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A propos de l’ésotérisme chrétien… Ce titre propose deux termes que nous devrons, en préalable à tout développement, expliciter : ésotérisme et chrétien. Ainsi nous nous proposerons d’essayer de répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce que l’ésotérisme ? Qu’est ce que le Christianisme ? (recherche de traces d’ésotérisme dans son histoire, ses dogmes et ses sacrements) Y a t il un ésotérisme chrétien ? Si oui, en quoi consiste-t-il et concerne t il les Maçons d’aujourd’hui ? Si non, quel pourrait être l’ésotérisme de la tradition occidentale ? Enfin nous nous livrerons à une brève conclusion recentrant notre propos dans le cadre de l’unité transcendantale des traditions. Nous poserons pourtant, en préalable, deux limites à ce travail. La première concerne le champ d’investigation ; nous nous contenterons d’observer la tradition occidentale, l’Eglise d’orient offrant une réalité sans doute différente. La seconde concerne nos connaissances ; il serait très présomptueux d’affirmer tout savoir d’une chose dont l’essence est d’être, si non cachée, au moins discrète. I de l’ésotérisme. Il importe, dans un premier temps, de déterminer l’ancienneté du terme afin de savoir s’il désigne un concept traditionnel. René Guénon nous indique qu’il fut utilisé par certaines écoles philosophiques de la Grèce antique. Le mot est en effet grec. Mais, en réalité, le terme d’ésotérisme est totalement absent de la littérature grecque sous sa forme substantive. On ne peut donc légitimement fonder le concept d’ésotérisme, et le promouvoir au rang de catégorie majeur des doctrines religieuses, sur la haute antiquité hellène. En réalité, le terme substantivé et donc le concept sont modernes. Ils semblent être, en partie, une création guénonienne. Le mot apparaît réellement en 1828 sous la plume de l’historien Jacques Matter et c’est le socialiste Pierre Leroux qui en assure la diffusion en 1840 dans son ouvrage «de l’Humanité », pour qualifier la doctrine pythagoricienne. Il existe une corrélation évidente entre le milieu où s’élabore le concept d’ésotérisme, comme catégorie générale de la pensée religieuse, et la notion qu’il désigne. Ce milieu semble bien être celui du romantisme socialisant qui inspirera la révolution de 1848 : selon Jean Borella, il s’agit « d’une nébuleuse idéologique où se conjuguent la religion de l’humanité et le culte de la démocratie, de confuses spéculations sur la Trinité, la Femme, le progrès industriel et social. Ajoutez à cela un goût pour les sociétés secrètes et l’on aura une idée assez précise de cette mythologie, plus ou moins saint simonienne qui excite l’imagination de Michelet, Georges Sand, Alexandre Dumas, Victor Hugo ou de l’Abbé Constant (Eliphas Levi) ». René Guénon donnera une consistance à cette notion d’ésotérisme qui, grâce à lui, accèdera au statut de catégorie universelle de la pensée religieuse. Dès lors, sa présence, ou son absence, dans une religion déterminée en définira le caractère complet ou incomplet. Il est bien évident qu’en raison même de sa nature cachée, seuls quelques « grands initiés » sont en mesure de constater, dans telle ou telle tradition, les signes de cette présence de l’ésotérisme ! Il faut en effet, pour cela, la possession de quelque vertu innée que, nous semble-t-il, beaucoup croient avoir. De plus, nous noterons que l’emploi d’un concept abstrait, pour désigner ce qui faisait précédemment l’objet d’une pratique qualifiée d’ésotérique dénote une perte de connaissance. Il n’est point besoin, lorsque chacun sait, pour soi même, ce qui est beau, de se poser la question de savoir ce qu’est la «beauté en soi » lorsque, effectivement, le ressenti, l’émotion devant la beauté s’estompe, il devient important de fixer sa mémoire dans des normes et un concept général de beauté. Pourtant, sous peine de clore ici notre discours, il nous faudra bien redéfinir ce terme et ce concept tellement usités qu’ils servent aujourd’hui d’indicatif dans les rayons des librairies où se trouvent, joyeusement mélangés, des ouvrages autrefois étiquetés sous les rubriques magie, occultisme, alchimie, astrologie ou symbolique religieuse. Le souffle léger du mercantilisme « new âge » syncrétise toutes les dénominations au même titre que les doctrines traditionnelles. Pour