Obédience : NC Auteur : Flavien BRENIER Date : NC

La Franc-Maçonnerie Turque

L'Empire démembré
Rôle du monde occulte et des gens de la Thora en terre d'Islam

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Les commerçants anglais qui fréquentaient les ports du Levant furent les premiers introducteurs de la Franc-Maçonnerie en Turquie. On les trouve à l'œuvre dès 1730, c'est-à-dire à l'époque où d'autres émissaires maçonniques travaillaient la France, l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas. En 1738, ils avaient déjà obtenu des résultats positifs ; en effet, on remarque, cette année-là, l'existence à Smyrne et à Alep de deux loges relevant de la Grande Loge d'Angleterre.

C'était l'année même où le Pape Clément XII venait de lancer contre la Franc-Maçonnerie une encyclique qui eut un retentissement considérable dans les pays catholiques (28 avril 1738). Certains gouvernements protestants n'avaient pas attendu cette encyclique pour porter contre la secte une condamnation semblable : en 1735, les Etats généraux de Hollande avaient interdit les assemblées maçonniques, et la ville libre de Hambourg, le roi de Suède et la république de Berne firent de même en 1738. Le principal grief que ces puissances, de religion si opposée, avaient contre la Franc-Maçonnerie était son indifférentisme religieux, masque transparent de l'athéisme. C'est ce même grief qui décida la Porte Ottomane à entrer dans la voie des prohibitions. Un firman du sultan Mahmoud I" prononça, en 1740, l'interdiction de tenir des réunions maçonniques dans toute l'étendue de l'empire ottoman ; les Loges d'Alep et de Smyrne, et celles que l'on travaillait à constituer à Constantinople et à Alexandrie d'Egypte, durent fermer leurs portes.

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Ce sommeil dura huit années, au bout desquelles un certain nombre d'Anglais résidant à Constantinople organisèrent à petit bruit une Loge et tinrent des « tenues » régulières, dans lesquelles quelques notables turcs et grecs furent initiés. Le grand vizir eut vent de ces assemblées secrètes et fit cerner les FF\ dans leur local, un soir où ils étaient réunis. Des mesures sévères les menaçaient, quand se produisit l'intervention de l'ambassadeur d'Angleterre : ce dernier parvint, non seulement à faire remettre en liberté ses compatriotes, mais encore à obtenir la même mesure en faveur des FF.-. de nationalité ottomane. Cet incident démontrait qu'on pouvait impunément braver le firman d'interdiction : aussi, dès le lendemain, la Loge de Constantinople se reformait, et d'autres Loges surgirent, les années suivantes, dans la plupart des grands ports de Turquie et d'Egypte.

Si les premières Loges turques avaient été de fondation exclusivement anglaise, il ne tarda pas à en apparaître d'autres dont l'origine était différente. A partir de 1770, on remarque en Turquie l'existence de Loges allemandes et surtout françaises. Ces dernières allaient, en matière d'irréligion, bien au-delà des timides audaces qui avaient fait prohiber par Mahmoud Ier les loges de 1740. Elles répandaient, parmi les Grecs et Musulmans initiés, des doctrines ouvertement athées et mêlées d'aspirations à la destruction de tous les trônes. Ainsi se créait peu à peu un parti révolutionnaire semblable à ceux d'Occident dans cette Turquie qui n'avait été divisée jusque-là que par des rivalités ethniques ou confessionnelles. La Porte n'était pas sans se rendre compte des tendances de la Franc-Maçonnerie française, allemande et même anglaise. Désarmée à l'égard de cette dernière par la protection que lui accordait le gouvernement britannique, le sultan cherchait du moins à entraver la formation des Loges d'autres nationalités. Il avait demandé aux religieux français ayant la garde des Lieux Saints de refusera tout étranger suspect de maçonnerie l'autorisation de les visiter, et une convention passée avec le roi Louis XVI permettait aux autorités ottomanes d'expulser les consuls français qui seraient convaincus de s'être affiliés à une Loge maçonnique. (Barruel, Mémoires, V.)

Malgré ces précautions, l'action maçonnique fut assez intense en Turquie, vers la fin du XVIIIe siècle, pour que la révolution française fût assurée d'y trouver, quand elle éclata, des admirateurs et des complices. Un de ces derniers fut le chevalier de Mouradgéa d'Hohson. Grec d'origine, mais familiarisé de bonne heure avec l'Occident par de nombreux voyages, il était en relations suivies avec les maçons Martinistes de France et les maçons Illuminés d'Allemagne. Il dut à leur influence autant qu'à ses belles facultés une rapide carrière dans la diplomatie, couronnée par l'ambassade de Suède à Constantinople. Couvert dès lors par l'immunité diplomatique, il forma avec deux Français (M. Ruffin, attachée l'ambassade de France, et M de Lesseps) un triumvirat destiné à révolutionner l'empire turc. Les Loges existant en Turquie fournirent en abondance aux trois conspirateurs les agents nécessaires pour agiter le peuple de là capitale et travailler les provinces sous des prétextes habilement choisis. Un moment, l'on put croire qu'une révolution républicaine et athée ferait pendant, sur les rives du Bosphore, à celle qui ensanglantait Paris. Mais la Turquie n'était pas la France, et les difficultés qu'un milieu aussi spécial présentait à l'action firent finalement échouer les projets de Mouradgéa d'Hohson et de ses complices. Le dépit que cet échec causa aux puissances maçonniques du continent fut pour beaucoup dans l'extraordinaire décision prise par le gouvernement français de lancer Bonaparte et son armée sur l'Egypte et la Syrie, alors que la Turquie était en paix avec la France.

Les Loges maçonniques turques ne montrèrent guère de vitalité pendant la première moitié du XIXe siècle. La raison en était que l'activité de la secte se portait plutôt alors vers le triomphe des nationalités grecque, bulgare et serbe. Non que la cause de ces peuples chrétiens intéressât en quoi que ce soit la Franc-Maçonnerie ; mais celle-ci nourrissait l'espoir d'affaiblir l'empire turc par la proclamation de l'indépendance des peuples soumis, et de fédérer ensuite les Etats balkaniques en une vaste république, qui eût été plus facile à dominer maçonniquement que l'empire autocratique des sultans. C'est pour cette raison que la Franc-Maçonnerie favorisa des 1814, la création de l'Hétaïria (société secrète à cinq degrés, qui avait pour but la résurrection de la Grèce), et, à partir de 1820, de l'Omladina, association de tous points semblables à la précédente, mais réservée aux populations slaves (Voir notamment a ce sujet : Histoire de la Révolution de Grèce, par Poucqueville, Paris, 1824, Firmin Didot, t. II, p. 309 et 310.. Et The secret Societies of the european Revolution, London, 1876, t. II, p. 47 et suiv.). Nous n'entendons point élever ici un blâme contre ces associations, qui comptaient dans leurs rangs une grande majorité de patriotes dignes d'éloges et dont les efforts contribuèrent à préparer l'affranchissement des chrétiens d'Orient. Nous constatons seulement un fait : à savoir que la Franc-Maçonnerie accorda momentanément son concours à ces associations, dans le but de les dominer et d'aboutir par leur moyen à la création d'une République des Balkans. Si cette tentative n'atteignit pas complètement son but et si les nationalités ressuscitées se donnèrent des constitutions monarchiques, il faut en faire remonter la cause à l'action diplomatique des puissances européennes, et surtout de la Russie, qui contraria les vues de la secte.

Il est impossible de relever une action politique sérieuse de la part des Loges maçonniques turques sous le règne de Mahmoud II (1808-1839) et sous celui de son successeur Abd-ul-Medjid Ier. Cependant, à partir de 1850, elles commencèrent à se peupler de hauts fonctionnaires mécontents, en même temps que de jeunes gens ardents, familiarisés avec la littérature la plus avancée des pays occidentaux et désireux d'en importer les conceptions en Turquie. En septembre 1859, un complot tramé contre la vie du sultan fut découvert ; plusieurs francs-maçons y avaient participé. Abd-ul-Medjid commua en un ordre d'exil la peine capitale prononcée contre les conjurés. Il devait mourir vingt mois plus tard, à 38 ans, d'une manière obscure.

Son frère Abd-ul-Aziz, qui lui succéda, sincèrement désireux de régénérer son empire par l'imitation des institutions européennes, s'entoura de ministres et de hauts fonctionnaires appartenant à la Franc-Maçonnerie, sans se douter que ceux-ci ébranleraient jusque dans ses fondements son autorité civile et religieuse. Le type de ces hommes d'Etat maçonnisés fut Midhat pacha, qu'il fit gouverneur de la Bulgarie, puis ministre, et enfin grand vizir, et qui devait un jour souiller ses mains du sang de son souverain.

