Obédience : NC | Loge : NC | 03/2009 |
Du
sacrifice de l'Homme
au Progrès de l'Humanité LE
TRAVAIL que je
vais avoir le plaisir de vous présenter n’est pas
un travail original, mais une
réflexion fondée sur l’œuvre
d’un des grands penseurs du XXe siècle,
René
Girard. Je me suis référé à
plusieurs de ses ouvrages (voir bibliographie), à
des interviews, ainsi qu’à plusieurs commentateurs
de ses livres dans diverses
publications spécialisées. Ce travail a
consisté à réunir les
pièces d’un vaste
puzzle représentant la formidable
épopée de l’humanité qui
commence il y a
environ trois millions d’années. Cette
représentation du monde apparaît comme
l’aboutissement le plus achevé de
l’idéal maçonnique.
«(É) À mesure que l’on
découvre René Girard [et que l’on
progresse dans la compréhension du fonctionnement de
l’humain], on comprend
qu’il nous porte au cœur même des
problèmes de notre époque.»
(Paul-Émile Roy.) I.
LE DESIR ET LA
CRISE MIMETIQUE. Il
faut partir
d’une idée assez simple en somme pour comprendre
la construction de l’homme: il
se construit, entre autres, par imitation des autres. Sur ce point en
effet,
l’homme ne diffère pas du reste du monde animal:
les petits apprennent par
imitation des adultes. L’imitation,
consciente ou non, est à l’origine de ce que
René Girard appelle le désir
mimétique. Il s’agit d’un processus
d’imitation qui a son origine dans le
désir. En bref, lorsque A désire un objet, B va
le désirer également et B est
l’imitateur de A. Autrement dit, ce que l’un veut,
l’autre va le vouloir aussi. Ce
désir mimétique,
c’est-à-dire le désir du
même, si aucune stratégie
d’évitement n’est trouvée,
va dégénérer en une crise
d’affrontement, ce que René Girard appelle la
crise
mimétique, et c’est cette crise qui est
à l’origine de la violence humaine et
nous allons voir pourquoi et comment. Pour
illustrer le
propos et amorcer une réflexion basée sur du
concret, rappelons-nous nos
expériences de parents : nous avons dû
déployer des trésors de patience et
d’ingéniosité pour enrayer nombre de
mini-tragédies lorsque nos enfants
voulaient tous le même jouet en même temps, crise
où interviennent précisément
des rivalités, de la jalousie, toute chose encore
inconsciente chez les jeunes
enfants. Une médiation est alors nécessaire et
les médiateurs sont évidemment
les parents en premier lieu ou de valeureux enseignants
lorsqu’ils ont la
confiance des élèves dont ils ont la charge, ou
tout autre conciliateur imposant
le respect et la confiance pour désamorcer la crise et
éviter la casse. II.
AUX ORIGINES. Les
p remières
communautés, à l’aube de notre
humanité, durent désamorcer, d’une
manière ou
d’une autre, des conflits de toute nature pour maintenir la
cohésion de ces
petites troupes. La source de ces querelles se trouve toujours dans le
désir
mimétique, c’est-à-dire dans le
désir du même: le même outil, le
même morceau
de viande, occuper le même endroit dans l’abri,
etc. C’est le même processus
que chez les jeunes enfants que nous venons
d’évoquer. Plus
tard, au
paléolithique (1), les biens produits, la nourriture en
premier lieu, et les
maigres productions artisanales étaient répartis
de sorte que les besoins de
chacun soient satisfaits au mieux de ce qu’il
était possible de produire. La
chaude fraternité des chasseurs néandertaliens ou
Cro- Magnon (paléolithique
moyen) était garante de la survie du groupe.
