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L’apprenti,
une autre perception de soi


Pourquoi suis-je entré en Maçonnerie ? « Parce que j’étais dans les ténèbres et que j’ai désiré la Lumière » répond le Rituel.
Essayons de nous remémorer notre état d’esprit à la veille de notre initiation. De nombreuses questions se posaient à nous que nous ne parvenions pas à résoudre. Qu’en était-il de Dieu, des hommes, de la famille, de la société, de nous-mêmes, de notre utilité ? Et combien d’autres interrogations encore, formulées ou passées sous silence ? Nous avions l’impression d’évoluer dans un épais brouillard que seul un soleil éclatant aurait pu dissiper. Ce même brouillard qui, paradoxalement, nous a peut-être conduits à la porte du Temple.

Pourquoi ? Certainement parce que nous avions pressenti que tout n’était pas définitivement figé. Qu’il devait être possible de faire reculer la part d’ombre qu’il y avait en nous. Avant même d’avoir ceint le tablier d’apprenti, nous avions donc fait le pari que nous pourrions réviser notre façon d’être, de concevoir et d’agir. L’homme que nous étions ne nous convenait plus. Nous commencions à entrevoir celui que nous pourrions être.

Comment, dans ces conditions, rendre compte de cette « autre perception de nous-mêmes » à laquelle nous devons probablement d’être ici ce soir  et que nous n’avons cessé de cultiver depuis ? En la définissant comme «  un autre regard :
   -         sur nous-mêmes,
   -         sur notre règle de  vie,
   -         sur notre rapport à autrui. »

1 - L’apprenti, un autre regard sur lui-même

Retournons-nous un instant afin de mesurer le chemin parcouru. Qu’est-il advenu du profane que nous étions hier et que nous serons toujours peu ou prou dans une sorte de dédoublement constant entre ce que nous sommes et ce que nous voudrions être ? En quoi notre regard d’apprenti diffère-t-il de celui que nous portions sur nous-mêmes avant d’avoir embrassé la Maçonnerie ?

Nous étions-nous seulement interrogés sur ce que nous étions vraiment ? Assurément non ou, tout au plus, en de trop rares occasions au cours desquelles les questions les plus embarrassantes étaient le plus souvent refoulées. 

Or, vers quoi devons-nous tendre ? Vers un « perfectionnement graduel » de nous-mêmes, répond le Rituel. Comment y parvenir ? Par un questionnement répété inlassablement jusqu’à ce qu’il devienne un acte réflexe, aussi nécessaire à notre survie que la respiration.

Même si la plupart des interrogations demeurent encore aujourd’hui sans réponse ou informulées, en quoi le recours fréquent à l’introspection peut-il avoir influé profondément sur la perception que nous avions de nous-mêmes ? En facilitant un inventaire aussi complet que possible de nos imperfections. En nous contraignant à les regarder en face et à renoncer aux fausses excuses dont nous avions coutume d’abuser jusqu’alors.

Ceci ne serait qu’une première étape insignifiante si elle ne se poursuivait par la mise en œuvre de mesures propres à éliminer tout ce qui doit l’être. A quoi servirait en effet d’avoir posé un diagnostic s’il n’était suivi de la médication appropriée ? Comme toute médication, la nôtre connaîtra des fortunes diverses : ce qui apparaît aujourd’hui comme une avancée définitive pourra se traduire demain par une rechute préoccupante effaçant les progrès de la veille. Qu’importe si nous ne laissons pas le découragement l’emporter sur notre détermination.

Le Cabinet de Réflexion nous avait laissé entrevoir ce que nous étions en réalité. Une pierre informe, noirâtre, recouverte d’aspérités et faiblement éclairée par une lumière incertaine. L’introspection nous a aidés à en préciser les contours. Puis, nous avons entrepris de la débarrasser de ses multiples imperfections afin de faire apparaître le cube qui sommeillait en elle. Il s’agit d’un travail de longue haleine demandant force et constance, adresse et précision. Ces mêmes qualités qu’exige du tailleur de pierre le maniement du maillet et du ciseau. Sans détermination, nous ne parviendrons pas à dégager notre pierre de sa gangue. Sans application, nous risquons de l’abîmer à jamais.

Mais, très vite, apparaîtront les premières satisfactions, juste rétribution d’une opiniâtreté sans faille. La nature ayant horreur du vide, l’espace libéré par l’élimination des copeaux s’éclairera peu à peu, au fur et à mesure que le doute fera place à des certitudes, si ténues soient-elles. Certes tout ceci s’opérera graduellement, imperceptiblement et souvent même sans que nous en ayons conscience. Ne nous impatientons pas devant la lenteur des résultats obtenus, des progrès accomplis. L’apprentissage est avant tout une question de résolution et de persévérance. La vie aussi.

2 – L’apprenti, un autre regard sur sa règle de vie

Comment se caractérisent nos sociétés d’aujourd’hui ? Par un matérialisme triomphant. Les préoccupations de carrière, la recherche du profit, l’assouvissement de besoins superflus ou artificiels tiennent lieu de ligne de conduite. De nouveau credo. L’affirmation est-elle exagérée, infondée ? Alors, songeons par exemple à l’enthousiasme suscité par la consommation sous toutes ses formes et au recul simultané des choses de l’esprit. Le danger est grand, devant cette recherche effrénée du plaisir, de prendre l’illusion pour la réalité, la forme pour le fond, l’éphémère pour le durable.

