à
mon Frère bien aimé Francis
CROSSAY qui
m’a, le premier, réouvert la porte de
l’univers orphique.
Le
Mythe d’Orphée
Si j’ai choisi ce
sujet pour ma Planche de ce soir, ce n’est pas, loin
s’en faut, parce qu’il
m’était particulièrement connu, mais
bien au contraire parce que je souhaitais
me contraindre à en approfondir l’étude.
Dans ces conditions, je serai loin de prétendre à
une quelconque exhaustivité,
d’ailleurs illusoire sur un thème aussi vaste,
mais je chercherai plutôt à
présenter du mieux possible Orphée
lui-même, son histoire, sa légende, son
mythe (bien sûr), m’efforçant ensuite de
voir en quoi cette étude peut nous
être utile à nous, Francs-Maçons.
En somme, ce que je vous propose, ce n’est pas
“le” mythe d’Orphée, mais
plutôt
“mon” mythe d’Orphée...
Ma rencontre avec Orphée lors de mes études au
lycée ne m’ayant pas laissé un
souvenir inoubliable, je l’avais, comme l’on dit,
un peu “perdu de vue”, et
c’est en fait par le biais de la musique que je
l’ai d’abord retrouvé. Plus
tard, devenu Franc-Maçon, j’ai
découvert, à travers les travaux que
j’ai pu
entendre sur ce thème, toute la dimension spirituelle
qu’il pouvait contenir,
et j’ai eu envie, à mon tour, de me mettre
à sa recherche. C’est cet
itinéraire, sans doute quelque peu original, que je vous
invite à parcourir
maintenant.
C’est que, en effet, la légende
d’Orphée a inspiré bon nombre de
compositeurs,
depuis le 17ème siècle
jusqu’à nos jours.
Le premier opéra connu de l’histoire de la musique
date de 1600, c’est l’Euridice
de Peri, suivi en 1607 par le premier grand chef
d’œuvre de ce genre nouveau: Orfeo
de Monteverdi, et en 1762 Orfeo ed Euridice
de Gluck, pour ne
s’en tenir qu’aux plus importants.
Au 19ème siècle, Offenbach réalise une
parodie de la légende, avec son Orphée
aux enfers.
Enfin, les artistes de notre siècle ont maintenu leur
intérêt pour Orphée à
travers des œuvres comme le ballet Orpheus
de Stravinsky,
l’opéra les malheurs
d’Orphée de notre concitoyen Darius
Milhaud, le testament d’Orphée
de Jean Cocteau ou Orfeo
Negro de Marcel Camus.
Tous ces artistes ont puisé leur inspiration
aux principales sources
classiques de ce mythe, qui sont:
le livre 4 des Georgiques de
Virgile
les livres 10 et 11 des Metamorphoses d’Ovide.
Les Orphées de ces deux poètes
présentent des variantes peu importantes dans le
corps du récit, à l’exception des
circonstances et surtout des causes de la
mort d’Eurydice. Voici l’histoire, telle
qu’elle se dégage de ces textes:
Le
poète, musicien et chanteur
Orphée, épouse la nymphe Eurydice.
Peu
après leur mariage, Eurydice est
piquée par un serpent, et elle meurt.
Désespéré
par cette
mort, Orphée décide d’aller la
rechercher aux Enfers.
Après
un voyage difficile, il y parvient et
réussit, par la beauté de son
chant, à émouvoir les divinités
infernales.
Celles-ci
acceptent de lui rendre Eurydice,
à la condition que, sur le
chemin du retour, il ne se retourne pas vers sa compagne avant
d’avoir atteint
la lumière du jour.
Orphée,
emporté par
l’amour, pris par l’impatience et usé
par les
supplications d’Eurydice (qui ne comprend pas son attitude),
se retourne
prématurément et perd aussitôt celle
pour laquelle il avait bravé tous ces
dangers.
Fou de
douleur, il se retire dans des lieux solitaires
et glacés, fuyant
toute union avec d’autres femmes.