ce faire, nous abandonnerons le substantif pour nous attacher à l’étude du qualificatif. En effet, si le substantif « ésotérisme » n’apparaît que récemment dans la littérature, il n’en va pas de même pour l’adjectif « ésotérikos », qui lui est employé dans les milieux aristotéliciens du 1er siècle. L’étymologie nous permettra d’en comprendre le sens, et sur cette base d’élaborer un concept mieux adapté à la problématique qui nous intéresse ici, parce que plus restreint et plus exact. Esotérikos se décompose en trois éléments : ésô, ter, et ikos. Esô est une préposition ou un adverbe qui signifie « au dedans », « à l’intérieur » avec, à l’origine, une idée de mouvement. Ter se rapporte à teros, suffixe qui marque le comparatif. Enfin, la terminaison ikos indique l’adjectif avec une indication de spécificité. Il signifie donc « ce qui a la qualité d’être plus spécifiquement à l’intérieur ». Trois idées sont
à retenir : une première
d’intériorité, une deuxième
de déplacement et surtout une idée de
comparaison, de relativité. Une chose ne peut être
ésotérique, c’est à dire
plus intérieur que relativement à une autre qui
se trouvera, de ce fait, plus à
l’extérieur. Outre cette intériorisation, la notion d’ésotérisme que je vous propose implique un nécessaire dépassement des apparences extérieures. Nous considèrerons donc l’ésotérisme comme un mode herméneutique (2) du message révélé, un mode de lecture et de compréhension plus intérieure. Nous admettrons, de plus, que si la métaphysique représente le degré ultime de l’herméneutique spéculative, il existe encore un degré bien supérieur dépassant toute spéculation. Or, si nous entendons par ésotérisme, des niveaux de compréhension, de lecture, différents, plus intérieurs de l’Ecriture, si nous en inférons que ces degrés d’herméneutique sont réservés à des « initiés », il faudra alors se souvenir que chaque baptisé est initié. Il n’y a donc pas d’enseignement secret dans le Christianisme. A titre d’exemple, nous
citerons l’Evangile selon Saint Jean, qualifié
d’ésotérique. Souvenons-nous simplement
que son auteur reçoit son enseignement la tête
contre la poitrine du Maître lors de la Cène,
attentif aux battements de son cœur. Ceci est une parabole,
comprenne qui peut… II du Christianisme. Pourtant, il fut un temps où l’initiation chrétienne était organisée d’une façon assez semblable à celle en vigueur dans diverses sociétés initiatiques. De plus, les vérités révélées sont nommées des « mystères ». Ce mot avait, chez les Grecs, le sens de vérité cachée, voire de vérité incompréhensible. Il est évident que la Nouvelle Alliance présente les stigmates d’un véritable ésotérisme. Mais c’est un ésotérisme essentiel en ce sens qu’il découle naturellement des enseignements du Christ. Nous l’avons vu, le Maître met l’accent sur l’intériorisation du vécu de foi et sur la relation personnelle, cœur à cœur, avec le Père. Il insiste sur le dépassement des formes extérieures et de la Loi. De plus, certains de ses enseignements sont donnés en secret, et l’obligation de l’arcane pèse sur les disciples. (Mat. 17 ; 9 : « Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l'homme ne ressuscite d'entre les morts »). Il semble également, qu’une certaine parenté entre l’aspect sacramentel du Christianisme et les mystères païens puisse laisser supposer une filiation. Celse, philosophe anti-chrétien du 2ème siècle, écrit dans son « discours de Vérité », qu’ « il n’y à rien de nouveau dans le Christianisme ; sa doctrine morale serait du Platon mal compris, d’autres enseignements viennent des Mystères de Mithra, des mythes égyptiens de Typhon, d’Isis et d’Osiris ». Le plus troublant est, sans conteste, que nombre de liturgies semblent présenter des équivalences avec le bain de régénération spirituel qu’est le rite baptismal. Elles comportent une lustration par l’eau ou d’autres éléments qui symbolisent une mort suivi d’une renaissance. Jean Borella cite, à propos des mystères isiaques, un texte à la première personne, récit d’une initiation ; il s’agit d’Apulée dans les Métamorphoses (dit aussi « l’Ane d’or », texte du 2ème siècle). Cet écrivain néoplatonicien nous dit : « L’initiation doit être reçue comme l’équivalent d’une mort volontaire et d’un salut gratuitement accordé… » Il poursuit ; « j’ai approché la frontière de la