Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
Symbolique et poésie La
nature est un temple où de vivants piliers, Correspondances Lorsque j’ai commencé à réfléchir au sujet de cette planche, Symbolique et Poésie, ces vers de Baudelaire me sont venus à l’esprit, comme en résonnance. Ils m’ont tout d’abord parus évidents, et résumer la place que la symbolique et la poésie occupent en F\ M\. Et puis, réfléchissant de façon diffuse sur les rapports de la symbolique et de la poésie, j’ai réalisé combien l’une et l’autre pouvaient être les outils de notre travail en Loge, mais aussi à quel point elles pouvaient nous égarer. Il y a clairement de ma part une certaine ambivalence à l’égard du symbole. Plus jeune, j’étais un anticlérical convaincu et militant, comme tous les membres de ma famille. La religion était l’opium du peuple, la poésie souvent soupçonnée de décadentisme, les mythes des témoignages brulants de la lutte constante des forces productrices, et si à l’époque je ne me posais pas la question du symbolisme, on s’en doute j’avais en sainte horreur les icones. Bien sûr, mon appréhension a évolué, et mon entrée en maçonnerie est intervenue à un moment où j’avais déjà quitté l’anticléricalisme militant. Et comme tout converti, je me suis trouvé devant le symbolisme comme un amateur devant la vitrine d’un pâtissier… Dans cette planche j’évoquerai d’abord le sens que j’accorde au symbole, l’épaisseur que je lui trouve. Puis j’évoquerai le risque que je perçois dans le travail du symbole, lorsqu’il s’assèche et qu’il perd de son sens. Car les symboles vivent, et parfois meurent, lorsqu’ils ne sont plus irrigués par l’intuition qui présida à leur naissance. Le symbole est un objet central de nos travaux, c’est un support qui nous permet l’élargir notre perception et notre compréhension, même si parfois son sens se dérobe. Les Apprentis, et nous sommes tous d’éternels apprentis en maçonnerie, en font presque tous l’expérience. Leur interrogation inquiète consiste à comprendre ce que peut bien vouloir dire ce pavé mosaïque, la lune, le pas de l’apprenti, les fenêtres grillagées sur le tableau de Loge… Et chaque 2nd Surveillant interpelé par un Apprenti se dit sans doute en lui-même, « Mon Frère, que te dire ? Je ne sais ni lire…». Le symbole tient son caractère mystérieux du fait qu’il n’énonce pas, il ne donne à voir qu’une partie de ce qu’il invoque. En français le mot symbole a la même ambivalence lexicale qu’en grec. Le symbolon est un signe de reconnaissance. A l’origine il s’agit d’un objet coupé en 2 dont chacun conserve une moitié, pour la transmettre éventuellement à un tiers, peut-être à ses enfants. Le moment venu ces 2 parties sont rapprochées et s’emboîtent. C’est le signe de reconnaissance. Pris séparément chacun des 2 morceaux n’a pas de signification, c’est un tesson quelconque qui ne prendra sa signification que dans un contexte particulier, lorsque les conditions sont réunies, en présence de sa moitié. Le symbole porte ici sa dose de mystère, son sens n’est pas dévoilé d’emblée et il n’est compréhensible qu’à l’initié. Parfois, il n’est même perceptible qu’à l’initié : tel n’y verra qu’un objet cassé qui de ce fait échappe à l’attention, tel autre aura compris. Mais en grec, à coté de cette acception qui porte une dimension symbolique du mot symbole, il y a une définition plus prosaïque et d’un registre différent. Le symbolon c’est aussi le jeton que le juge recevait en entrant au tribunal et contre lequel il était payé (un jeton de présence, une feuille d’émargement) ou encore tout simplement un signe convenu, un signal, une convention, ou encore un contrat. Là rien de mystérieux, les clauses sont mises noir sur blanc. Le mot grec symbole de son coté désigne aussi bien une convention, un contrat qu’un emboitement. Ainsi, la boucle est bouclée. Cette idée de rapprochement que porte le mot symbolon vient du verbe sym-ballo. Sym, c’est ensemble, ballo c’est lancer, jeter. Symballo, c’est jeter ensemble, rassembler mais aussi échanger, mais aussi rapprocher, comparer, mais aussi rapprocher par la pensée nous dit le Bailly, conjecturer, interpréter. Pour nous