Le règne d'Abd-ul-Aziz mit pratiquement la Turquie aux mains des Loges turques, c'est-à-dire de moins de trois cents personnes, car l'effectif des maçons de l'empire ottoman n'atteignait alors pas ce chiffre. Mais il n'en fallait pas tant pour occuper tous les postes importants. Tout ne fut pas à blâmer dans les réformes qui résultèrent de cette influence : la réduction de la liste civile du sultan de 70 millions de piastres à 12 millions, le licenciement du harem impérial (Abd-ul-Aziz ayant proclamé son intention d'être monogame), la visite du sultan à l'exposition universelle de Paris, son voyage à Londres et son acceptation du titre de bourgeois de la cité ; tout cela pouvait choquer le sentiment traditionnel chez les Ottomans sans mettre en péril leur édifice politique et religieux. On n'en saurait dire autant des réformes faites dans l'enseignement, qu'on s'efforça de faire à confessionnel, comme au lycée impérial de Galata-Séraï, dont presque tous les professeurs furent francs-maçons.

Une politique patiente, mais inflexible, visa à restreindre les libertés de toutes les religions, y compris la religion musulmane. Cette dernière possède en Turquie des biens considérables, dits biens Vakoufs, créés par les donations accumulées des fidèles; ces biens, qui servaient en majeure partie à secourir les indigents, furent frappés, en mai 1867, de lourdes charges. En juillet 1869, un Code civil, inspiré de celui que la Révolution a donné à la France, fut promulgué. En même temps, des persécutions incessantes contre les chrétiens amenaient, en Crète et en Bulgarie, des soulèvements qui furent noyés dans le sang. Aux protestations de l'Europe, le gouvernement maçonnique d'Abd-ul-Aziz répondait que jamais les hautes fonctions de l'empire n'avaient été plus largement ouvertes aux chrétiens, ce qui était vrai : mais les chrétiens en question étaient tous affiliés à la secte maçonnique et aussi détachés de toute croyance religieuse que leurs collègues francs-maçons d'origine musulmane. Cependant, les rêves d'une partie de la Maçonnerie turque allaient bien au-delà de la politique antireligieuse qu'il était possible d'imposer à Abd-ul-Aziz : ils ne visaient rien moins que l'établissement d'une république athée, qui eût fait peser sur toutes les races et toutes les religions de l'empire le joug de quelques centaines de tyrans occultes. Le comité maçonnique secret qui reflétait cette tendance était en correspondance avec la fraction la plus avancée du Carbonarisme européen, la Jeune Europe, fondée par Mazzini; il devint bientôt, sous le nom de Jeune Turquie, une section de l'organisation mazzinienne.

L'homme le plus actif de ce comité était un Roumain du nom de Ganesco. C'est lui qui eut l'idée d'assurer l'avenir du parti en lui conquérant une recrue de choix, le prince Mustapha Fazyl pacha, dont l'immense fortune devait permettre à la Jeune-Turquie de ne pas compter avec l'argent. Petit-fils de Méhémet-Ali (fondateur de la dynastie égyptienne), et fils d'Ibrahim pacha (le vainqueur de la Turquie), Mustapha Fazyl avait un frère aîné, Ismaïl qui devint souverain de l'Egypte, en 1863. Selon l'ordre de succession en vigueur dans les pays musulmans, l'héritier présomptif est toujours le frère puîné (en l'espèce Mustapha Fazyl), et non le fils du souverain. Mais Ismaïl, désireux d'assurer la couronne à son fils Tewfick, imagina de demander au sultan, suzerain de l'Egypte, de changer l'ordre d'avènement au trône dans ce pays, et de rendre le pouvoir transmissible de père en fils. Abd-ul-Aziz était trop porté à braver les traditions musulmanes pour ne pas y consentir. C'est ainsi que Mustapha  Fazyl pacha se trouva frustré de l'espoir d'être un jour souverain de l'Egypte. Il en conçut un vif ressentiment contre le sultan et chercha l'occasion de lui rendre quelque mauvais office. Celle-ci ne se fit pas attendre. Le F\ Ganesco sut, en effet, s'insinuer dans la confiance du prince et le décider à mettre ses immenses ressources au service de la Jeune-Turquie naissante.

On possède le document constitutif de cette association, qui devait jouer un si grand rôle dans l'histoire de Turquie, pendant ces quarante-cinq dernières années. Nous le reproduisons d'après les Tablettes d'un spectateur, du F\ Ganesco, qui fut le grand artisan de toute l'intrigue et qui s'en est fait l'historien. Nous nous bornons à y rétablir en toutes lettres les noms dont il n'a donné que les initiales : 

CONSTITUTION DE LA CHANCELLERIE DE LA JEUNE-TURQUIE.
(Fondée à Constantinople, à Paris et à Londres en 1867.) 


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