Lumières
Croisées
Tout d'abord, il faut que je vous avoue que j'ai
hésité sur le titre à donner
à cette planche. Pour autant qu'un titre est
chargé de traduire l'intention ou au moins l'image
dominante, ou le sens.
« Quand Judaïsme et F\
M\ se posent des questions. »,
« Symbole et pratique pour un F\
Juif. », « Question
de Juif pour un F\ M\. »
etc…etc… J'ai tourné autour sans
être satisfait du résultat. Disons que le moins
pire des titres est celui que j'ai trouvé en premier :
« Lumières croisées.
»
Et encore ! Ne traduit-il pas tout à fait la
réalité, puisque j'ai plongé dans les
textes Juifs et leurs commentaires pour les mettre en
vis-à-vis, non avec des textes, mais avec une pratique mac\
– la mienne -, et son entendement - mon ressenti, si ce n'est
mon interprétation, qui n'a rien d'universelle -.
Excepté le fait qu'on rencontre des Juifs en M\, ce qui n'a
pas toujours été le cas. Qu'est-ce qu'il y a dans
la M\ qui attire les Juifs, et vice-versa ?
Question de pure rhétorique ! Parce que.
Quand un Juif ou Chrétien, un homme de gauche ou de droite.
Quand n'importe quel profane, entre en Mac\ il est censé
disons, qu'il abandonne le monde profane ! Cela parait
évident, mais ce n'est pas si facile.
Car, quand on entre en M\, on est censé
abandonner ses référents religieux ou politiques,
ce à quoi on croit. Pour devenir (en dehors de tous
repère symboliques de sa communauté de
pensée d'origine). Pour devenir. J'allais dire un homme
libre, mais soyons plus modeste, et disons modestement : pour
« devenir ».
« Devenir », ce n'est
déjà pas si mal.
Cet individu appelé Mac\ est alors apte - je ne dis pas
qu'il le fait obligatoirement - à choisir librement ses
repères, en contestant cas échéant
l'enseignement reçu et bâtir autre chose. Mais le
fait-il vraiment ? Le fais-je vraiment ? Je me pose la question, car,
un tantinet Juif, c'est-à-dire d'origine juive et non pas de
confession, plutôt de culture.
Depuis quelques années (c'est tout
récent), je me penche sur mes origines. En homme en
quête. Et ce retour aux sources me renvoie curieusement
à mon vécu d'aujourd'hui - ici -. Celui de mac\
« Le bon Dieu n'a pas crée la
religion, il a crée le monde »
a dit Franz Rosenzweig.
Cette phrase et le bon Dieu nous renvoient vers les enjeux essentiels.
Non pas la religion, mais le monde. Car, ce qui fait l'essentiel de
notre recherche n'est pas dans la répétition
incessante et fidèle des rites religieux ou para-religieux.
Mais notre interrogation de ce monde, dans ce que nous pouvons apporter
à ce monde, c'est-à-dire aux hommes, je crois
que, c'est ce qu'exprime cette phrase qui résume toute la
problématique qui lie et éclaire le
judaïsme et la F\M\. Les Juifs et la F\M\.
Alors, il n'est pas étonnant de voir se poser
les mêmes questions dans le judaïsme et la M\.
A la question fondamentale : « Qu'est-ce
que l'Homme ? ». Qu'est-ce que
répondent les Maîtres du Talmud ?
Evidemment comme tout bon Juif, ils répondent par une autre
question. Mais là, ils répondent par une question
questionnante, une question qui débouche sur une autre
question : « l'Homme est un
« quoi ? », il est un
« qu'est-ce que c'est ? ».Terrible
réponse qui est aussi et surtout une question : l'Homme est
et sera une énigme.
D'où la nécessité de poser - sans
cesse - la question de sa signification. Parce que l'homme n'est que
dans cette question. Sinon l'Homme se perd. L'homme existe dans la
question même. Les Maîtres du Talmud
développent, ainsi, une philosophie du sujet, où
la personnalité de chaque homme est le centre de la
réflexion.