mort, j’ai mis le pied sur le seuil de Perséphone, j’ai voyagé à travers tous les éléments et je suis revenu, j’ai vu le soleil à minuit étincelant d’une lumière blanche ». A la fin du 4ème siècle, Faustus, un manichéen attaque sur le même thème les chrétiens en leur disant : « Vous avez converti les sacrifices des païens en agapes, leurs idoles en martyres à qui vous offrez les mêmes hommages ; vous célébrez les mêmes fêtes que les gentils, comme les calendes et les solstices ». Ce n’est certes pas entièrement faux, il est certain que la nouvelle religion s’enracine dans un terreau culturel et cultuel qui la colore et l’alimente d’une certaine façon. Il est d’ailleurs de nombreux exemples récents de l’inculturation de la religion catholique. Néanmoins, nous sommes là dans la forme, dans l’apparence extérieure. S’il est présent, nous l’avons vu plus haut, l’ésotérisme n’est pas à ce niveau. Nous ne pouvons constater ici que l’unité des traditions qui expriment symboliquement les mêmes choses. L’ésotérisme, s’il est présent, doit affleurer dans les enseignements. Afin d’effectuer cette vérification, je vous invite à examiner d’un peu plus près l’œuvre de deux des pères de l’Eglise ; Clément et Origène. Ils ont en commun d’être d’Alexandrie, ville d’Egypte qui, par son caractère à la fois grecque et cosmopolite, semble rassembler, dans les premiers siècles de notre ère et les derniers de la précédente, toutes les gnoses du monde de l’époque. Il était indispensable, pour un hellène qui avait la prétention d’être un initié, d’avoir fait son pèlerinage à ces sources de la connaissance. Philon lui-même y témoigne de la présence des traditions ésotériques juives, égyptiennes, grecques et bien d’autres encore. Enfin, et ceci trouvera toute son importance ultérieurement, c’est tout près de là que naîtra le monachisme chrétien. Chez Clément, en effet, on peut trouver une référence constante à une gnose qui, selon Bossuet lui-même, ne s’identifie pas entièrement à la formulation doctrinale de l’Eglise, puisqu’elle en constitue une interprétation théologique et spirituelle ; un niveau plus intérieur de lecture. Mais pour Clément, le gnostique (le connaissant) n’est pas tant un privilégié ayant reçu un enseignement secret, que celui qui est doué d’une compréhension vraiment spirituelle. C’est à dire celui que ses capacités intellectuelles ne conduiront pas à mépriser la pratique des vertus et à s’affranchir des dogmes ecclésiastiques. Il observe ces « âmes gnostiques » et y voit des âmes de contemplation (théoria), puis des âmes qui obéissent aux préceptes, enfin des âmes capables d’instruire les hommes de bien. (VII Stromates). Notons bien que Clément assimile contemplation et gnose (la connaissance). L’œuvre de Clément d’Alexandrie nous apprend encore une chose importante, à nous qui vivons dans un monde démocratique, dont l’idéologie égalitaire dominante nous conduit à penser que tout le monde a droit à tout. Elle nous enseigne que la Vérité est infiniment sainte et que nous devons travailler dur pour nous rendre digne de l’entendre. La Vérité est précieuse, elle est sans prix, la brader et la vulgariser c’est la profaner et la prostituer. C’est aussi créer, à son endroit une indifférence. Combien de chrétiens sont encore, aujourd’hui, conscients d’entendre la Vérité révélée par Dieu, dans leurs églises lors de la liturgie de la Parole ? Origène est le successeur de Clément à l’école catéchétique d’Alexandrie. Il semble distinguer deux sortes de Chrétiens ; les simples fidèles, conduits par la foi, et les « disciples » ou « parfaits » qui eux, ont acquis la gnose. Ce terme, dans le vocabulaire origénien, désigne surtout une connaissance surnaturelle. Selon lui, à l’intérieur de la communauté, passe une ligne séparant les initiés des non initiés qui ne reçoivent pas la totalité des enseignements. Mais pour Origène, comme pour les autres auteurs chrétiens de cette époque, tous les baptisés sont des initiés. Il est même un des premiers à nommer le baptême un « télété », une initiation. Simplement, Origène distingue, en matière d’exégèse, trois étapes ou trois degrés dans le dévoilement des réalités divines : deux degrés d’ésotérisme et un dévoilement total dans la connaissance parfaite de la béatitude. Cette pensée sera reprise par Ambroise et structurera en profondeur