerie, dont la symbo­lique repose sur la construction du temple, a intégré de nombreuses traditions comme l'alchimie et l'hermétisme, ou art d'Hermès, qui sans elle auraient disparu. Il faut profiter de l'occasion pour rappeler un certain nombre d'éléments sur ces deux traditions qui doivent orienter la compréhension de ce symbole.

L'alchimie est souvent considérée " comme une protochimie, c'est-à-dire une disci­pline, naïve, pré-scientifique, ou au contraire comme un amas de sottes superstitions sans rapport avec la culture. »

Or ces deux conceptions proviennent pour une grande part de l'époque des Lumières qui considère l'alchimie comme un obscurantisme, niant que la matière soit, selon la parole du poète Robert Marteau, « illusion illuminatrice et innommable si elle a suivi son chemin. »"

De la même manière qu'en maçonnerie, nous ne séparons pas la maçonnerie opérative de la maçonnerie spéculative, il faut, à propos de V.I.T.R.I.O.L., prendre en compte la dimension expérimentale de l'alchimie et ne pas tenir ce terme comme un symbole détaché de son aspect opératif. Il faut ici faire la même démarche qu'avec les outils qui se rattachent à la maçonnerie, où l'on fait aussi attention à leurs aspects pratiques et réels. Je me souviens ainsi de ce jour où, apprentis, nous avions été conviés à travailler pour de bon une pierre brute avec massette et gradelle. Je dois dire que c'est probablement un des aspects qui m'a le plus touché dans ma forma­tion d'apprenti due ce fait d'être ainsi invité à prendre très à coeur, avec tout le sérieux possible, les outils.

La notion d'alchimie « spirituelle » ou purement « psychologique » est aberrante, car elle méconnaît la fonction principale de l'alchimie : délivrer l'esprit par la matière en délivrant la matière elle-même par l'esprit. Cette mutuelle délivrance ne peut être accomplie que par l'art suprême, le traditionnel « Art d'Amour » de la chevalerie de tous les temps.

Loin de refuser ou de nier le travail concret, non seulement l'alchimie l'affirme, mais encore elle le glorifie. La délivrance spirituelle ainsi comprise n'est pas une évasion dans un autre monde, c'est une nouvelle naissance dans ce monde-ci. On retrouve ici des élé­ments centraux de la maçonnerie qui est une voie initiatique et se fonde sur la construction ici même du temple de l'humanité - et non dans un ailleurs hypothé­tique. Il n'y a pas, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, la moindre distinction entre la perspective « symbolique » et la « sociale ».

Ce que nous allons chercher en visitant l'intérieur de la terre, c'est la pierre philo­sophale, dont la réalisation est le but de toute alchimie. En effet, la pierre philoso­phale est la médecine universelle, l'élixir de longue vie ou panacée, le remède à tous les maux de tous les êtres - le temple achevé.

La fabrication de la pierre philosophale est un processus d'une grande com­plexité. L'alchimiste doit d'abord découvrir la matière première en fouillant dans les profondeurs de la terre (terre au sens de l'élément et non au sens de l'œuf philoso­phique). Ensuite, la réalisation de la pierre passe par quatre étapes principales :

- La première consistait à dissoudre la matière en eau,

- La deuxième à évacuer l'eau superflue par volatilisation et à coaguler la matière pour obtenir un produit visqueux,

- La troisième à séparer et à rectifier les matières les plus subtiles. (Notons ici que le terme de « rectifier » signifie « rendre plus pure », ce qui peut se faire par la distilla­tion.)

- La quatrième enfin, à unir ces esprits purs pour obtenir la pierre philosophale. Ces étapes comportaient elles-mêmes toute une série d'opérations dont le nombre, variable, n'a jamais été définitive­ment établi et au sujet duquel les auteurs ne sont pas toujours d'ac­cord; on en répertorie souvent douze, par référence aux signes du zodiaque; elles ont été désignées par les cou­leurs que prenaient les produits au cours des expériences. Peu à peu, on en a retenu trois, qui sont la putréfaction ou œuvre au noir, l'albifi­cation ou œuvre au blanc et la rubification ou œuvre au rouge.

