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Initiation, chemin de connaissance
et chemin de vie

à partir d'un texte de la G:. L:. F:.

La Franc-Maçonnerie a été définie comme une « institution d’initiation spirituelle au moyen de symboles » (Assemblée des Grands Maîtres Européens 1952) ou encore comme un « ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité » (Constitutions de la Grande Loge de France). Ce caractère initiatique de l’institution maçonnique définissait déjà les Loges de Francs-Maçons opératifs.

Nous savons en effet qu’au moyen âge, après la réception au grade d’apprenti, avait lieu, au grade de compagnon, une initiation où étaient délivrés un certain nombre d’enseignements concernant la géométrie, l’art de bâtir, puis des « mots, signes et attouchements » qui permettaient aux maçons de se reconnaître, et enfin un enseignement ésotérique qui leur permettait de progresser dans leur recherche intellectuelle et spirituelle. Il en est de même aujourd’hui dans les Loges où se réunissent les Francs-Maçons spéculatifs, si bien que l’on a pu dire, à juste titre, que seule, en Occident, la Franc-Maçonnerie avait su conserver et perpétuer la tradition initiatique.

II est de fait que l’initiation est un moment important, certainement le moment le plus important de notre vie maçonnique. En effet, on ne naît pas Franc-Maçon, mais on est « fait » Franc-Maçon par l’initiation. On pourrait même ajouter que celui qui se ferait une idée claire de l’initiation maçonnique, se ferait une idée juste de la Franc-Maçonnerie, de son projet fondamental et de son essence profonde, de son éthique.

Aussi convient-il de s’interroger, une fois encore, sur l’initiation, sur sa finalité, sa nature, ses modalités et sur la signification qu’elle peut revêtir pour l’homme de notre temps.

« On entend en général, par initiation, un ensemble de rites et d’enseignements oraux, qui poursuit la modification radicale du statut social et religieux de l’homme à initier », a écrit Mircéa Eliade. Et il ajoute d’une manière plus savante : « Philosophiquement, l’initiation équivaut à une modification ontologique du régime existentiel » (Naissances mystiques, éd. Gallimard).

Ainsi l’initiation, le projet initiatique, est de provoquer une radicale et fondamentale modification de notre pensée et de notre être, de notre manière de penser et de notre manière de vivre. Il s’agit, comme le disent nos vieux rituels, « de passer des ténèbres à la lumière » et, par cette lumière qui nous illumine, de changer notre être et notre vie. En effet, la finalité de l’initiation n’est pas seulement « théorique », mais pratique, disons « éthique ». Il ne s’agit pas seulement d’aller vers la lumière et de se reposer dans une vaine et stérile contemplation, mais par cette lumière de nous entraîner à une action plus efficace et plus juste. Souvenons-nous que le « Noûs » (mot grec signifiant « esprit » ou « intelligence ») de Platon comme le « Logos » de Jean, ce n’est pas seulement l’Esprit qui nous illumine, mais c’est l’Esprit qui nous transforme (et qui nous transforme par cette illumination).

Ainsi le but essentiel de l’initiation maçonnique est de changer l’homme et c’est en ce sens qu’elle est éthique, car l'éthique, c’est ce qui veut essentiellement changer l’homme ; et ne confondons pas ici éthique avec moralisme et moralisation.

En employant un autre langage, nous dirions que l’initiation veut nous faire passer de l’homme de la nature à l’homme de la culture, du vieil homme à l’homme nouveau. Elle veut susciter une nouvelle naissance et la rendre possible.

Mais pour atteindre ce but, elle doit utiliser certains moyens, se soumettre à certaines conditions : La première condition, extrinsèque, de toute initiation aux « mystères de la Franc-Maçonnerie », est d’être un homme « né libre et de bonnes moeurs ».
La deuxième condition, intrinsèque celle-là, est la mort symbolique du sujet à initier, comme le rappele encore Eliade : « La majorité des épreuves initiatiques impliquent une mort rituelle, suivie d’une nouvelle naissance ».

Celui qui aspire à la lumière doit d’abord, dans une première épreuve, se dépouiller de tout son passé, des préventions, des préjugés que la vie profane a pu accumuler en lui. Il doit mourir à ce qu’il était, redevenir en quelque sorte un enfant, un « enfant nu ». Mais cette remise en question, cette sorte d’auto-critique radicale, ne sauraient se passer n’importe où et n’importe comment. Elles ne peuvent s’effectuer que dans un lieu séparé du monde et dans un temps autre que celui de tous les jours ; un espace et un temps séparés, secrets, non pas dans un quelconque édifice, mais dans un Temple, c’est-à-dire dans un espace et un temps sacrés, sacralisés par le Rite lui-même.

Cette initiation ne saurait également s’effectuer n’importe comment. Elle comporte une série d’épreuves (au « Rite Ecossais Ancien et Accepté » les épreuves de la terre, de l’air, de l’eau, et du feu) subies au cours de voyages symboliques.

On voit par là que l’on ne saurait recevoir la Lumière, si d’abord on n’a pas su franchir certains obstacles, surmonter certaines épreuves, si ensuite on n’a pas suivi un itinéraire, ce qui implique l’idée du temps, celui-ci étant une condition nécessaire à l’épanouissement, à l’accomplissement du sujet à initier.

Enfin, cet itinéraire ne peut être accompli qu’à la première personne, nous voulons dire que nul autre que nous-même ne saurait l’accomplir. La recherche initiatique est une expérience personnelle dans laquelle on ne peut dissocier le pensé et le vécu, le conceptuel et l’existentiel.

Et c’est parce que, en elle, ne peuvent être dissociés le pensé et le vécu, que toute initiation est au sens propre indicible, intraduisible. La dire, la raconter, c’est toujours la dénaturer, c’est en trahir l’esprit. Et c’est en ce sens que par définition toute initiation est secrète. Nous venons de dire qu’il n’y a pas d’initiation sans épreuves et sans voyages. N’est-ce pas affirmer que la maîtrise elle-même est l’aboutissement d’un long et difficile cheminement ? N’est-ce pas comprendre que l’homme n’est que dans la mesure où il se fait ?

Or n’est-ce pas ce que veut nous montrer Goethe dans son roman Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister dont le seul titre est déjà significatif ? Le héros de ce roman, Wilhelm Meister, dont on peut penser qu’il est Goethe lui-même, se cherche par des chemins obscurs, s’égare en de vaines poursuites, se perd même dans des routes sans issues, et comprend seulement à la fin qu’il a poursuivi des chimères et qu’ il ne peut se retrouver lui-même, et s’accomplir, qu’en retrouvant l’action et la vie réelle.

A la même époque et, semble-t-il, dans un même esprit où sans doute la pensée maçonnique n’était pas absente, le philosophe Hegel, dans son ouvrage La Phénoménologie de l’Esprit, décrit une sorte d’odyssée de la conscience, à la recherche de soi et du savoir absolu : cheminement long et difficile, marqué par des arrêts, des étapes, qui sont nécessaires à sa progression, ces arrêts et ces étapes étant des figures ou des moments de la vérité. Et peu à peu se dégage cette idée que « la vérité de l’esprit c’est son action », que la vérité de l’esprit c’est l’histoire de l’esprit lui-même en train de se faire et de se conquérir. Et Alain commentant Hegel peut écrire : « la pensée humaine doit se délivrer et ne le peut jamais sans peine », ajoutant : « ce qui fait l’esprit réel, c’est ce qu’il fait ».

L’initiation maçonnique veut, elle aussi, nous délivrer, dégager en l’homme ce qui est esprit, mais elle ne peut le faire qu’en le confrontant à des obstacles et à des épreuves, selon un long et difficile chemin.

Veut-elle, peut-elle, comme l’écrivait naguère René Guénon, permettre à l’homme « de dépasser les possibilités de l’état humain, de rendre effectivement possible les états supérieurs, de construire l’être au-delà de tout état conditionné quel qu’il soit » (Aperçus sur l’initiation, Ed. Dervy) ? Peut-être, pour quelques rares privilégiés.

Plus modestement, nous dirions que le projet de l’initiation maçonnique est de permettre à tout homme de devenir un « autre homme », un homme véritable, c’est-à-dire de découvrir en lui ce qui est sagesse, force et beauté, de découvrir sa propre spiritualité, ce qui en lui est amour et vérité. Cependant, nous ajouterions, tout de suite, que l’homme, tout homme, ne peut devenir un homme véritable, s’il ne veut se dépasser dans une recherche, une action et une oeuvre qui sont à la fois la condition et la raison d’être de ce dépassement. Il s’agit, une fois encore, de savoir découvrir notre dimension « verticale » ou spirituelle, et de vouloir l’accomplir et la réaliser.

Nous disions que l’initiation n’a de sens que parce qu’elle nous permet d’appréhender une certaine idée de notre être et de la vérité qui le constitue, et qu’elle n’a de valeur que parce qu’elle est une découverte, liée à une démarche elle-même vécue, nous dirons existentielle. En ce sens, on pourrait semble-t-il la rapprocher de la connaissance ou de l’expérience poétique. Paul Valéry écrit que : « l’émotion poétique consiste dans une perception naissante, dans une tendance à voir le monde autrement ». L’initiation comme la poésie est une manière originale et spécifique de percevoir et d’appréhender l’univers et les hommes comme nous-mêmes, autrement.

Et Marcel Proust ne parle pas différemment : n’écrit-il pas, lui aussi, dans A la Recherche du Temps Perdu : « Le seul véritable voyage, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux ». La vocation profonde de l’initiation maçonnique est aussi de nous apprendre à voir « autrement », de nous donner « d’autres yeux », de nous donner un autre regard sur l’Univers des choses et des êtres.

Ce nouveau regard, qui constitue une conversion de notre âme tout entière, doit entraîner la mutation radicale de notre être profond et doit changer notre vie. Mais là encore, sachons rester lucides et sachons « raison garder ». Souvenons-nous que l’étymologie nous enseigne que le mot initiation veut dire « entrée », « commencement ». René Guénon lui-même distingue « l’initiation virtuelle » de « l’initiation réelle », expliquant par la suite que « entrer dans la voie, c’est l’initiation virtuelle », « et suivre la voie, c’est l’initiation réelle ». Souvenons-nous aussi qu’il y a des degrés dans toute initiation, comme l’enseignait déjà à Socrate, il y a vingt-cinq siècles, Diotime de Mantinée. Souvenons-nous aussi que l’on ne devient pas compagnon, maître, en un jour, sans patience et sans travail.

La Loge maçonnique veut donner à l’homme d’aujourd’hui, comme elle a donné à celui d’hier, les outils symboliques qui lui permettront de se retrouver dans sa vérité et de se conquérir dans sa liberté.

L’initiation maçonnique nous permettra d’entrer dans la voie. Mais c’est à nous seul qu’il appartient de « suivre la voie », à nous seul qu’il appartient par notre effort et notre patience, notre intelligence et notre volonté, de passer de l’initiation « virtuelle » à l’initiation « réelle », de transformer une promesse en une réalité, une espérance en une certitude, un chemin de connaissance en un chemin de vie.


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