Logos
Christos - Éléments
d’ésotérisme chrétien
Introduction
Le présent essai a pour objet d’offrir aux
cheminants de la Voie initiatique dans sa tradition gnostique un angle
d’attaque des textes fondamentaux du christianisme permettant un
« décodage interprétatif » de ceux-ci qui leur
permette d’en cueillir
les fruits et de constater que, loin de contredire la spiritualité
initiatique,
ils rejoignent celle-ci pour peu qu’on prenne la peine de les hisser à
la même
hauteur.
Contrairement à certaines idées reçues, on
constatera que c’est la Tradition initiatique qui a inspiré le
christianisme
naissant et non l’inverse. Ce qu’on appelle aujourd’hui
la « spiritualité » n’est pas le
domaine exclusif des religions, loin de là !
A cet égard, l’Évangile selon saint Jean
et en particulier son prologue permet d’en faire un lumineux exemple.
L’interprétation du rite catholique de la Communion en est un autre.
Une méfiance bien compréhensible à l’égard
du phénomène religieux en général et des dérives dogmatiques et
cléricales qui
l’accompagnent trop souvent ne doit pas nuire au constat que la
Tradition est
Une.
Il ne s’agit nullement de vouloir
transformer des Initiés en Chrétiens, et moins encore en Catholiques
romains,
mais d’éclairer, pour autant que de besoin, ceux qui ne connaissent du
christianisme - et parfois très superficiellement ou par
« ouï-dire »
- que l’enseignement « exotérique » du Magistère
religieux.
une
approche initiatique de l’Évangile selon saint
Jean
Le Jésus historique fut-il un initié gnostique
et les évangiles rapportent-ils fidèlement ses paroles ? Ou
sont-ce les
évangélistes, et Jean en particulier qui auraient été initiés à la
Gnose et ont
prêté à Jésus leur propre philosophie ? Nul ne le saura jamais
avec
certitude. Mais le mythe est souvent plus « vrai »
que l’histoire. Et
comme le dit l’Apocalypse de Jean, « que celui qui a des
oreilles entende
ce que l’Esprit dit aux Églises ».
Nous connaissons historiquement la
personne du Nazaréen, l’humaniste, le révolutionnaire, l’anticlérical,
celui
qui a dit « Soyez une famille de frères », celui qui
a dit « il
n’y a plus d’esclaves », celui qui prescrivait la séparation
de l’autorité
spirituelle et du pouvoir temporel en disant « rendez à César
ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu », celui qui chassa les
marchands du
temple et critiqua les scribes et les pharisiens, celui enfin qui a dit
« cherchez et vous trouverez » Sa doctrine nous est
parvenue à
travers le récit des Évangiles, et en particulier celui de saint Jean,
l’aigle
de Pathmos, dont les premières paroles s’accordent aux thèses des
néo-platoniciens tel que les conçut le philosophe Plotin au 3e
siècle et dont l’ésotérisme nourrit la pensée initiatique. Les courants
gnostiques et manichéens s’en inspirèrent en surajoutant l’idée
dualiste que la
création serait l’œuvre d’un démiurge mauvais opposé au dieu bon. Ils
ont mis
en scène toute une hiérarchie d’agents intermédiaires entre l’Un
principiel et
son reflet en l’homme de chair, reflet qu’il peut atteindre -donc
connaître- en
explorant les profondeurs de son être, ce qui rend inutile la Foi
aveugle en
regard de la Connaissance. A la lumière de cette pensée, le Temple
ultime est
celui de l’esprit, de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse celui qui
n’est
point fait de mains d’hommes, là ou il n’y a
plus de temps, là où la fin se réintègre dans
l’origine sous le signe de
l’Agneau immolé dont le sang a blanchi la robe des Anciens.
La pratique assidue du symbolisme et du
processus initiatique permet aujourd’hui à certains de ne plus être
égarés par
ce que des religions, dans un discours destiné à la multitude, ont fait
du
concept métaphysique de Dieu. Si l’on proclame « Dieu
est », en
vérité, il n’y a rien d’autre à en dire car
ce concept absolu ne se laisse déterminer par aucune
catégorie existante, sinon celle de l’Être.
On pourrait toutefois interpréter ces mots non
comme une
affirmation mais plutôt comme une définition comme le laisse entendre
un des noms
hébraïques de la divinité : « Eieh »,
qui signifie « je suis ce qui est ».
Le Logos divin (en grec,
« logos »,
en latin « Verbum »)
dont
parle le prologue de l’évangile de Jean (rédigé en grec), signifie à la
fois
parole, verbe, raison, sagesse, logique, connaissance, cause agissante,
information
créatrice, et il n’est pas impossible qu’on
puisse l’apparenter aux Elohim
de la Genèse, les deux termes
intervenant « au commencement-principe ». Si l’on
admet avec les
néoplatoniciens que tout homme -et sans doute tout être- porte au plus
profond
de lui, en son centre, en son « milieu », la trace
vivante de la
cause première - Logos - dont il
est
le produit et la manifestation il est bien vrai que « Le
Logos a pris chair et Il a fait sa demeure au ‘milieu’
de nous», car, dit Jean, « De tout
être il est la vie ». Cette trace implique
un lien ontologique si
fort qu’il est analogue à celui qui unit un père à son fils unique.
Mais ce
« fractal » du Logos est si profond en nous et si
éloigné de notre « ego »
individuel que les profanes ou les « hommes du
torrent », obnubilés
par leurs propres pensées, leurs propres passions, ne parviennent pas y
accéder.
C’est ainsi que, dit Jean, « La
lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne peuvent
l’atteindre ».
L’initié, quant à lui, œuvre à découvrir cette lumière « mise
sous le
boisseau » en visitant l’intérieur de la terre -c'est-à-dire
lui-même -
et, en rectifiant - c'est-à-dire en déblayant ce qui l’en sépare,
notamment son
« ego » hypertrophié -, il trouvera cette
« pierre
occulte »… VITRIOL, devise hermétique de l’alchimie
spirituelle, et déjà
tout est dit… La Tradition initiatique et l’ésotérisme chrétien
affirment que cette
étincelle divine présente dans l’homme est appelée à retourner à sa
source
originelle dans une anabase mystique. C’est aussi pourquoi le mythe
chrétien
dit que le Christ, image et symbole du Logos incarné en l’homme,
proclame, en
qualité de « Logos » : « personne
ne va au Père que par
moi » et retourne ressuscité auprès de Dieu. De ce point de
vue,
l’immanence ou la transcendance du divin, objet d’éternelles querelles
philosophiques, ne sont plus mutuellement exclusives.
Auprès de ses disciples Jésus désignait
l’éternelle Lumière par l’expression « le
royaume de Dieu ». S’il ne fallait retenir que deux
de ses paroles à
ce sujet, ce seraient celles-ci :
" Le
royaume de Dieu n'est pas ici ou là, il est au dedans de vous
" et il
ajouta « Si un homme ne naît de
nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. ». Ces
paroles révèlent
l’essence même de la philosophie initiatique et de la seconde naissance
que
confère l’initiation. Lorsque Jésus, selon la Tradition chrétienne,
institue
l’eucharistie en disant aux apôtres de manger le pain de sa chair et de
boire
le vin de son sang, en d’autres termes d’incorporer
sa propre substance, c’est en tant
que symbole vivant du Logos qu’il s’exprime et le rite de la communion
réitère ainsi
pour les chrétiens l’acte primordial par lequel le Logos est incorporé
en
l’homme. Cet acte d’incorporation d’une nourriture et de présence
réelle dans
l’initié est commune aux mystères de Mithra et du Christ, enfants-dieux
nés
dans la pure virginité de la grande nuit du solstice d’hiver, à l’image
de
l’Enfant de Lumière qui apparait dans le cœur purifié de l’initié
parvenu au
plus profond de son être.
Et
enfin,
à propos du travail sur soi-même sans lequel nul progrès n’est
possible, Jésus
a dit :
« Il
est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à
un riche
d'entrer dans le royaume de Dieu ». Cette parole
évoque le détachement
qu’impose la réalisation initiatique, notamment par la maîtrise de ses
passions.
Le chemin pratique indiqué par Jésus pour
vaincre les ténèbres et atteindre la Lumière est celui de l’Amour, mais
de
l’amour absolu à l’égard de toute chose, sans attachement ni
contrepartie,
l’Amour du contentement d’être fraternellement proche des autres et de
tout ce
qui existe, sans qu’il y ait nécessairement connivence ni attirance,
l’Amour
fraternel et joyeux, « agapè » (agaph) et non pas
« philos » (filos) ni « eros »
(eros)… Le plaisir bienveillant
de simplement être là, au milieu de Tout, avec le reflet du Tout au
milieu de
soi.
Interprétation
ésotérique du prologue de l’Évangile de Jean
Sont présentés
ici :
1°- le texte original
en grec et sa prononciation
2°- la traduction
« classique »
publiée dans la collection La Pléiade (Pléiade)
3°- la traduction
« linguistique » établie par Max Wientzen (Wientzen)
4°- la traduction
« théologique » établie par Jean-Yves Leloup (Leloup)
5°- l’interprétation
ésotérique « personnelle » du texte évangélique (A.V.)
On pourra trouver les
textes des autres traductions connues en annexe à la traduction
linguistiquement très fouillée et documentée faite par Max Wientzen.
La lecture de ces
différents ouvrages peut permettre un approfondissement personnel de ce
prologue dans un esprit de libre-examen.
Note
préalable : On peut traduire le grec
« logos » par : verbe,
parole, raison, cause, action, logique, connaissance, intelligence,
information
créatrice... C’est, comme le conçoit Philon d’Alexandrie, le lien entre
le
Principe divin, informel et abstrait, et la
« Manifestation » dont
l’univers et l’homme constituent, dans l’optique choisie ici, l’état
actuel.
1
Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος
ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος.
« en arkéï en ho logos, kaï ho
logos ên pros ton théon, kaï théos ên ho logos »
(Pléiade) Au
principe était la parole, la parole était chez Dieu et
la parole était Dieu
(Wientzen)
Au commencement, au commandement était le Logos, et le
Logos était tendu vers YHVH, et le Logos était YHVH.
(Leloup) Au
commencement : le Logos, le Logos est vers Dieu, le
Logos est Dieu.
(A.V.) Dans
le monde des principes, la
Cause agissante est une émanation de l’Être Absolu, dont elle est la
manifestation première.
A
l’origine de tout alors que le Temps n’existe « pas encore,
une « cause première » tient le rôle
primordial de déclencher la
Manifestation selon les lois de la logique. Vu depuis le Principe
informel,
elle est « tournée vers » Lui ; vu depuis la
Manifestation, elle
se « confond avec » Lui.
2
Οὗτος ἦν ἐν ἀρχῇ πρὸς τὸν θεόν.
« aoutoû ên en arkê pros ton
théon »
(Pléiade) Elle était au
principe chez Dieu
(Wientzen)
Au commencement, au commandement, le Logos était tendu
vers YHVH.
(Leloup) Il
est au commencement avec Dieu.
(A.V.) Le
Logos et l’Être Absolu
coexistent depuis l’origine
La
Cause en question est l’une des possibilités contenues dans le Principe
informel qui contient par hypothèse TOUTES les possibilités.
« Un le
Tout (en to pan)»
3
Πάντα δι’ αὐτοῦ ἐγένετο, καὶ
χωρὶς αὐτοῦ ἐγένετο οὐδὲ ἓν ὃ γέγονεν.
« panta di’ aoutoû égeneto,
kaï xhôris aoutou éguèneto oudé hèn ho
guegonen »
(Pléiade)
Tout a
existé par elle et rien de ce qui existe n’a existé sans elle
(Wientzen)
C’est au travers de lui que toutes choses apparurent et
rien de ce qui apparut n’apparut sans que le Logos en fût concerné.
(Leloup)
Tout existe par lui, sans lui, rien
(A.V.) Le
Logos est la raison pour
laquelle il y a quelque chose plutôt que rien
4
Ἐν αὐτῷ ζωὴ ἦν, καὶ ἡ ζωὴ ἦν τὸ
φῶς τῶν ἀνθρώπων,
« en aoutôï dzôê ên, kaï hê
dzôê ên to fôs tôn anthrôpôn »
(Pléiade)
En elle
était la vie et la vie était la lumière des hommes
(Wientzen)
En lui était la Vie et la Vie était la lumière des
hommes, mâles et femelles.
(Leloup) De
tout être il est la vie, la vie est la lumière des
hommes
(A.V.) Il
constitue la cause et le moteur
(vie) de toute existence, que les hommes appellent
« lumière »,
réalité ou Vérité.
En
condensé : « de tout homme il est la
lumière »
5
καὶ τὸ φῶς ἐν τῇ σκοτίᾳ φαίνει,
καὶ ἡ σκοτία αὐτὸ οὐ κατέλαβεν.
« kaï to fôs èn tèï skotiaï
faïnei, kaï hè skotia aouto ou katélabèn »
(Pléiade)
La
lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas trouvée
(Wientzen)
Et la lumière fait briller dans la ténèbre et la ténèbre
ne l’a pas saisie pour la rejeter.
(Leloup) La
lumière luit dans les ténèbres, les ténèbres ne peuvent
l’atteindre
(A.V.) Cette
« lumière » laisse
sa trace lumineuse dans tout objet de la Manifestation, mais la part
ténébreuse
de celle-ci ne peut l’intégrer et fait obstacle à sa perception.
Le
Logos ou son « fractal » est présent au plus profond
de tout être.
L’homme doit descendre au plus profond de lui-même, en son
« centre »
pour que sa conscience perçoive cet absolu de vérité, de logique et de
raison.
Il doit pour cela traverser les ténèbres de ses attachements, de
l’ignorance,
de l’erreur, du mensonge qui encombrent et opacifient son esprit et qui
sont
incapables de percevoir la vérité.
6
Ἐγένετο ἄνθρωπος ἀπεσταλμένος
παρὰ θεοῦ, ὄνομα αὐτῷ Ἰωάννης.
« éguéneto anthrôpos apestalménos
para théoû, onoma aoutôï Iôannês »
(Pléiade)
Il y eut
un homme envoyé de Dieu, un nommé Jean
(Wientzen)
Survint un homme, suscité de toute éternité de la part de
YHVH ; à lui un nom : Jean (Dieu de grâce).
(Leloup)
Paraît un homme envoyé de Dieu, Iohanân est son nom
(A.V.) [
intertexte historique ]
Jean
le Baptiste annonçait la venue du Messie, « être de
Lumière », qui
manifeste et personnifie visiblement l’ « étincelle
divine » du
Logos incarné dans l’homme. Dans certaines de ses paroles rapportées
par
l’évangéliste, c’est le Logos incarné
lui-même qui parle, notamment dans les passages où
le Christ dit
« je suis… » (ego eimi)
7
Οὗτος ἦλθεν εἰς μαρτυρίαν, ἵνα
μαρτυρήσῃ περὶ τοῦ φωτός, ἵνα πάντες πιστεύσωσιν δι’ αὐτοῦ.
« hoûtos élthen eis
marturian, hina marturêsêï péri toû fôtos, hina pantes pisteusôsin di’
autoû »
(Pléiade)
Il vint
en témoin pour attester la lumière, pour que tous aient foi par lui
(Wientzen)
Celui-ci vint en but de témoignage, afin de témoigner de
la lumière, afin que tous témoignassent par l’intermédiaire de lui.
(Leloup) Il
vient comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière,
afin que tous y adhèrent avec lui
(A.V.) [
intertexte historique ]
Jean
le Baptiste annonçait la venue du Messie, « être de
Lumière », qui
personnifie l’ « étincelle divine », la
Lumière du Logos incarné
dans l’homme. Dans certaines de ses paroles rapportées par
l’évangéliste, c’est
le Logos incarné lui-même
qui parle,
notamment dans les passages où le Christ dit « je
suis… » (ego eimi)
8
Οὐκ ἦν ἐκεῖνος τὸ φῶς, ἀλλ’ ἵνα
μαρτυρήσῃ περὶ τοῦ φωτός.
« ouk ên ékeïnos to fôs,
all’hina marturêsêï peri toû fôtos »
(Pléiade)
Il
n’était pas la lumière mais le témoin de la lumière
(Wientzen)
Celui-là n’était pas la lumière mais il était pour
témoigner de la lumière.
(Leloup) Il
n’était pas la lumière, mais le témoin de la lumière
(A.V.) [
intertexte historique ]
Jean
le Baptiste ne revendiquait pas d’autre qualité que d’annoncer Jésus,
« verbe incarné » comme le développent les versets 19
à 37.
9
Ἦν τὸ φῶς τὸ ἀληθινόν, ὃ φωτίζει
πάντα ἄνθρωπον ἐρχόμενον εἰς τὸν κόσμον.
« ên
to fôs, to alêtinon, ho fôtidzeï panta anthrôpon, erkhomenon eis ton
kosmon »
(Pléiade) La
lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde
(Wientzen)
C’était la lumière, celle qui est la véritable, qui
illumine tout homme, venant dans le monde de la durée présente.
(Leloup) Le
Logos est la lumière véritable, qui éclaire tout homme
(A.V.) Le
Logos est présent en tout homme
et constitue sa véritable nature
L’identification
du Logos à la lumière (par laquelle rien ne demeure dans l’ombre) est
omniprésente dans ce prologue. Le cheminement vers la connaissance
parfaite à
travers les ténèbres des fausses vérités aboutit à la pleine lumière de
la
Vérité réelle. Ce sont les rayons affaiblis et intermittents de cette
lumière
intérieure qui guident l’intuition de tout homme vers la reconquête de
son état
glorieux primitif qui précédait son enfermement dans la
« chair ».
10
Ἐν τῷ κόσμῳ ἦν, καὶ ὁ κόσμος δι’
αὐτοῦ ἐγένετο, καὶ ὁ κόσμος αὐτὸν οὐκ ἔγνω.
« en tôï kosmôï ên, kaï ho
kosmos di’ aoutoû égéneto,
kaï ho kosmos
aouton ouk égnô »
(Pléiade) Elle
était dans le monde et le monde existait par elle et le monde ne l’a
pas connue
(Wientzen)
Elle était dans le monde de la durée présente et le monde
de la durée présente fut créé à travers d’elle et le monde de la durée
présente
ne la connut pas.
(Leloup) Il
est dans le monde, le monde existe par lui, le monde ne
le connaît pas
(A.V.)
L’épaisseur ténébreuse de la Manifestation
ne lui permet pas d’appréhender et reconnaître sa cause, dont toute
chose porte
pourtant la trace
11
Εἰς τὰ ἴδια ἦλθεν, καὶ οἱ ἴδιοι αὐτὸν οὐ
παρέλαβον.
« eïs ta idia êlthen, kaï hoï idioi
aouton ou
parélabon »
(Pléiade)
Elle vint
chez elle et les siens ne l’ont pas reçue
(Wientzen)
Il est venu vers toutes les choses qui lui étaient propres et les siens
ne lui
prêtèrent pas attention.
(Leloup) Il
vient chez lui, les siens ne le reçoivent pas
(A.V.) Il
est présent en l’homme mais les
hommes en nient l’existence et ignorent cette Lumière
12
Ὅσοι δὲ ἔλαβον αὐτόν, ἔδωκεν αὐτοῖς ἐξουσίαν
τέκνα
θεοῦ γενέσθαι, τοῖς πιστεύουσιν εἰς τὸ ὄνομα αὐτοῦ:
« hosoï dé élabon aouton, édôken
aoutoïs
exousian tekna théou genèsthai, toïs pisteousin eïs to onoma
aoutou: »
(Pléiade) Mais ceux qui l’ont reçue, elle
leur a donné le pouvoir d’être enfants de Dieu, ceux qui se fient à son
nom
(Wientzen)
A tous ceux qui la saisirent, il leur donna la puissance surnaturelle
de
devenir les engendrés de YHVH, à ceux qui mettent leur certitude dans
son nom.
(Leloup)
Mais
à tous ceux qui le reçoivent, à ceux qui croient en son Nom, il donne
d’être
enfants de Dieu
(A.V.) Mais
ceux qui en prennent
conscience, ceux qui sont vivifiés par le Logos, peuvent se reconnaître
comme
issus du Principe
13
οἳ οὐκ ἐξ αἱμάτων, οὐδὲ ἐκ θελήματος σαρκός,
οὐδὲ
ἐκ θελήματος ἀνδρός, ἀλλ’ ἐκ θεοῦ ἐγεννήθησαν.
« oï ouk ex aïmatôn, oudé ek
thelèmatos
sarkos, oudé ek thelèmatos andros, all’ ek theou
égennèthesan. »
(Pléiade) Ceux qui sont nés ni du sang ni d’une
volonté de chair, ni d’une volonté d’homme, mais de Dieu
(Wientzen)
Lesquels furent engendrés non de sangs, ni d’une volonté de chair ni
d’une volonté
de mâle mais de YHVH.
(Leloup)
Engendrés,
ni du sang, ni de la chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu
(A.V.) Car
leur véritable origine est le
Principe, non la matière
Comme
le récit de la création de l’homme l’affirme dans la Genèse, l’homme
est
« fils de Dieu », créé « à son image et sa
ressemblance ». Il
n’est pas né seulement de la chair, il est principalement né de
l’Esprit. Il
pourra reconquérir son « état édénique » parfait et
immortel.
14
Καὶ ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο, καὶ ἐσκήνωσεν ἐν ἡμῖν
–
καὶ ἐθεασάμεθα τὴν δόξαν αὐτοῦ, δόξαν ὡς μονογενοῦς παρὰ πατρός –
πλήρης
χάριτος καὶ ἀληθείας.
« kaï ho logos sarx
égéneto, kaï eskênôsen en hêmîn - kaï éthéasametha
tên doxan aoutoû,
doxan hos monogénoûs
para patros - plêrês karitos kaï alêtheïas »
(Pléiade)
Oui, la
parole s’est faite chair, elle s’est abritée parmi nous et nous avons
contemplé
sa gloire, gloire que tient de son père un fils unique plein de grâce
et de
vérité.
