Peut-on parler du Progrès Moral ?

A l'aube d'un nouveau millénaire, poser la question du progrès moral est une véritable gageure. Si le progrès technique paraît être une réalité incontestable en Occident, il n'en va pas de même pour le progrès moral. Cette notion, bien que difficile à définir, ne manque pourtant pas d'intérêt, en particulier pour les francs-maçons…

Le mieux est encore de commencer par consulter le dictionnaire. D'après le Petit Robert, le terme apparaît en 1532 et viendrait de « progressus », autrement dit « développement », « action d'avancer ». En 1757, c'est-à-dire en plein siècle des Lumières, on parle parfois du progrès avec un P majuscule. C'est en effet l'époque d'avancées scientifiques multiples ainsi qu'une période intellectuelle féconde marquée en France par les idées pré-révolutionnaires et démocratiques. Le XIXème siècle ne fera que confirmer cette tendance avec l'avènement du positivisme (« L'ordre pour base et le progrès pour but », écrit Auguste Comte) et la croyance en une science toute-puissante, nécessairement toujours bénéfique pour l'homme et la société en général. Tout le problème est là : le progrès technique est-il toujours accompagné ou suivi du progrès moral ? Il y a confusion des genres : l'être humain n'est pas une machine. Il n'évolue pas automatiquement et de façon prévisible. Il a un rythme qui lui est propre, un rythme plus lent et qui bien sûr est influencé par l'environnement politique, social et technologique.

Si par progrès moral on entend une ascension continue de l'humanité vers un monde meilleur et plus juste, on ne peut qu'être perplexe face à la longue série d'avancées et de reculs successifs. Les avancées sont importantes : je pense notamment au développement de l'instruction publique et gratuite en France; malheureusement, les reculs sont tout aussi grands : il suffit d'évoquer les guerres à répétition. Après la boucherie des tranchées et l'horreur des pilonnages de la Première Guerre mondiale par exemple, le monde aspirait à la paix. Moins d'un demi-siècle plus tard, ce fut la Seconde Guerre mondiale, tout aussi meurtrière et encore plus sophistiquée, en quelque sorte, puisque l'on assista à la barbarie planifiée d'Auschwitz et d'Hiroshima…

Faut-il alors désespérer ? Ce n'est pas une attitude sage. Ce ne peut être une attitude maçonnique. La franc-maçonnerie n'a-t-elle pas été créée pour rassembler, relier des « hommes de bonne volonté » épris de justice et de fraternité ? Chaque nouvel apprenti ne découvre-t-il pas que « La franc-maçonnerie, institution essentiellement philosophique, philanthropique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité et la pratique de la solidarité ; elle travaille à l'amélioration matérielle et sociale, au perfectionnement intellectuel et moral de l'humanité » ? Tout nouvel Initié cherche la lumière, non pas seul mais aux côtés de ses frères en loge. Si je suis seul, j'ai un horizon nécessairement restreint, alors qu'il n'y a pas de limites quand on agit ensemble -c’est à mes yeux toute la richesse de la maçonnerie. Le fait qu'elle existe depuis déjà plusieurs siècles, et ce dans le monde entier, est à mes yeux un facteur de progrès, de progrès de l'esprit humain. On peut donc bien parler de progrès moral. Le maçon sait bien qu'il n'est qu'un homme, avec ses qualités mais aussi ses défauts ; il ne se décourage pas pour autant et taille sa pierre brute sans relâche afin de contribuer à la construction du Temple idéal, ce Temple étant bien sûr toujours imparfait et inachevé. L'important à mon avis n'est pas de chercher à achever ce Temple car c'est peut-être utopique ; ce qui compte, c'est bien plutôt la démarche, c'est-à-dire de faire l'effort d'avancer, autrement dit de progresser, vers la Lumière.

Je conclurai cette petite réflexion en citant Kant, qui fit des études de philosophie mais aussi de théologie et de sciences. Sa devise était : « Le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale en moi ». Je garde donc les pieds sur terre mais cela ne m'empêche pas de regarder de temps en temps en loge la voûte étoilée !

P\ H\