Qu'est-ce
qu’Emulation ?
Le Rite Emulation
Cette
communication devrait plutôt porter le titre «
Emulation, Pourquoi ?Comment
? »... On peut, tout aussi bien entendre, «
Emulation ? Qu'est-ce que
j'y fais, moi qui viens du Rite Français ? »
à cela je peux répondre
facilement... j'y étudie la franc-maçonnerie et
j'y prends un plaisir extrême.
Mais, là n'est pas la question... ce soir, j'alternerai
l'Histoire et le Rite
sans, toutefois trop aborder les détails symboliques. Mais,
comment faire en un
temps aussi court ? Parler de l'Histoire de la
franc-maçonnerie ici revient
toujours, peu ou prou, à construire une paillote
là où devrait se dresser un
Temple.
Ainsi, nous allons essayer de faire le portrait robot du Rite et qui ne
laisse
pas de surprendre les visiteurs d'autres rites tant ses
références « opératives
» dominent et l'éloignent de l'alchimie ou de la
théurgie présentes partout
ailleurs sur le Continent (1).
«Emulation working» le «Style
Emulation», le «Travail
d'Emulation» peut aussi les surprendre par son
orientation déiste, en
effet ses références permanentes à
l'ancien testament pourraient laisser
accroire, à nos visiteurs et, peut-être,
à certains d'entre nous, que le poids
christique explicite de certaines pratiques continentales est plus
sécurisant
et porteur de libre pensée... on en oublierait que la
laïcité du Grand Orient a
été inventée par des Pasteurs
Calvinistes... Pour faire un clin d'oeil, je
dirais que nous sommes des hommes simples face à une
œuvre complexe.
Avant d'aller plus loin, il est bon de préciser deux ou
trois points. Tout
d'abord, concernant le vocabulaire utilisé en Histoire de la
franc-maçonnerie.
Le nom de Grande Loge Unie d'Angleterre
désigne uniquement la
fédération actuelle, constituée
après l'Acte d'Union de 1813. La Grande
Loge de 1717 porte le Nom de Grande Loge
de Londres
ou Grande Loge des «moderns»
( sans « e » ), le regroupement
des Loges du rite «ancients » ( avec un «
t » au final ) est qualifié de Grande
Loge des «Ancients» à la
place de son véritable nom qui était «Grand
Comité de la plus Ancienne et Honorable
Fraternité des Maçons libres et
acceptés, selon les Anciennes Institutions».
Les membres des guildes de bâtisseurs et des anciennes Loges
de constructeurs
dont le métier est relatif à la
maçonnerie sont appelés «opératifs»
alors que les autres membres des mêmes Loges dont le
métier n'est pas de
construire ou d'être architectes sont nommés
«maçons acceptés».
Les maçons «spéculatifs»
ou «francs-maçons
spéculatifs»
sont, quant à eux, des membres de Loges non
constituées autour du métier et
dont les membres ne sont pas des constructeurs.
Qui sont les « moderns » de la
Grande Loge de Londres ?
Commencée sous le règne d'Henry VIII pour se
développer sous Elisabeth
Première, la grande révolution de la Renaissance
Baroque eut pour conséquence
l'émergence d'une forte pensée artistique et
scientifique. Portée par les
philosophes des Académies néoplatoniciennes de
Florence tel Giordano Bruno,
tout aussi bien par le développement de ce que l'on
appellera la «philosophie
occulte» de Ramon Lulle et Henry Corneille Agrippa, cette
révolution aura pour
conséquence le développement de l'enseignement
universitaire et ses
publications en langue véhiculaire et non plus en latin.
De cet illuminisme élisabéthain naquit le premier
regroupement de scientifiques
et de pasteurs calvinistes, sous protection de l'Angleterre depuis la
révocation de l'édit de Nantes, et qui avaient
gardé de nombreux contacts chez
les Rose+Croix rhénans ou les «gymnasium»
bâlois ; ce furent la «Royal
Society», «l'invisible college»,
«les free-gardeners»,
«le
Druid order» et la franc-maçonnerie de
Londres regroupant en 1717 dans les
milieux intellectuels fréquentant déjà
des loges disparates depuis le XVIIème
siècle.
Devenus très sûrs de leurs
prérogatives, protégés par la
royauté, les membres
de la Grande Loge de Londres
adaptèrent leurs rituels et leurs
pratiques en vue de les rendre plus conformes à leurs
savoirs spéculatifs et
scientifiques.
Le «tout Londres» de cette
époque, qui composera la Grande Loge
«Andersonienne», étant assez peu
différent des «noblesses de ville»
d'aujourd'hui, il n'était pas question pour eux de se
mélanger avec des gens de
peu, mal instruits et, pour tout dire, «pas d'ici».
Afin de justifier de cette exclusion, les «moderns»
modifièrent les
pratiques et les signes, prétextant les rendre plus
conformes à la pensée du
temps.
La grande majorité des immigrants des colonies
d'Amérique, d'Irlande et
d'Ecosse, poussés vers Londres par les crises et les
guerres, artisans, petits
bourgeois terriens voyant leur pratique rejetée et
méprisée les nomèrent «moderns»,
prétendant, à juste titre, que leur exclusion et
l'«évolution»
déplorable des secrets de l'Ordre avait eu pour
conséquence d'éloigner Londres
de la vraie en ancienne maçonnerie dont ils conservaient,
eux, les anciens
usages.
Un contexte politico-économique en
mutation .
L'histoire de la franc-maçonnerie, on le voit, est assez
embrouillée. Il est
bon de procéder à un rapide aperçu
politico-économique de l'Angleterre, ce
point nous donnera quelques indications.
A toute forme d'économie correspond un régime,
dit-on, et, dans le cas qui nous
occupe, à toute forme de régime correspond un
élan de société et les formes de
sociabilité qui la compose en sont l'image. Les
francs-maçons sont des hommes,
bien souvent, des hommes engagés dans l'Histoire et
conscient du rôle qu'ils
peuvent jouer dans l'évolution de leurs institutions.
Ainsi, pour notre histoire, il est bon de garder à l'esprit
les trois
phénomènes les plus importants de la
période 1688-1815 de
l'Histoire de l'Angleterre, à savoir :
• la révolution agricole et industrielle qui, en
ruinant les petits propriétaires
et en massant dans les villes un prolétariat de plus en plus
misérable, rend
inévitable une révolution politique et une
réorganisation des pouvoirs, à
savoir, gouvernement familial ou tribal, dynasties féodales
ou politiques de
guildes ? L'économie agricole primitive suppose quelque
sorte de féodalité
parce que les agriculteurs épars ont besoin d'être
défendus. Le temps des
marchands est bien plus celui de la ploutocratie; et la
révolution industrielle
apporte la démocratie dans les bagages des objectifs de
croissance aux
ambitions plus grandes que le féodalisme finissant.
• le passage d'un gouvernement monarchique où le
Parlement n'avait eu qu'un
rôle législatif à un gouvernement
oligarchique dans lequel le Parlement est
aussi, contrairement à ce que croyait Montesquieu, la source
du pouvoir
exécutif. Ce passage se fait grâce à
l'invention d'un cabinet responsable
devant les Chambres, création né des nombreuses
guerres intérieures et qui rend
possible l'alternance pacifique des partis. Il est de moins en moins
question
d'omnipotence royale. On retrouve ici l'esprit des Constitutions
maçonniques de
1723 à « regrouper ce qui est
épars » ;
• la lutte avec la France qui a pour premier objectif
d'empêcher la formation
sur le continent d'une hégémonie redoutable pour
l'Angleterre, que ce soit
celle de Louis XIV ou celle de Napoléon et qui a pour objet
d'assurer à
l'Angleterre la maîtrise des mers et la formation d'un nouvel
Empire. Cette
compétition se traduira aussi, bien entendu, par une
distance de plus en plus
grande entretenue par les deux franc-maçonneries,
jusqu'à la rupture.
Dans l'Angleterre du XVIII ème siècle, le Pouvoir
appartenait à une classe
mixte, formée d'une aristocratie nourrie de la «Magna
Carta», issue de
la féodalité défunte et d'une
ploutocratie de propriétaires terriens toute
neuve particulièrement tentée par l'anoblissement
et ses privilèges... Cette
seule Classe de «Squires», en
se divisant, donnera naissance aux deux
partis politiques qui sont encore présents dans le paysage
britannique.
On sait que le régime britannique a
été accepté sans
soulèvements sociaux. Bien
entendu, il fallait admettre l'existence d'un partenariat avec des
guildes
mixtes, opératives et acceptées, voire, comme
cela s'est trouvé pour les
maçons, d'en contrôler la direction au plus haut
niveau. Ces groupes de
privilégiés étaient ouverts au talent,
ou au moins au succès parce qu'il
valorisait le système et favorisait le
libéralisme économique. C'est pourquoi,
le dix-neuvième siècle parlementaire,
à la fois impérial et démocratique, ne
rencontra jamais dans la fine fleur de l'Angleterre de
préjugé défavorable.