Furieuses
de se voir ainsi
méprisées, irritées par la puissance
contagieuse
d’un chant qui, dit-on, émouvait même
les pierres, des Bacchantes se jettent
sur Orphée, le tuent sauvagement et mettent son corps en
pièces.
Avant de
revenir sur le contenu de la légende
elle-même, notons qu’elle n’a pas
été inventée par
Virgile (qui, rappelons-le, vécut de 70 à 19
avant
notre ère), pas plus que par Ovide (qui vécut,
lui, de 43 avant J.C. à environ
17 après J.C.), mais que ces poètes latins
l’ont recueillie et
mise en forme à partir de traditions qui leur venaient de Grèce
et qui leur étaient bien antérieures. En effet,
la trace écrite la plus
ancienne qui nous soit parvenue sur ce sujet date de 438 avant J.C.,
soit 4
siècles avant Virgile. Il s’agit de
l’ Alceste d’Euripide.
Dans celle-ci, on peut noter la scène suivante :
Alceste va mourir, et son mari, Admète,
s’écrie alors:
Ah! Si la voix mélodieuse
d’Orphée m’était
donnée pour enchanter de
mes accents la fille de Demeter ou son époux et
l’enlever à l’Hades, j’y
descendrais.
Remarquons aussi une similitude frappante avec
l’histoire de Lot, que l’on
trouve dans la Genèse, chap. 19, versets 17 à 26 :
Lot, neveu d’Abraham, est un juste qui vit à
Sodome, ville de débauche et de
crime (que l’on peut donc assimiler en quelque sorte
à l’Enfer).
Yahvé a décidé de détruire
cette ville, mais il envoie ses anges prévenir Lot,
afin que celui-ci et sa famille aient le temps de s’enfuir
avant la
destruction.
“ Comme ils le menaient dehors, ils lui
dirent: “Sauve-toi, sur ta
vie! Ne regarde pas derriere toi, et ne
t’arrête nulle part dans la plaine;
sauve-toi à la montagne, pour n’être pas
emporté!” (...) Au moment où le soleil
se levait sur la terre, et alors que Lot entrait à
çoar, Yahvé fit pleuvoir sur
Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu venant de Yahvé,
et il renversa ces
villes et toute la plaine, avec tous les habitants des villes et la
végétation
du sol.
Or, la femme de Lot regarda en arriere,et elle devint
une colonne de sel.”
Compte-tenu du contexte et des buts de mes propos de ce
jour, je me
garderai bien de me livrer à une étude
parallèle de ces deux textes, mais
leur rapprochement me paraissait intéressant et susceptible
d’alimenter déjà un
peu notre réflexion.
Mais revenons à la légende
d’Orphée, et voyons les différentes
lectures que
nous pouvons en faire.
La première, qui tombe sous le sens, la plus profane, la
plus “exotérique”
dirions-nous, s’apparente à une fable,
qui mettrait en avant:
• l’amour
d’Orphée pour Eurydice, amour qui le pousse
à un acte de
• courage (descendre aux enfers au
péril de sa vie pour sauver celle qu’il aime),
mais tout cela basculant dans la mort à cause de
• la désobéissance
d’Orphée aux
• ordres divins, le tout
agrémenté de la
• musique qu’utilise
Orphée, musique qui est le plus immatériel
des arts, donc le plus divin.
Cette lecture, c’est celle que font les spectateurs des
mutiples opéras
consacrés à Orphée et, en
elle-même, par les vertus morales
qu’elle développe, elle n’est bien
sûr pas sans intérêt.
Mais, pour les initiés que nous sommes, cette lecture
exotérique ne peut
suffire, et nous devons nous mettre à la recherche de son
sens caché.
En effet, beaucoup de légendes, contes, fables, que tout un
chacun reçoit à son
sens premier, qui peut être par exemple moral, merveilleux,
social ou éducatif,
ne sont en fait souvent que la partie visible, destinée aux
profanes, de mythes
ou de mystères que seul l’initié est en
mesure de comprendre de façon plus
complète.