L'oeuvre au noir, parfois aussi appelée mélancolie par association avec l'un des quatre tempéraments humains définis par la vieille théorie des humeurs, vise à débarrasser la matière de ses impuretés ( que l'on peut rapprocher du dégrossissage de la pierre brute de l'apprenti ).

L'oeuvre au blanc, dont le symbole était un arbre portant des lunes, ou un cygne a pour but la production de la pierre blanche capable de transmuer les métaux vils en argent, et, sur le plan spirituel, elle est le déploiement de la disposition bienveillante.

Enfin, l'oeuvre au rouge, dite aussi le Grand Oeuvre, ou Grand Magistère, obtention de la pierre philosophale, a pour symbole un arbre portant des soleils. La transmuta­tion des métaux en or se fait en projetant dans le métal chauffé ou fondu un petit morceau de la pierre enrobé de cire. Utilisée comme panacée, la pierre était dissoute dans de l'eau mercurielle (or potable) préparation désignée sous le nom de fermenta­tion.

Le Grand Oeuvre est un travail spirituel qu'un passage de la Turba Philosophorum, texte latin du IXème ou du Xéme siècle, explicite : la réalisation de la pierre marque le moment où « toute la mer, toute la terre se fendront et les corps qui étaient morts se lèveront des tombeaux et seront glorifiés (...] et le corps, l'esprit et l'âme seront unis glorieusement » ; elle est le moyen de conduire toutes les créatures à l'unité. La pierre philosophale tient son pouvoir de ce qu'elle contient dans des pro­portions parfaites les principes métalliques (dont le mercure en quantité supérieure) et les quatre éléments constitutifs de l'univers - eau, terre, feu, air - auxquels s'ajoute la quintessence, cinquième élément de synthèse. C'est pourquoi l'alchimiste la consi­dère comme un microcosme miroir du macrocosme.

V.I.T.R.I.O.L. est la description de l'ensemble de ce processus qui aboutit à la Pierre philo­sophale. Il ne s'agit pas ici d'une compréhen­sion logique et rationnelle. Mais, de la même manière que le maçon est celui qui va contempler encore et encore le sens du Tableau de Loge, qui dépasse toute descrip­tion et toute explication possible car le symbolisme est par nature d'une compréhen­sion infinie, de même l'alchimiste reprend encore et encore ce processus.

Un tel processus de concentration illuminative, qui est le foyer même de la trans­mutation alchimique, est le coeur de nombreuses autres traditions ésotériques. On le retrouve dans les oraisons hésychastes de l'Église d'Orient, dans le dhikr du soufisme islamique ou la récitation d'un mantra bouddhiste. Le sens de l'oeuvre se déploie lorsque le travail est en lui-même prière. Pour réussir le Grand Oeuvre, il ne suffit pas d'accomplir un certain nombres d'opérations précises. C'est pourquoi Simone Weil écrit si justement, dans La science et nous : « C'est bien à tort qu'on a pris les alchi­mistes pour les précurseurs des chimistes, puisqu'ils regardaient la vertu la plus pure et la sagesse comme une condition indispensable au succès de leurs manipulations, au lieu que Lavoisier cherchait, pour unir l'oxygène et l'hydrogène en eau, une recette suscep­tible de réussir entre les mains d'un idiot ou d'un criminel aussi bien qu'entre les siennes. » Aussi le processus alchimique de constitution de la Pierre philosophale n'est-il pas distinct d'une conversion spirituelle.

Le travail de la pierre philosophale est une description du chemin tout entier, qui aboutit à la purification de notre propre nature par un travail qui ne sépare pas le travail concret d'une élévation spirituelle. L'alchimie présente ainsi la caractéristique très spécifique de refuser tout dualisme, et d'ancrer son chemin dans l'expérience la plus immédiate et la plus ordinaire. En ce sens, on comprend sa proximité avec la maçonnerie, qui présente cette même caractéristique, non « religieuse », mais propre à toute voie véritablement initiatique.


C\ T\ (Par)

3040-4 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \