Discours
de réception d’un
profane en Loge
Mon
frère Nicolas, tu as devant toi, sur
cette partie surélevée qu’on appelle
l’Orient parce que c’est de là que
partent
les orientations, à la droite du
Vénérable Maître, c’est
à dire à gauche pour
toi, le frère secrétaire, qui incarne la
mémoire de l’atelier, en inscrivant
sur un registre tous les travaux qui s’y font afin de leur
donner leur
dimension d’éternité.
De
l’autre coté, le frère Orateur, moi,
en l’occurrence, qui a parmi ses missions, celle
d’être le porte-parole de
l’atelier dans les grandes circonstances.
C’est
le cas en ce jour qui constituera
l’une des dates historiques de la vie de cet atelier. En
effet, toute
initiation d’un nouveau frère est un acte
collectif qui engage l’ensemble de
l’atelier. Or, ton initiation étant la
première de l’Éclat de Saint Germain,
nous vivons aujourd’hui ce qui constitue la
dernière étape du processus de sa
création. Cela justifie la présence parmi nous ce
soir d’une quinzaine de
frères venant d’autres ateliers et notamment de
trois Vénérables Maîtres
siégeant à l’Orient.
Parmi
eux et les frères qui sont sur les
colonnes, se trouvent des membres d’autres
obédiences maçonniques, le Grand
Orient de France, le Droit Humain et la Grande Loge Symbolique
Opéra, montrant
que l’engagement de ce soir implique, non seulement notre
atelier et La Grande
Loge de France, mais toute la Franc-Maçonnerie. Ainsi,
m’adressant à toi pour
te souhaiter la bienvenue parmi nous, c’est, à
travers toi, au Vénérable Maître
et à vous tous, mes frères en vos grades et
qualités que je m’adresse ;
Mon
frère Nicolas, je dois d’abord te
dire toute notre joie de t’accueillir parmi nous, la joie qui
est celle que
peut éprouver une famille à la naissance
d’un frère ou d’une sœur. Le
rituel
que tu viens de vivre s’apparente en effet à une
naissance. Ce n’es pas un
apprentissage ni un enseignement, c’est un cheminement dans
lequel tu t’es
engagé, seul et dans la nuit. Tu as pris la route
d’une évolution personnelle
comme le faisaient les francs-maçons opératifs du
moyen-âge, ceux qui
bâtissaient des cathédrales, et qui, ne
dépendant d’aucun patron construisaient
eux-mêmes leur parcours professionnel.
Pour
commenter cet événement, je
m’appuierai sur une comparaison plus parlante parce que plus
actuelle. La voie
dans laquelle tu t’es engagé peut en effet
être comparée au cas d’un homme qui
part en voyage dans la nuit. Il peut le faire en utilisant les moyens
de
transport collectifs, train, autocar ou avion et beaucoup de nos
concitoyens
confient leur cheminement spirituel à l’une ou
l’autre de ces religions qui
offrent un ensemble cohérent de
vérités, de rites et d’obligations.
J’entends
par ce terme de religions, non seulement celles qui viennent
spontanément à
l’esprit, mais aussi, la plus importante, la plus
impérialiste, la religion de
la consommation avec son dieu, l’argent, ses temples, les
grandes surfaces, son
eschatologie, le bonheur par la richesse, ses sacrifices humains, les
laissés
pour compte, son prosélytisme, le seul qui soit
tolérable aujourd’hui, la
publicité.
Le
franc-maçon est comparable à celui
qui, délaissant les transports publics, part seul au volant
de sa voiture. Cela
n’exclue pas qu’il s’engage sur le
même parcours que tel ou tel transport
collectif, autrement dit qu’un franc-maçon puisse
adhérer à la foi chrétienne,
à la foi musulmane, à la spiritualité
bouddhiste ou au culte de la
consommation. Mais il ne s’y laisse pas guider comme un
passager endormi dans
son siège couchette, il pilote lui-même sa propre
conduite. En particulier, le
franc-maçon croyant ne se met pas dans la main de tel ou tel
chef spirituel, il
se met dans la main de Dieu en se nourrissant au contact de ceux qui en
ont
fait ou en font l’expérience.
Ce
voyageur individuel qui me sert de
base de comparaison, périodiquement, il
s’arrête sur le coté de la route, pour
faire le point. Il le fait avec un certain rituel : il met son
clignotant,
ralentit, déboîte progressivement,
s’arrête et met son frein à main. Ces
arrêts
sont comparables à nos tenues. Elle commencent par un rituel
qui vise à nous
sortir du courant de la circulation pour entrer dans le monde de la
réflexion.
Puis,
notre voyageur déplie sa carte. Une
carte routière, c’est le résultat des
observations et des mesures prises par un
certain nombre de personnes qui ont fait le voyage avant
lui. De même,
pour démarrer nos travaux, nous ouvrons ce que nous appelons
« le volume
de la loi sacrée » qui est la Bible.
Certains d’entre nous attribuent ce
caractère sacré à un contenu dans
lequel ils voient une intervention divine.
Cette explication leur est personnelle et ne saurait être
imposée à tous. Est
sacré ce qui constitue la base, le fondement, sur lequel on
s’appuie. La loi
sacrée est le fondement de notre personne morale comme la
vertèbre sacrée qui,
elle-même, repose sur le sacrum est la base de notre colonne
vertébrale.
Pour
le franc-maçon, ce qui est sacré,
c’est la référence à la
tradition, c’est à dire, d’une part, le
respect pour
ceux qui nous ont précédés,
d’autre part, l’acceptation qu’il y a
dans ce
livre, des propos qui, ayant été
ressassés chaque semaine à nos ancêtres
pendant quinze siècles, sont, qu’on le veuille ou
non, profondément ancrés dans
nos inconscients. Je n’en veux pour preuve que
l’existence parmi nous de frères
qui se disent athées. Comme il est impossible
d’affirmer ou de nier l’existence
de ce qui n’a pas été
préalablement défini, ces frères se
réfèrent
nécessairement à une tradition
judéo-chrétienne dont ils se veulent
libérés.
C’est
sur ce livre que tu as prêté
serment tout à l’heure, comme le fait le
président des États Unis, mais avec
une différence essentielle. Celui-ci prête serment
sur une Bible fermée ;
toi tu as prêté serment sur une Bible ouverte
à une page où le texte latin
commence par « in principio »,
c’est-à-dire, à la base, à
la racine,
dans le principe.
En
outre, cette Bible est recouverte par
une équerre et un compas. L’équerre
permet de passer de l’abscisse à
l’ordonnée, de changer de dimension,
d’avoir un regard perpendiculaire et
notamment de passer, par exemple, de la lecture historique à
la lecture
symbolique. Le compas, comme son nom l’indique, permet de
comparer. Il évoque
en outre cet instrument de marine qui permet de garder le cap. Ces
trois
éléments, le livre ouvert,
l’équerre, le compas, sont des signes qui
t’invitent
à te construire toi-même avec le maximum de
liberté et de discernement.
Mais
quel est ce pays dans lequel se
déroule ce voyage ? Notre obédience en
général et notre atelier en
particulier repose sur l’affirmation que l’univers
a un ordre, qu’il a été
conçu par celui que Voltaire appelle le Grand horloger, que
nous appelons Le
Grand Architecte de l’Univers, que certains d’entre
nous appellent Dieu, Elohim
ou Allah. Tous, individuellement ou collectivement, nous avons vocation
à
prendre notre place dans cette construction architecturale.
C’est ce que nous
appelons travailler à la gloire du Grand Architecte de
l’Univers..
Dag
Hammarskjöld, l’homme qui a sauvé
l’ONU de la faillite, s’adressant à ce
Dieu qui était pour lui ce qu’est pour
nous le GADLU, disait dans la prière qu’il
s’était composé pour
lui-même :
« Que tout ce qui fait partie de mon être
serve à ta gloire ». C’est
selon le même principe que pour nous chaque acte important
doit être précédé de
l’invocation « a la gloire du
GADLU ». Elle signifie que ce qui suit
a bien été réfléchi pour
collaborer à l’œuvre du GADLU. En bonne
logique, cette
invocation, nous devrions la prononcer pour commencer chacune de nos
journées.
Mon
frère, Nicolas, la première étape de
ton parcours consistera à apprendre à
écouter, à recevoir la parole de
l’autre.