toute la pensée médiévale. Notons cependant que les catéchumènes, à cette époque, n’étaient pas admis à l’intégralité du service divin. A la fin de l’office des lectures on fermait les portes de l’église et l’Eucharistie se déroulait « à couvert ». III de l’ésotérisme chrétien. Donc il existe bien un ésotérisme chrétien, mais il est conforme aux enseignements du christ, à la transmission apostolique et à la tradition ecclésiale. Jésus a certes enseigné en secret, mais il annonce aussi que « rien de caché qui ne devienne manifeste, ni rien de secret qui ne doive être connu et venir se manifester ». (Luc ; 8, 17). La vocation propre au Christianisme est, incontestablement, de communiquer au plus grand nombre la vertu interiorisante de la grâce christique. Mais cette herméneutique plus intérieure, plus profonde, que nous avons suivie à travers le début de l’histoire de l’Eglise, où la retrouve-t-on ensuite ? Comme nous le laissions entendre précédemment, c’est en Egypte que nous allons reprendre sa trace avec la naissance du monachisme (3) et les pères du désert. Les premiers moines, (monos : un) ne furent sans doute pas chrétiens. On peut voir chez les thérapeutes, les esséniens ou dans les groupes de prophètes les ancêtres de ces hommes n’ayant d’autre raison de vivre que de réaliser en eux, l’unicité de l’Etre. Les premières communautés chrétiennes d’ermites et d’anachorètes vont fleurir (si l’on peut dire) dans le désert de Scété ou de la Thébaïde (de Thèbes, la ville) dès le début du 3ème siècle. Mais c’est Saint Antoine qui est considéré comme le père des moines. De fait, il paraît bien être l’archétype de ces hommes vivant la radicalité de la quête. La première des choses que nous pourrons remarquer c’est qu’ils commencent leur vie ascétique par un enfermement plus ou moins long dans un tombeau. Plus ou moins long car certains y passent plusieurs années…(le tombeau étant déjà occupé par un locataire normal pour ce genre d’endroit ; c’est à dire n’attendant plus grand chose de la vie). Nous retrouverons ce rite chez bien d’autres ésotéristes, particulièrement dans le sûfisme comme en témoigne Ibn Arabi. Mais cette initiation n’est qu’un indice formel d’ésotérisme, il nous faudra chercher, dans les quelques écrits qui nous sont parvenus, la trace d’un enseignement plus intérieur. (Notons en passant que la grande majorité de ces hommes ne savaient ni lire ni écrire). Les quelques « paroles » qui nous sont parvenues, témoignent en réalité plus de l’ascèse que de l’enseignement Néanmoins, on distingue clairement le but de cette vie : devenir un avec l’Unique. Le moyen proposé : « l’apathéia », c’est à dire le silence des passions, l’outil privilégié des philosophes grecs que l’on retrouvera chez les stoïciens notamment, qui, eux aussi, recherchent ce point, ce centre « où tout ensemble ne fait qu’un ». (Psaume 122 ;2). Nous pourrons aisément discerner ce fil conducteur, cette spiritualité, dans tout le moyen age. Notons l’étrange parenté entre les « apophtègmes » de ces pères du désert et les « Koans » des moines Zen : même finalité, même pédagogie. Nous nous transporterons maintenant, à la fin du 7ème siècle en Europe. Après l’effondrement de l’Empire Romain et le passage des hordes barbares, il ne reste plus guère de trace de ce qu’il est convenu d’appeler une civilisation. Seuls ont échappé à cette débâcle les monastères situés en Irlande et en Ecosse. Ce sont ces moines, dit de saint Colomban (4), qui vont reconstruire l’Europe. Ils connaissent bien le grec et possèdent une immense culture. Il semble bien qu’ils furent christianisés bien avant la Gaule continentale, grâce au commerce entre la Phénicie et l’Irlande existant avant l’ère chrétienne. De plus, il y avait dans les collèges druidiques une forme de vie communautaire. Tous ces éléments feront de l’île verte un formidable laboratoire où la nature mystique du peuple celte vivifiée par les apports néoplatoniciens et la théologie apophatique, (5) donneront une forme particulière à cette spiritualité monacale. Dans cette lignée émergeront, à la suite de Jean Dun Scot et de Scot Erigène, qui, comme leurs noms l’indiquent, étaient irlandais, de valeureux successeurs parmi les moines bénédictins et cisterciens. Un des plus célèbres d’entre eux, Saint Bernard, fut le promoteur, le « parrain » de l’Ordre