Cette élite, qui assurait la mixité des guildes,
avait pris l'habitude, depuis
le siècle précédent, de
considérer ce système comme sa maison.
C'est dans ce contexte général que
naîtra la franc-maçonnerie Anglaise, à
l'image d'un élitisme conservateur et mondain. C'est bien
parce que la Grande
Loge de 1717 véhiculait l'orgueil des Lumières,
cette conscience générale de
progrès et de libéralisme
préférentiel qu'elle put s'adapter aux
différents
environnements, tout aussi bien au parlementarisme britannique qu'aux
royautés
continentales et évoluer de manière aussi
dissemblable après y avoir été
exportée. Néanmoins, ses modes de recrutement
spécifiques et les désirs
d'anoblissement de la bourgeoisie qui la composait conduisirent, au fur
et à
mesure, la structuration en loges de différents niveaux.
Très loin du principe
affirmant que «Tous les Maçons sont
frères sur le même niveau»,
la
Grande Loge des «moderns» a laissé
germer la graine qui est devenue un arbre
aux nombreuses branches...le développement de
systèmes de hauts grades de plus
en plus importants, reflets de hiérarchies sociales
accrochées à leurs
privilèges qui conduisit à des
réticences de plus en plus marquées à
accepter
en ses rangs les ouvriers ou les maçons de métier.
Cela conduisit naturellement au rejet de certains visiteurs, petites
gens issus
des anciennes Loges de Provinces, d'Irlande et d'Ecosse ou anciens
immigrants
des Amériques.
C'est dans ce climat d'ostracisme que six loges
indépendantes de Londres
formèrent en 1751 ce qui
devint la Grande Loge des
«Anciens». La prétention
de leur porte parole, Laurence
Dermott, qui fut très vite leur
fédérateur, à conserver des pratiques
anciennes, quoique fort exagérée,
n'était pas tout à fait sans fondement. Cela
permit de réintégrer dans la
maçonnerie un fonctionnement qui se voulait
débarrassé des préoccupations de
privilèges.
Cette nouvelle maçonnerie des «ancients»
était l'image d'une certaine forme de
lutte de classes qui s'étendit sur toute la seconde
moitié du XVIIIème siècle
et les premières années du XIX ème.
Le conflit d'intérêt et de pouvoir dont il est
question ici et qui ne concerne,
à première vue, que l'Angleterre est, en fait,
une image préfigurée des
révolutions «politiques»
de l'Europe des années 1830...
1813 – The Union Act
La «querelle des «ancients»
(2) et des «moderns'» se
terminera en 1813, par l'Acte
d'Union et le
divorce définitif, comme une conséquence
naturelle, des maçonneries Anglaises
et Continentales. Ces dernières ayant
évoluées vers un système arborescent
trop
anarchique et trop proche de la noblesse de privilèges pour
réintégrer les
anciens devoirs.
La marque la plus claire de cette séparation reste le ferme
rejet de l'Ecossisme
et des « Hauts grades », ainsi que le
définit clairement l'«Acte d'Union»
quant à la structure des pratiques.
«Il est déclaré et
prononcé que la pure Ancienne Maçonnerie consiste
en
trois degrés et pas plus, c'est-à-dire: Apprenti
entré, Compagnon, y compris la
Marque, et Maître Maçon, y compris l'ordre
suprême de la Sainte Arche Royale».
Je noterais ici comme une parenthèse importante que la
maçonnerie anglo-saxonne
ne connaît pas le terme de «grade»
qui apparaît souvent sur
les traductions françaises à la place du mot
«degree».
Pour les rites anciens, il n'y a ni grade, ni rang mais des
degrés. «Tous
les maçons sont frères sur le même
niveau» et les dispositions
hiérarchiques sont une hérésie
maçonnique contraire aux «Landmark»
qui précisent que «( 22 ). Tous les
maçons sont égaux et ne peuvent se
prévaloir d'aucun titre ni rang autre que les trois degrés.
» L'égalité de tous
maçons est un principe absolu et il n'est pas anodin
que le terme de «degree» qui
signifie «par étape»,
«barreau
de l'échelle» ait
été traduit, sur un continent prolifique en
honneurs
inégalitaires par «grade».
Ce dernier mot étant le même dans les deux
langues, pourquoi l'avoir choisi
alors qu'il n'était pas utilisé ?
L'apparition, d'«Emulation»
se présente comme l'outil d'une
unification rituelle qui instrumente l'arrêt des
proliférations anarchiques de
soi-disant rangs perçus essentiellement comme un retour aux
privilèges du monde
profane et le point final donné au premier grand conflit de
l'Histoire
maçonnique , ce que le Grand Orient de France avait
essayé de faire dès 1773
avec le peu de succès que l'on connaît.
De l'Acte d'Union naîtra la Grande Loge Unie
d'Angleterre.
Les rituels des «ancients» de
cette époque étaient toutefois, fort
disparates. Pratiqués dans les Provinces du Royaume Uni on y
retrouvait, le nom
de la ville où se situe la Loge tel que le «Oxford
Working» ou de la
région comme le «Sussex Working»
ou bien d'autres nom savoureux tels «Logic»
ou «Stability», mais ils se
rapportaient tous, peu ou prou à une
pratique identique que les historiens de la maçonnerie
anglaise s'accordent à
relier au rite que l'on nomme généralement
«ancienne pratique».
De fait, plutôt que de substituer une appellation
à une autre, les membres de
la «Special Lodge of Promulgation»
n'ont pas donné de nom à
leur rituel qu'ils appelaient «ancienne pratique
régulière» et le
terme qui sert aujourd'hui est l'abréviation de «Emulation
Lodge of
Improvement for Master Masons». Ce nom
est en fait, celui de la Loge
de référence, fondée en 1818
pour l'instruction des Maîtres
Maçons et qui se réunit depuis cette date et sans
interruption au «Freemason's
Hall», Great Queen Street à Londres,
tous les vendredi soir à dix-huit
heures (3).
Mais, revenons à la part politique. Avant 1813, nous l'avons
vu, il existait
deux Grandes Loges. L'une d'elles, fondée en 1717, celle des
«moderns»,
et l'autre, fondée en 1751, connue comme celle des
«ancients». Ces
deux entités vécurent des relations
très conflictuelles durant plus de soixante
ans. Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle,
la Grande Loge des «Moderns»
de 1717 n'était pas reconnue par ses deux sœurs
d'Écosse et d'Irlande qui lui
reprochaient d'avoir modifié les «landmarks
traditionnels» et d'avoir
apporté des modifications importantes dans la pratique des
rites, ce qu'elle
reconnut le 12 avril 1809.
«this
Grand Lodge do agree in opinion with the Committee of Charity that
it is not necessary any longer to continue those Measures which were
resorted
to or about the year 1739 respecting Irregular Masons, and do therefore
enjoin
the several Lodges to revert to the Ancient Land Marks of the
Society»
(4)
Elle constitua six mois plus tard une nouvelle Loge, «The
Special Lodge
of Promulgation», dont la patente
spécifiait le but : «en
application de la résolution
précédente, faire connaître et rendre
exécutoires
les anciens «landmarks» auxquels il convenait de
revenir»
«for the purpose of Promulgating the Ancient
Land Marks of the Society and
instructing the Craft in all such matters and forms as may be necessary
to be
known by them in Consequence of and Obedience to the said Resolution"
[celle du 12 avril 1809, citée ci-dessus] and
Ordre». (5)
En 1809 des commissaires furent nommés afin de
négocier les modalités qui ont
permis le 27 décembre 1813 de fusionner les
deux loges en Grande unie
de l'Angleterre par la signature de l'Union Act.
Cette unification fit l'objet de nombreuses tractations, entre les deux
Grandes
Loges à l'initiative des «Ancients»,
ainsi, le 11 avril 1810,
la «Grande Loge des Moderns»
décida d'accéder à la
requête des
«Anciens» et de préparer l'unification
des deux Grandes Loges. Le moins que
l'on puisse dire c'est que les «Moderns»
se firent longuement prier,
peut être, en partie pour dissimuler leurs propres faiblesses
et feindre l'indifférence
à l'union qui ne pouvait pourtant que renforcer le prestige
de
la franc-maçonnerie anglaise.
Dans un Royaume unifié et pacifié, les prises de
positions politiques et les
dispositions naturellement légitimistes de la
maçonnerie anglaise n'étant plus,
depuis le quinzième siècle, le fait du hasard, il
devenait nécessaire de
regrouper les maçons autour d'une même couronne.
La pratique régulière des
«ancients»...
Conformément à la vieille tradition des
maçons opératifs, le rituel
standardisé qui résulta de l'union des
«ancients» et des «moderns» ne
fut pas
consigné par écrit, bien au
contraire ! Il fallut attendre jusqu'en 1850
pour qu'un premier rituel d'Union soit
publié et seulement
1969 pour qu'une publication officielle de la GLUA voit le jour.
Les constituants de l'«Act of Union»
de 1813
s'étaient donc heurtés à une
difficulté : il y a toujours une commission,
quelque part, prête à transformer, modifier,
ajouter un «traditionnel»,
un «rétabli», par-ci ou un «véritable»
par là, bref, à moderniser, la
pratique des rituels. Comment concilier deux exigences, à
savoir celle de
l'oralité, en vigueur au moins théoriquement, et
celle, plus directement
politique, de préserver l'immuabilité
du Rituel, de le mettre
à l'abri des inévitables variantes locales et
autres déformations ? C'était
l'affichage officiel du conflit et il fallait éviter qu'il
ne se reproduise. La
Grande Loge deviendrait donc Première Grande Loge...
Première par l'antiquité
revendiquée, mais surtout Première
hiérarchiquement afin de ramener les âmes
égarées au sein de la
régularité.
N'oublions pas qu'en maçonnerie, le dernier né
est toujours le plus ancien et
le plus grand !
Néanmoins, cet objectif fédérateur
réalisé eut pour conséquence directe
que les
Frères du Rite «Emulation»
puisse, sans réserve, aujourd'hui,
affirmer que depuis son origine, il n'a subi aucune
altération, ni dans son
contenu ni dans ses pratiques, ni dans sa gestuelle. C'est
là le grand principe
fondateur de ce rite : son immuabilité.
La conservation de son message par le fait que l'on n'en modifie pas un
«iota»
(encore une référence biblique!). C'est ainsi
que, si l'on n'y prend garde,
l'apprentissage «par cœur»
devient le principal objet du Rite alors
que cet élément n'est, en fait, qu'un accessoire
obligeant à l'étude.
Afin de conserver la pratique rituelle de la manière la plus
efficace, les
articles de l'Acte d'Union stipulaient
qu'il devait y avoir une
parfaite unité dans le travail.
Mais pourquoi vouloir faire une maçonnerie universelle
à partir d'une simple
réconciliation ?
Comme je l'ai déjà dit, à toute forme
de société correspond une forme de
sociabilité. L'Histoire de l'Angleterre de cette
époque nous le montre bien, il
s'agit de consolider ce qui deviendra l'Empire et de le
protéger des atteintes...
particulièrement des atteintes intérieures...
L'Angleterre a connu de
nombreuses guerres civiles, jamais de révolutions !
S'agissant d'une franc-maçonnerie spéculative
parfaitement intégrée dans le
paysage politique européen, il était
impératif pour un anglais conservateur de
faire barrage à la puissante maçonnerie
napoléonienne dirigée par le duc de
Cambacérès, Archichancelier de l'Empire, afin que
ce Grand Orient, déjà trop
présent, ne puisse devenir la
référence.
Il fallait traduire cette perspective universaliste par l'unification
de ce qui
représentera le plus important regroupement
fédérateur de noblesse et de
bourgeoisie de l'Empire Britannique et qu'il puisse s'offrir en
modèle de
société aux rouages parfaitement
équilibrés et adaptés au monde
moderne. Les
défaites de Napoléon marqueront les premiers
signes de faiblesse de son pouvoir
et les lambeaux de l'empire seront partagés entre la Prusse
et Londres. On
pensait alors qu'il serait de bon aloi de voir la bourgeoisie
française se
rallier et que la «freemasonry
légitimiste» devienne leur point de
regroupement. La nouvelle franc-maçonnerie rappelle
d'où elle vient, se
revendique issue des bâtisseurs de cathédrale et
de la révolution industrielle.
Elle est le rempart moral contre les velléités
révolutionnaires de l'Europe
continentale, l'équilibre des nations. On sait que ces
prétentions à empêcher
les révolutions échoueront dans la reconnaissance
de légitimité accordée par
les anglais à Louis-Philippe d'Orléans,
échec qui forgera le socle des révolutions
européennes de 1830.
