L’Amour
: Eros et Agapè
La présente planche est
fondée principalement sur un essai d’un
Evêque suédois, Anders NYGREN,
président de la fédération
Luthérienne mondiale, né à
Göteborg en 1890. Cette étude publié en
1930 en trois volumes intitulée « EROS
ET AGAPE, la notion chrétienne de l’amour et ses
transformations » fut traduite en
français et publiée chez Aubier à
Paris la dernière fois en 1962 et est
épuisée aujourd’hui à ma
connaissance. Elle a néanmoins influencé
plusieurs auteurs depuis sa publication, notamment Denis de Rougemont
auteur de « l’Amour et
l’occident » et plus
récemment André Comte Sponville dans
son « PETIT TRAITE DES GRANDES VERTUS »
paru au PUF, collection Perspectives Critiques en 1995.
Préambule
Cette étude propose une réflexion sur les deux
définitions de l’amour que sont l’Eros
grec et l’Agapè chrétienne. Selon notre
auteur, l’Eros grec est conditionné par la valeur
propre de la personne qui en est l’objet alors que
l’Agapè chrétienne est
entièrement spontanée et libre. Elle
n’est pas déterminée par la valeur
qu’elle reconnaît à son objet, mais elle
est créatrice de cette valeur. Dieu n’aime pas la
personne humaine parce qu’elle a, en elle-même, une
valeur qu’il reconnaît. Il crée sa
valeur en l’aimant.
Dès lors, l’Agapè devient un acte de
pure création, elle est source de vie.
D’où une première conclusion
générique :
L’Hellénisme a une vision statique de Dieu,
Le Christianisme a une vision dynamique de Dieu.
L’Originalité
de la vision chrétienne de l’Amour
Il faut distinguer l’Eros de Platon et
l’Agapè chrétien, confusion de
l’Histoire. Ces deux notions de l’Eros et de
l’Agapè ne peuvent être
opposées car elles représentent des grandeurs,
des mondes incomparables. Leur assimilation s’est faite par
traduction des mots grecs Eros et Agapè, tous deux traduits
sous le même vocable d’amour. Il s’agit
donc d’une confusion issue de la langue.
La comparaison entre ces deux notions en tant que mobiles fondamentaux
d’une religion les a mises en concurrence. Leur
étude doit être abordée d’une
manière scientifique, même si elles sont issues
d’une intuition primitive, elle doit être soumise
au contrôle de la science, sans jugement de valeur
préalable. La science veut comprendre et non
apprécier.
La morale antique était individualiste, dominée
par le problème du bonheur, on peut résumer en
quelques traits, pour :
- les Hédonistes, le bonheur
c’est le plaisir de l’instant.
- Aristote, le bonheur c’est
l’activité et le progrès.
- Stoïciens, le bonheur
c’est l’autonomie et
l’indépendance à
l’égard des biens extérieurs de la vie,
l’état convoité s’appelle :
l’Ataraxie.
L’irruption du Christianisme transforme le
problème radicalement. Il fait de la collectivité
le point de départ de la considération morale. Le
problème du Bien n’est plus seulement pour
l’individu, mais pour la collectivité de
l’homme dans son rapport avec autrui. Ainsi
apparaît l’idée
d’Agapè, notion collective.
L’Agapè synthétise en un seul terme la
notion de l’Amour de Dieu et de l’Amour du
prochain. L’Agapè constitue la conception
fondamentale et originale du Christianisme.
Par comparaison la définition de l’Eros
platonicien, ce n’est pas l’amour physique, ou
alors il y a deux Eros : l’un vulgaire, l’autre
céleste. C’est l’Eros
céleste, dans le cas présent qui est en
concurrence avec l’Agapè, car il a pour but de
transcender l’Ame et de la délivrer des liens du
monde sensible.
L’Agapè
: l’Amour
chrétien
L’Amour
chrétien transforme les formes antiques de l’amour
par un fondement positif bien déterminé :
L’AMOUR DES ENNEMIS.
Cet amour engendre la relation de l’Homme avec Dieu qui fait
luire le soleil sur les bons et les méchants. « Aimez
vos ennemis, afin que vous soyez fils de votre Père
céleste » (Matthieu V, 44 et
s.)
Jésus apporte un changement radical au Judaïsme,
car il déclare : « Je ne suis
pas venu pour appeler les justes, mais les pécheurs ».
Il prêche ainsi un nouveau rapport à Dieu :
« Ce n’est pas une communion
régie par la loi, mais par l’Amour »
Les attributs de l’Agapè peuvent se
résumer comme suit :
a) L’Agapè est
spontanée et « non
motivée » :
L’Amour de Dieu est sans motif : Jésus a combattu
l’idée juridique des rapports de l’Homme
à Dieu, vision juive du Juste appliquant la loi.
b) L’Agapè est
indépendante de la valeur de son objet :
Elle exclut radicalement toute idée de mérite.
c) L’Agapè est
créatrice :
L’Amour divin ne s’adresse pas à ce qui
est déjà en soi digne d’amour ; au
contraire, il prend pour objet ce qui n’a aucune valeur en
soi et lui en donne une. L’Agapè ne constate pas
des valeurs, elle en crée. Elle aime et par là
elle confère de la valeur. Elle est un principe
créateur de valeur.
d) L’Agapè crée la
communion :
Comment l’homme accède-t-il à
Dieu ? Par la voie du Juste et sa conduite
méritoire ? Par la voie du Pécheur
faisant pénitence et humilité ?
L’Agapè ce n’est pas la voie de
l’Homme vers Dieu, c’est Dieu qui descend vers
l’Homme.
Le
témoignage des paraboles de l’Evangile :
Dans la Parabole de l’enfant prodigue et dans celle des
vignerons, le Père, Dieu accorde le pardon et distribue les
récompenses sans tenir compte de l’aspect
juridique et du mérite de chacun. Aux ouvriers qui
réclament plus selon cet ordre du mérite, il
rétorque qu’ils ont reçu le salaire
convenu (un denier) et il ajoute : « Où
vois-tu de mauvais œil que je sois bon ? »
Les pécheurs ne peuvent revendiquer, ils acceptent la
bonté non motivée.
« Je t’ai remis de ta dette
parce que tu me l’avais demandé, ne devrais-tu pas
aussi avoir pitié de ton compagnon de services, comme
j’ai eu pitié de toi ? »
L’Agapè de Dieu est donc le critère de
l’Amour chrétien. Il traite de l’Amour
pour Dieu et simultanément de l’Amour du prochain.
L’Amour pour Dieu exige une appartenance absolue à
Dieu. Il ne recherche rien, même pas à
acquérir Dieu lui-même comme dans la voie
mystique. Le désir de l’acquérir serait
l’amour de Dieu, envers Dieu. C’est un don libre,
gratuit, on obéit à Dieu.
L’Amour du prochain est un commandement distinct de
l’Amour pour Dieu, bien que tous deux soient issus de
l’Agapè, mais ici, il s’agit
d’aimer son prochain dans la réalité
concrète et non de principe spirituel, et
d’inclure l’amour de ses ennemis. Seul le don de
l’Agapè qui procède de Dieu peut
l’accomplir. On ne peut séparer l’Amour
du prochain au sens de l’Agapè de
l’amour pour Dieu.
L’Eros :
l’Amour grec
La notion grecque de
l’Eros est antérieure à la conception
de l’Agapè que nous venons de décrire.
Dès lors la première question a trait
à la continuité ou, au contraire, à la
rupture. La piété
déterminée par l’Eros a-t-elle
frayé la voie au Christianisme ou lui a-t-elle fait
concurrence ?
Quelle importance avait pour le Christianisme le fait de
pénétrer dans un milieu marqué par
l’Eros et sur un terrain déjà
exploité ? Deux réponses sont possibles.
On peut d’une part faire valoir que la
piété déterminée par
l’Eros avait accompli une partie de la tâche, et
considérer cette piété comme ayant
joué un rôle pédagogique et
préparatoire en vue du Christianisme. On peut,
d’autre part, considérer les rapports qui
existaient entre la piété antique
déterminée par l’Eros, et le
Christianisme comme une concurrence et montrer le danger que
l’Eros constituait pour le Christianisme.
