Le
christianisme primitif et ses rites
La planche de ce jour a pour thème le
christianisme primitif et ses rites, cependant il est
nécessaire de commencer par rappeler quelques
éléments doctrinaux qui ont
conditionné l’évolution
ultérieure de la chrétienté. Pour des
raisons de commodité, le présent
exposé adopté
délibérément une
présentation très structurée, dont
l’inconvénient est un schématisme
réducteur.
La doctrine
L’enseignement de Jésus
L’enseignement de Jésus est d’abord
connu au travers des écrits rédigés
par les apôtres, c’est-à-dire par des
textes apologétiques et démonstratifs, et non pas
« historiques » au sens actuel du
terme. Il reste cependant que l’analyse
détaillée de ces mêmes textes, la
présence d’autres sources (écrits
païens et apocryphes), la connaissance du judaïsme
antique et de la Bible juive permettent de déterminer avec
une précision acceptable les paroles réelles de
jésus.
Avant de devenir une religion constituée,
l’enseignement de Jésus est d’abord un
discours qui se situe avant tout dans le cadre du judaïsme: en
effet, en dehors de toute autre considération (langue,
géographie), l’enseignement de Jésus
n’est compréhensible que par le peuple juif,
élevé dans une religion monothéiste.
Simultanément, cette même prédication
fait éclater par certains points le judaïsme
traditionnel, et trouvera (par l’intermédiaire de
Paul) son plus grand succès auprès des
païens.
On touche là l’ambiguïté
fondamentale de Jésus, qui explique pourquoi ses
contemporains ont eu du mal à le reconnaître comme
le Messie.
Le Royaume de Dieu
En schématisant à l’extrême,
le message de Jésus est marqué par un
thème récurrent : « Le
temps est accompli, et le Royaume de Dieu s’est
approché : convertissez vous, et croyez à
l’Evangile » (Marc 1, 15).
Le Messie
A ce titre, ses disciples reconnaissent en Jésus
l’Oint du Seigneur (Messie en hébreu, Christ en
grec), titre que jésus n’accepte qu’avec
réticence. Cela n’empêche pas que les
apôtres et les foules voient en lui le Messie Glorieux, venu
rétablir la place d’Israël parmi les
nations, d’où
l’ambiguïté de son succès; le
procès et la crucifixion de Jésus le
réalisent comme Messie Souffrant, pour reprendre les termes
d’Isaïe (40-55). En reprenant les
évangiles, il semble que jusqu’à son
procès, Jésus a hésité
entre ces deux aspects du Messie.
La Loi Juive
Un autre trait caractéristique de la prédication
de Jésus est son attitude par rapport à la Loi
Juive. D’un côté, il déclare
: « N’allez pas croire que je
suis venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas
venu pour abroger, mais pour accomplir »
(Mathieu 4, 17).
Pourtant, simultanément, sa prédication
s’adresse en priorité aux
déshérités, aux pêcheurs, et
il n’hésite pas à
interpréter cette même Loi dans un sens
apparemment contraire à la tradition, au nom d’une
raison supérieure, l’amour et la
miséricorde divine : « Le
sabbat a été fait pour l’homme, et non
l’homme pour le sabbat, de sorte que le Fils de
l’Homme est maître même du sabbat »
(Marc 2, 28).
Jésus et les païens
Au début de la prédication de Jésus,
son discours s’adresse exclusivement au peuple juif, les
païens et les Samaritains étant parfois
cités en exemple à titre individuel :
« Ne prenez pas le chemin des
païens et n’entrez pas dans une ville de
Samaritains; allez plutôt vers les brebis perdues de la
maison d’Israël »
(Mathieu 15, 24).
Il reste que progressivement, peut-être à cause
des obstacles rencontrés auprès des Juifs
eux-mêmes, Jésus en vient à inclure
progressivement les gentils dans l’avenir messianique:
« Beaucoup viendront du levant et du
couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le
Royaume des Cieux, tandis que les héritiers du Royaume
seront jetés dans les ténèbres du
dehors » (Mathieu 8, 11).