Ces erreurs stratégique affaiblissant la
crédibilité de l'Angleterre sur la
scène européenne conduiront les britanniques
à percevoir leur nouvelle
souveraine, la jeune Victoria, épuisée par les
grosses successives et qui aura,
néanmoins, le plus long règne de l'Histoire, de
1873 à 1901, comme une sorte de
réincarnation d'Elizabeth Première dont ils
attendront grandeur et renaissance.
De fait, après sa mort, à la veille du premier
conflit mondial, toutes les
familles régnantes d'Europe, touchées et
à l'origine du conflit seront liées
entre elles par la descendance de la Reine devenue une figure mythique
de
l'Empire et conductrice véritable des principes anglicans,
c'est à dire du
prestige moral de la Grande Bretagne, image de sa puissance.
Le soleil ne se couche jamais sur l'Empire et les maçons de
Britania
travaillent depuis le lever du jour...
Ce sentiment de continuité Impériale, ce rempart
civilisateur, cette «dette
de l'Angleterre civilisée vis à vis des peuples
du monde» comme le dira
James J. Frazer, l'ethnographe, impose à ceux qui la
pratiquent, qu'il n'y ait
qu'une seule forme de maçonnerie ; la maçonnerie
anglaise. Elle ne doit pas
être confondue avec la fille des lumières trop
souvent associée à tort à la
Révolution Française. Elle ne souhaite pas
être mêlée à une
révolution
quelconque et proclamera avec force ses origines humbles et
ouvrières ; celles
de la maçonnerie de métier, des guildes
interdites ; croyantes, vertueuses,
travailleuses et surtout, au service du Pouvoir. C'est donc
à la famille royale
qu'il reviendra de la diriger. Son rituel doit être anglican,
reposer sur la
Bible du Roi Jacques Premier, successeur d'Elizabeth.
Cette maçonnerie unie donnera le ton sur la
planète entière et, pour ce faire,
développera dans le paysage spéculatif les termes
de «régularités»
et
de «Landmarks». Cette position
dominante aura d'ailleurs été un
objectif fondamental, y compris de la Grande Loge de Londres,
exposé par le
Grand Secrétaire des «Modern»
James Heseltine (6), à savoir, parlant
de la franc-maçonnerie française, que «ces
gens-là ne sont pas reconnus
comme maçons ... » mais aussi que
«...La différence fondamentale et
essentielle entre la franc-maçonnerie anglaise et les
franc-maçonneries
continentales c'est que ces dernières ignorent ce qu'est un
franc-maçon».
Afin d'organiser et de déterminer de l'unité
rituelle qui mettra un terme à
toutes les querelles et surtout à tout le foisonnement qui
se répandait depuis
1730, la création d'une Loge de Réconciliation,
composée à part égale de
Maîtres Maçons experts issus des deux Grandes
Loges, fut donc inscrite dans la
Constitution de la Nouvelle Grande Loge.
L'article V prévoyait, à ce sujet, que les
Frères participant aux travaux de la
Loge de Réconciliation avaient pour mission de constituer le
Rituel qui devrait
être observé en parfaite unité (perfect
unity) et en permanence par la
nouvelle Grande Loge.
Les Maîtres de la Loge de Réconciliation n'ont pas
été avares de leurs efforts
à faire aboutir une forme rituelle à la fois
débarrassée de l'alchimie et du
Rosicrucianisme mais contenant toujours les arcanes de la
«philosophie occulte»
des lumières élisabéthaines du
XVIème siècle, donc, acceptable à
l'unanimité
par tous. Ces efforts de syncrétisme sont
attestés par le fait que rien ne fut
réellement terminé avant la
préparation, le 20 mai 1816,
de la
tenue de Grande Loge présidée par le
Très Vénérable Grand Maître,
Son
Altesse Royale le Duc de Sussex.
A l'issue de cette tenue de Grande Loge et lors de sa
réunion suivante du 5
juin 1816, le rituel fut confirmé et approuvé.
C'est ainsi qu'en 1816 naquit une forme de rituélie
particulière d'ouverture et
de fermeture de la Loge aux trois degrés ainsi que les
réceptions, passages et
élévations qui fut approuvée et admise
au nom de SAR le
Duc de Sussex, de la Grande Loge Unie et en celui de l'ensemble de la
fraternité d'Angleterre.
