Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
Le Silence de l’Apprenti Lorsque j’ai commencé à réfléchir sur le silence je ne m’imaginais pas qu’il y avait autant de choses à dire sur le sujet, et je dois avouer qu’à un moment j’ai été tenté de remettre une page blanche ce qui aurait été une façon originale mais inélégante de l’évoquer. Nous vivons dans un monde ou la verbalisation est la règle et le silence est devenu l’exception à une tel point que même l’écologie qui a pourtant le vent en poupe le néglige. J’ai découvert à cette occasion que le silence « a un bruit », et qu’il peut atteindre de 0 à 10 dB, et que c’est celui qui nous accompagne lorsque nous nous trouvons dans un désert. Je me suis malheureusement souvenu qu’à notre époque et dans certaines régions du monde il est synonyme de contrainte et de torture quant il s’agit de faire taire et de réduire au silence. En Franc maçonnerie, fort heureusement, le Silence est consenti et la définition qu’en donne la Bible (Deut 27-9) à savoir « une rétention délibérée de la parole dans le but d’écouter » me parait bien en traduire l’esprit. Ce silence dont je me suis imprégné depuis quelques semaines va accompagner tout le cursus de l’apprenti et il me parait intéressant de rappeler les conditions qui ont présidées à son entrée en loge car la genèse du silence chez l’apprenti a fait l’objet d’une lente maturation. Alors qu’il est simple postulant, le futur apprenti n’a pas vécu, mais subi le silence. Dès son interrogatoire sous le bandeau il a vécu ce qu’il conviendrait d’appeler le silence mystère, et qui est en quelque sorte une introduction à la démarche silencieuse qui sera la sienne dans les jours et mois à venir. C’est dans un silence relatif, mais anxiogène et après quelques paroles réconfortantes que le postulant doit subir l’interrogatoire en se demandant, tout en étant attentif à ses réponses combien et quelles personnes le questionnent avant de repartir sans réponses à ses propres interrogations, mais inconsciemment préparé à son passage dans le cabinet de réflexion. Ce préambule n’est pas anodin car dans le rituel rien n’est fortuit, chaque acte, chaque symbole qui nous est transmis suscite le réveil de notre inconscient et nous permet d’intégrer le ou les messages destinés à notre évolution spirituelle. Dans le cabinet de réflexion lieu initiatique par excellence ou chaque objet et chaque instant est chargé de valeur symbolique, le futur apprenti n’a pas encore frappé à la porte du temple qu’il affrontera le Silence à l’état pur, sans bruits extérieurs. Lorsque les auteurs décrivent le cabinet de réflexions, ils insistent sur les aspects matériels ou symboliques tels que, le crâne, les trois coupelles, la formule V.I.T.R.I.O.L , le testament philosophique ou le dépouillement des métaux, mais ils n’abordent qu’accessoirement le silence ou n’en parlent que comme d’une atmosphère ambiante. Personnellement je serais tenté de lui donner une plus grande place. C’est dans le cabinet de réflexion que commence l’apprentissage du silence du futur maçon, et j’estime qu’on ne peut dissocier le silence de l’acte du dépouillement des métaux. Etre dépouillé de ses métaux c’est symboliquement abandonner ses passions, ses anciennes conceptions, ses préjugés hérités de la vie profane. Dans les minutes qui suivront le silence sera certes un moment propice à la méditation et à la réflexion qui permettra au futur apprenti la rédaction de son testament philosophique mais ce sera aussi le moment symbolique ou commencera le « désapprentissage du mal acquis » de sa vie profane. Depuis qu’il a trois ans l’homme a appris à parler et écrire et la parole comme ses métaux a souvent été l’expression de ses préjugés et de ses passions qu’il va lui falloir taire s’il veut progresser comme franc maçon et polir la pierre brute qui est en lui. Dans un langage de bâtiment qui a été celui que j’ai côtoyé pendant plus de trente ans je dirai qu’il lui faut aplanir le terrain et enlever les racines avant de poser la première pierre et sur un plan plus prosaïque je dirai que le futur maçon est invité à réexaminer ses idées reçues et ses jugements subjectifs en recherchant par lui-même sa vérité afin de progresser. C’est ce silence qui exprime le deuil de l’ego et qui clôt sa vie d’homme profane pour entrer dans celle de cet homme nouveau qui est l’apprenti. A partir de cet instant le silence qu’avait connu le postulant ne sera plus vécu en solitaire, le silence restera techniquement parlant certes « une rétention délibérée de la parole » mais ce sera désormais un silence partagé avec ses frères ; et il est une chose qui restera à jamais gravée dans mon esprit lors de ma première tenue et qui est associée au silence, c’est la bienveillance , la connivence c'est-à-dire une convergence dans les intentions que j’ai lu dans le regard de mes frères, et j’ai vraiment ressenti à cet instant ce que recouvrait la notion de fraternité.. Parallèlement il ne faut pas négliger le fait que l’effacement silencieux de l’apprenti face à ses devanciers, officiers, maîtres et compagnons pendant toute la durée des tenues et dans le cadre de leur solennité constitue une preuve d’humilité et de respect inhérente à toute hiérarchie opérative. Mais par-dessus tout le silence de l’apprenti avant d’être celui de la méditation et de la réflexion, c’est celui de l’observation et de l’écoute car le silence accompagne efficacement l’apprentissage. L’apprenti va apprendre tout d’abord en observant. Pédagogiquement parlant on ne peut pas observer d’une façon efficace en parlant. Il faut regarder faire les autres et s’efforcer de comprendre. J’ai vite compris cette logique dès l’organisation du Temple avant la Tenue. J’avais tout noté tout imaginé j’avais tout prévu sauf l’itinéraire pour aller au placard, l’anticipation nécessaire pour s’y déplacer et la clé pour l’ouvrir. Je pensais que je devrais noter tout ce qu’il y avait à faire et que je pourrais le faire plus facilement après. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas possible et je me suis mis à observer. Tout, en observant, j’ai essayé de dégager la logique qu’il ya avait derrière chaque détail. Ce fut certainement plus long car il y a, toujours, beaucoup à apprendre mais je me sens plus à l’aise maintenant Quel rapport avec le silence me direz-vous ? Parce que dans le brouhaha du quart d’heure qui précède sa première tenue l’apprenti qui semble avoir fait l’objet de l’attention de ses frères jusqu’alors se sent seul et vit un silence intérieur. Au début il y a toujours cette tentation pour l’apprenti de poser des questions chaque fois que quelque chose lui échappe, mais très vite ce désir d’appréhender la signification par soi-même prend le dessus. L’apprenti progressivement prend du recul, apprends à observer, et invariablement tout deviens limpide. Cette technique a fait ses preuves et les maçons n’en ont pas le monopole. J’ai beaucoup voyagé en Afrique, et, au 21ème siècle le silence garde toujours une place prépondérante chez les peuples africains. Au MALI par exemple l’apprentissage passe par le fait que l’Autre doit (l’apprenti) doit regarder ce que fait l’Initié. Il est question là de « silence observation » qui est très proche de ce que vit l’apprenti maçon. Il n’est pas dicté de règles, on recueille simplement l’attention. On demande plutôt de suivre attentivement ce qui est fait, que d’apprendre par l’écoute. Tout est dans le geste. Le maître ou le père se garde de paroles inutiles. Il réalise sa tâche et l’élève observe, et ce dans tous les domaines de l’agriculture, le tressage les travaux de forge…. Pour revenir a mon propos l’apprenti apprend certes en observant, le rituel mais l’apprenti apprend également en écoutant, et le fait pour lui de ne pas être contraint de prendre part dans un débat le libère de la nécessité de se préparer à répondre. Graham écrit a ce propos que : « Dans leurs rapports les uns avec les autres la plupart des hommes se règlent sur le comportement et sur les paroles des autres hommes…..C’est pourquoi il est recommandé aux apprentis de se taire. C’est seulement lorsque l’apprenti aura assimilé en silence les diverses données de la connaissance (et de la tradition) et qu’il sera parvenu en silence à incorporer suffisamment de vertus, qu’ayant terminé son apprentissage, il pourra lors proférer une parole agissante et utile, un verbe salutaire ». La parole de l’autre entraine inéluctablement des questionnements, des interrogations mais aussi des réponses des dialogues et donc des changements d’orientations des luttes d’influences et des remises en cause déstabilisatrices voire des conflits. Le silence permet à l’apprenti de suivre sa voie, à son rythme à l’abri de tout sermon et de respecter les règles de la franc maçonnerie et le rituel, tout en conciliant harmonieusement sa personnalité et la tradition. Dégrossir la Pierre brute, se taire en maîtrisant ses passions, écouter en réinvestissant par la réflexion les connaissances acquises tels sont les objectifs assignés à l’apprenti. Le silence est créateur et la légende qui entoure la Chapelle de Roslyn en Grande Bretagne l’illustre bien et me parait assez symbolique et mérite d’être citée.. Il s’agit d’une légende et comme on dit en Italie « Se non e vero e bene trovato » (Si ce n’est pas vrai c’est bien trouvé). Il existe plusieurs versions et j’ai choisi celle qui me convenait le mieux. Il existe dans cette chapelle un pilier magnifiquement ouvragé d’un décor floral torsadé qu’on appelle « Le Pilier de l’apprenti », Selon la légende un modèle de ce pilier fut envoyé de Rome. Le maître-maçon le commença, jusqu'au jour où se sentant incapable de le terminer il refusa de continuer sans s’être rendu à Rome pour réaliser une inspection précise du pilier dont le modèle avait été tiré. En son absence, un Apprenti finit le pilier tel qu’il est aujourd’hui : et le maître à son retour, voyant le pilier superbement achevé s’enquit de qui l’avait réalisé; et poussé par la jalousie, tua l’apprenti. C’est dans le silence que l’apprenti avait observé son maître et aux compétences de ce dernier il avait ajouté les siennes propres, le surpassant et provoquant cette fin tragique. Certains prétendent que le Silence de l’apprenti serait né en ce lieu, le silence et les remords s’abattirent alors sur une œuvre qui resta le lieu recueillement des maitres de la maçonnerie anglaise et écossaise jusqu’à 1736. G\ R\ |
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