D’autre part, et contrairement aux
idées qui ont la vie dure, les divers groupes ne se
trucidaient pas entre eux,
si l’on excepte les échauffourées pour
une proie, pour un coin de chasse ou
encore pour le rapt de fiancées. À
l’appui de cela aucun site archéologique
n’a
laissé de traces de batailles qui attesteraient
d’une volonté d’éliminer
systématiquement une concurrence. Notons qu’il ne
pouvait exister de pression
démographique au paléolithique
supérieur — et encore moins avant. Les
préhistoriens estiment que la population
européenne devait se situer aux
alentours de 250’000 habitants il y a 10’000 ou
12’000 ans. Mais
venons-en à
des périodes plus récentes et voyons
brièvement le mode de fonctionnement des
communautés vieilles de quelques milliers
d’années seulement — je veux parler des
premières communautés agricoles, là
où va se nouer le drame. La
vie des hommes
va se simplifier avec l’invention de l’agriculture
et, paradoxalement, elle va
se complexifier dans le même temps. La vie va se simplifier
parce que l’homme
sédentarisé cultive la terre,
élève des animaux, sélectionne plantes
et bêtes.
Les techniques se développent (outillage, irrigation,
fumure, construction de
lieux de stockage, céramique, etc.), des métiers
spécialisés apparaissent et
les productions augmentent en diversité et en
quantité au point de dégager des
surplus. Le souci d’approvisionnement sera donc moins
obsédant. Ces
communautés, sédentaires maintenant, vont
s’organiser en villages, puis en
bourgs plus importants, en villes et, finalement, en États
(démarrage de
l’Antiquité dans la perspective occidentale
— vers 3000 av. J. -C.). Mais ces
premières sociétés agricoles et
pastorales se sont complexifiées aussi. Ce
qu’il y a de
radicalement nouveau dès ce moment, c’est
l’atomisation des communautés
humaines de type préhistorique dans une structure nouvelle :
la maisonnée,
c’est-à-dire la famille — et non plus le
clan homogène formé de membres
fortement solidaires. Ces familles vont tôt affirmer leur
indépendance les unes
envers les autres. Les surplus produits seront
échangés dans les premières
formes de marchés et cette pratique nouvelle sera
elle-même à l’origine du
souci d’accumulation, car les hommes vont bien vite
comprendre que l’abondance
de biens, la richesse, met la maisonnée à
l’abri des caprices de la nature. Et
toutes les maisonnées vont se préoccuper
activement de leur propre
approvisionnement. C’est
à ce stade de
l’évolution sociale et économique que
vont naître affrontements et jalousies
entre maisonnées membres de la même
communauté. Cela dit sans parler d’une
évolution plus large qui amènera aux
premières formes de régimes
aristocratiques (désir du pouvoir) fondés sur la
propriété foncière et les
inégalités sociales. L’individualisme
est né de ces développements qui fait
alors son irruption dans le champ de la conscience humaine. Dès
lors, tout est
prêt pour que les rivalités mimétiques
basées sur le désir de puissance
éclatent et déploient leurs effets
dévastateurs. Rivalités pour les terres,
pour l’eau d’irrigation, pour des bêtes,
pour des troupeaux, pour une fille,
non plus pour les jeunes femmes indifférenciées
du clan voisin comme réponse
instinctive aux risques de consanguinité, mais pour une
fille de famille dans
le cadre d’une cité, ce qui est maintenant lourd
d’un tout autre sens. III.
MYTHES. Les
crises
mimétiques, ces rivalités ou concurrences
corruptrices vont se faire plus
violentes et il faudra trouver d’autres moyens pour pacifier
ces communautés à
l’aube de la civilisation. Le droit et la justice
n’existent pas encore, chaque
maisonnée élabore son propre code, ses propres
justifications, ses propres
raisons. Le risque est alors grand que la communauté
n’éclate sous les coups
des rivalités et jalousies pour aboutir à sa
décomposition. Ce pourrissement
des rapports sociaux doit trouver un exutoire,
impérativement. Et
c’est là
qu’apparaît un personnage nouveau sur la
scène du monde, un personnage qui va
jouer un rôle d’une immense importance et
jusqu’à nos jours — et çe
n’est pas
fini : le bouc émissaire. Le déferlement des
haines va se fixer sur un membre
de la communauté, mais toujours un membre peu ou mal
assimilé et qui sera rendu
responsable du désordre, c’est-à-dire
qui sera convaincu d’avoir comploté pour
pervertir la communauté. En ces époques, les
sociétés n’avaient pas le recul
nécessaire pour
comprendre les causes et l’origine véritables des
problèmes qu’elles avaient à
affronter. Des questions se posaient: qui avait perverti les
maisonnées pour
qu’elles s’affrontent et menacent la
cohésion sociale ? D’où est venu le
«poison» corrupteur? Qui est le
«corbeau» pour parler un langage romanesque ou
cinématographique moderne ? Tout naturellement, ces
consciences superstitieuses
et frustes vont se tourner vers celui qui présente des
caractéristiques
suspectes au regard de ceux qui cherchent un coupable à
défaut de pouvoir
comprendre. Et ce sera le marginal, le bossu, le boiteux,
l’étranger, la belle
sauvageonne, l’orpheline dont on ne sait rien, la vieille
recluse qui radote,
etc., et l’on invoquera quelque maléfice, le
mauvais œil ou quelque pratique
suspecte. Bref, l’idée de sorcellerie
était née. Par un processus
mystérieux,
lorsque la crise est à son comble, un sursaut salvateur
canalise cette violence
de «tous contre tous» en violence de
«tous contre un» — ou contre un clan
déterminé de coupables. La machinerie victimaire
entre en action avec cette
conviction unanime que la victime désignée est
réellement coupable. Par
exemple, la loi de Lynch est basée sur cet
expédient (voir à ce propos le film
exemplaire de John Ford sur ce thème : «Le sergent
noir») (2). Ce coupable va
donc concentrer sur lui tous les regards vengeurs sans souci de
vérité,
c’est-à-dire sans vérification
élémentaire des faits incriminés. La
communauté
en crise va croire à cette culpabilité, pour elle
évidente, obnubilée par des
croyances ou des signes issus d’imaginaires
limités aux compréhensions du monde
qu’elle pouvait avoir. Ces accusations dénoncent
la faute qu’il faut réparer
par des moyens définitifs. Et c’est ainsi que le
bouc émissaire sera mis à mort
d’une manière ou d’une autre, selon les
époques et les lieux. Les
conséquences de
cet acte vengeur vont être considérables :
après le meurtre, la communauté sera
pacifiée et l’harmonie régnera
à nouveau comme avant le déclenchement de la
crise mimétique. Le mauvais sort a
été conjuré et la
communauté retrouvera sa quiétude en attendant
une nouvelle
crise etÉ un nouveau bouc émissaire —
probablement sans comprendre ce prodige :
le meurtre sacrificiel est source de paix. Si
le bouc est
convaincu d’être à la source du malheur
qui a frappé la cité, sa mort a
ressoudé la communauté. C’est donc que
le bouc a deux attributs : d’une part,
il est destructeur du contrat social et d’autre part il en
est le
reconstructeur grâce à un processus que les
communautés primitives n’étaient
pas en mesure d’expliquer. La paix est revenue, ce qui avait
perverti les
esprits et créé le chaos a disparu par la mort de
l’ennemi désigné. Et c’est
probablement là l’origine du sacré, et
donc l’origine des mythes archaïques par
ce processus paradoxal de la sacralisation de la dualité de
la victime. On
peut donc dire
que le meurtre sacrificiel était un progrès pour
l’humanité et c’est même le
fondement des culture s et des civilisations. Néanmoins, le
sacrifie ne pouvait
(ou ne peut) limiter la violence de la crise mimétique
qu’en sacrifiant des
innocents ce qui est aujourd’hui totalement inacceptable. René
Girard dit
ceci : «La sacralisation fait de la victime le
modèle d’une imitation et d’une
contre-imitation [c’est-à-dire que la victime est
à la fois fautrice de
troubles et rédemptrice]. On demande à la victime
d’aider la communauté à
protéger la réconciliation, à ne pas
retomber dans la crise des rivalités. On
veille donc bien à ne pas imiter cette victime dans tout ce
qu’elle a fait ou a
semblé avoir fait pour susciter la crise [et ces
interdictions correspondent à
l’invention des tabous]. Lorque une crise menace à
nouveau, on recourt aux
grands moyens et on imite ce que la victime a fait pour sauver la
communauté:
elle a accepté de se faire tuer. On va donc choisir une
victime qui lui sera
substituée et qui mourra à sa place, une victime
sacrificielle :
c’est l’invention du rite. En effet, dans le
sacrifice, on refait le mythe.
Pour faire en sorte que le mécanisme du bouc
émissaire fonctionne à nouveau et
qu’il rétablisse une fois de plus
l’unité de la communauté, on prend bien
soin
de copier très exactement dans le rituel la
séquence originelle. On commence
donc par se plonger dans une imitation de la crise des
rivalités (É) pour
arriver à l’immolation de la victime dont on pense
qu’elle va ramener une fois
de plus l’ordre et la paix.» Il
faut rappeler
ici que nos rituels, bien qu’ils aient une autre
finalité, procèdent de la même
manière. Pensons notamment, et entre autres, au rituel de
passage au grade de
maître, scénographie particulièrement
éclairante parmi d’autres, où
l’on rejoue
le meurtre d’ Hiram, le maître architecte du Temple
de Salomon: on recrée
allégoriquement ce moment de crise pour les besoins de
l’enseignement
initiatique. Revenons-en
aux
sociétés et mythes archaïques. Nous
avons tous remarqué que la littérature ou
les films ethnologiques, bons ou mauvais, sur fond
d’aventures en brousse,
mettent en scène des sauvages adorant une
divinité terrifiante, un monstre
capable de détruire la communauté. Le monstre
l’a détruite dans un passé
légendaire, mais il a été vaincu
à son tour. Par ce processus, la bête
dangereuse a refondé cette communauté autour
d’elle et est devenue une idole à
respecter au risque de voir se répéter la
scène originelle. Pour neutraliser le
risque, on rejoue cette scène rituellement. On
retrouve une
démarche similaire dans des films comme
«Independance Day» ou «Mars
attaque»
entre autres. Ce qu’il faut retenir, c’est que le
moyen le plus sûr d’unir les
hommes entre eux est d’avoir à combattre un danger
global. En l’occurrence, les
extraterrestres hostiles ont refondé
l’unité de l’humanité en
même temps que
les hommes ont détruit ceux-là mêmes
qui sont à
l’origine de cette refondation. La chose alimente une
imposante littérature de
science-fiction. Seulement, au-delà du spectacle, il y a
cette vérité non
évidente, mais d’une immense importance : la
destruction est pacificatrice. Des
enseignements
seront tirés des rivalités mimétiques
et ces enseignements obligeront les
hommes à éviter certains comportements
à risques : il s’agit des interdits et
des tabous comme le rapporte la citation de René Girard. Ces
normes seront
autant de zones protégées au
bénéfice de la communauté. Je le cite
une dernière
fois : «Les interdits ont une fonction primordiale : ils
réservent au cœur des
communautés humaines une zone
protégée, un minimum de non-violence absolument
indispensable
aux fonctions essentielles, à la survie des enfants,
à leur éducation, à tout
ce qui fait l’humanité de
l’humain.» Les libertaires de tout crin seraient
bien
inspirés de lire attentivement Girard. Revenons-en
au
processus victimaire. Les acteurs ne sont pas conscients du
mécanisme
d’unanimité collective sur la tête du
coupable désigné. Le
phénomène du bouc
émissaire n’est jamais
révélé en tant que tel, le
phénomène échappe à ses
acteurs, aux accusateurs comme aux bourreaux. Les victimes
n’étaient pas
choisies au hasard, il ne fallait pas que le choix soit le
prétexte à de
nouvelles crises. Par conséquent, elles étaient
choisies parmi les hommes ou
les femmes faisant l’unanimité contre eux, tels
des prisonniers de guerre, des
étrangers bizarres, etc. Puis, en fonction
d’évolutions diverses dans le temps
et les lieux et par souci d’éviter des retours
vengeurs, des animaux ont
incarné des hommes. Annexe
1 : le Bouc
émissaire, Lévitique 16, versets 20-22
(traduction de Louis Segond). L’histoire
de
l’humanité plonge donc ses récits ou
ses mythes fondateurs dans la violence des
rivalités mimétiques. René Girard note
qu’il est souvent question de deux
frères, par exemple Rémus et Romulus. En quelques
mots, selon une variante de
la légende, Romulus tua son frère
Rémus, selon une autre il le contraint à
l’exil et Romulus, auréolé de prestige,
fonda la ville de Rome. On peut prendre
encore l’exemple de Moïse et de Pharaon. Le chaos
extrême dans lequel a été
plongée l’Égypte a sa source dans la
rivalité mimétique entre ces deux hommes
qui, tous deux, voulaient exercer un primat sur le peuple des
Hébreux en
invoquant des raisons ou des visions diamétralement
opposées. Toute
l’histoire du
monde se serait construite sur ce schéma d’une
succession de crises mimétiques
— depuis les conflits légendaires,
jusqu’aux grandes catastrophes planétaires
récentes. Ces tragédies ont un point commun:
elles témoignent de la permanence
des mythes archaïques païens. Le nazisme, par
exemple, a soudé le peuple
allemand humilié dans une ferveur nationaliste
déclenchée par le Diktat de
Versailles. Hitler a su instrumentaliser ce sentiment
d’injustice et les
fauteurs de troubles désignés, convaincus
d’orchestrer un complot mondial, ont
subi les atrocités que l’on sait. Le peuple,
fanatisé et fourvoyé par une
puissante propagande de pure essence païenne, a suivi et ce
fut la Shoah (3).
La Révolution russe a utilisé les mêmes
ressorts. Dans
tous les cas,
ce qu’il faut relever c’est que les victimes sont
toujours livrées à la colère populaire
sans instruction judiciaire, sans recours à une justice
vraie et impartiale. À
cet égard, l’affaire Dreyfus est exemplaire dont,
à part le capitaine Dreyfus
lui-même, une victime expiatoire probable fut
Émile Zola. IV.
PROGRES DE
L’HUMANITE ET MESSAGE DES ÉVANGILES. Nous
allons évoquer
à nouveau quelques événements
bibliques qui vont permettre de comprendre
comment les Écritures ont démoli ces machineries
sacrificielles. Il faut
préciser d’emblée que nous parcourrons
ces quelques épisodes en les analysant
d’un strict point de vue anthropologique,
c’està-dire sous l’angle
d’une
histoire de l’homme. Nous n’aborderons pas le
domaine de la transcendance,
c’est-à-dire le domaine de la foi. René
Girard a
remarqué, ainsi que d’autres philosophes et
théologiens, que les mythes
mettaient souvent en scènes des frères jumeaux et
ce fait véhicule une
symbolique connue que nous n’aborderons pas ici. Citons
néanmoins le
cas de Caïn et Abel. Annexe
2 : Genèse,
4, 8-15 (traduction de Louis Segond). Que
retirer de cet
épisode de la Genèse ? Essentiellement ceci et
c’est fondamental : Dieu punit
le vrai coupable et lui accorde son pardon dans le même
temps. Nous avons là un
renversement total de la machinerie victimaire païenne : au
lieu de se
défausser sur des innocents et de valoriser ainsi la voix et
la loi de
l’accusateur le plus violent, les Écritures
montrent un chemin diamétralement
opposé, celui certes de la punition, mais de la punition du
vrai coupable ainsi
que la voie du pardon — donc de l’amour (au sens
chrétien du terme). Un
autre exemple :
l’histoire de la femme adultère. Annexe
3 :
l’Évangile selon Saint Jean, chap. 8, versets 3-
11 (traduction de Louis
Segond). Nous
accédons ici à
un stade supérieur si l’on peut dire,
là où apparaît
l’originalité absolue et
la grand e supériorité de la loi
d’Israël sur celle des nations païennes :
elle
oblige les délateurs et accusateurs à prouver non
seulement le bien-fondé de
leur réquisitoire, mais également elle les oblige
à s’accuser eux- mêmes
d’abord (parabole de la paille et de la poutre, selon
l’Évangile de Luc, 6, 41).
Là aussi, Jésus indique le chemin de
l’amour, du pardon et de la vérité,
seule
attitude possible pour éviter que ne se perpétue
le cycle infernal de la
violence alimenté des pulsions et passions
mimétiques venge resses. Malgré
cette
révélation éminemment subversive, que
de cataclysmes se sont abattus sur les
hommes, désastres fondés sur les anciens
repères et réflexes archaïques qui
impliquent toujours le retour de la violence. Nous connaissons
l’aphorisme
«celui qui tire l’épée
périra par l’épée». Malgré
ces
enseignements les peuples ont besoin d’exutoires aux haines
inévitables qui se
déchaînent au gré des
événements qui agitent le monde, et cette
réalité n’a pas
échappé au Grand Prêtre Caïfe. Annexe
4:
l’Évangile selon Saint Jean, chap. 11, versets
47-51 (traduction de Louis
Segond). Nous
remarquons ici
aussi les prémices d’une crise de
rivalité mimétique puisque Caïfe va
rechercher des accusateurs de commande. Mais il ira plus loin: il dit
clairement que la nation risque de se disloquer à cause des
représailles que
les Romains vont faire subir au peuple qui soutient et suit le trublion
Jésus.
Et ce peuple, en même temps, commence à avoir
peur. Alors Caïphe désignera
Jésus qui se présente comme source
d’espoir bien sûr, mais également comme
source de leurs maux en défiant les Romains. Le peuple a
besoin de focaliser sa
haine/peur et, par là même, de retrouver son
unité comme nous l’avons
illustré plus haut. Même Pierre sera pris dans
cette machinerie mimétique
infernale puisqu’il reniera Jésus par trois fois. Annexe
5 : le
reniement de Pierre, Évangile selon Saint Marc, chap. 14,
verset 53-72
(traduction de Louis Segond). Caïphe
livrera donc
Jésus à la vindicte populaire. Il acceptera de se
charger de tous les péchés du
monde et de subir la crucifixion alors que ses proches, bien
sûr, savent qu’il
est innocent. De même, d’ailleurs, que Ponce
Pilate. La Passion du Christ nous
transmet désormais ce message: le bouc émissaire
est innocent et le sacrifice
du fils de Dieu lui-même ruine à jamais la
mécanique des mythes archaïques
païens, et donc les cycles de violence du monde. Mais encore
faut-il que le
sens de la tragédie soit compris. Dès
lors, le
message christique délivre toute sa force :
Jésus, coupable désigné, est
sacrifié comme Agneau de Dieu, animal pur et sans tache,
innocent, c’est-à-dire
conçu hors du péché originel.
C’est sur la Croix qu’il a emporté avec
lui tous
les péchés du monde comme le bouc des
Hébreux précipité du haut de la
falaise
d’Azazel dans le Sinaï après
qu’Aaron l’a chargé de toutes les
souillures et
péchés des enfants d’Israël.
Mais la Passion du Christ dépasse le monde
hébraïque et son message s’adresse
dès lors au monde entier. Par l’acceptation
de son sort, et dans les conditions que nous savons, il montre que la
paix ne
peut résulter que de la non-violence, du pardon et de
l’amour. Après le
sacrifice de lui-même, aucun retour de violence
n’est possible de la part de
ceux qui auront compris cet enseignement. Serait-ce
à dire
que le christianisme est supérieur à tout autre
tradition ? Sur le plan
anthropologique, le christianisme est la tradition qui a
définitivement dépassé
les archaïsmes sanglants toujours
à l’œuvre sur terre, et le symbole de la
Croix est là pour affirmer la victoire
de la vérité, du pardon et de l’amour.
Rappelons-nous de Platon: «Les hommes ne
connaîtront la lumière dujour que lorsque les
Princes du temps auront réalisé
la pure et droite philosophie.» Et
notre mission de
francs-maçons est précisément de
travailler à la propagation de cette
connaissance : les boucs émissaires sont innocents et
l’humanité ne pourra se
débarrasser des cultures d’affrontement, de
luttes, de conquêtes,
d’asservissement — ce qu’elles ont
toujours été — en
dénonçant le mensonge et
l’erreur que Jésus, sur la Croix, a
désignés; un monde enfin
débarrassé des
aveuglements millénaires, un monde enfin
éclairé des lumières de la
vérité et
de la justice. V.
LE FRONT DU
PRESENT. Qu’en
est-il
aujourd’hui ? La situation est singulièrement
compliquée. D’un côté, nous
voyons tous les horizons du monde plombés de toutes les
frustrations, de toutes
les injustices perpétrées par les pouvoirs en
place. La situation est explosive
d’autant plus que le viol sans retenue de Ga•a,
notre Terre-mère, prépare des
époques à venir très difficiles et
particulièrement pour les populations
déjà
déshéritées qui seront autant de boucs
émissaires commodes au moment proche des
vraies poussées migratoires liées aux
dérèglements climatiques. Et ces impasses
programmées seront d’autant plus insolubles
qu’on ne négocie pas avec la Nature
— ni avec les gueux qui voudront légitimement et
simplement vivre décemment
après avoir fui leurs régions
dévastées, leurs terres de misère. D’un
autre côté,
aucune autre époque de l’histoire des hommes
n’est aussi consciente de l’innocence
des victimes passées, présentes
et à venir. Il n’est pas un traité, pas
un texte législatif, pas une ONG qui ne
se réfère explicitement ou implicitement aux
Droits de l’homme, ou qui ne
dénonce les comportements et pratiques indignes de
l’homme. Tous
chrétiens
alors ? Oui, tous chrétiens, les croyants bien
sûr, mais aussi les tièdes, les
agnostiques, les «sans avis» comme dans les
sondages, les athées qui, comme le
dit la boutade, se disent incroyants en rajoutant «Dieu merci
!» Toutes les
aspirations des honnêtes gens, des humains normalement
évolués vont vers la
vérité, vers la justice et plus personne ne peut
se satisfaire du jeu archaïque
d’un rituel sacrificateur, ni ne peut croire en une
quelconque vertu salvatrice
de la mise à mort d’un bouc. Et pourtant... Il
ne reste plus
qu’à s’éveiller au message,
mais le réveil est lent et pénible. Je conclurai ces quelques réflexions par une citation dont malheureusement je n’ai plus la référence. Je cite cet auteur en résumant le texte: «(...) La révélation évangélique est inéluctable. Le rôle du christianisme historique [c’est-à-dire au plan anthropologique, comme science de l’homme] se laisse voir par le texte évangélique, comme une histoire qui se dirige infailliblement vers la vérité universelle [dévoilée par le Christ] par les moyens d’une patience infinie. Et pourtant, l’homme aveuglé, essaie de retarder cette révélation pour perpétuer le mensonge du mécanisme victimaire. Tous les avatars de la théorie contemporaine [le matérialisme exacerbé, la soif de pouvoir] ne sont jamais que des chicanes destinées à empêcher la démystification des mythologies ou encore de nouvelles machines à retarder le progrès de la révélation biblique. Autrement dit, le christianisme s’imposera à l’humanité entière quoi que nous fassions pour retarder son avènement et quoi qu’en disent les autres religions. Ou alors une convergence des sagesses est-elle possible ? Mais c’est là un bien épineux problème O\ M\ (1) Paléolithique inférieur: de 3 MioA à 300’000 ans. Paléolithique moyen: de 300’000 ans à 30’000 ans. Paléolithique supérieur: de 30’000 ans à 10’000 ans (fin de la dernière grande glaciation dite de «Würm», début d’une phase interglaciaire dans laquelle nous nous trouvons).(2) Voir aussi un autre film exemplaire: «Dupont Lajoie» d’Yves Boisset. La «mécanique» girardienne dans sa plus pure expression au quotidien. (3) Voir l’histoire des «Illuminati de Bavière» et «Les Protocoles des sages de Sion», origine de la fable du complot judéo-maçonnique qui a grandement inspiré Hitler. |
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