Le
rituel de Blois
La
tentation de Blois - Chiche ! *
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tentation de Blois - Rituel **
Un
rituel libéré ? Chiche ! -
Au
Rite Français du Grand Chapitre
Général du Grand Orient de France les Souverains
Chapitres sont "souverains". Ils ont la liberté
d'élaborer leur
rituel, quitte à respecter les valeurs fondamentales du Rite
et celles du Grand
Orient de France. Ayant pratiqué comme beaucoup de
frères du Grand Orient de
France le rite français en loge bleue et le rite
écossais ancien et accepté
dans les "hauts" grades puisqu'il n'y avait alors que cette
possibilité, nous avons assisté à la
fin du XXème siècle à la
résurrection du
Rite Français pour les grades "dits de Sagesse". D'abord
avec une
relative indifférence et ensuite avec un prudent scepticisme
parce que la
rumeur des parvis faisait courir l'idée que ce Rite
Français était autant sinon
plus " christique " que le Rite Ecossais Ancien Accepté.
Lorsque nous avons eu la curiosité d'accéder aux
textes, ce sont d'abord les
ressemblances entre les deux rites qui ont retenu notre
attention : même
fond légendaire, même présence de la
bible dans la structure intime du rituel
avec de surcroît un aspect farce relevant des Monty Python
qui, pour être
amusant peut-être, semblait conduire le symbolisme aux
limites du simplisme et
aux frontières d'un ridicule meurtrier. C'est dire que cela
ne correspondait à
aucune de nos attentes et ne donnait aucune raison de changer de rite
pour
tomber de Charybde en Scylla.
Nos attentes
A force d'observer le fonctionnement du Grand Orient De France, en
participant
à ses activités dans le respect de ses traditions
et de son histoire et dans la
culture de ses valeurs, nous étions venus, comme beaucoup de
frères, à rêver
d'un rituel qui serait libéré de sa gangue
religieuse, biblique,
judéo-chrétienne. Ce rituel idéal
serait dégagé de ses prétentions
chevaleresques qui - pour être supposées
traditionnelles - n'en sont pas moins
obsolètes. Il serait aussi nettoyé de ses
référents à des moyens de violence -
épées, poignards - dont sans doute la force de
l'habitude empêchait de voir
l'inanité ou le ridicule.
Pour être plus explicite
Il nous semblait urgent que la franc-maçonnerie se
libère de la tutelle
biblique hébraïsante, chrétienne et
catholico-protestante et que, dans ses
structures institutionnelles au niveau du rituel, elle s'ouvre
naturellement
vers toutes les sources de tradition, toutes les formes et tous les
moyens de
la connaissance pour en explorer les corrélations, les
apports et les démarches
et s'approcher de leurs secrets. Il nous semblait urgent de
libérer les
symboles de leur personnalisation judaïque (Hiram, Salomon,
Zorobabel, Temple
de Jérusalem …) qui les
étrécit en les réduisant à
une localisation géographique,
hébraïque occidentale : celle-ci a pu avoir une
justification historique ou
politique dans le passé mais elle semble aujourd'hui
abusivement réductrice.
D'autre part il nous semblait utile d'affranchir le rituel du poids de
ses
ambitions chevaleresques qui relèvent d'une tradition
parfaitement datée
historiquement, sociologiquement et politiquement et de ce fait
évidemment
obsolète. Et s'il fallait proposer des modèles,
porteurs de valeurs fortes qui
servent de parangon mobilisateur, ouverts sur l'avenir, nous
suggérerions de
promouvoir le "chevalier" en "Citoyen".
De fait le citoyen bénéficie de deux
siècles de promotion dans notre république
laïque, révolutionnaire à vocation
démocratique. Il constitue le peuple
souverain source légitime de tous les pouvoirs. Il porte des
valeurs aussi
"nobles" que celles de la chevalerie. Il a de nombreuses fois
démontré sa pugnacité, son
dévouement dans la défense de la nation, son sens
de
l'honneur, du courage et de la fidélité ainsi que
celui du sacrifice.
Enfin il nous semblait urgent - profitant du mouvement -
d'éliminer l'arme
blanche (épée, poignard….) de
l'arsenal de notre société de pensée
initiatique
qui prétend l'utiliser comme support, symbole et moyen de
notre recherche
philosophique et spirituelle. L'érection de cet instrument
en outil symbolique
de notre démarche sur les chemins de la connaissance
relève bien sûr du leurre
: on argue que l'épée peut être
présentée comme un symbole de
l'Egalité datant
d'une époque aristocratique où la noblesse tenait
le haut du pavé avec le
privilège de porter les armes pour défendre la
société. Au XVIIIème siècle
l'aristocratie aurait octroyé ce privilège
à la roture qui fréquente la loge
pour casser la tradition ségrégationniste,
fondement de la société féodale
aristocratique inégalitaire.
Dans cette perspective ce symbole - si symbole il y a - est donc
fortement
connoté historiquement (XVIIIème
siècle) et de plus censément
dépassé depuis
que l'Egalité est inscrite dans la Constitution de nos
Républiques et aux
frontons des édifices publics. On observe aussi que
l'idée de
"désarmer" les loges passe aux yeux de certains de nos
frères pour
une manifestation de naïveté
répréhensible face aux dangers qui menacent la
société : on ne voit pas cependant qu'on aie
jamais érigé en symbole la plume
ou le crayon.
Il n'empêche que ceux-ci ont toujours
été les instruments de la pensée
qui se libère et de réflexion qui avance sur le
chemin des vérités. Mais on
voit bien au contraire que Moïse a
éliminé à l'arme blanche trois mille
des
siens parce que ceux-ci ne pratiquaient pas la bonne religion de la
bonne
manière, à son retour du Mont Sinaï,
d'où il rapportait les Tables de la Loi.
La maîtrise des armes n'a guère servi dans
l'histoire qu'à assurer la
domination de ceux qui les détiennent pour la seule
justification qu'ils en
sont les détenteurs. Quant au peuple qui est assujetti par
ces armes, il n'y
trouve pas le moyen de sa liberté alors qu'on lui
interdisait de lire et écrire
pour le maintenir dans l'assujettissement. Convenons que pour nos
usages, la
règle, l'équerre et le maillet se
révèlent des substituts autrement efficaces
pour notre approche de la vérité et du centre de
l'idée.
Nous
appellerions ce rituel par dérision "rituel
libéré" pour le
distinguer des rituels français dits "Modernes", du
Régulateur des
chevaliers maçons de 1801. Car, à discuter avec
des initiateurs de la
résurrection du Rite français dans les
années 1990, nous avions découvert que
chaque Souverain Chapitre avait la liberté de son rituel,
quitte à respecter
les " fondamentaux " du Rite Français au
sein du G.O.D.F.
C'est cette liberté qui nous a engagés
à faire le pas, à mettre au point notre
rituel et à créer à Blois le Souverain
Chapitre " Je Doute " en mars
2002.
Nous avons simplement tranché tous les liens qui renvoient
impérativement ou
insidieusement sur les livres de la Bible (Ancien et Nouveau
Testament). Et
cela suffit à faire apparaître la richesse
fondamentale d'un Rite ouvert dès
lors dans sa structure sur l'entier des hommes.
Concrètement
:
Le
nom d'Hiram est effacé : il nous reste le concept de l'Architecte qui construit,
conçoit, dirige le chantier. C'est dire le Maître
par définition. Ce n'est plus
le constructeur du seul Temple de Salomon. C'est peut-être
Dédale, ou le
constructeur anonyme des pyramides, des ziggourats ou des
cathédrales. C'est
librement chaque frère qui reprend le flambeau et construit
son temple
intérieur.
Le nom de Salomon est effacé : il nous reste le Souverain,
c'est-à-dire la source fondamentale des pouvoirs. Le
souverain n'est plus
réduit à une incarnation historique et biblique.
Il s'incarnera selon les
époques dans tel type de monarque, de roi … Ou
aujourd'hui dans le
"Peuple" source de toute légitimité qui n'est
soumis à personne, à
aucune autorité supérieure et
génère la loi humaine, sociale, politique ...
Zorobabel évincé : il nous reste le
franc-maçon persécuté.
L'histoire du XXème siècle est suffisamment
tragique pour le franc-maçon
(Allemagne, Espagne, France ..) pour y trouver à nourrir cet
aspect du mythe. Joaben,
l'Elu tiré au sort, devient l'Ouvrier qui œuvre
à
l'édification de la justice pour dépasser la
vengeance. Alibalq se réduit au
Meurtrier. (Meurtrier du père).
Le "chevalier" expulsé est promu en "Citoyen."
La réalité concrète du rôle
du chevalier dans l'histoire de la société
occidentale ne permet pas de justifier sa présence dans la
mythologie
maçonnique comme parangon de valeurs morales exemplaires
alors même que le
peuple citoyen a conquis sa liberté et sa dignité
et peut travailler en conscience
à promouvoir ses valeurs lui-même.
L'arme blanche (épée ou poignard) est
rangée au placard pour être
avantageusement remplacée par la Règle, l'Equerre
ou le Maillet. Accessoirement
nous avons aussi éliminé l'aspect farce Monty
Python des têtes coupées fichées
sur un pieu et maculées de sang. On préserve la
symbolique en exposant
simplement les outils des trois mauvais compagnons associés
à leur devise.
Tout le système légendaire des "hauts" grades
reste donc intact. Mais
il est débarrassé de sa chape de plomb biblique
hébraïsante et peut révéler
son
infinie richesse. Ainsi libéré, il
élargit son champ d'interprétation et permet
de nourrir toutes les directions de recherche sans
s'étrécir sur une seule
source obligée enkystée dans sa structure.
Depuis sa création, l'atelier se montre exigeant quant au
respect du rituel qui
crée un lieu et un espace-temps rigoureux au sein desquels
la réflexion se
libère de ses carcans, s'ouvre à tous les champs
de la tradition et s'examine
dans sa propre genèse. Le fond légendaire est
intégralement présent. Il sert de
support et de catalyseur à la recherche des
frères qui s'appuient sur l'apport
de nos anciens pour entrer librement dans un présent ouvert
sur l'avenir. Comme
il se doit la symbolique est soumise au libre examen de chacun sans
être
contraint à de subreptices renvois institutionnels et
dogmatiques vers les
livres bibliques.
Le titre du souverain chapitre "Je Doute" implique chacun dans son
intime : s'il n'interdit pas les convictions, il retient de les
asséner comme
des vérités. Chaque frère poursuit sa
démarche à son pas, dans la direction qui
s'ouvre à lui. Il fait part de ses découvertes
bien persuadé qu'il ne s'agit
que d'étapes nouvelles dont la remise en cause lui permettra
d'aller plus loin,
s'il peut trouver une lumière occasionnelle dans les
contributions de ses
frères.
Pas de maître à penser. Pas de guide. Ni gourou,
ni prêtre, ni pasteur, ni
rabbin. Aucun imam. Aucune autorité de
référence. Aucun pouvoir de l'un sur
l'autre. Aucune sujétion. Ni devoir d'obéissance
et de fidélité. Chacun
rencontre en soi-même ses propres exigences sans se trouver
jamais justifié
d'imposer à qui que ce soit des rigueurs fantasmatiques.
Seulement des
francs-maçons, maîtres souverains, citoyens libres
sur le chemin de l'à-venir.
Des frères sceptiques à qui l'on essaie
d'expliquer notre démarche de
libération vis à vis de toute
référence religieuse et de la bible eurent cette
remarque : "Mais alors il ne reste plus rien ?".
Amusant !… Comment mieux justifier l'urgence de notre
démarche ?
Par Cyrille publié
dans : Pour
un rituel libéré
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