du Temple. Ce sont également ces moines qui encourageront et structureront le compagnonnage. En marge des querelles dogmatiques entre les écoles théologiques, au 12ème siècle, cette spiritualité sera nommée « mystique spéculative ». Viendront ensuite, dans d’autres ordres religieux, le célèbre Maître Eckhart, Jean Tauler, et quelques uns encore, dont les ouvrages et les thèses, sensiblement en marge du dogme officiel, seront persécutés, tel le réformateur de l’ordre des Carmes, Saint Jean de la Croix (6). En dehors de l’Eglise, il y eut également des laïcs qui témoignèrent de cette veine spirituelle. Ils se regroupèrent souvent en confréries ou des organisations structurées sur ce modèle. Nous ne citerons pour mémoire que les Fidèles d’amour, les troubadours et certains ordres chevaleresques. Pour certains, tel Angélus Silesius, il est bien difficile de dire s’ils furent solitaires ou émergence représentative d’une organisation. (La Rose Croix en l’occurrence). Tous ces hommes ont en commun les points suivants : Une ascèse visant à réduire l’ego afin de laisser la place pour que le Tout Autre se fasse présent : «Ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » disait Saint Paul. (Gal 2 ; 20). Une conscience vivante, « expérimentielle » de l’Unicité de l’Etre. (Saint François dialoguant avec les animaux et les éléments). Un dépassement des formes et des concepts relatifs à Dieu, issue de la théologie apophatique (qui trouvera son point culminant dans un ouvrage anonyme du 14ème siècle : « Le nuage d’inconnaissance »). Ce survol, un peu bref, de l’histoire religieuse mériterait bien des développements propres à nuancer ce portrait par trop grossier. Il nous faudrait le temps de revenir sur chaque époque, étudier dans le détail chaque auteur cité et d’autres encore. IV de l’implication des maçons d’aujourd’hui dans cet ésotérisme. Il est fort tentant, pour beaucoup de nos frères, de penser que l’ésotérisme chrétien aujourd’hui est la Maçonnerie. Hélas, cette affirmation ne tient pas un seul instant devant les faits. Pour confirmer cette allégation, nous dirons, premièrement que, selon René Guénon il ne peut y avoir d’ésotérisme sans exotérisme. Nous savons certes bien que les « Old Charges », documents fondateurs de la Maçonnerie spéculative, nous font obligation de pratiquer une religion. Mais cette religion n’est pas et ne sera jamais, une partie plus extérieure de la Maçonnerie et cette dernière ne représente en aucun cas une herméneutique plus intérieure du Christianisme. De plus, la maçonnerie ne propose pas, en elle-même, une lecture différente de la seule révélation Chrétienne, mais de toutes les Traditions. Il ne faut pas confondre un langage et une culture apparemment judéo-chrétiens dus en partie au fait que la Maçonnerie vit dans ce substrat, et la filiation apostolique qui seule authentifie la Tradition chrétienne. Le problème est un peu différent en ce qui concerne le R.E.R, en tant que Régime. Mais n’oublions pas que l’initiation chevaleresque existe dans nombre de Traditions antérieures au Christianisme, de même que les initiations de métiers. Elles prennent seulement la couleur culturelle du lieu et du moment, mais elles ont leur source dans une tripartition sociale pré chrétienne (cf l’œuvre de René Guénon). Mais, en réalité, le principal obstacle à la désignation d’ésotérisme, concernant la Maçonnerie, tient au fait qu’elle est essentiellement spéculative. Or l’ésotérisme nous semble éminemment opératif. Il découle naturellement d’une ascèse totale impliquant corps, âme et esprit. La prière continuelle, la lecture amoureuse des textes sacrés et la grâce sanctifiante du Tout Autre en sont les trois colonnes. L’ésotérisme est, avant tout, une expérience intérieure, le basculement dans une autre dimension réellement vécue dans le corps et la psyché. Du quel basculement résultera une gnose, une connaissance opérante de l’ordre métaphysique. De plus, il serait intéressant de se poser sincèrement la question de savoir si la pratique maçonnique est de nature à effacer l’ego, condition sine qua non d’une réelle opérativité initiatique. Même si nos rites initiatiques nous font vivre physiquement certains des mystères métaphysiques proposés par le dogme de l’Eglise, notre parenté se situe ailleurs, dans l’unité transcendantale de la recherche