GODF | Loge : NC | Date : NC |
Vivre
l'initiation
L’étrangeté des rites maçonniques rend certains Frères un peu honteux de les pratiquer. C'est, bien entendu, parce qu'ils n'en ont pas compris la signification et parce qu'ils n'ont pas l'âme naïve de Babbitt qui adore se déguiser de temps en temps en Grand Turc pour essayer d'échapper aux engrenages de la machine à décerveler américaine. C'est aussi
et surtout parce qu'on ne leur a pas appris à
faire passer dans leur vie les enseignements de la
Maçonnerie. Contrairement à
ce que l'on enseignait aux Frères qui ont actuellement
dépassé le demi-siècle,
on ne peut s'initier soi-même, du moins au début
et, d'ailleurs, nos rituels
eux-mêmes n'énoncent-ils pas que l'on doit donner
au néophyte la première
lettre pour qu'il
réponde par la seconde ? Or, trop souvent, an
ne donne jamais la première lettre et, surtout, on
fait du rituel une action à
part, sans liaison
avec le reste des Tenues, alors qu'il est au
contraire une mise en route vers des conceptions très
solides dont la
compréhension marque une étape vers
l'initiation. Prenons pour
exemple la Chambre des Compagnons. Je sais
bien que le rituel de ce degré a été
si mutilé que l'essentiel n'apparaît plus
comme il le faudrait. Il n'en reste pas moins un ensemble symbolique
qui tend à
enseigner au néophyte comment reprendre contact
avec le monde profane en utilisant
les enseignements donnés au premier degré,
c'est-à-dire comme un initié doit le
faire, négligeant les préjugés, les
vaines apparences, pour se faire une
opinion par lui-même, puis essayer de vivre en harmonie avec
le cosmos, disons
même plus modestement: avec son milieu, pour commencer. Le
Compagnon doit,
avant tout, essayer de comprendre, de
comprendre les faits et surtout
les hommes. Il lui faudrait parvenir à adopter l'attitude
intellectuelle du
psychiatre qui, en présence du criminel le plus
répugnant, se garde bien de le
juger (il y a des fonctionnaires payés pour cela), mais
tente de débrouiller
les mobiles qui l'ont poussé à commettre des
actes délictueux. Il est émouvant
et apaisant d'assister à ce dialogue entre un être
buté, hostile, méfiant, et
son semblable qui veut parvenir à saisir les raisons de ce
chemin parcouru par
un esprit qui a quitté le domaine du normal pour
déboucher dans l'antisocial. En pratique,
ce qui fait la caractéristique du Maçon,
c'est précisément ce besoin d'aller au fond des
choses, vers la cause du
phénomène, vers la structure psychologique des
êtres. Le rituel du
second degré, avec la remise solennelle de
ces outils qui donnent prise sur la constitution même du
milieu ambiant, avec
ce droit conféré, ce devoir imposé de
travailler à la construction de la
société d'une façon rationnelle, est
très évocateur des règles de conduite
du
Maçon dans le monde. Mais pour
que l'enseignement du grade ne reste pas
inopérant, encore faut-il que les applications en soient
montrées au néophyte.
Il s'ensuit que l'ambiance de la Chambre des Compagnons doit
être différente de
celle de la Loge d'Apprentis. Et il serait souhaitable que les Tenues
au
deuxième degré soient plus fréquentes
et employées à des travaux adaptés aux
données du grade. C'est au
cours de ces réunions que l'on devrait faire des
exposés sur l'aspect réel des
différents secteurs de la vie intéressant le
Maçon. Ce ne serait pas du temps perdu, car jamais le
citoyen n'a été mystifié,
trompé avec autant de cynisme qu'aujourd'hui. La
multiplication et le perfectionnement des moyens
d'information ont abouti à cette situation paradoxale que la
majorité de nos
concitoyens et concitoyennes - dont on a fait des
électrices - est bien moins
au courant des perspectives d'avenir immédiates,
économiques et sociales de
notre pays que des mariages successifs des vedettes de
cinéma et du tableau de
classement des clubs peur la Coupe de France de football. « La
grande presse »
est parvenue à abaisser encore l'âge
mental de nos
contemporains en leur suggérant qu'au lieu de lire il leur
suffit de parcourir
des yeux des « bandes dessinées
» qui constituaient le mode d'expression
des journaux illustrés pour enfants de notre jeunesse. Il y
a d'ailleurs un
univers artificiellement créé de toutes
pièces par la mentalité
Reader Digest, qui a pris
le relais de la Bibliothèque rose et des
ouvrages de la comtesse de Ségur, et où un
capitalisme papa gâteau prépare
à
nos descendants une vie paradisiaque dans la mesure où ils
arracheront les
dents au grand méchant loup rouge. Rien n'est à
l'abri de ce pharisaïsme, pas
même la Bible : lors de l'émission radiophonique
quotidienne qui découpe en c
épisodes » l'Ancien Testament, n'avons-nous pas
appris qu'à Sodome les
habitants menaçaient de n'être pas gentils avec
les anges voyageurs; parce
qu'ils les soupçonnaient d'espionnage ! Autrefois,
c'était seulement dans les
bonnes maisons d'éducation pour jeunes filles que l'on
corrigeait les poésies
en remplaçant « amour » par
« tambour », ce qui ne rendait pas
très
compréhensibles les vers classiques dont le sens avait peu
d'importance pourvu
que la rime fut respectée. Il y a
actuellement une vérité officielle, fragile, vite
flétrie par certains mots que l'on ne doit pas prononcer ;
mais de tout temps
les hommes restèrent à la surface des choses et
préférèrent les mythes aux
raisonnements. Et ceci
n'est qu'un aspect très « profane » de
cette prise
de connaissance du monde. Si nous nous attachons à
développer chez nos Frères la connaissance en esprit, après la
connaissance scientifique, nous aurons
vraiment contribué à les mettre sur le chemin de
la véritable initiation. J'ai pris pour exemple ce second degré parce qu'il est le plus décrié de tous, le a grade raté », comme disaient nos devanciers, mais tous les degrés pratiqués dans les trois rites fonctionnant au Grand Orient pourraient être envisagés de la même façon, car chacun d'entre eux traduit une conception bien particulière de la vie. Et nous devons leur donner une existence réelle, une activité soutenue, car ils doivent permettre à nos Frères de trouver dans notre Ordre une aide efficace au cours de cette lutte sourde que représente la vie de tous les jours, multipliant les agressions psychologiques contre notre personnalité et dont les conséquences se manifestent sous la forme de ces e dépressions », de ces névroses d'angoisse, si répandues aujourd'hui. La Maçonnerie, bien pratiquée, forme des hommes moralement forts ; je souhaite que ces quelques lignes permettent à nos Frères d'en prendre conscience. « Loin que le besoin de la société ait dégradé l'homme, c'est l'éloignement de la société qui le dégrade. Quiconque vivrait absolument seul perdrait bientôt la faculté de penser et de s'exprimer. »Voltaire (Dictionnaire philosophique). C\ T\ (Par) |
3076-9 | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |