Planche au 3°
Mon
compas
Est-il
possible que le secret de mon évolution se soit
trouvé enfermé dans une boîte
longue et noire ?
Est-il
possible qu’il ait toujours été
là, sous mes yeux et que je n’aie pas entendu
le message qu’il me chuchotait ?
Bien
souvent j’ai ouvert cet écrin et j’ai
contemplé ce compas encaqué dans sa
gangue de velours bleu. Bien souvent je l’ai
refermé sourde à son appel.
Pourtant
il a toujours été présent aux grandes
étapes de ma vie.
Chez
mes parents, il était là dans le bureau de
géomètre de mon père, parmi les
encres de chines, les pinceaux et les crayons, seul outil dont je ne
pouvais
pas me servir.
Il
était là quand mon père a
cessé son activité et qu’il me
l’a offert comme on
passe un flambeau.
Il
était là pour mon premier travail en
Maçonnerie. J’ai perçu alors que ce
symbole m’ouvrait une porte vers la compréhension
de mon éducation. Il était le
signe d’un attachement familial, d’un grand respect
pour mon père. Il
représentait le cocon d’une famille unie aux règles strictes.
L’équerre régissait ma vie.
Mon
compas se divise en deux parties mobiles faussement
symétriques. Un bras planté
dans la matière solidement ancré comme les
racines d’un arbre, l’autre terminé
par une mine de crayon, créative et insolente, ne demandant
qu’à s’écarter pour
dessiner un vaste cercle dont la circonférence se perdrait
à l’infini. Le tout
commandé par une tête qui s’efforce de
relier les deux bras dans l’harmonie et
la cohérence.
Apprentie,
il a défini un centre. Il m’a défini
car je suis le centre. Il m’a permis
d’apprendre à me connaître.
J’ai dû tourner sur moi-même. Faire le
point...
J’ai dû effectuer un voyage intérieur et
prendre conscience de ce qui vit et
s’exprime en moi. J’ai dû dans un premier
temps faire une démarche individuelle,
un acte de l’esprit qui
a puisé ses
ressources dans ma sensibilité et mon
intelligence. J’ai dû débusquer
mon
ego dans ses recoins les plus cachés pour entreprendre son
perfectionnement,
j’ai dû percevoir mes forces,
j’ai dû
comprendre que j’avais la faculté de me
déployer et d’ouvrir les bras de mon
compas. .. Connais-toi toi-même
Puis,
tu connaîtras
l’univers, compagnonne,
timidement j’ai ouvert les bras. J’ai
tracé quelques points d’une
circonférence. J’ai ressenti le bonheur
d’aller à la rencontre de l’autre.
J’ai
ressenti que les êtres vivants étaient
reliés entre eux et que les relations
qu’on entretient entre nous donnent de
l’énergie et un sens à mes choix.
Le
mouvement était amorcé... tels les battements
d’un cœur j’ai senti la force
pulsatile qui poussait mon rayon à croître.
Vibrations, écho de l’univers qui
parvenaient enfin à ma perception.
Est-il
possible que mon compas se soit libéré de son
linceul quand Hiram s’est relevé
du tombeau ?
Car
avec la Maîtrise, le poids de l’équerre
s’est allégé. Et j’ai entendu
mon
compas.... tu connaîtras
l’Univers et les
Dieux... J’ai
osé jeter un fead
back sur mon enfance et j’ai compris que mes parents avaient
mis tant d’énergie
à combattre les dogmes religieux qui auraient pu entraver ma
route, qu’ils
avaient construit un autre mur autour de moi. Une barrière
d’athéisme
sclérosante et étouffante. J’avais
libéré cet outil sacré qui me donnait
accès
à la spiritualité. Je venais de me
libérer de l’éducation de mon
père géomètre
pour entrevoir celui que Platon appelait l’éternel
Géomètre. Est-ce le hasard
de la vie ?
Après
plusieurs années d’errance et de recherches
où j’ai essayé de rassembler ce qui
était épars, il m’a
été permis enfin de construire des cercles de
plus en plus
grands qui me poussent à dépasser les horizons
connus pour élever ma pensée
vers le « tout autre »,
l’inconnu, celui que je refuse de nommer pour
éviter de le réduire à un
signifié.
Maintenant,
mon compas bien enfoncé dans la matière, puise
ses forces dans le sol pour s’élever
vers le ciel. Il est l’axe qui relie le matériel
au spirituel. Il est l’axe qui
permet aux forces de l’Univers de me
pénétrer, qui me permet de percevoir
l’Unité. Il canalise le flux des
énergies qui décrivent des cercles
concentriques me situant ainsi dans le temps et dans
l’espace. Ces cercles sont
fluctuants, ils s’écartent du centre puis y
reviennent comme un mouvement de
marée. Car l’expérience de la
spiritualité est une démarche complexe qui
requiert retour sur soi-même, rencontre avec
l’autre et sens d’un ailleurs,
lointain et indéfini.
Chaque
point de la circonférence que je trace est relié
au centre par mon vecteur
compas. Je peux ainsi m’écarter du centre tout en restant en contact
permanent avec lui et éviter de me perdre.
Mais chacun de mes gestes est donc influencé par une
spiritualité intrinsèque.
Je
suis donc le centre par ma matérialité et mes
attaches au monde raisonnable,
par ce concentré d’énergie qui focalise
la coexistence des forces antagonistes.
Besoin d’expansion et nécessité de
re-centrage continu. Besoin de matérialité
et de spiritualité. Point fixe qui m’est
échu par hasard ou résultat de mes
karmas antérieurs.
Je
suis la circonférence par mes actes situés dans
le temps et dans l’espace, par
les traces que je laisse et qui creusent des sillons pour ceux qui me
suivront.
Je
suis le bras du compas par ma volonté, par la
spiritualité qui l’anime, par le
souffle créateur qui prend source tout au fond de moi et qui
me pousse et par
les imperfections qui m’entravent.
Et
lorsque j’éprouve des difficultés
à tracer mon cercle à cause d’une
faiblesse
de mon compas, comme le jour de mon passage à la
maîtrise, si mon trait dérape,
je peux toujours revenir en arrière et reprendre le
tracé en deçà. Je peux
vérifier mon ouverture et la comparer à la
vôtre. Je ne suis pas seule dans mon
cheminement, vous pouvez m’aider à me sensibiliser
à la vie intérieure et aux
sollicitations de l’esprit qui l’anime
Je vis une expérience qui me
libère et m’unit à vous.
C’est aussi une
quête de l’altérité, un
désir de rejoindre l’autre pour retrouver
l’unité.
J’espère
que mon dernier cercle ne sera jamais achevé, en
perpétuelle construction
... il restera
alors ouvert comme mon
compas, comme le temple, perméable aux forces de
l’Univers.
J’ai
dit V\M\
N\ L\ |