Cela correspond à une double démarche:
• garder caché ce qui doit
l’être
• ouvrir une porte,montrer la direction à suivre,
permettant ainsi, à celui qui veut approfondir et
connaître tout ce qu’il se contente de deviner, soit
de s’engager réellement dans la voie initiatique,
soit au moins de
s’imprégner de son esprit.
Pour aller à la rencontre du sens caché,
ésotérique, de la légende
d’Orphée, deux moyens me semblent
s’offrir à nous:
1/ Prendre le texte tel quel
et en passer le sens au crible de notre
symbolisme.
Nous y retrouverions très rapidement les oppositions
complémen-
taires que nous connaissons bien:
lumière - ténèbres
soleil - lune
masculin - féminin
et même Sagesse - Force - Beauté.
Cela ne manquerait pas d’intérêt, mais
ce serait fort long et surtout assez
hasardeux, car le point de départ serait quand
même fort éloigné de la
“source”
initiatique, et il nous manquerait en plus pas mal de clefs pour
espérer y
atteindre.
2/ Remonter directement à Orphée
lui-même, en essayant de nous en approcher par
d’autres canaux que ceux cités
précédemment.
Cette démarche, plus rapide, me semble mieux convenir
d’une part au cadre et à
la durée du travail que je vous présente ce soir,
et elle est d’autre part
nettement moins aléatoire.
Nous voilà donc revenus à l’une de nos
questions initiales:
Qui était Orphée ?
A-t-il réellement existé, ou est-il un pur mythe ?
Comme toujours, la réponse est sans doute à
mi-chemin.
Selon Pindare, poéte grec du 4ème
siècle avant notre ère, qui a
développé, à
travers des récits mythiques, des idées
religieuses et morales, il y a trois
sortes d’êtres: les dieux , les hommes , et les
héros.
Ces derniers sont des hommes, mais qui se distinguent par leur
comportement
surhumain: ils ont rapport avec la divination, avec le combat ou avec
les
Mystères, et en général leur mort a un
relief exceptionnel. Souvent même, ils
continuent d’agir après celle-ci, confirmant et
proclamant ainsi leur nature
plus qu’humaine.
Orphée appartient sans nul doute à cette
catégorie des héros,
telle que nous venons de la décrire.
En effet, selon les sources dont nous pouvons disposer, il aurait bien
existé
et aurait vécu environ au 10ème siècle
avant J.C.
Il était de race royale, car fils d’un prince du
royaume de Thrace et d’une
prêtresse d’Apollon.
Il s’était fait remarquer dès sa
jeunesse par sa voix mélodieuse, au charme
étrange. On dit qu’il parlait des dieux
d’une façon nouvelle, qu’il semblait
inspiré et que ses yeux rayonnaient de force, de douceur et
de magie.
Et puis, brusquement, il avait disparu, si bien qu’on le
croyait mort.
En fait, il s’était enfui secrètement
en Egypte, où il avait été accueilli
par
les prêtres de Memphis. Initié à
l’intégralité de leurs
Mystères, il était
revenu au bout de 20 ans, sous un nom d’initiation
qu’il avait conquis par ses
épreuves et reçu de ses maîtres comme
un signe de sa mission.
Il s’appelait maintenant Arpha
ou Orphée,
ce qui veut dire celui qui guérit par la
lumière, d’après les deux
mots phéniciens: aour = lumière
et rophae = guérison, et
s’installa
dans le plus ancien sanctuaire de Jupiter, situé sur le mont
Kaoukaïon.
|
|
A cette époque,
la Grèce était
profondément divisée politiquement et
religieusement, par suite des origines très diverses du
peuplement de ce pays
où, aux Gètes, Scythes et Celtes primitifs, de
race blanche, se mêlaient des
colonies venues de l’Inde, de l’Egypte et de la
Phénicie.