La communauté des Douze
L’Eglise primordiale est constituée de la
communauté des Douze, nombre qui symbolise clairement le
nouvel Israël.
Les principales activités de Jésus sont la
prière et la prédication, mais il ne
crée pas lui-même de sacrement (Non,
Jésus n’a pas inventé le signe de croix
!). Ce n’est qu’après sa mort que les
apôtres créeront les sacrements, pour
obéir à ses injonctions ou pour garder sa
mémoire ; il suffit de penser à la communion, ou
au pardon des péchés.
La Communauté de Jérusalem
La toute première communauté
chrétienne est celle des apôtres, à
Jérusalem. On lui donne déjà le nom
d’Eglise (du grec ecclesia), c’est à
dire assemblée, car il s’agit avant tout
d’une structure collégiale. Ce groupe est
constitué de juifs pieux, qui ne cherchent pas la rupture
avec le judaïsme, dont ils pratiquent les rites; leur seule
différence, c’est qu’ils identifient
Jésus au Messie anonyme de l’espérance
juive.
Alors que les apôtres sont convaincus du succès de
leur prédication auprès de leurs
corréligionnaires, ils trouvent leur véritable
auditoire auprès de la diaspora
hellénisée de Jérusalem, dont Etienne
est le représentant : ce groupe condamne comme
idolâtre le culte rendu au Temple, et proclame pour la
première fois l’autonomie du message
chrétien par rapport au judaïsme. Dans la ville
sainte juive, un tel discours est perçu comme
sacrilège, aussi Etienne meurt lapidé tandis que
la communauté chrétienne est dispersée.
Paul et la mission auprès des Gentils
Issu lui aussi de la diaspora de langue grecque, Paul est
d’abord un pharisien farouche, avant de se convertir
brusquement. Face à la communauté des
apôtres, il affirme tenir sa mission de Dieu
lui-même, et en tant que citoyen romain, va utiliser
l’infrastructure romaine pour répandre la nouvelle
foi auprès des Gentils (traduction grecque de
l’hébreu Goyim).
Paul est le premier à donner à la nouvelle
religion un enseignement théorique compréhensible
hors du monde juif: en ce sens, il est
« l’inventeur » du
christianisme. Très rapidement, la communauté
juive originelle devient minoritaire dans le christianisme;
simultanément, la communauté juive rejette le
christianisme comme interprétation possible du
judaïsme.
Simultanément citoyen romain, de culture grecque, de
religion juive, mais connaissant les cultes païens, Paul est
déchiré entre de nombreuses contradictions,
qu’il réussit à concilier dans une foi
profonde en Jésus. Aussi, sans lui retire son
originalité propre, l’élan
qu’il va donner au christianisme sera marqué par
ces influences contradictoires.
An schématisant à l’extrême
sa pensée, Paul affirme qu’il est impossible
à l’Homme de trouver seul son Salut,
état qui selon lui est du seul ressort de Dieu, par
l’intermédiaire de Jésus. A ce titre,
seule la foi sauve, et donc toutes les observances rituelles du
judaïsme sont condamnées sans recours, car
inopérantes.
Les rites chrétiens primitifs
Malgré l’existence de certains rites (fraction du
pain notamment) dans la Communauté de Jérusalem,
on ne peut parler de rites chrétiens qu’au moment
de la séparation d’avec le judaïsme
traditionnel.
Le recrutement
Le christianisme connaît ses premiers succès
auprès du petit peuple des villes romaines (esclaves,
affranchis, artisans), d’où le sobriquet de
« religion d’esclave »
qui lui est initialement appliqué.
Un tel succès réalisé
malgré les persécutions officielles peut
s’expliquer par la conjonction de différents
facteurs :
La crise du système religieux traditionnel et
l’intérêt pour les religions
à mystères importées
d’orient (le christianisme primitif était
considéré comme une religion orientale).
La fraternité affichée entre les membres,
indépendamment de leur sexe, position sociale ou
nationalité : « Il
n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare,
Scythe, esclave, homme libre, mais Christ : il est tout et en tous »
(Col 3, 11).
L’incarnation effective d’un sauveur en
Jésus, homme réel et contemporain, à
comparer aux créations mythiques des autres religions
à mystères.
La proximité du Royaume et le salut rendu possible
à tous, hors d’un enseignement
ésotérique réservé
à une élite.
Le recrutement s’élargit rapidement aux classes
moyennes et aux gens de toute condition : « Aquilas
et Prisca vous envoient bien des salutations dans le Seigneur, ainsi
que l’Eglise qui se réunit chez eux »
(1 Cor 16, 19). Dans le même temps, le christianisme cesse de
s’opposer systématiquement à la culture
païenne, mais cherche à en
récupérer les meilleurs
éléments, ce qui est un facteur
d’attraction supplémentaire.
En revanche, la vieille aristocratie romaine et le monde paysan
resteront longtemps à l’écart de cette
religion nouvelle.
Les dogmes
Sans revenir sur le message de Jésus, il est
nécessaire de rappeler qu’à ses
débuts, le christianisme est avant tout
l’observance des paroles du Maître, mais ne
possède pas de corpus théologique fié
explicitement. Cette mise en forme est commencée par Paul,
puis continuée par les Pères de
l’Eglise, mais il faudra attendre le concile de
Nicée (325) pour qu’un consensus
général s’établisse sur les
dogmes chrétiens : « Je crois
en un seul Dieu, le Père tout-puissant…
»).
De ce fait, le christianisme primitif est avant tout une
fédération de petites communautés, se
reconnaissant toutes dans la foi en Jésus, mais
très différentes les unes des autres :
Clergé n’obéissant pas à une
autorité centrale et unique.
Différence dans les rituels
Divergences qui vont jusqu’à
l’hérésie dans
l’interprétation des paroles de Jésus.
Ces différences subsistent de nos jours au Moyen-Orient,
où existent encore des églises
chrétiennes jalouses de leur indépendances :
coptes, maronites… Une théologie va donc
progressivement se construire, permettant, en maintenant les
enseignements de Jésus, de :
Communiquer l’enseignement de Jésus à
des non-juifs, en utilisant le cas échéant le
vocabulaire et la culture païenne (hellénisme
notamment)
Faire face à l’élévation du
niveau culturel des membres (classes moyennes romaines)
Définir un corpus cohérent face aux religions
à mystères
Mieux définir la foi par rapport aux déviations
rituelles et doctrinales (hérésies)
Unifier les différents rituels et les écrits
canoniques
Enfin, lors de la victoire du christianisme (330), faire face aux
conséquences d’un recrutement de masse.
Le baptême
Rien n’indique que Jésus ait baptisé
lui-même, mais selon les Evangiles, il ordonne aux
apôtres de la faire en son nom : « Celui
qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui que
ne croira pas sera condamné »
(Marc 16, 16). Quoiqu’il en soit, le baptême
deviendra très vite le rite
d’intégration par excellence.
Les non-baptisés n’assistent qu’au
début de la messe (prière, lectures bibliques et
sermon), puis se retirent avant la célébration de
la communion, réservée aux seuls
fidèles.
Initialement, seule la foi en Jésus et le repentir sont
exigés, mais très vite une instruction
préliminaire est mise en place, tandis que les candidats
sont parrainés et soumis à une période
probatoire ; en période de persécutions, on
comprend aisément les raisons de ces précautions.
Le baptême effaçant tous les
péchés, la tentation est grande de sa faire
baptiser le plus tard possible, éventuellement sur son lit
de mort, aussi de nombreux évêques fulmineront
contre cette dérive.
Pour l’ensemble de ces raisons, le baptême est
initialement réservé aux adultes, mais le
baptême des enfants est introduit très
tôt.
La cérémonie du baptême est
préparée par une retraite
préliminaire, tandis que le sacrement est
pratiqué par immersion totale, de
préférence dans la nuit de Pâques.
