Obédience : NC Loge : NC 18/05/1999

Image Sacrée et Sacralisation de l’Image

A force d'être contemplée ou vénérée dans l’orance, l’image se métamorphose en présence. Comprendre l’image c’est dans l’expérience de l’occident, et à cause de la massivité quantitative, une découverte impudique des secrets de l’âme.

L’image constitue en elle-même un langage. Un langage qui a son champ d’action propre et qui n’agit pas sur nous de toute innocence. Il est difficile de cerner le problème dans son amplitude et de déterminer son rôle exact ; il est sûr que son action se déploie de façon tout à fait indépendante de notre volonté. Nous sommes habités par les images, notre inconscient en est réceptacle ; et c’est peut-être là que le sujet de ce soir se défini avec plus de précision. Sommes-nous conscients de l’importance de l’image dans notre environnement, dans notre façon de penser et d’agir ? Sommes-nous conscients que, appliquée tout le long de notre parcours, l’image s’imprègne dans notre cerveau d’une manière tellement forte qu’elle joue dans notre quotidien le rôle de catalyseur de nos actions et nos réactions.

Se rendre compte de l’importance de l’image dans nos vies, c’est d’essayer d’abolir une idole, de déboulonner une statue. Fédor Dostoïewski, dans Les Frères Karamazoff dit que de tous les temps, les hommes ont abattu des statues de leurs Dieux pour aussitôt se mettre à genoux devant un autre Idole. Cette libre traduction, prise au sens figurée, nous dérange par sa justesse, tant avons nous vu des peuples changer des dictateurs et des dictatures successivement à travers l’histoire. Au sens propre, les paroles de Dostoïewski sont d’une étrange coïncidence avec le sujet choisi ce soir. La problématique des images et de leur influence sur nous, est toujours actuelle. Quelques exemples parmi tant d’autres illustreront mes propos.

Très tôt, l’homme souhaite ou se sent obligé de représenter l’image de divinité ou d’un dieu. Nous reviendrons par la suite sur la crainte de représenter cette entité dans certaines religions dites aniconiques. Déjà dans la Genèse, le problème de l’image de Dieu est posé très explicitement « Et Dieu créa l’homme à son image » et depuis, comme aurait dit Voltaire, ce dernier lui a largement rendu. En représentant ainsi un être humain, nous nous adonnons à la représentation immédiate du Dieu en personne, en une sorte de défi créateur.

Le monde luxuriant d’images de religion compose un imagier de lecture platonicienne de l’univers et des mystères de l’existence humaine.

Données sémantiques : Imago et eidolon

Imago de son latin originel est imitation ou portrait.Il pose modèle ressemblant, une vie disparue, enfuie ou ressuscitée. Dans le vulgaire français de la fin du XIe siècle, Imagine veut dire «statue », l’artisan et l’artiste - « imagier » dès la seconde moitié du XIIIe siècle. La constitution de formes veut garder mémoire, susciter présence, témoigner d’un inaccessible et en chercher quand même accès.

En grec l’image est eidolon ou eicon. Eidolon signifie les formes sans substance dans le monde des ombres mortelles. Ce sont des formes préhensiles aux sens, images sans corps, en quelque sorte dont se servent les dieux.

Plus tard apparaît le symbole avec la valeur-signe. Mais toujours, on lui confère une valeur supérieure, et on lui prête une autre nature que « simulacre ».

En soi, l’image de religion, contrainte du signifié, est l’instrument sensible du connaître et du croire, annonce du mystère et dans sa relation à l’humain principe de mutation, de métamorphose, voire de conversion.

Mais eidolon latinisée, idolum est entré dans le vocabulaire du combat chrétien contre les idolâtres désormais dénonciateur de la paganisation de l’image. Au regard de l’icône, les langues vernaculaires de l’Occident chrétien, éclairent une acceptation tardive du mot.  Iconoclaste et iconoclasme sont antérieurs. Le mot icône est de l’autre monde, de la chrétienté orientale.

Le Mythe de l’aniconisme

Certaines cultures, généralement monothéistes n'auraient aucune représentation, ni sculptures figuratives ni effigies de la divinité.
Le terme d'aniconisme peut recouvrir l'absence d'image tout court, ou l'absence d'images figuratives, d'où une totale abstention. On parle de la spiritualité plus grande de ces cultures.
Dans la pratique, les interdits ne tiennent pas, il s'agit des interdits de la Mishnah mais l’exemple de Veau d'or d'Ancien Testament ou alors les décors de la synagogue de Doura Europos de 3e siècle contredisent fortement l’ancienneté de ses interdits.
La réprobation de Mahomet et de Hait : les deux principaux courants islamiques, sunnite et chiite, ont produit des images très diversifiées comme celles du palais de Quçair Arma et de Samarra. Les représentations anthropomorphes étaient interdites seulement dans les rites sacrés, elles ont été  pratiquées dans le monde profane (miniatures persanes).

La consécration – activation de l’image

En Egypte ancienne, Babylone, Sumer, Assyrie – le stade final dans la réalisation de l'image d'un dieu, était le rite du lavement et de l'ouverture de la bouche. Ce rite identifiait l'image à la divinité et l'investissait de la vie de la divinité. C'est l'étape ultime de la réalisation d'une image car elle intervient au moment où celle-ci reçoit les dernières touches. Elle inaugure le nouveau statut de l'image que l'on installe dans son sanctuaire ou dans tout autre contexte sacré. Comme tout rite, il s'agit à la fois d'un rite d’achèvement et d'inauguration, marque passage entre l'objet inerte, matériau, fabriqué par l'homme, à l'état d'objet doué de vie.
 
Les actes de ce type semblent être associés profondément et irrationnellement à la vénération cultuelle pour les pierres sacrées et aux formes les plus rudimentaires d'images anthropomorphes.

La question peut se poser différemment : onction et cérémonie sont-elles la suite de sacralisation de l'image ou alors le contraire. On sacralise l'image miraculée ou on obtient le miracle en rendant l'image sacrée.

Gombich souligne que c'est précisément l'acte de consécration qui indique que la statue accède à la vie, les images fabriquées en série, tels des bouddhas en plastique dont le caractère est purement décoratif semblent confirmer cette hypothèse.

Certaines images chrétiennes peuvent opérer des miracles sans être consacrées mais leur installation dans une église est toujours précédée d'un rituel de consécration. La consécration fait de l'image un réceptacle du sacré, ou confirme une nature sacrée déjà présente en l’exaltant publiquement.

Les bouddhistes cinghalais du Theravada procèdent à la cérémonie de Netra pincama – cérémonie des yeux pour les statues. C'est l'artisan qui exécute le rituel pour s'assurer qui nul mal ne lui adviendra. Il peint les yeux et demeure seul avec la statue, il ne la regarde pas directement, la contemplant de coté, par-dessus son épaule et en regardant dans le miroir qui capte le regard de l'image. Le regard de l'artiste lui-même devient dangereux. Le sculpteur est conduit à l’extérieur, yeux bandés et on lui enlève le bandeau en face d'un autre objet qu'il détruit alors symboliquement d'un coup d'épée.
Donner la vie est donc un acte périlleux et l'œil a souvent le pouvoir particulièrement dangereux.

La crainte pour conférer la vie c'est aussi la capacité de transcender les pouvoirs ordinaires de l’humanité. L'influx vital est la dernière menace de la créativité artistique.

L'un de motifs de l'antipathie musulmane (et parfois protestante) à l'égard de la fabrication d'images tient à ce que celui qui les façonne s'arroge des pouvoirs créatifs qui n'appartiennent qu'au Dieu. Le jour de la Résurrection, le fabricant d'images sera mis au défi d'insuffler la vie à ses productions. S'il a osé imiter la Divinité, il doit subir les conséquences d'un acte aussi vain.

Entre II et IV siècles l’opposition païenne au christianisme fit de la question du statut des images un thème essentiel de son argumentation. Tous soulignent le rôle des images qui permettent aux hommes de percevoir et d’appréhender le divin. Les statues – dieux procuraient surtout les oracles en s’exprimant par la bouche du médium en transe. Le principal acte théurgique consistait à placer les symboles (symbola) ou les signes (synthemata) du dieu à l'intérieur de  la statue afin de lui conférer la vie.

Il existent également les cérémonies de consécration dans la religion catholique Pour consacrer les autels, les cérémonies sont assez simples et à partir de la Contre Réforme on s'empresse de formuler la bénédiction suivante : Dieu éternel et tout puissant, Tu ne réprouves pas la peinture ni la sculpture des images et effigies de Tes saints. La construction négative et le ton fortement apologétique attestent bien le pouvoir des images. On demande ensuite aux images de stimuler la mémoire et à inciter le spectateur à l'imitation. On demande la protection des saints et du dieu à genoux, devant une image. Quiconque a une petite image dans la main ou près de soi, écartera les forces maléfiques et hostiles, et le suppliant ne sera pas soumis à la tentation. Il va de même si l'image est accrochée à la porte ou dans toute autre partie de la maison. Le lavement de la statue afin de purification est largement attestée, au 11e siècle.
L’ornement des images des guirlandes de fleurs, est de même nature sacralisante.

Image porteuse de dogme

Horace écrivait  ce que l'esprit reçoit par les oreilles le stimule moins vivement que ce qui apparaît aux yeux, et ce que le spectateur peut voir et croire par lui-même. Sans vouloir établir hiérarchie des sens, on voit le potentiel des images exalté. Horace ne dit pas que la vue est plus forte que l’ouïe mais que la possibilité immédiatement affective est plus puissante, et que les images peuvent nous élever vers la spiritualité pure. Telle est la notion de méditation emphatique. La meilleure façon de comprendre la pleine signification des souffrances et des actes du Christ, pour les catholiques, est de passer par l'émotion emphatique, nous sommes plus proches de lui et nous souffrons avec lui, nous modelons notre vie sur la sienne et sur celle de ses saints lorsque nous souffrons avec eux. Le meilleur moyen d'y parvenir passe par les images.

Thomas d’Aquin - XIIIe siècle

Pour ce dominicain très soucieux d’élaborer la méthode et les modalités du prêche, existe la triple justification de l’institution des images dans l'église: instruction des illettrés qui peuvent apprendre d'elles comme on le ferait de livres.
Le mystère d'incarnation et l'exemple des saints s'impriment plus fortement dans notre mémoire étant quotidiennement représentés sous nos yeux.
L'éveil des émotions qui sont plus fortes lorsqu'elles proviennent de la vue plutôt que de l'ouïe.

Les images sont donc utilisées consciemment par l’église catholique pour imprimer dans notre « âme » selon saint Thomas, notre inconscient, dirons nous aujourd’hui, le dogme. Elles servent certes à instruire, comme disait Saint Grégoire en l’an 600 dans une lettre à l’évêque de Marseille : les images sont la bible des illetrés. Cette élaboration des images a duré pendant des siècles et je pense que nous ne sommes pas tout à fait conscients que les générations entières ayant subi cette sorte d’endoctrinement ont du mal à s’en défaire jusqu’au nos jours. L’art de l’église, l’art sacré, donc utilitaire en quelque sorte, avait la Bible comme source d’inspiration. Les artistes les plus prestigieux travaillent pour les commanditaires ecclésiastiques ou laïcs voulant s’assurer un au-delà heureux. Ils sont, pour la plupart croyants, et leur art suscite de l’émotion car le caractère sacré du créateur-artiste transcende l’objet, émane de lui et prend son chemin d’Indépendance.  Dieu de notre Bible, fut artiste, fut créateur, et être artiste pour des générations entières des Fra Angelico, des Léonard, des Michel Ange est de se regarder soi-même et dans son humanité créatrice, trouver le sacré, le divin.

Quand après la crise profonde qui a ébranlé l’Europe, la vague de protestantisme et les guerres qui en résultaient, l’église romaine reprends en main l’art, la création des images saintes (je rappelle que le principal grief des protestants  était entre autres l’idolâtrie), la création artistique devient la principale arme de la propagande des catholiques romains. Nous avons pendant très longtemps méprisé cette période, reconnue comme peu créatrice et peu novatrice dans le domaine de l’image sacrée.
Un rejet justifié - qui ne se souvient des images emphatiques, d’un certain goût pour le pathos, disons le : pompier, reçues en gage de bonne conduite et du bon travail lors de cours du catéchisme.

Image - message de propagande au 20e siècle, arme de guerre

Dans nos écoles on distribue toujours des images, aujourd’hui remplacées par les autocollants des dessins animés connus de nos enfants, de l’hagiographie de la poupée Barbie et les autres. On les place dans les galeries et musées, on médiatise leurs aventures, conte leurs vies, donne les exemples de bons et de méchants pour nos enfants. Nous baignons dans la quantité et personne n’ose dire que le héros est moche et niais, « les cartons-pâtes d’Eurodisney » - nouveau temple du 20e siècle sont « bien faits, intéressants, les effets spéciaux géniaux »…que sais-je encore.
L’image est toujours présente, s’imprimant en nous, elle est sacrée, car sacralisée par nous même, elle joue le rôle de modèle à suivre. Le créateur empoche le cachet, le producteur un autre, les nouveaux dieux sont nés. Ils portent les noms bizarres Dollar, Yen, Euro, Zloty. Les millions des jeunes filles essaient de ressembler à une vedette, les chirurgiens empochent des gros chèques pour réparer une fesse défaillante ou un sein qui tombe. L’ère du visuel n’est pas morte.