(Wientzen)
Et le logos devint homme de chair et s’installa parmi
nous et nous contemplâmes sa gloire, gloire comme celle d’un fils
unique venant
d’un père, fils plein de grâce et de vérité.
(Leloup) Le
logos a pris chair, il a fait sa demeure parmi nous, nous
avons vu sa gloire, pleine de grâce et de Vérité, présence
filiale-monogène, qu’il
tient du Père
(A.V.) Et le
Logos fut incorporé dans
l’humain, et fut abrité en nous ; nous avons perçu cette
présence généreuse
et lumineuse, cette présence émanée directement du Principe
L’expression
« parmi nous », parfois traduite par « au
milieu de nous »
peut s’interpréter par « en nous », « au
centre de nous » ;
ceci peut être rapproché de la parole "Le royaume de Dieu n'est pas ici
ou
là, il est au dedans de vous "
15
Ἰωάννης μαρτυρεῖ περὶ αὐτοῦ, καὶ
κέκραγεν λέγων, Οὗτος ἦν ὃν εἶπον, Ὁ ὀπίσω μου ἐρχόμενος ἔμπροσθέν μου
γέγονεν:
ὅτι πρῶτός μου ἦν.
« Iôannês martureî péri aoutoû,
kaï kékragen légôn, hoûtos ên hon eïpon ho opisô mou erkomenos
emprosthèn mou gégonen
hoti prôtos mou ên. »
(Pléiade)
Jean témoigne de lui, il crie : C’était de lui que je
disais : Lui qui vient derrière moi me dépasse, car il était avant moi
(Wientzen)
Jean témoigne à son sujet et il a crié en disant :
« Celui-ci était celui dont je vous parlai ; celui
venant après moi
est passé avant moi parce qu’il était premier avant
moi ! »
(Leloup)
Iohanân lui rend témoignage, il crie : Voici celui
dont j’ai dit : « Lui qui vient après moi est passé
devant moi parce
qu’avant moi il était »
(A.V.)
Iohanân témoigne et proclame
« Celui qui vient me dépasse car c’est la voix du Logos qui
est au
commencement »
16
Ὅτι ἐκ τοῦ πληρώματος αὐτοῦ ἡμεῖς
πάντες ἐλάβομεν, καὶ χάριν ἀντὶ χάριτος.
« hoti èk toû plêrômatos aoutoû
hèmeis pantes élabomen, kaï kharin anti kharitos »
(Pléiade)
Car nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour
grâce ;
(Wientzen)
« Parce que nous tous puisâmes dans sa plénitude et
grâce à la place d’une grâce ! »
(Leloup) De
sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce
(A.V.) C’est
de la plénitude du Logos que
nous tenons la grâce de la vie , notre filiation divine
17
Ὅτι ὁ νόμος διὰ Μωσέως ἐδόθη,
ἡ χάρις καὶ ἡ ἀλήθεια διὰ Ἰησοῦ χριστοῦ
ἐγένετο
“hoti ho nomos dia Moüséôs édothê,
hê kharis kaï hê alêthéïa dia Iêsoû Khristoû égéneto.”
(Pléiade)
Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité
sont venues par Jésus Christ.
(Wientzen)
« Parce que si la Torah fut donnée par Moïse, la
grâce et la vérité vinrent par Jésus le Messie ! ».
(Leloup) La
Thora nous a été donnée par Moshé, la Grâce et la Vérité
nous sont venues par Ieshoua le Messie
(A.V.) Moïse
a révélé la loi, Jésus le
Messie a révélé l’Amour et la Vérité du Logos
18
Θεὸν οὐδεὶς ἑώρακεν πώποτε: μονογενὴς
υἱός, ὁ ὢν εἰς τὸν κόλπον τοῦ πατρός, ἐκεῖνος ἐξηγήσατο
« Théon oudeis héôraken
pôpote :
monogenês uios, ho ôn eis ton kolpon toû patros, ékeinos éxêgêsato.”
(Pléiade)
Personne n'a jamais vu Dieu ; un dieu fils unique, qui est
dans le sein du Père, l'a fait connaître.
(Wientzen)
« Elohim, jusqu’à présent personne ne l’a encore
vu ; le fils unique et chéri de Elohim, en pulsion vers le
sein de son
père, celui-là nous le fit connaître ! »
(Leloup) Nul
n’a jamais vu Dieu, le fils monogène qui demeure au
sein du Père, Lui nous le fait connaître
(A.V.) Nul
n’a jamais vu le Principe. Le
Logos qui en émane et y participe nous le fait percevoir.