de l’Unique et pour autant que cette quête existe chez le Maçon. (Mais que viendrions nous chercher en loge dans le cas inverse ? Des grades ? Des tabliers ?) Bref, nous dirons en termes symboliques, que l’initiation chrétienne se passe du triptyque Sagesse, Force et beauté ; « Car la sagesse de ce monde est folie aux yeux de Dieu » (1 cor 3,19) ; « car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1cor 1 ; 25) Et encore ailleurs, il est dit de Jésus, au Calvaire, qu’il « n’avait plus apparence humaine ». C’est, en effet, par la tendre faiblesse d’un enfant que Dieu se révèle aux hommes, par la folie d’un amour qui donne sa vie, et la mort ignominieuse du calvaire qu’Il montre le chemin de la réintégration. L’initiation chrétienne suppose que l’on puisse dire sans aucune retenue : « que Ta volonté soit faite ». A ce titre la devise Templière est exemplaire : « non nobis Domine non nobis sed nomini tuo da gloriam » (psaume 115 ; 1). V de la tradition occidentale. Si donc la Maçonnerie fait aujourd'hui partie intégrante de la tradition initiatique occidentale, c'est un phénomène récent et elle reste exogène, dans ce qui constitue son essence, à la tradition chrétienne. Or, ce qui fait l'épine dorsale de la tradition occidentale, c'est le Christianisme de l'Eglise Romaine. Même si an fil des siècles il a su intégrer d'autres traditions et se vivifier de ces apports, même si de récents événements ont pu nous laisser penser qu'il avait vendu son, âme au cours d’un concile destiné à le rendre plus moderne, plus présentable, plus vendable, le Christianisme se porte bien et témoigne même d'un renouveau intéressant. Les ordres monastiques enregistrent de nouvelles vocations et de nouveaux monastères, de nouveaux ordres se créent qui recherchent le souffle des premières communautés. Si nous postulons que l'ésotérisme chrétien perdure, il nous faudra en chercher ici les traces. Pour ce qui concerne notre époque, nous avons un instrument de mesure assez fiable : la production littéraire. Les ouvrages témoignant de cette veine sont assez nombreux depuis la fin de la dernière guerre. Quelques-uns uns sont directement écrits par des hommes d'Eglise, tel celui de l'Abbé Boon : « Au cœur de l'écriture ». Plus intéressante est la contribution du Frère Elie, moine cistercien, aux Etudes Traditionnelles et la parution de deux de ses livres « Doctrine de la non-dualité et Christianisme » en 1982 et « Théologica sine métaphisica, nihile » en octobre 1991, le jour même de sa mort. Quelques théologiens officiels du dogme sont également à inclure dans cette veine, tel Urs Von Balthazar. Son livre « le cœur du monde » offre un parallèle surprenant avec « Le Roi du monde » de René Guénon. La beauté de cet ouvrage débouche sur des enseignements d'une richesse et d'une profondeur étonnantes. Mais, le fait marquant de ces dernières décennies est la parution d'œuvres produites par des laïcs. Nous ne pouvons pas ignorer l'œuvre immense de Marie Madeleine Davy, celle de Jean Borella. Au-delà de ces émergences scripturaires, sur un plan organisationnel, il semble bien que l'ésotérisme chrétien reprenne force et vigueur. La lectio devina est toujours enseignée comme doctrine majeure chez les moines de Saint Bernard, l'oraison silencieuse de plus en plus pratiquée par les jeunes fidèles, les cours d'exégèse et d'herméneutique intéressent de plus en plus de monde. Il semble bien que l’Eglise sorte enfin de l'ornière des doctrines sociales pour se revivifier an souffle de l'Esprit. Mais, me direz-vous, s’agit-il encore d'ésotérisme ? La nature même de cette doctrine ésotérique, n'est elle pas d'être, pour le moins, discrète ? VI à la recherche de l’ésotérisme perdu. Nous ne le pensons pas car si le dépassement proposé par l'ésotérisme était parfaitement accompli et réalisé, il n'y aurait plus lieu de parler d'ésotérisme. En effet, l'ésotérisme est, par nature, relatif et offre une vision duelle de la Réalité. Or, la connaissance est unitive et, du point de vue de l'Absolu, cessent toutes les différences. Plus d'intérieur ni d'extérieur, plus d'apparent ni de caché. De fait, il apparaît que les structures tenantes d'un pur ésotérisme chrétien soient en voie de disparition. C'est le cas, entre autres de l'« Estoile Internelle » ou du « Paraclet » dont le dernier représentant « connu » vient de mourir. Mais il est très difficile d'avoir une idée exacte de cette réalité, car, les structures initiatiques traditionnelles n'ont jamais eu besoin de tenir à jour des rôles et des matricules N'encaissant pas de cotisation, elles n'ont pas de comptabilité, et, n'ayant nulle utilité d'un statut légal, elles n'ont pas pignon sur rue. Seule y prévaut la discipline de l'Arcane. L'unique chose dont nous pouvons être sur est qu'il existe encore deux ordres chevaleresques directement souchés sur Rome. Autre événement surprenant, la parution d'un ouvrage original. Il s'agit d’un petit livre anonyme datant vraisemblablement de la fin du 15ème siècle, proche de ce que l'on peut savoir de l'Estoile Internelle, dont Charbonneau Lassay fut sans doute un des derniers membres avant sa dislocation. Ce livre témoigne d’une connaissance native de l'hermétisme chrétien et trouve sa place dans la lignée des tenants du Saint Graal. Son titre est : « Sept Instructions aux Frères en saint Jean ». Il semble bien que nous assistions là à un phénomène que René Guénon a fort bien décrit: une société initiatique très discrète, voir secrète, apparaît durant quelques instants, telle la lumière verte du soleil à son couchant, et disparaît après avoir laissé des signes suffisants de son message, de façon à ce que d'autres puissent prendre le relais en temps utile. C'est ainsi que la tradition parvient à se faufiler an milieu de tout un monde chaotique en attendant l'avènement d'un nouvel ordre... VII conclusion provisoire, ou préalable au débat. Ce qui tend à confirmer notre propos, concernant la spécificité de l'ésotérisme chrétien, dans cet ouvrage se trouve dès la page de garde : « A nos Frères en Saint Jean, Au nom du Père, du Fils et de l'Esprit, pour la seule gloire de l'Un qui est Tout, afin qu’Il nous accorde Sa joie ! Et par l'intercession de la Bienheureuse Marie, Mère de Dieu ! Amen. Il n'est rien ici qui soit compréhensible par ceux qui n'ont pas éveillé leur cœur. C'est pourquoi, bien qu'il s'agisse de choses saintes, nous ne craignons pas de les livrer en ces pages, ne risquant pas de jeter les perles aux pourceaux et sachant qu'il n'est rien de voilé qui, pour ceux qui ont des oreilles pour entendre, ne doive être dévoilé. Ainsi se transmet certaine signification depuis l'aube de la Révélation, pour que quelques-uns en fassent usage comme il convient. Par la Grâce de Jésus-Christ. Notre Seigneur. Amen. » Nous pouvons y voir les paroles même du Maître que nous citions plus haut reprises ici ; Rien de caché... Que celui qui a des oreilles entende... Mais surtout ceci : « l'Un qui est Tout ». C'est sur cette donnée, principalement, que concordent tous les ésotérismes du monde, toutes les traditions. Ainsi Le plus grand. Des Maîtres sûfi, Ibn Arabi et Maître Eckhart ont pu dire ensemble : « Je suis l’œil par lequel Dieu se regarde être ». Mais, en régime chrétien cela commence par la conscience d'une chose qu’Angelus Silésius nous décrit dans un de ses diptyques : « Christ serait-il né mille fois à Bethlehem, c'est en vain pour toi s'il n’est pas né dans ton cœur ». Ailleurs on. pourra lire, sous cette même plume : « Je ne sais qui je suis, je ne suis qui je sais une chose et non une chose, un point nul et un cercle... » « Trouver ma fin ultime et mon commencement ; C'est me fonder en Dieu et fonder Dieu en moi ; Devenir ce qu'Il est : être un éclat dans l'éclat ; Une parole en la Parole, un Dieu en Dieu ». Voici, en quelques lignes, résumée toute la doctrine de l'ésotérisme chrétien. Sans doute me direz-vous que c’est bien peu de choses pour un si grand mystère ? Mais songez un seul instant qu’une personne insuffisamment préparée reçoit ces paroles sur un simple plan intellectuel, qu’elle en déduise, à juste titre que le bien et le mal sont des notions relatives… En effet ces antagonismes n’ont plus lieu d’être si c’est Dieu qui agit en moi et moi en lui. Or l’Eglise a rempli une grande mission civilisatrice pour laquelle ces idées auraient pu être dangereuses. Cette doctrine de l’Unicité de l’Etre se retrouvent dans toutes les traditions, avec pour corollaire, la même discrétion obligée et des rites initiatiques ; ainsi se réalise la parole de Jésus : « Que tous soient un » (sans distinction de couleur). Bibliographie :Jean Borella : «Esotérisme guénonien et