franc-maçon il convient de savoir quel sens nous souhaitons donner au mot symbole. Le « symbolon » parle à ceux qui partagent quelque chose avec lui, qui le reconnaissent, qui l’acceptent : « mes frères me reconnaissent comme tel ». Bref, le symbole rapproche, c’est un terme positif. A l’inverse, le diabolé est ce qui sépare, la division, ce qui brouille (dia-ballo : jeter entre, insérer, désunir, mais aussi calomnier ou encore tromper). Le diabolos, qui désunit, est médisant, calomniateur, bref le diable, c’est celui qui porte le mal. Mais ceci est une autre histoire, revenons au symbole. En français le symbole a aussi un autre sens, il représente quelque chose. Comme l’icône, la symbolique électrique représente clairement, dès lors que l’on a appris la convention, un objet. Ici pas de notion de partage mais une représentation, une convention avec signification univoque, alors que notre symbole est plurivoque. Mais le symbole ne sert-il qu’à crypter la communication, est-il simplement un signe de reconnaissance pour les initiés comme l’attouchement (« Qu’est ceci ? C’est l’attouchement de l’apprenti franc-maçon, Que signifie-t-il ? », etc.). Notre symbole, celui auquel nous nous référons en maçonnerie, est poétique. Son sens ne s’épuise pas dans une définition unique. La suite on l’a comprise ! On n’apprend pas les symboles comme on apprendrait un alphabet maçonnique. Les dictionnaires des symboles ne nous sont en maçonnerie d’aucune utilité, ils risquent même de brouiller les pistes au lieu d’apporter de la lumière. C’est un peu comme la clé des songes, les manuels qui prétendent expliquer les rêves qui se laisseraient donc ensuite facilement décrypter. Mais on le sait, même sans être outrageusement freudien, la signification des rêves ne se résume pas en une succession d’images qui se laisseraient traduire mot à mot en une phrase pour narrer une histoire. C’est moins l’image elle-même que l’association qui fait sens. Je voudrais évoquer 2 symboles qui me parlent particulièrement, car les symboles « laissent parfois sortir de confuses paroles ». D’abord la verticale, et puis la lumière. La verticale c’est l’axe de travail qui est donné à l’Apprenti. Travail vers l’intériorité, la descente dans les profondeurs, mais aussi mouvement vers la lumière ou la voute étoilée. Cet axe relie l’infiniment grand, le macrocosme dont je suis partie, à l’infiniment petit, le microcosme qui est en moi. Cet axe relie ce qui est en bas à ce qui est en haut. Il relie la hauteur à la bassesse. La verticale, c’est bien le lien entre les 2 visages du Janus Bifrons. Ou encore les pieds sur terre, la tête dans les étoiles. Les pieds dans Gaia, là où se trouve le cabinet de réflexion pour l’épreuve de la terre, la déesse mère, le ventre nourricier, l’utérus de la terre. Et puis le haut, c’est l’Olympe, le séjour des dieux, là où est la tête, le monde de la pensée, etc. Et la verticale c’est le chemin. Chacun y perçoit une charge symbolique plus ou moins forte. Un frère est particulièrement sensible au pavé mosaïque, qui lui parle et ne me dit rien. A l’inverse, la verticale me parle beaucoup ; c’est pour moi une évidence : le haut et le bas se touchent. D’ailleurs, on le sait bien : sans base, que construire, qu’ériger ? Et cela peut, éventuellement, donner un sens à ces vers, sybillins, d’Hermes Trimégiste : « ce qui est en haut est comme ce qui est bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ». C’est aussi ce qui est dit en d’autres termes au fronton du temple de Delphes : « connais-toi toi-même, et tu connaitras l’univers et les dieux ». Quelle audace ! Je résiste à la tentation de continuer ma déambulation autour de la verticale. Le champ est vaste et le chemin jamais définitivement parcouru. C’est aussi ce qui fait le secret maçonnique. Quant à la lumière… Là encore de l’ambivalence. Le symbolisme en maçonnerie vise à nous faire accéder à une autre signification, une autre dimension. La poésie procède de la même façon. C’est là leur force, mais aussi le risque qu’ils présentent l’un et l’autre. Le goût du symbole déboucha à la fin du 19ème sur un mouvement artistique, aussi bien en littérature qu’en peinture, qui se veut une réaction contre le réalisme et la technicité du l’esprit du temps, c’est le symbolisme. On comprend ce qu’est le symbolisme en allant visiter le musée Gustave Moreau dans le 9ème, un des plus dignes représentants du mouvement dans le monde la peinture. Dans un hôtel particulier fin de siècle on déambule dans l’atelier de l’artiste, mais aussi dans la salle à manger, surchargée, dans la chambre qui est comme un mémorial avec les photos des ancêtres, dans un petit salon, pièce de dévotion dédiée à une femme aimée et disparue. Cet intérieur respire la quête d’un ailleurs, d’un au-delà. Les peintures sont troublantes, parfois pompiers et grandiloquentes. Chez les petits maîtres (Franz Von Stuck, Jean Delville), elles frôlent le simplisme tant le symbole est pour ainsi dire exhibé sans surprise, chez les maîtres comme Moreau ou Klimt, on perçoit le souffle. Reste que le symbolisme, lorsqu’il n’est pas inspiré, risque d’atteindre rapidement une limite. Rémy de Goumont résume assez bien ce que l’on peut mettre derrière ce mouvement : « Liberté de l’art, tendance vers tout ce qui est nouveau, étrange et bizarre, idéalisme, dédain de l’anecdote sociale, antinaturalisme ». Le livre des masques C’est pour moi la limite de la légitimité du symbole et du symbolisme : lorsque le symbole n’est plus porte ouverte vers quelque chose, mais repli dans un monde imaginaire, refus du réel, parfois complaisance. Alors il perd sa raison d’être. Et le symbolisme va s’épuiser dans le mouvement décadent avec des auteurs comme Huysmans. Dans A rebours, il est représenté par Des Esseintes qui pratique égocentrisme et esthétisme. Là on est autre part, on se replie dans sa Tour d’ivoire. Il me semble que c’est un écueil qui nous guette dans le travail symbolique : un ronronnement fermé sur lui-même, figé. Un ronronnement où le symbole a perdu de sa poésie, de la fluidité, de son mouvement et où il ne crée plus de sens. Car ce qui fait la force du symbole, c’est sa dimension poétique. La poésie Poiesis : fabrication, mais aussi création au sens artistique. Poieo, faire, fabriquer-> enfanter -> imaginer, inventer. La poésie, c’est la force de l’évocation, c’est faire parler les mots, les laisser se rencontrer. Le poème La courbe de tes yeux de Paul Eluard. « La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur ». Quel raccourci, économie de mots, pour ainsi dire téléscopage entre l’autre et moi, entre mon intériorité (le cœur) et la porte sur l’extérieur (les yeux). « La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur » La rotondité dans la courbe et dans le tour. Comme pour les symboles, chacun a ses poètes, éprouve une vibration particulière avec tel ou tel. Et la poésie comme le symbolique a ses écueils, ses scléroses. Ce sera les procédés poétiques qui aident à créer des effets en copiant les formules des auteurs inspirés mais qui ne créent pas toujours du sens, et même parfois figent les images. Symbolique, poésie : même combat. Libérons l’émotion et la rêverie, alimentons-les aussi ! J’aimerais terminer par un ouvrage que j’ai croisé dans mes pérégrinations en consultant un vieux dictionnaire encyclopédique Quillet des années 30. Autour des mots symbole, symbolisme, symbologie, symbologisme, apparaît le synonyme psittacisme. « Le psittacisme et la pensée symbolique » L. Dugas, 1896 Pour moi, clairement ce n’est pas dans cette direction qu’il convient de travailler. S’il convient de connaître un certain nombre de symboles, on s’épuiserait à vouloir tous les connaître afin de maîtriser un réseau de signification exhaustif et définitif. Osons lâcher prise et trouver la juste distance : comme il faut s’inspirer du rituel mais ne pas l’ânonner, ne soyons pas les psittacidés du symbole. A noir, E blanc, I
rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d'ombre ; E,
candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles,
vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O,
suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges ; - O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! J’ai dit. F\ L\ |
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