Propos sur la Cène, l’eucharistie et l’Agneau
mystique
Manger et boire signifie symboliquement
« incorporer »
une nourriture et une boisson, les faire entrer en soi, en enrichir sa
propre
substance, sa propre existence, son propre être. Nourriture et boisson
n’évoquent pas seulement des viatiques du corps, mais aussi de
l’intelligence,
de l’âme et de l’esprit. Ainsi dans le jardin d’Éden :
2.16 L'Éternel Dieu donna cet ordre
à l'homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ;
2.17 mais tu ne mangeras pas de l'arbre de
la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu
mourras.
De même, on trouve dans l’Apocalypse (qui
signifie « révélation ») :
2.7 A celui qui vaincra je donnerai à
manger de l'arbre de vie, qui est dans le paradis de Dieu
et aussi :
10.9 Et j'allai vers l'ange, en lui disant
de me donner le petit livre. Et il me dit: Prends-le, et avale-le; il
sera amer
à tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du
miel.
Ainsi, outre la commémoration de la
dernière Cène et la mémoire de la passion du Christ, partager et manger
le pain
et boire le vin ensemble symbolise l’acquisition à la fois individuelle
et
commune des vérités évoquées par la symbolique du pain et du vin.
Lorsque Jésus
identifie le pain à son corps et le vin à son sang « livrés
pour vous et
pour la multitude » (Luc, 22.19-20), il annonce l’holocauste
du Calvaire
et s’identifie à l’agneau de la pâque juive dont le sang marquera les
demeures
des alliées de Dieu, « dont les os ne seront point brisés et
dont les
restes n’existeront plus sur terre » comme on lit dans le
livre de
l’Exode, deuxième livre de la Thora ou Pentateuque, où l’Eternel
instaure la
Pâque pour protéger le peuple élu des plaies dont il va frapper
l’Egypte. Voici
le texte :
12.1 L'Éternel dit à Moïse et à Aaron dans
le pays d'Égypte:
12.2 Ce mois-ci sera pour vous le premier
des mois; il sera pour vous le premier des mois de l'année.
12.3 Parlez à toute l'assemblée d'Israël,
et dites: Le dixième jour de ce mois, on prendra un agneau pour chaque
famille,
un agneau pour chaque maison.
[…]
12.6 Vous le garderez jusqu'au quatorzième
jour de ce mois; et toute l'assemblée d'Israël l'immolera entre les
deux soirs.
12.7 On prendra de son sang, et on en
mettra sur les deux poteaux et sur le linteau de la porte des maisons
où on le
mangera.
12.8 Cette même nuit, on en mangera la
chair, rôtie au feu; on la mangera avec des pains sans levain et des
herbes
amères.
12.9 Vous ne le mangerez point à demi cuit
et bouilli dans l'eau; mais il sera rôti au feu, avec la tête, les
jambes et
l'intérieur.
12.10 Vous n'en laisserez rien jusqu'au
matin; et, s'il en reste quelque chose le matin, vous le brûlerez au
feu.
12.11 Quand vous le mangerez, vous aurez
vos reins ceints, vos souliers aux pieds, et votre bâton à la main; et
vous le
mangerez à la hâte. C'est la Pâque de l'Éternel.
12.12 Cette nuit-là, je passerai dans le
pays d'Égypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d'Égypte,
depuis
les hommes jusqu'aux animaux, et j'exercerai des jugements contre tous
les
dieux de l'Égypte. Je suis l'Éternel.
12.13 Le sang vous servira de signe sur
les maisons où vous serez; je verrai le sang, et je passerai par-dessus
vous,
et il n'y aura point de plaie qui vous détruise, quand je frapperai le
pays
d'Égypte.
12.14 Vous conserverez le souvenir de ce
jour, et vous le célébrerez par une fête en l'honneur de l'Éternel ;
vous le
célébrerez comme une loi perpétuelle pour vos descendants.
[…]
12.43 L'Éternel dit à Moïse et à Aaron :
Voici une ordonnance au sujet de la Pâque : Aucun étranger n'en mangera.
[…]
12.46 On ne la mangera que dans la maison ;
vous n'emporterez point de chair hors de la maison, et vous ne briserez
aucun
os.