mystère chrétien » ed Delphica L'age d'homme Lausanne 1997. « La Bible de Jérusalem » : ed Desclée de Brouwer Paris .1975 (et CD rom). Dom Lucien Regnault : « L’Evangile vécu au désert », Fayard Paris 1990. René Génon : « aperçus sur l’initiation » Editions traditionnelles, Paris 1992. René Génon : « Initiation et réalisation spirituelle » Editions traditionnelles, Paris 1983. Jean-Pierre Laurant : « L'ésotérisme chrétien en France au 19ème siècle »ed. L'age d'homme, Paris 1992. « Le nuage d'inconnaissance » : traduction d'Armel Guerne Ed le seuil, coll. Points Sagesse, Paris 1972. Ph. De Lignerolles et J.P. Meynard : «Histoire de la spiritualité chrétienne » Les éditions de l’atelier, Paris 1996. Marie Maglione : « Les plus belles prières du monde » De Vecchi poche Paris 1974. Eckhart : « Traités et sermons » trad de A. de Libéra GF-Flamarion, Paris 1993. Angelus Silésius : « l’errant chérubinique » trad de R. Munier Arfuyen, Paris 1993. Un moine d’Occident : « Doctrine de la non-dualité et christianisme » Devy livres, Paris 1982. Histoire de la Philosophie : Encyclopédie de la Pléiade, NRF Paris 1969. Abbé Boon : « Au cœur de l’écriture » ed Dervy Livres, Paris 1987. Hans Urs von Balthasar: « Le cœur du monde » trad de R. Givord, ed. Desclée De Brouwer. Bruges 1953 (une réédition a été faite très récemment). Eduard Lohse : « Le Milieu du nouveau testament » trad. A. Liefooghe, ed CERF, Paris 1973. Note : 1.Entos : Le sens de la parole souvent traduite par « au milieu de vous » emporte plus une notion d’intériorité il serait plus juste de traduire par « au centre », « au-dedans » de vous : oujde; ejrou'sin, ïIdou; wde h[, ïEkei', ijdou; ga;r hJ basileiva tou' qeou' ejnto;" uJmw'n ejstin. 2.Herméneutique : science qui a pour objet l’interprétation des textes philosophiques ou sacrés. Interprétation des phénomènes du discours en tant que signes. Notre travail, en loge pourrait être considéré comme une herméneutique du symbole. 3.Monachisme. Il importe de distinguer les moines, les religieux et les ermites : Les ordres monastiques (moines) se distinguent par la clôture totale ; ce sont les Bénédictins et les Cisterciens. Ils vivent dans des abbayes. Les religieux vivent dans des couvents et ont des règles de vie communautaires, mais ils exercent à l’extérieur des apostolats, voire des professions. Ce sont les Dominicains, les Franciscains, les Carmes. Les ermites vivent en solitude complète, ce sont les Chartreux et les Camaldules. Ces distinctions souffrent moult exceptions et aménagements. 4.Saint Colomban : ce passage de l’Histoire de notre civilisation mérite bien un travail à lui tout seul. Nous vous le proposons dès aujourd’hui. Il pourrait éclairer une face obscure de notre ascendance maçonnique. 5.Théologie apophatique ou négative est une théologie s’attachant à décrire Dieu, non pas parce que l’on croit qu’il est, mais au contraire par ce dont on est sûr qu’il n’est pas. Ceci conduit à définir le divin comme tout autre. On trouvera des exemples de cette « doctrine » notamment chez Grégoire de Naziance dont la prière suivante résume très bien la théologie apophatique : O Toi l’au-delà de tout, Comment t’appeler d’un autre nom ? Quelle hymne peut te chanter ? Aucun mot ne t’exprime. Quel esprit te saisir ? Nulle intelligence ne te conçoit. Seul Tu es ineffable ; Tout ce qui se dit est sorti de Toi, Seul tu es inconnaissable ; Tout ce qui se pense est sorti de Toi. Tous les êtres te prient, ceux qui parlent comme ceux qui sont muets. Tous les êtres te rendent hommage, ceux qui pensent comme ceux qui ne pensent pas. L’universel désir, le gémissement de tous aspirent vers Toi. Tout ce qui existe Te prie ; Vers Toi tout être qui sait lire ton univers fait monter un hymne de silence. Tout ce qui demeure, demeure en Toi seul. Le Mouvement de l’univers défile en Toi. De tous les êtres Tu es la fin. Tu es unique, Tu es chacun et Tu n’es aucun, Tu n’es pas un être seul, Tu n’es pas la somme des êtres. Comment t’appellerais-je, ô le seul innommé ? Quel esprit pourra pénétrer les nuées qui voilent le ciel même ? O Toi l’au-delà de tout, comment t’appeler d’un autre nom ? 6.Sain Jean de la Croix et l’ordre des Carmes pourraient fournir également matière à un travail exemplaire de ce que nous exposons ici. |
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