Que nous dit la Franc-Maçonnerie quant au comportement à adopter face à cette situation ? Soucieuse de la liberté de ses membres, elle se contente de leur rappeler, à travers le symbolisme de la Règle à 24 divisions, que « toutes les heures de la journée doivent être utilement employées ». Ce qui équivaut à tenir compte à la fois des impératifs professionnels, des obligations familiales, de la pratique religieuse et des activités de détente. Bien évidemment, il ne s’agit pas de partager équitablement le temps entre ces différents devoirs. Encore faut-il n’en négliger aucun. Il n’est question de rien d’autre, en définitive, que de l’utilisation harmonieuse de notre corps, de notre cœur et de notre esprit ou encore de la prise de conscience de nos obligations envisagées sous un jour nouveau. Or, qu’appelle-t-on prise de conscience si ce n’est une façon différente de percevoir son propre ressenti et son propre rôle ou, en d’autres termes, «  une autre perception de soi » ?

Cette règle de vie devrait être universelle si elle n’était pas totalement passée de mode, dans nos sociétés postindustrielles en tout cas. Cela ne nous autorise pas pour autant à nous en affranchir. Au contraire, nous devons la faire entièrement nôtre dans son principe, comme dans son application. La Règle à 24 divisions nous le rappelle : nos responsabilités ne peuvent être fractionnées, hiérarchisées ni exercées les unes au détriment des autres. Elles forment un tout indivisible, parce qu’ « il ne saurait rien exister en dehors du tout » dit encore le Rituel. Et, s’il faut un dernier argument, que ce soit celui de la contagiosité de l’exemple. Le « vice » est contagieux, la « vertu » l’est tout autant. Sachons combattre le vice et propager la vertu.

3 - L’apprenti, un autre regard sur son rapport à autrui

Nous l’oublions fréquemment, notre engagement maçonnique ne se limite pas à un usage répété de l’examen de conscience en vue de notre « perfectionnement graduel ». Il ne se résume pas plus à l’utilisation balancée de notre temps. Les textes maçonniques ne manquent pas de lignes de conduite offertes à notre méditation. Ils évoquent notre volonté d’« être utiles à nos semblables », notre contribution à l’« élévation de l’état moral et matériel des individus et de la société tout entière » et notre apport au « perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité ».

Reconnaissons-le humblement : avions-nous pris le temps, avant notre initiation, de réfléchir à nos devoirs envers ceux qui évoluaient en dehors de notre cercle familial, professionnel et amical ? Et si nous l’avions fait, quelles avaient été les conclusions de notre réflexion et leur application pratique? Mieux, comment nous comporterons-nous ce soir, une fois de retour dans le monde profane ?

Le seul fait de nous poser la question marque, ici aussi, une différence profonde par rapport à notre ancienne façon d’être et, par conséquent, une perception nouvelle de nos nouvelles responsabilités. Avant, nous pouvions toujours prétendre que les exigences de notre vie quotidienne ne laissaient guère de place à d’autres préoccupations. Soit ! Mais en quoi le fait d’avoir reçu la Lumière influe-t-il désormais sur nos comportements ? Quelle que soit notre réponse, nous ne pouvons plus nous abriter derrière de faux prétextes. En effet, nous, nous savons et là réside toute la différence entre l’avant et l’après. Le reste ne relève plus que de notre seule conscience.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas, à l’évidence, de procéder à une lecture mot à mot du Rituel. Vouloir assumer individuellement la charge de la « société tout entière » n’aurait évidemment aucun sens. Il nous est proposé, en revanche, de regarder au-delà de notre cadre de vie habituel et d’intervenir chaque fois que cela s’avèrera possible. Que se passerait-il si chacun de nous procédait régulièrement ainsi, même par des gestes de portée limitée ? Il est facile d’imaginer l’impact d’une telle juxtaposition de bonnes volontés, sans commune mesure avec la portée d’actes isolés. Là réside d’ailleurs la finalité de la démarche maçonnique. Démarche que résume si bien la sagesse populaire : « l’union fait la force ». Essayons de percevoir le pouvoir de la force décuplé par l’union et n’hésitons pas à en faire usage. Nous révolutionnerons ainsi la conception minimaliste et figée que nous avions nourrie jusqu’alors de notre utilité sociétale et sociale.

4 - En définitive

L’initiation, point de départ de notre alchimie interne, s’apparente à un véritable séisme. Tout en libérant les énergies que nous recélions sans en être toujours pleinement conscients et en montrant du doigt l’étendue de nos égoïsmes, elle nous propose de considérer sans concession ce que nous sommes afin de mieux aller vers ce que nous devrions être.

L’impartialité de cet état des lieux conditionne étroitement la réussite de notre entreprise. Peut-on envisager de bâtir sur des fondations incertaines ou mouvantes ? Le profane peut se laisser guider par les événements, comme la plante par son tuteur. L’apprenti, lui, s’est engagé à prendre son destin en main au terme d’une quête intérieure aussi rigoureuse que révélatrice de sa véritable personnalité.

Pour être fructueuse, cette quête ne devra pas se limiter aux seules investigations internes, mais déboucher au contraire sur des comportements nouveaux à l’égard de nous-mêmes, de nos proches comme de ceux qui le sont moins. Il nous faudra, pour ce faire, livrer un combat de tous les instants que nous ne remporterons qu’après avoir identifié notre ennemi le plus implacable : notre égoïsme et la force d’inertie qu’il secrète. Le succès de l’entreprise réside dans la juste perception que nous saurons acquérir de nous-mêmes.

J’ai dit Vénérable Maître
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