Dans cet épisode, le symbolisme factuel
est peu présent, bien que le fait que la Pâque est réservée à certains,
en un
lieu clos et en un temps imparti soit manifeste : le peuple
élu et lui
seul (12.43), protégé par le signe sanglant de l’Alliance (12.13) se
prépare à
fuir l’Égypte à la hâte (12.8, 12.11) sans rien laisser derrière lui et
sans
rien emporter (12.10, 12.46). Ceci fait cependant penser au nécessaire
dépouillement de l’initié fuyant sans hésiter le monde profane promis à
l’oubli
et la destruction.
Respectueux du rite, Jésus célèbre cette
pâque avec les douze apôtres comme le rapportent les évangélistes mais
s’identifie à mots couverts à l’agneau du sacrifice et assimile le sang
et la
chair de l’holocauste à son propre sang et sa propre chair, qu’il
assimile à
son tour au vin et au pain.
Chose curieuse, l’évangéliste Jean est le
seul à ne pas situer cette identification lors de la dernière cène mais
lors
d’un prêche de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm (Jean, 6.25 à
6.66) où,
manifestement, c’est le Logos lui-même qui s’exprime.
Les Épîtres et les Actes des Apôtres sont
curieusement
muets sur l’eucharistie (ce terme signifie « action de
grâce ») de la
dernière cène.
Les textes des évangélistes sur
l’établissement de l’eucharistie sont presque identiques mais on
remarque des
petites différences :
Matthieu est le seul à écrire que Jésus
ordonne « mangez » et « buvez »
après la distribution du
pain et du vin. et ajoute « pour la rémission des
péchés » en parlant
de son sang répandu. Seul Luc relate les paroles « faites ceci
en mémoire
de moi ». Sans le texte de Luc, la « messe »
n’existerait
pas !
Voici
le texte de Matthieu :
26.26 Pendant qu'ils mangeaient, Jésus
prit du pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna
aux
disciples, en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps.
26.27 Il prit ensuite une coupe ; et,
après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous;
26.28 car ceci est mon sang, le sang de
l'alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des
péchés.
Voici
le texte de Jean :
6.53 Jésus leur dit : En vérité, en
vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme,
et si
vous ne buvez son sang, vous n'avez point la vie en vous-mêmes.
6.54 Celui qui mange ma chair et qui boit
mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour.
6.55 Car ma chair est vraiment une
nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage.
6.56 Celui qui mange ma chair et qui boit
mon sang demeure en moi, et je demeure en lui.
6.57 Comme le Père qui est vivant m'a
envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par
moi.
6.58 C'est ici le pain qui est descendu du
ciel. Il n'en est pas comme de vos pères qui ont mangé la manne et qui
sont
morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement.
6.59 Jésus dit ces choses dans la
synagogue, enseignant à Capernaüm.
Le sens nécessairement symbolique des
paroles de Jésus, s’exprimant habituellement par paraboles et images
paraît ici
évidente parce que dans le judaïsme, le sang ne peut absolument pas
être
consommé. Le mystère catholique de la transsubstantiation (fixé en 1545
au
concile de Trente), selon lequel le pain et le vin consacrés deviennent
« réellement, vraiment et substantiellement » le
corps et le sang du
Christ, marque ainsi une rupture catégorique avec le rite israélite.
Notons que
le protestantisme n’admet pas le dogme de la transsubstantiation et
pratique la
Cène comme simple commémoration.
Conclusion
L’ésotérisme chrétien constitue un support
valide de la Voie initiatique et perpétue ses arcanes fondamentaux dans
une
perspective gnostique au sens large. Le mode d’expression biblique se
caractérise bien sûr par une abondance de métaphores, de paraboles, de
récits
imagés caractéristiques des temps et lieux de la rédaction des textes,
mode
d’expression auquel il faut s’accoutumer sous peine de tomber dans un
littéralisme que seules quelques sectes intégristes persévèrent à
pratiquer.
Comme l’écrivait Rabelais, il convient de « rompre l’os pour
en sucer la
substantifique moelle ». Il s’ensuit que le niveau de lecture
qui a été
pratiqué ici n’est évidemment pas celui que l’Église catholique Romaine
recommande à ses membres laïcs, mais réserve à ses théologiens à
l’instar des
Pères de l’Église et des premiers auteurs chrétiens dont la pensée fut
quelquefois qualifiée d’hérétique. La traduction successive des textes
originaux, notamment dans le langage vernaculaire a forcément engendré
une
perte de sens que le clergé séculier a hélas trop longtemps négligé au
profit
d’une interprétation réductionniste ou dogmatique mais que les auteurs
cités
dans le présent essai ont tenté de rétablir.
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