L’Eros est né de la piété
déterminée par les mystères. La
théorie de l’Eros est, en dernière
analyse, une sotériologie, soit une doctrine du Salut obtenu
par un rédempteur.
Cette idée de la double nature de l’homme, de
l’origine et de la qualité de son âme,
ainsi que de sa libération du monde sensible et de son
ascension vers la patrie divine d’où elle est
originaire, constitue le plan fondamental sur lequel repose toute
idée d’Eros. En l’homme
réside une essence divine qui, contrairement à sa
nature, est captive dans les liens matériels.
L’homme est de la race de Dieu. La partie raisonnable de son
être est un fragment de la raison divine du monde. Il faut
qu’il descende en lui-même, qu’il
apprenne à se connaître, et à
connaître sa valeur supraterrestre ; puis, qu’il
sorte de lui-même, c’est-à-dire
qu’il s’arrache à son existence
liée à des conditions temporelles et
matérielles, et qu’il se fonde dans la
divinité. Alors, il sera véritablement
lui-même.
L’idée
platonicienne de l’Eros
a) Eros et dialectique :
Platon dans sa « théorie des
idées » a
opéré la synthèse du rationalisme grec
et de la mystique orientale. L’opposition du Logos et du
Mythe. Il n’existe pas dans la conscience antique de
séparation bien nette entre la philosophie et la religion.
L’Eros se situe plutôt dans le plan du mythe que
dans celui du Logos. On peut dire que le mythe central du platonisme
est le mythe de l’Eros. Plus que tout autre, il nous permet
d’apercevoir les mobiles les plus profonds de la philosophie
platonicienne. L’originalité de la conception de
Platon réside dans le dualisme radical des deux mondes,
celui des sens et celui des Idées.
Le monde des Idées (monde nécessairement reconnu
par la raison) et le monde des sens (monde de la perception fortuite)
sont immédiatement juxtaposés, mais ce qui est
remarquable, ils sont de valeur inégale. Le rôle
de l’homme placé entre ces deux mondes et en
contact avec eux, est de former le passage de l’un
à l’autre. Il ne doit pas les réunir
dans sa personne, mais au contraire s’arracher du monde
inférieur et s’élever au monde
supérieur. C’est la victoire du monde des
Idées sur le monde des sens. Mais cela n’est
possible que grâce à l’Eros dans
l’homme. L’Eros est la conversion de
l’homme du sensible au supra-sensible. Il est
l’aspiration de l’âme vers ce qui est
en-haut. Il est une force réelle qui élance
l’âme vers le monde des Idées. Si
l’Eros n’existait pas, les deux mondes ne
communiqueraient plus, ils demeureraient sans contact l’un
avec l’autre. C’est l’Eros qui est
à l’origine de ce mouvement vers le haut. Il
constitue l’avantage immense que le monde des
Idées possède sur celui des sens.
Le mythe de la caverne
qu’expose Platon au livre 7 de « La
République » nous raconte
qu’au sein du monde sensible nous sommes comme prisonniers
dans une caverne sur les parois de laquelle nous ne verrions que des
ombres. Quiconque n’a vu que ces ombres les tient pour la
réalité véritable. Mais le philosophe,
affranchi, qui est sorti de cette sombre caverne et s’est
élevé des ténèbres du monde
des sens à la clarté des Idées, sait
qu’on ne peut trouver la réalité
véritable que dans le monde supérieur, tandis que
le monde sensible ne nous montre que le reflet de
ce qui est. Il faut que l’homme – fut-ce au prix de
la souffrance – s’arrache au monde
inférieur et sensible et se tourne vers ce qui est vrai et
transcendant.
b) Le mythe
d’Eros :
Platon dans « Phèdre »
part du postulat que l’Ame humaine a une origine et une
valeur surnaturelle. Dans une existence antérieure, elle a
contemplé le Vrai, le Beau et le Bien. Et cela lui a
laissé une impression si profonde que malgré sa
chute et les liens qui l’unissent au monde physique, elle a
gardé la réminiscence de la splendeur du monde
supérieur et ressent un attrait souvent
incompréhensible vers lui. De même que la pierre
est naturellement attirée vers le bas,
l’âme, par sa nature divine, est attirée
vers ce qui est en-haut. Tout ce qui existe tend à occuper
sa place naturelle. L’Eros est
précisément cet attrait de l’Ame vers
le monde supérieur. Il empêche
l’âme de se complaire dans le monde temporel et lui
rappelle qu’elle y est de passage, comme une
étrangère. L’Amour que Platon
prêche est l’Eros céleste,
l’amour du monde des Idées, le désir de
participer à la vie divine.
Quand l’âme est touchée par les rayons
de la beauté, il lui pousse des ailes et elle peut
s’élever au supra-sensible. La beauté
que l’homme découvre ici-bas dans le monde
sensible a pour rôle d’éveiller
l’Eros dans l’âme, mais sans que
l’amour demeure attaché à la
beauté de l’objet. Ce moment ne doit
être qu’une phase dans l’ascension
constante qui caractérise l’Eros. Ce qui est beau
physiquement n’est que le point de départ du
mouvement ascendant qui ne parvient au but que dans le monde des
Idées. Dans « Le Banquet »
Platon se sert de l’image de l’échelle
que l’âme doit gravir pour parvenir au monde
supérieur.
L’Eros a, par nature, un
double caractère, il n’est ni purement divin, ni
uniquement divin, mais quelque chose
d’intermédiaire, un grand démon. Il est
intermédiaire entre ce qui est mortel et ce qui est
immortel, entre la sagesse et la déraison. Il est
l’amour de ce qui est bel et bon. L’Eros est tout
d’abord le désir, puis la voie qui mène
l’homme vers Dieu, enfin l’amour
égocentrique.
La définition de l’Eros par Platon,
c’est l’intermédiaire entre la privation
et la possession. Le premier caractère de l’Eros
est l’aspiration, la convoitise, le désir. On ne
convoite, on ne désire que ce qu’on ne
possède pas, ce dont on est privé. Le sentiment
de privation est un élément constitutif de
l’Eros. L’amour est donc pour Platon,
l’état intermédiaire entre privation et
possession.
Le désir ne suffit cependant pas à
définir l’Eros. Il existe une forme de
désir qui entraîne l’âme vers
les régions inférieures et qui la lie au monde
temporel, c’est l’amour sensuel. L’Eros
se distingue de ce dernier en ce qu’il tend vers les
sphères supérieures. Il est
l’aspiration de l’âme vers le monde
céleste, le monde des Idées. Le désir
varie suivant la qualité de l’objet
désiré. Le désir des choses
supérieures diffère du désir des
choses inférieures. Mais malgré ces
différences, l’Eros qui tend vers des choses
supérieures est également un désir.
L’Eros est
l’intermédiaire entre la vie humaine et la vie
divine, du mortel à l’immortel. L’amour
divin unit les hommes aux dieux, mais non pas que les dieux font preuve
d’amour. « On aime ce que
l’on n’a pas et dont on est privé. »
« Qui pourrait désirer ce
qu’il possède déjà ? ».
Les dieux possédant toutes choses et ne manquant de rien, ne
peuvent éprouver d’amour. La seule relation
qu’ils peuvent en avoir c’est d’en
être l’objet. L’Eros est donc la voie
ascendante qui mène l’homme vers la
divinité et non la voie de la divinité
s’abaissant vers l’homme.
La théorie de l’Eros n’abolit pas le
dualisme radical qui existe entre les deux mondes. Si le monde sensible
prend une valeur positive, dans le sens de ce qui est beau physiquement
est le souvenir ou le reflet de ce qui est la Beauté en soi,
le dualisme radical des deux mondes paraît vaincu au profit
d’une image harmonieuse du monde. Néanmoins
l’opposition demeure, et l’Eros n’est en
aucune façon l’approbation du monde
matériel. Il est au contraire le véhicule pour la
fuite hors de ce monde. L’amour et le désir ne se
rapportent pas à la beauté intrinsèque
de l’objet, celui-ci ne vaut, d’après la
théorie de l’Eros, qu’en tant
qu’il évoque le monde supérieur. La
théorie de l’Eros ne connaît pas
d’autre moyen de rédemption que le renoncement au
monde matériel.
L’Eros est un amour
égocentrique. Tout se ramène au moi et
à son destin. Le seul fait que l’Eros est un
désir suffit à le rendre égocentrique.
L’amour tend à conquérir et
à posséder l’objet dont
l’homme constate la valeur et croit en avoir besoin.
« C’est la conquête du
bien (du profitable) qui fait le bonheur des heureux ».
L’amour par conséquent, est toujours un
désir d’immortalité. Or même
dans ce désir, nous percevons l’indice
d’une volonté égocentrique.
L’Eros, même sous sa forme la plus
élevée en tant qu’aspiration vers le
divin, n’abandonne jamais son caractère
égocentrique.
Evolution historique
La vision de Saint-Augustin
Chez Augustin une conception nouvelle se forme. De la rencontre entre
l’Eros et l’Agapè, il naît un
troisième mobile caractéristique, à
savoir sa conception de la Caritas. La Caritas,
amour pour dieu, est à l’origine de ce qui
constitue véritablement le Bien, de même que son
contraire, le désir charnel, est à
l’origine de ce qui constitue le Mal. En
définitive, une seule chose est commandée au
Chrétien, à savoir la Charité. En ce
sens il existe, selon Augustin, un parfait accord entre
l’Ancien et le Nouveau Testament, puisque tous deux, ils
culminent dans l’Amour éprouvé pour
Dieu. La différence entre eux est celle-ci : dans
l’Ancien Testament Dieu exige l’Amour, dans le
Nouveau il nous donne par surcroît ce qu’il exige.
Augustin cependant ne voit pas que l’Agapè
chrétienne est à l’opposé de
l’Eros et qu’ils se comportent comme
l’eau et le feu, et il tente un compromis.
Quel est le défaut de l’Eros qui doit
être corrigé ?
La Superbia, toujours inhérente
à l’Eros :
l’élévation de l’Ame vers le
monde supérieur éveille aisément un
sentiment de contentement et d’orgueil. Augustin
l’a observé en lui. Lorsque l’Ame
s’élève, elle est saisie par un
sentiment d’exaltation. Elle a le pressentiment
d’être déjà au but et elle
oublie la distance qui la sépare de Dieu. Elle imagine
qu’elle a franchi cette distance et
c’est pourquoi elle n’atteint jamais son but.
Le seul remède contre cette superbia,
qui fait que l’Eros ne peut atteindre son but,
c’est l’Agapè divine. Il
découvrit l’opposition fondamentale entre
l’esprit néo-platonicien et l’esprit
chrétien : d’un côté la superbia,
de l’autre l’Humilitas.
L’Humilitas divine doit triompher de la superbia
humaine.
Analyse de la notion
de Caritas
La caritas renferme tout un ensemble
d’idées. Pour Augustin, aimer signifie : diriger
son désir, son appétit, vers un objet. Tous les
hommes veulent être heureux, l’amour est comme
l’expression la plus élémentaire de la
vie humaine. Le désir est la marque de toute
créature. Dieu seul est l’être immortel
qui possède la vie en lui-même. Il en est tout
autrement de la vie créée, la vie humaine. Elle
ne possède pas son bonum, il faut
qu’elle le recherche et elle le fait par l’amour,
le désir vers l’acquisition de ce bien. Par
conséquent le désir ne constitue rien de
condamnable ou de mauvais.
La distinction entre la création et le créateur,
Augustin l’identifie à celle qui existe entre le
temps et l’éternité. Le temps se
décompose en trois moments : le passé, le
présent et le futur, mais que sont-ils ? Le futur
n’est pas encore et le passé n’est plus.
Le présent, à l’instant suivant a
cessé d’être. Seul le présent
qui ne peut devenir un passé est, au
sens propre du terme. Un tel présent n’existe pas
dans le temps, il ne peut exister que dans
l’éternité.
L’homme est lié à l’existence
temporelle, il ne possède pas son bonum
en lui-même et doit le chercher en-dehors de
lui-même. Il ne vit pas dans le présent, et
pourtant dans son amour, il n’aspire à rien
d’autre qu’au présent :
1) L’amour cherche son bien.
2) Celui-ci équivaut à ce qui est.
3) Seul le
présent est.
Le temps du Créateur est le présent
éternel.
Caritas et cupiditas
L’amour qui désire n’est ni bon ni
mauvais : désirer est simplement humain, et le
désir exprime que l’homme est une
créature temporelle. L’opposition entre le bien et
le mal apparaît entre un amour bon et un amour mauvais
lorsque l’on pose la question de l’objet de
l’amour. L’amour est bon, lorsque son objet est
bon, c’est-à-dire peut satisfaire
réellement les besoins de l’homme.
L’amour est mauvais quand il tend vers un objet mauvais qui
ne peut satisfaire l’homme, ou ne peut le satisfaire
qu’en apparence. L’amour tend, soit vers les choses
élevées, vers Dieu, soit vers les choses
inférieures, les choses créées.
Augustin établit ainsi la distinction entre la caritas
et la cupiditas. La caritas
est l’amour éprouvé pour Dieu, pour ce
qui est éternel, la cupiditas est
l’amour éprouvé pour le monde, pour ce
qui est temporel. En aimant Dieu, nous devenons semblable à
Dieu, en aimant « le monde » nous
ne devenons qu’une partie du monde.
L’idée selon laquelle l’amour est une
force indifférente au point de vue éthique,
Augustin l’exprime parfois très crûment
: « Qu’est-ce qui
opère le mal en l’homme, si ce n’est
précisément l’amour ? Les
vices, les excès, les forfaits,
l’adultère, n’est-ce pas
l’amour qui les provoque ? Purifie par
conséquent ton amour ; l’eau qui
s’écoule vers le cloaque,
détourne-là vers le jardin. Le désir
si passionné que l’amour avait pour le monde,
qu’il le dirige vers le Créateur du monde. »
Conclusion sur Augustin
L’Amour s’offrit à lui sous la forme de
l’Eros néo-platonicien : nostalgie de
l’Ame qui aspire à retrouver son origine
céleste.
L’Amour s’offrit également à
lui dans le commandement chrétien : d’aimer et
dans l’humilitas du Christ.
Dans sa conception, ces deux courants mêlent leurs eaux.
Bien que l’Eros ait fourni pour l’essentiel le
canevas de la pensée d’Augustin, ce docteur a
introduit dans sa conception de la caritas tant
d’éléments empruntés
à l’Agapè, que la question de la nature
et de la valeur de l’amour chrétien n’a
cessé de se poser dans la suite des temps.
Moyen-Age, Renaissance
et Réforme
Par la suite, la pensée d’Augustin et sa tentative
de synthèse entre l’Eros et
l’Agapè réunies dans la caritas,
aujourd’hui communément appelée la
charité chrétienne, a été
redéfinie, contestée ou magnifiée.
Les néo-platoniciens dès l’origine
furent en conflit avec le Christianisme, et tentèrent de
restaurer l’ancienne religion grecque. Toutefois cette
opposition, ne put à la longue, être maintenue
dans sa forme originelle. Christianisme et néo-platonisme
commencèrent à
s’interpénétrer. Avec le temps, les
limites entre le Christianisme et le néo-platonisme
devinrent mouvantes au point qu’il est souvent
très malaisé de déterminer si les
derniers néo-platoniciens ont adhéré
au Christianisme ou s’ils se sont tenus à
l’écart.
D’autres philosophes, comme Proclus, Denis
l’Aréopagite, Saint Thomas d’Aquin ou
Dante ont apporté leur contribution, mais sans jamais
contredire le concept de la caritas mis en place
par Augustin.
Plus tard, la Renaissance procèdera à la
restauration de l’Eros, et la Réforme restaurera
la notion de l’Agapè, notamment dans les
écrits de Luther.
P\P\ R\
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