La Beauté assimilée à la bonté, notre civilisation issue de Platon a toujours sous-entendue ses paroles : la vertu, propre du Bien est venue se réfugier dans la nature du Beau (1). Aujourd’hui, prise au premier dégrée, cette conception apporte peut-être plus de confusions que d’encouragements de perfectionnement.

Agressées par les images au quotidien, sortant de nos écrans domestiques, de nos kiosques à journaux, nous sommes de plus en plus indifférents aux messages de détresse qu’elles nous portent. L’homme et sa souffrance ne sont plus beaux, ils portent un visage hideux de la mort et de la décomposition. L’homme du Moyen Age, craignant la mort, représentait la souffrance du Christ, par l’image du Dieu sacrifié, souffrant et non pérenne, l’homme s’habituait à sa propre mort, compatissait à la souffrance pour accepter son propre sort. En appuyant sur la télécommande de la télévision, nous avons impression d’être des maîtres de nos souffrances et celles des autres. Clic ! une image des charniers de Rwanda, clic ! sauce tomate d’une marque connue. Clic ! les avions qui bombardent, clic ! le nouveau shampooing.

Volontairement provocante, j’aimerai revenir sur la réflexion autour de l’image sacrée. Celle que je côtoie au quotidien, celle que j’essaie sauver de l’oubli, comme un objet archéologique, témoin d’une époque. Accompagnée de prêche, elle a instruit des générations sur les valeurs morales, elle a accompagné leur éducation religieuse et la connaissance littéraire. Elle est devenue elle-même symbole, même si nous avons perdu aujourd’hui les clefs de la lecture.

Une Vierge à l’enfant pour un catholique est un symbole de la naissance du Christ, de la réincarnation. Enveloppé d’un linge blanc, l’enfant va subir un sacrifice, les yeux tristes de sa mère nous disent qu’elle le sait. L’image d’Isis et de son fils Horus assis sur ses genoux est le modèle pour les premières générations des créateurs chrétiens – c’est une mère à l’enfant, avec toute sa tendresse et l’amour pour son bébé.

Dans notre temple épuré des choses inutiles, car nous avons volontairement laissé tous nos métaux à la porte du temple, nous nous retrouvons devant un certain nombre d’images de symboles. Nous nous servons de la vue pour les assimiler et trouver les clefs de la lecture personnelle. Elles ne valent rien sans notre pensé, elles sont vides du sens sans notre réflexion. Leur vie n’est pas indépendante de notre volonté, nous les créons dans notre imaginaire et dans notre conscience.

Symboles pour les uns et les autres, les images s’imposent en nous renvoyant vers notre propre vécu, notre interprétation et nos sentiments. Image-symbole, image-figuration, sans oublier l’essentiel, nous pouvons davantage réfléchir sur les possibilités immédiates qu’elles nous offrent.

Exigence de l’accompagnement de l’image par les mots – valeur donnée en tant que symbole (voir Foulcault)

Plan

Poser la problématique, les idoles sacrés sont-ils morts, création artistique peut-elle s’assimiler à l’acte de création divine ?
La sensibilité humaine très axée sur la perception de l’image dans toutes ses structures. La vue, l’un de sens le plus immédiatement sollicité et cité. La plus négligé au quotidien – la vue reçoit sans solliciter la participation active particulière tout un jeu d’inconscient qui entre en ligne de compte.
Donnés sémantiques différence entre image : imago et eidolon.
Le Mythe de l’aniconisme.
La consécration – activation de l’image.
Utilisation consciente de l’image – enjeu pour les anciens.

Horace.
Thomas d’Aquin.
Concile de Nicée et Saint Grégore.
Concile de Trente et le décret sur les images.

Retour sur le 20e siècle – image comme arme de guerre, message de propagande.
Publicité et la présence de l’image au quotidien.
Utilisation du mécanisme de réception de l’image dans la transmission de symboles et de leur lecture.
Exigence de l’accompagnement de l’image par les mots – valeur donné en tant que symbole.

M\ S\

1) Le Philèbe 65 A


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