«Emulation», bien que
pratiqué par les éléments des forces
britanniques stationnées sur le continent durant la
première guerre mondiale,
ne fut introduit en France qu'en 1925 par
les frères Drabble
et traduit en français à cette occasion. A cette
époque, le Grand Orient de
France, né en 1773 dans l'objectif de
fédérer les rites, disposait
déjà de
patentes du rite des «Ancients»,
introduit en France au retour de La
Fayette, après la guerre d'indépendance de 1774
et du rite d'York, amené par
les immigrés Américains après la
Guerre de Sécession, c'est à dire entre 1861
et 1875.
En 1925, «Emulation»
fut adopté par une partie des
loges de la Grande Loge Nationale Française
créée depuis 1913, notamment, «Persévérance
27», «Espérance 35»,
«Confiance 25», etc... Donc,
bien
après la création de l'Obédience
construite sur le Rite Ecossais Rectifié.
Porteur de la notion d'une initiation «orale»
et «complète»
à chaque degré du rite, «Emulation»,
dans sa pratique assidue, est ce
que l'on pourrait appeler un rite «explicatif»
très
progressiste et très égalitaire. Sur ce point
particulier, il apparaît fort
dommage que sa pratique «proclamée»
en France le fut par la Grande
Loge Nationale avant tout dans un souci
d'allégeance à l'Angleterre
plus que par choix philosophique. Tous les
éléments de la «philosophie
occulte» du XVIème
siècle, des «mystères»
des
bâtisseurs (pas uniquement des tailleurs de pierres) et des secrets
de l'Ancien Testament sont contenus dans ses
cérémonies. Ils sont transmis à
chaque étape du Rituel et à chaque grade pour ce
qui le concerne, sans rien
n'omettre. Cela permet, à qui le pratique et
l'étudie d'accéder à la
connaissance des symboles et signes et de répondre
à la question fondamentale
de leur utilité.
Pour «Emulation», le
thème de ce que l'on nomme Maçonnerie Bleue,
c'est à dire celle regroupant les trois premiers
degrés d'Apprenti, Compagnon
et Maître, est la construction symbolique d'un Temple.
L'Apprenti y est admis
parmi ceux occupés à cette tâche de
construction afin d'en partager les travaux
et d'apprendre les techniques.
Ce ne sera que comme Compagnon qu'on lui fournira le reste des outils
lui
permettant de préparer une pierre taillée, et de
progresser jusqu'à la
production d'un chef-d'œuvre.
Il sera alors capable de travailler comme maçon
expérimenté et on l'encouragera
à découvrir les mystères
cachés de la nature et de la science. Il connaîtra
le
sens moral de l'équerre, du niveau et de la perpendiculaire
et il apprendra
même où et dans quel esprit les compagnons
reçoivent leur salaire.
Le degré de Maître Maçon de Marque
où le Compagnon apprendra comment percevoir
son salaire, bien que suivant la maîtrise, assure le lien
entre le Compagnon de
métier et le Maître. Il aidera à
achever le Temple par l'achèvement des
alliances ...
«Emulation»
présente une grande simplicité structurelle,
comparativement aux maçonneries Ecossaises et Egyptiennes,
mais aussi une
remarquable complémentarité dans les
différentes étapes de la progression.
Là où l'on doit rechercher la pierre
cachée, «Emulation»
substitue la
pierre d'angle et la pierre de faîte. C'est la manipulation
de ces pierres qui
constituent la structure physique du Temple, le constat de sa
stabilité, de son
harmonie et, par extension, de l'application de ces qualités
à l'Homme, qui
donne tout son sens à la progression maçonnique
d'«Emulation».
Lorsqu'on le pratique, ce qui saute aux yeux, immédiatement,
est la grande
logique de progression qui préside aux travaux, à
tel point que l'horizon de
l'Apprenti Entré est déjà
orienté vers ce que sera le Maître de l'arche.
Chaque franc-maçon passe d'un grade à l'autre et
d'un poste à l'autre au terme
d'un cycle annuel. Rien dans cette logique clairement
soulignée par son
insistance particulière quant à
l'éphémère et sa volonté
fédératrice n'est
incompatible avec les principes fondamentaux de tolérance,
de progrès, de
philosophie rappelés dans l'article premier des
constitutions du Grand Orient
de France comme rien dans ces mêmes constitutions
n'empêchent la pratique d'un
rite plutôt qu'un autre sinon le fait de disposer des
patentes des degrés...
Pour Emulation, la pratique assidue offre la compréhension
et les «Loges
d'Instructions» sont construites sur
l'étude afin de permettre aux
francs-maçons de progresser et de s'«améliorer»
(traduction de Improvement),
de générer une dynamique (Emulation),
sur la voie maçonnique ; car, pour «Emulation»,
«les
épreuves», «le
challenge», sont dans les
éléments symboliques du
rituel.
Pour le franc-maçon, la pratique rigoureuse de son rite,
quel qu'il soit est
une garantie de sérieux, sinon, autant faire du
théâtre ou des danses
folkloriques. Alors, pratiquons du mieux que nous pouvons car le but de
la
franc-maçonnerie et de ses rituels n'est-il pas,
à toute fin l'initiation et le
progrès de l'Homme ?
«Emulation ? Qu'est-ce que j'y fais, moi qui viens
du Rite Français ?»
à cela je peux répondre facilement... j'y
étudie la franc-maçonnerie et j'y
prends un plaisir extrême. Et je remercie tous ceux qui me
permettent de le me
le faire partager comme un cadeau.
Présenté
par Joël J.
Notes :
1. Sur le continent, on
étudie la Franc-Maçonnerie
essentiellement sur sa part ésotérique alors que
le chercheur Anglais est
essentiellement historien.
2. "Le Grand Comité de la plus
Ancienne et Honorable Fraternité des
Maçons libres et acceptés, selon les Anciennes
Institutions" Elle fut
également connue sous le nom de Grande Loge ATHOLL, du nom
du Duc d'Atholl qui
en fut le Grand Maître pendant de nombreuses
années. Elle fut constituée en
1751 jusqu'à sa fusion avec les Modernes en 1813 qui donnera
la Grande Loge
Unie d'Angleterre, toujours existante.
3. Les théoriciens Anglais
d'Emulation, tel Herbert Inman ne tiennent,
bien entendu, pas compte des pratiques continentales, telles que le
Rite
Français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté ou
le Rite Ecossais Rectifié, mais
le même questionnement peut aussi se poser pour les
néophytes confrontés à ces
différentes pratiques. Durant la période qui
suivit l'Acte d'Union entre les
«ancients» et les «moderns»,
c'est à dire après la création de la
«Lodge of
Reconciliation» en 1813, la principale activité
fut de regrouper les pratiques
et de les fondre dans ce qui deviendrait, en 1816, le Rite Emulation.
Après la
mort de ses promoteurs, Gilkes et Clarets, en 1850, la veuve de ce
dernier
continua de publier la forme écrite du rituel jusqu'en 1870.
D'autres éditions
virent alors le jour dont un ouvrage, publié en 1871,
« The Perfects Ceremonies
» dont le contenu se voulait être un manuel
d'enseignement à «Emulation». On ne
peut être que surpris par le fait que, s'agissant d'un
événement aussi
important que l'unification, il n'y eut pas plus d'ouvrages traitant du
sujet
de l'enseignement rituel. En effet, il fallut attendre 1902 pour que la
Loge
«Stability» publie son rituel et la
«Lodge of Improvement» ne publia le siens
qu'en 1969. C'est très probablement ce manque de
zèle qui permit, entre la fin
du XIXème et le début du XXème
siècle, la profusion de nouveaux rituels. On en
compte aujourd'hui plus de 40 publiés et une centaine
d'autres pratiqués ça et
là, bien souvent d'ailleurs par une seule et unique Loge.
Certains parmi ces
rituels sont pratiqués dans les Provinces et portent le nom
de la ville où se
situe la Loge tel que le «Oxford Working» ou de la
région comme le «Sussex
Working». Ces pratiques anecdotiques ne sortent
généralement pas de leur zone
géographique. Bien évidemment,
«Emulation» reste la pratique la plus courante
de la Grande Loge Unie d'Angleterre. – Cf. à ce
sujet, l'article publié par le
«Masonic Quarterly Magazine» du 10 juillet 2004,
«Masonic ritual: Spoilt for
choice» (Rituels maçonniques, l'embarras du choix).
4. Gould History II: 498.
Hextall, AQC
23 (1910): 37. Knoop, AQC 56 (1945): 30. Clarke, Grand
Lodge (1967): 124
etc.
5. AQC 23 (1910): 37-38.
6. James Heseltine (1745-1804), Grand
Secrétaire des « Modernes »
nommé
à vingtquatre ans le 5 mai 1769 propos retranscrits dans in
Acta Macionica
– Revue de liaison de la Loge Ars Macionica de la Grande Loge
Régulière de Belgique
Posté
le vendredi 31 août 2007
Modifié
le lundi 05 mai 2008
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