L’immersion est complétée par une
imposition des mains, qui existe encore dans le rite actuel, mais a
donné lieu à un sacrement distinct : la
confirmation.
La communion
Le partage du pain est déjà attesté
dans la communauté de Jérusalem :
« Ils étaient assidus
à l’enseignement des apôtres et
à la communion fraternelle, à la fraction du pain
et aux prières » (Actes 2,
42). Dès les débuts du christianisme, ce rite est
perçu simultanément comme mémorial de
la Cène et anticipation du Royaume de Dieu. Quelques
années plus tard, Paul sera le premier à
développer une théologie autour de ce geste.
La participation à la communion suit
immédiatement l’admission des nouveaux
baptisés, qui assistent à
l’intégralité du culte. Ce rite est
initialement intégré dans une agape communautaire
et fraternelle, dont il constitue
l’élément sacré :
« Mais quand vous vous
réunissez en commun, ce n’est pas le repas du
Seigneur que vous prenez. Car au moment de manger, chacun se
hâte de prendre son propre repas, en sorte que l’un
a faim, tandis que l’autre est ivre »
(1 Cor 10, 20).
Vers le 2ème siècle, le rituel se stabilisera
autour de quelques traits principaux, tandis que l’agape sera
séparée de l’Eucharistie (action de
grâces), ce dernier terme servant de plus en plus
à désigner la Cène. Plus tard,
l’agape deviendra progressivement un repas charitable pour
les pauvres et finira par disparaître; la Cène
évoluera pour devenir la Messe.
Morale chrétienne et pénitence
Les premiers chrétiens pratiquent une morale volontairement
austère, qui les met à contre-courant de leurs
contemporains: stricte discipline de vie (jeûne notamment),
renoncement aux distractions païennes ou immorales,
bannissement du lucre et du luxe, valorisation de la
virginité, du mariage et de la famille, promotion de la
charité fraternelle.
Une telle rigueur s’explique à la fois par
l’influence du dualisme grec (alors à la mode),
mais aussi par la conviction d’un retour très
proche de Jésus : il faut être prêt pour
le Royaume. Nul doute qu’une telle
sévérité a dû
décourager plus d’un candidat, mais a aussi
été un puissant facteur d’attraction
pour les meilleurs des païens.
Compte tenu de la vie communautaire des premiers chrétiens,
l’aveu des fautes et leur pardon sont publics
(« Je confesse à Dieu tout puissant, je
reconnais devant mes frères… »),
l’un et l’autre étant du devoir de tout
croyant ; encore une fois, la foi en Jésus impose le rite.
Avec l’élargissement du recrutement, une telle
rigueur était difficile à maintenir, aussi
après bien des hésitations se met en place un
système élaboré de
pénitences, allant jusqu’à
l’excommunication temporaire suivie d’une
réconciliation solennelle.
Avec le temps, ce rite débouchera sur la justice
ecclésiastique d’une part, sur la forme moderne de
la confession d’autre part.
Le clergé
La communauté de Jérusalem ne connaît
pas de véritable hiérarchie, mais un Conseil des
Anciens; là encore, la différenciation des
fonctions apparaît avec l’autonomie du
christianisme par rapport au judaïsme, puis
s’accentue avec sa reconnaissance comme religion officielle
de l’Empire.
Les écrits de Paul « Paul et
Timothée, serviteurs de Jésus-Christ,
à tous les saints en Jésus-Christ, qui sont
à Philippes, avec leurs épiscopes et leurs diacres »
(Phil 1, 1) attestent de la présence de Surveillants (en
grec, episcopoi), et de Diacres,
chargés principalement de fonctions administratives. Le
titulaire du poste est initialement choisi par la
communauté, dont le choix est confirmé par la
hiérarchie dans le rite de l’ordination.
La transmission du pouvoir spirituel est effectuée par
imposition des mains : on le voit, le rite est resté
inchangé.
J’ai dit, V\ M\
B\ V\
Sources :
Mircea ELIADE : « Histoire des religions »
Marcel SIMON & André BENOIT : « Le
judaïsme et le christianisme antique »
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