Chaque race constitutive de la “nation” grecque
avait apporté avec elle ses
prêtres, possesseurs de certaines sciences initiatiques, ce
qui avait conduit à
la fondation de multiples sanctuaires dédiés
à de non moins multiples dieux.
Certains prêtres célébraient Zeus, dieu
mystérieux et universel, mais le peuple
lui préférait les dieux et les déesses
représentant la nature sous ses
différents états, qui était ainsi
à la fois redoutée et
vénérée.
Cependant, comme toutes ces divinités n’avaient
aucun lien fondamental entre
elles, elles se faisaient la guerre, et cette guerre se poursuivait
entre
temples ennemis, entre cités rivales et bien sûr
entre les peuples eux-mêmes,
de façon le plus souvent sanglante.
Vous me permettrez, mes Frères, d’ajouter que,
hélas, rien n’a changé depuis
dans ce domaine, puisque les hommes continuent à
s’entretuer en invocant des
motifs religieux, alors que ceux-ci ne sont finalement que des
prétextes
commodes pour justifier ces affrontements.
Mais, revenons à Orphée...
Dans sa région natale, la Thrace, montagneuse et sauvage,
située au nord de la
Grèce, la lutte entre les temples était aussi
forte qu’ailleurs. Elle opposait
les cultes solaire et lunaire, qui représentaient deux
théologies, deux
cosmogonies, deux religions et deux organisations sociales absolument
opposées.
Les cultes solaires avaient leurs temples sur les montagnes, leurs
prêtres
étaient des hommes et leurs lois étaient
sévères.
Les cultes lunaires, par contre, s’installaient dans les
forêts, ou dans des
vallées profondes, leurs prêtres
étaient des femmes et leur rites voluptueux et
violents.
En Thrace comme ailleurs, ces deux cultes se livraient une guerre sans
merci,
et celle-ci avait fini par tourner à l’avantage
des cultes lunaires, car les
forces et les passions plus “naturelles”
qu’ils mettaient en œuvre convenaient
mieux au peuple, qui s’y reconnaissait davantage, y compris
au niveau de la
violence. Leurs prêtresses avaient remis en honneur le vieux
dieu qu’était
Bacchus, mais en donnant à son culte un caractère
sanglant. Elles avaient pris
le nom de “Bacchantes” et étaient tour
à tour magiciennes, séductrices, et
sacrificatrices sanglantes de victimes humaines.
Petit à petit, par la volupté et la terreur,
elles avaient pratiquement pris
l’intégralité du contrôle de
la Thrace, où seuls quelques sanctuaires solaires
parvenaient à résister, repliés sur
des sommets isolés et farouches.
C’est dans ce contexte que se situe le retour
d’Orphée au sanctuaire de
Jupiter, donc au sein de l’un des lieux du culte solaire.Il
en devient aussitôt
le grand prêtre, car sa science initiatique
dépasse largement celle des autres.
Et voici ce qu’il dit en substance aux disciples qui se
pressent de plus en
plus nombreux auprès de lui
:
Un seul être règne dans le ciel:
Zeus.
Il est à la fois Homme et Femme,
Père et Mère, Epoux et Epouse.
De ce mariage sacré naissent les
éléments, la nuit et le jour,
et tous les autres dieux.
Si Zeus est le grand démiurge, Dionysos est
son fils, son Verbe
manifesté, descendu sur terre où
il fut tué et mis en pièces par
les Titans.
C’est de la fumée de son corps que
sont sorties les âmes des hommes,
qui sont donc la chair et le sang de Dionysos.
N’ayant pas l’intention de
développer mes propos dans la direction de
l’étude de l’orphisme, je ne pousserai
pas plus loin cette description, et je
me contenterai simplement de souligner le lien entre ce message et la
tradition
dont il est issu, la haute religion égyptienne, ainsi que sa
parenté avec la
trinité chrétienne: Pére -
Fils - Saint Esprit.
Orphée, par sa force, par la profondeur de son message
initiatique, avait
redonné foi et courage à tout son peuple et
était devenu un personnage très
important.