Chaque homme doit essayer de faire émerger ce
qu'il y a d'unique en lui. Parce que chaque homme est le possesseur
d'une question, la sienne, qui fait de lui un « qu'est-ce
que c'est ? » particulier,
différencié des autres.
(Déjà, je ressens combien ces
premières réflexions me renvoient en
écho à ma conception de ma recherche mac\. Je
crois qu'il était important de commencer par là,
pour bien situer ma réflexion.)
Les lumières croisées se croisent
sur l'homme, et c'est ce qui est important : le seul critère
d'une interprétation, comme dit un rabbin et comme pourrait
le dire un Fr\, c'est sa fécondité. : «
tout ce qui donne a penser honore celui qui l'offre. »
Mais avant de donner, il nous faut acquérir. C'est ce qu'on
appelle, chez nous, l'initiation, l'apprentissage. Emmanuel Levinas
écrit joliment dans « L'Au-delà
du verset » : « Le
vrai apprendre consiste à recevoir la leçon si
profondément qu'elle se fait nécessite de se
donner à l'autre : la leçon de
vérité ne tient pas dans la conscience d'un seul
homme, elle éclate en autrui ».
Cette nécessité, poursuit Levinas,
passe aussi paradoxalement que cela qu'il puisse paraître,
par l'effacement du savoir. Et cet effacement est peut-être
à mettre en écho à ce voeu de laisser
aux portes du Templ. nos métaux. Car pour apprendre, il est
nécessaire de se présenter, non pas vide comme le
voudrait une interprétation simpliste de l'effacement, mais
ouvert, prêt à recevoir. Il ne s'agit
même pas d'être ouvert, en croyant faire la place
aux nouveaux messages, et d'accepter une nouvelle couche de savoir, en
croyant que l'ancienne a disparu. C'est plus que cela. Le rabbin
dit : « Le disciple n'est pas
celui qui sait tout ce que le Maître a dit et est capable de
le répéter à la satisfaction du
Maître, mais celui qui sait s'inscrire dans l'effacement du
Maître pour le prolonger, pour aller au-delà. » Voila
ce que dit le Rabbin.
Parce que recevoir, c'est créer, c'est innover. Si le
disciple répète sans créer, sans
s'investir dans ce que lui est transmis. Et si le Maître, en
freinant l'innovation, arrête quelque part
l'évolution de la quête. Le disciple comme le
Maître, n'accomplissent par leur mission.
Emmanuel Levinas dit encore dans le même livre
: « la pétrification du savoir
acquis, - la congélation du spirituel -susceptible de se
déposer comme un contenu inerte dans la conscience, et de
passer, ainsi fige, d'une génération à
l'autre, n'est pas la transmission. »
Comme d'autres penseurs Juifs qui pensent que Moïse - L'Homme
premier qui a transmis le message de Dieu - n'a en fait pas tout
transmis. Le maître se doit de ne pas tout transmettre pour
laisser la place au disciple.
Ne pas tout transmettre pour le laisser continuer,
s'échapper, prolonger.
Les Rabbins savent mieux dire ces choses-là :
« Il faut que la parole soit aussi un
non-dit pour que la vérité (ou la parole de Dieu)
ne consume pas ceux qui l'écoutent. »
L'ouverture et la parole à venir ont tant
d'importance que les Textes Saints en viennent à
prévoir la nécessité de la remise en
question des textes mêmes.Savez-vous ce qui est
écrit dans les Psaumes, des versets 119 à 126 ?
« Il vient un moment où vous
pourrez annuler la Thora pour la fonder ».
C'est ce qui amène chaque Juif à interroger et
réinterroger les Textes Saints. C'est ce qu'ils font
année après année depuis des
siècles.
Pourquoi cela ? Parce qu'il vaut mieux qu'une partie de la Loi soit
abrogée plutôt que la Loi entière soit
oubliée, c'est ce qu'on trouve dans la Temoura et dans le
Guittin.
Parce que le Texte écrit doit rester une matrice de prises
de décisions futures. Les Textes anciens et le Rituel
(ancestral) ne doivent être que dans leurs
possibilités d'engendrer le futur.
Il ne s'agit pas de nier l'importance des Textes. Au
contraire. Comme dit Rabbi Eliezer : « Tous
ceux qui vont naître dans le futur jusqu'à la fin
de toutes les générations étaient
présents avec eux au Mont Sinaï ».
Rabbi Eliezer souligne que l'attitude que nous devons avoir -
l'attitude existentielle - se fonde sur l'idée que chaque
époque doit comprendre à sa manière le
texte transmis.
Et que dit-il de plus ? Que le véritable sens d'un texte,
tel qu'il s'adresse à celui qui l'entend et qui est
chargé de l'interpréter, ne dépend pas
du moment où il a été transmis en
premier, ni de son public initial.
Un texte se dépasse lui-même. C'est
pourquoi la compréhension n'est pas une attitude uniquement
reproductive, mais aussi, représente toujours une attitude
productive.
Il ne s'agit pas de mieux comprendre, mais de comprendre autrement.
Ici, la part personnelle de celui qui interprète et qui
transmet est fondamentale : ses idées propres et son horizon
personnel, (en dehors et en plus de ce qu'il
« sait »), deviennent
déterminantes. Non, comme vérités
absolues, mais comme une opinion ou une possibilité que l'on
place sur le tapis (de loge ou de jeu), une possibilité que
l'on met en jeu, face à d'autres possibilités.
C'est cette dialectique de possibilités qui aide
à une appropriation véritable de ce qui est dit
dans le texte. Le Juif confronte aux Textes Saints, ne cherche jamais,
dans un premier temps, à remonter à une vie
passée ou à un sens passé. Son
« comprendre » signifie sa participation
présente à ce qui a été
dit.
Ou plutôt, à ce qui est dit -
aujourd'hui - pour lui (même si cela a
été écrit il y a des
siècles).
Le Texte doit éclairer le présent, et non pas
l'inverse. On pourrait remplacer les mots
« Juif » et « Textes
Saints » par
« Mac\ » et « Rituel
ou symbole » et vous comprendrez pourquoi
ces Lumières qui se croisent éclairent
curieusement mon parcours personnel.
Les Textes, comme les symboles, sont là pour
l'étude et pour être
interprété.
« Comprendre, c'est
déjà et toujours interpréter ou encore
: comprendre renferme toujours une interprétation. »
disent encore les Rabbins.
En fait, ce n'est pas le texte
étudié qui est compris, mais le lecteur qui en
l'étudiant se comprend. Il se comprend. Comprendre un texte,
c'est d'abord se comprendre - l'appliquer à
soi-même -.
Certains peuvent dire que cela réduit le texte, mais c'est
sans compter que le texte survit seulement parce qu'en premier il est
étudié, et qu'ensuite il peut et doit
être compris autrement. A ce sujet, Martin Buber dit quelque
chose de très intéressant : « Chaque
personne née en ce monde représente quelque chose
de nouveau, quelque chose qui n'existait pas auparavant, quelque chose
d'original et d'unique. C'est le devoir de toute personne en
Israël de savoir apprécier qu'elle est unique en ce
monde, par son caractère particulier, et qu'il n'y a jamais
eu quelqu'un de semblable à elle dans le monde. »
(.)
La toute première tache de chaque homme, est
l'actualisation de ses possibilités uniques, sans
précèdent et jamais renouvelées, et
non pas la répétition de quelque chose qu'un
autre, fût-ce le plus grand de tous, aurait
déjà accompli.
C'est cette idée qu'exprime Rabbi Zousya peu avant sa mort :
« Dans l'autre monde, on ne me demandera
pas (dit le Rabbi) : Pourquoi n'as-tu pas été
Moïse ? On me demandera : Pourquoi n'as-tu pas
été Zousya ? »
« En quoi le subjectif - l'individu -
est-il fondamental ? »
Il est fondamental parce qu'il est une partie d'un tout. Emmanuel
Levinas écrit (toujours lui) : « Tout
se passe comme si la multiplicité des personnes
était la condition de la totalité de la
« vérité absolue ». »
Comme si chaque personne, par son unicité,
assurait la révélation d'un aspect unique de la
vérité, et que, certains de ses
côtés ne seraient jamais
révélés, si certaines personnes
avaient manqué dans l'humanité. Ceci
suggère que la totalité du vrai est faite de
l'apport des personnes multiples : l'unicité de chaque
écoute portant le secret du
texte. « Cette idée, on la
retrouve dans les textes du hassidisme : chaque homme est une lettre ou
une partie d'une lettre. Le livre est écrit dans sa
totalité lorsqu'il ne manque aucune lettre. Chaque homme a
l'obligation d'écrire sa lettre, de s'écrire,
c'est-à-dire de se créer en renouvelant le sens :
son sens. Le Texte ou le Livre pour les Juifs, et les rituels et les
symboles pour les Mac\ sont des points de départ pour la
pensée. Ils ne sont pas la pensée.
Confondre l'un et l'autre amène à
confondre rituel et ce que comprend le rituel.
Emmanuel Levinas (encore lui) exprime cette idée :
« Il est certain que, en discutant du
droit de consommer ou de ne pas consommer »
un œuf pondu un jour de
fête « ou des
indemnités dues pour les dommages causes par un
« boeuf furieux », les Sages du
Talmud ne discutent ni d'un œuf ni d'un boeuf, mais sans en
avoir l'air, ils mettent en cause des idées
fondamentales. » Car, mettre en avant le
dogme nous condamne a une sorte d'idolâtrie Et, pour
éviter le piège de l'idolâtrie -
l'illusion de la possession du sens - la tradition
hébraïque a introduit la notion de niveaux de
signification, qui rappellera sûrement quelque chose aux
Fr\Mac\. Nous découvrons 4 niveaux de lecture que la
tradition hébraïque nomme- Patch : sens simple ou
littéral - Remez : sens allusif - Drach : sens sollicite -
Sod : sens caché ou secret.
Et les initiales des quatre mots forment un autre mot :
pardes qui veut dire « verger »,
ou encore « paradis ». Car, il
s'agit bien de donner une direction à la quête. Le
Pardes. Le Rabbin Ouaknin (à qui je dois beaucoup dans
l'élaboration de cette planche) définit le
Juif-l'Hébreu, sous des mots qui peuvent aussi - je crois -
définir le Mac\. « Pour
l'homme-hébreu, exister c'est devenir.
L'homme-hébreu n'est pas quelque chose qui est, mais quelque
chose qui sera.
En devenir constant, dans un devenir qui est
a-venir. » D'ou. L'Hébreu est
messianique ! Et le Mac\ en quête. L'Hébreu est
messianique, si tant est que « le
messianisme n'est pas la certitude de la venue d'un homme qui
arrête l'Histoire », comme dit
Levinas. « L'Hébreu n'est pas dans le
temps, il produit le temps. »
C'est en cela que je me sens pleinement l'un et l'autre : Juif et Mac\.
Toujours en quête.
Loin des certitudes. Et plein d'utopies.
Parce que sans utopies, je ne pourrai pas vivre.
La prétention de toucher un jour à
la vérité est une sorte d'horizon qui recule
toujours quand on croit s'en approcher.
Une utopie bien agréable dans un mode sans utopie, et une
utopie quelques fois douloureuse, Car dans ce monde qui a besoin de
certitudes, Nous mettons en avant - les Juifs (tout au moins, certains
d'entre eux), et nous, Mac\ (tout au moins, beaucoup d'entre nous) -
Nous mettons en avant des incertitudes et des questions. Pour
répondre aux questions d'aujourd'hui.
J'ai dit.
I\ C\
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