Car il n’y a d’enrichissement spirituel que par la
rencontre de l’autre, par
l’acceptation et la prise en compte de sa
différence. La tolérance maçonnique
ne consiste pas à accepter que l’autre pense
différemment et par conséquent se
trouve dans l’erreur. Elle consiste, au contraire, dans la
conviction que
l’autre, celui qui est différent, a quelque chose
à m’apporter et, par voie de
conséquence, l’importance de ce qu’il
peut m’apporter est proportionnelle à
l’importance de la différence. On voit ici
l’originalité de la franc-maçonnerie
par rapport à tous les clubs de réflexion
réunissant des gens qui partagent les
mêmes opinions. Je ne suis pas le seul à penser
qu’une bonne planche est une
planche dans laquelle l’auteur a mis ses tripes.
Le
rapprochement de l’autre est au cœur
de notre démarche et, en disant cela, il me revient en
mémoire cette conférence
d’un intellectuel musulman, ministre de la culture du
gouvernement algérien qui
disait « l’autre
m’est indispensable pour vivre ».
C’est une véritable soif de l’autre qui
doit animer le
franc-maçon. Nous sommes un ordre qui se dit symbolique.
Chacun sait
qu’étymologiquement, le symbole est un objet,
généralement une poterie, que
l’on casse en deux de telle manière que le
rapprochement des deux morceaux
détenus par deux personnes différentes, constitue
un moyen de reconnaissance.
Comme les deux morceaux de la poterie, l’autre et moi qui
sommes différents,
nous avons vocation à nous rencontrer et à entrer
en communion. Ainsi, est
symbolique ce qui rapproche ce qui unit, par opposition à ce
qui divise qui est
diabolique.
Nous
avons le privilège de disposer de
l’outil nécessaire à la rencontre en
profondeur de l’autre, par une discipline
de parole qui permet de traiter n’importe quel sujet, de
sorte que les seules
limites aux sujets que nous pouvons aborder sont celles que des
frères y
apportent par leurs propres limites.
Mais
reprenons la comparaison avec la
pause que fait le voyageur pour consulter sa carte. Il arrive un moment
où il
faut repartir, éteindre l’éclairage
intérieur de la voiture et reprendre la
route, car la pause ne se justifie que par la route, et nos tenues
n’ont de
sens que si elles se traduisent dans nos comportements, ce que nous
appelons
poursuivre à l’extérieur
l’œuvre commencée dans le temple.
C’est par notre
présence et notre place dans la
société que nous existons. Si le philosophe dit « je
pense donc je suis »,
le maçon doit dire « je
construis donc je suis ».
Un maçon qui ne
construit pas est comme un philosophe qui ne pense pas, un professeur
qui
n’enseigne pas ou un médecin qui ne soigne pas.
Mon
frère Nicolas, si on arrêtait ici nos
travaux, tu pourrais te demander à quoi tu t’es
engagé aujourd’hui. Certes tu
t’es engagé à respecter le secret, mais
d’une part, cela va de soi, car ce que
tu as vécu est incommunicable, d’autre part, se
taire n’est pas un objectif qui
fasse vivre. Le silence n’est pas une motivation dynamisante.
A cette occasion,
constatant que j’arrive au terme de ma planche il
m’apparaît qu’il lui manque
une dimension essentielle, car une planche sans humour est une
choucroute sans
moutarde. Pour combler ce manque, je ferais observer que les
francs-maçons se
réfèrent à un texte qui dit
« au commencement il y a la
parole » pour
inviter le nouvel arrivant à commencer par se taire tant
à l’intérieur qu’à
l’extérieur.
Ton
engagement de ce soir est l’engagement
collectif que nous allons renouveler. Il sera prononcé tout
à l’heure, en notre
nom à tous, par le Vénérable
Maître et les deux surveillants au moment ou l’on
éteint les bougies comme le voyageur coupe
l’éclairage intérieur de sa voiture
pour pouvoir voir ce qui se passe au dehors. Si on ne le fait pas, on
projète
sur l’extérieur l’image de ce qui se
passe à l’intérieur. Cet engagement
collectif, Qui fait de nous des francs-maçons que nos
frères reconnaissent
comme tels ressemble fort à celui qui définit les
chrétiens. Il est désormais
pour toi comme pour nous, dans chacun de nos actes, dans chacune de nos
activités, dans chacune de nos paroles, de faire tout ce qui
est en notre
pouvoir pour que la paix règne sur le terre, pour que
l’amour règne parmi les
hommes et pour que la joie soit dans les cœurs.
J’ai
dit.
Geo\ Duv\ |