Bien évidemment, cela n’était pas pour
satisfaire les terribles Bacchantes, qui
jurèrent sa perte.
Alors, après avoir transmis le flambeau initiatique
à ceux qu’il estimait
dignes de le porter, Orphée, bien qu’il sache que
sa mort serait au bout du
chemin, choisit d’aller seul à leur rencontre.
Arrivé dans le territoire ennemi, il prêcha la
divinité de Zeus, le dieu
unique, la Lumière. Là, comme par miracle, la
douceur de sa voix, la hauteur de
son message, calmèrent ses auditeurs et en même
temps attirèrent vers lui de
plus en plus de monde, y compris les Bacchantes, elles aussi
subjuguées.
Mais la grande prêtresse, Aglaonice, parvint à
reprendre son contrôle sur
elles, et elles tuèrent Orphée.
Cette mort, digne et courageuse, fit un très grand effet sur
les populations et
entraîna l’adhésion d’un
nombre croissant d’entre elles au message orphique,
tout en obligeant dans le même temps les Bacchantes
à s’enfuir.
C’est ainsi que le message d’Orphée
s’infiltra plus fort à travers la
Grèce,
par les voies secrètes des sanctuaires, faisant vibrer
le chœur des initiés
comme les sons d’une lyre invisible.
Mais, il reste deux grandes questions, mes Frères.
Et Eurydice, dans tout cela?
Et le lien avec la légende virgilienne ?
En ce qui concerne Eurydice, elle aurait bien été
l’épouse d’Orphée,
au
sens non pas charnel, mais spirituel.
Elle serait morte, empoisonnée par la grande
prêtresse Aglaonice, qui ne
pouvait supporter de la voir partager l’amour avec son ennemi
mortel.
Après quoi, Orphée, qui était, lui,
encore vivant, serait parti à la recherche
de l’âme de sa bien-aimée, à
travers toute la Grèce, et il ne l’aurait
retrouvée qu’en atteignant un degré
surhumain d’extase, grâce à la force de
son
ascèse initiatique, état correspondant
à ce que la légende appelle “ descente
aux enfers “, car il comporte de grands risques pour celui
qui s’y essaie.
Eurydice lui aurait alors révélé que
son âme se trouvait à mi-chemin entre le
ciel et la terre, et qu’elle ne pourrait atteindre le ciel
que si lui,
Orphée, donnait la Lumière à la
Grèce, puis elle aurait disparu de sa vue.
Nulle mention n’est faite, dans cette version, du
retournement d’Orphée, qui
aurait causé la perte d’Eurydice.
Elle disparaît simplement à ses regards, car elle
poursuit sa rédemption, qui
est liée à la réussite de la mission
d’Orphée.
Mon interprétation, qui vaut ce qu’elle vaut,
serait alors que l’idéal
orphique, qui rejoint le nôtre, et qui consiste à
passer des ténèbres à la
lumière, demande, exige même, que l’on ne
se retourne pas.
Le vieil homme est mort dans le cabinet de réflexion, ses
dernières pensées de
profane ont été brûlées, il
doit
|
aller
de l’avant, et son regard, comme nous l’avons
demandé tout à l’heure à
l’ouverture des travaux, doit constamment “
être tourné vers la Lumière ”.
Orphée aurait ainsi mis en pratique, au sens propre, la
devise V.I.T.R.I.O.L du
cabinet de réflexion, dont nous savons qu’elle
signifie :
“ visite l’intérieur de la
terre et, en rectifiant, tu trouveras la
pierre cachée “. Cette pierre cachée,
c’est Eurydice, qu’Orphée trouve en
visitant symboliquement
l’intérieur de la terre, c’est
à dire en fait l’intérieur
de lui-même.
Il réalise ainsi en lui l’union des principes
opposés masculin et féminin,
remontant à l’Unité principielle.
Quant à la mort physique
d’Orphée, elle ressort de
l’éternel
combat entre le Bien et le Mal. Tant qu’un
équilibre, toujours précaire, semble
exister entre ces deux forces, un calme apparent règne. Mais
le développement
de l’une exacerbe la réaction de l’autre.
Orphée, en ralliant à son message des foules de
plus en plus importantes, et
jusqu’à de nombreuses prêtresses du camp
opposé, développe l’empire du Bien et
devient un danger mortel pour le Mal. Il doit donc mourir pour que
l’équilibre
se réinstalle.
Mais la mort d’Orphée, si elle marqua la fin de
son existence physique, ne mit
pas fin, bien au contraire, au courant spirituel qu’il avait
impulsé. Elle
raffermit la foi et la confiance de ses disciples et convertit
ceux-là même qui
l’avaient mis à mort, donnant à la
Grèce toute entière son message religieux.
Un autre élément important est à noter
dans la mort d’Orphée: son corps est mis
en pièces et dispersé sur le sol.
Cette description l’apparente aux rites de
passage, que l’on
retrouve dans la plupart des religions primitives.
Dans celles-ci, le plus souvent, un jeune homme est choisi et est
consacré au
dieu. Jusqu’au sacrifice, il va personnifier ce dieu sur la
terre et être adoré
comme tel, puis il va être mis à mort et son
corps, mis en pièces, va être
dispersé, chacun de ses restes mis en terre,
régénérant ainsi symboliquement
celle-ci.
C’est à partir de ces rites funéraires
qu’il nous faut chercher la
signification des morts rituelles que comportent les initiations,
règle à
laquelle la nôtre ne déroge pas. Ce
n’est que par une mort symbolique suivie
par
une résurrection que l’homme peut
franchir l’épreuve initiatique.
Insister davantage sur ce point risquant de nous éloigner
par trop du 1er degré
symbolique, je me contenterai donc de cette évocation.
Il me reste à envisager la dimension purement mythique
d’Orphée, déjà entrevue tout
à l’heure.
Et tout d’abord, qu’entend-on par
“mythe” ?
Ce terme ayant de multiples significations, je retiendrai plus
particulièrement
celle qu’en donne le philosophe Mircea ELIADE :
le mythe raconte une histoire sacrée, il
relate un
évènement qui a eu lieu dans le
temps primordial.
C’est donc toujours le récit
d’une création.
Les mythes dévoilent la sacralité
en décrivant les
irruptions du sacré dans le Monde.
|
Or,
ce qui est purement mythique, et que je n’ai
qu’effleuré tout à l’heure
dans l’histoire d’Orphée,
c’est la notion de faute.
L’excès d’amour amène
Orphée au-delà de la condition humaine, hors des
limites
prescrites par les dieux, comme dans le mythe biblique du Jardin
d’Eden.
L’interdiction des dieux n’empêchait pas
Orphée de regarder Eurydice
mais, en se retournant, de regarder en fait l’interieur
des enfers.
Donc, ce qui est interdit, c’est un certain type de
connaissance.
Et si la connaissance est associée à la faute,
c’est que là où il y a
connaissance, il y a dualité du sujet et de
l’objet, séparation et cassure.
Connaître nous
détourne d’être.
C’est d’ailleurs bien cela que nous vivons lors de
l’initiation au 1er degré,
au cours de notre premier voyage symbolique. Comme le dit alors le
rituel l’ascension
que vous avez tentée devait être, fatalement,
suivie d’une chute, qui aurait pu
être mortelle sans le secours des mains fraternelles qui vous
ont soutenu au
moment le plus critique.
C’est pourquoi cette faute ne peut être
rachetée que par la mort symbolique et
initiatique.
Il n’est pas possible à l’homme de
recevoir sur terre la plénitude de la
connaissance, que l’on peut appeler aussi la
Vérité Absolue, il ne peut que
l’entrevoir et, s’il en a la volonté et
le courage, s’en approcher.
Orphée, comme bien d’autres, nous montre le
chemin, mais c’est à nous de le
gravir.
M\
C\ |