Obédience : NC Loge : NC 03/2009

Du sacrifice de l'Homme
au Progrès de l'Humanité

LE TRAVAIL que je vais avoir le plaisir de vous présenter n’est pas un travail original, mais une réflexion fondée sur l’œuvre d’un des grands penseurs du XXe siècle, René Girard. Je me suis référé à plusieurs de ses ouvrages (voir bibliographie), à des interviews, ainsi qu’à plusieurs commentateurs de ses livres dans diverses publications spécialisées. Ce travail a consisté à réunir les pièces d’un vaste puzzle représentant la formidable épopée de l’humanité qui commence il y a environ trois millions d’années.

Cette représentation du monde apparaît comme l’aboutissement le plus achevé de l’idéal maçonnique. «(É) À mesure que l’on découvre René Girard [et que l’on progresse dans la compréhension du fonctionnement de l’humain], on comprend qu’il nous porte au cœur même des problèmes de notre époque.» (Paul-Émile Roy.)

I. LE DESIR ET LA CRISE MIMETIQUE.

Il faut partir d’une idée assez simple en somme pour comprendre la construction de l’homme: il se construit, entre autres, par imitation des autres. Sur ce point en effet, l’homme ne diffère pas du reste du monde animal: les petits apprennent par imitation des adultes.

L’imitation, consciente ou non, est à l’origine de ce que René Girard appelle le désir mimétique. Il s’agit d’un processus d’imitation qui a son origine dans le désir. En bref, lorsque A désire un objet, B va le désirer également et B est l’imitateur de A. Autrement dit, ce que l’un veut, l’autre va le vouloir aussi.

Ce désir mimétique, c’est-à-dire le désir du même, si aucune stratégie d’évitement n’est trouvée, va dégénérer en une crise d’affrontement, ce que René Girard appelle la crise mimétique, et c’est cette crise qui est à l’origine de la violence humaine et nous allons voir pourquoi et comment.

Pour illustrer le propos et amorcer une réflexion basée sur du concret, rappelons-nous nos expériences de parents : nous avons dû déployer des trésors de patience et d’ingéniosité pour enrayer nombre de mini-tragédies lorsque nos enfants voulaient tous le même jouet en même temps, crise où interviennent précisément des rivalités, de la jalousie, toute chose encore inconsciente chez les jeunes enfants. Une médiation est alors nécessaire et les médiateurs sont évidemment les parents en premier lieu ou de valeureux enseignants lorsqu’ils ont la confiance des élèves dont ils ont la charge, ou tout autre conciliateur imposant le respect et la confiance pour désamorcer la crise et éviter la casse.

II. AUX ORIGINES.

Les p remières communautés, à l’aube de notre humanité, durent désamorcer, d’une manière ou d’une autre, des conflits de toute nature pour maintenir la cohésion de ces petites troupes. La source de ces querelles se trouve toujours dans le désir mimétique, c’est-à-dire dans le désir du même: le même outil, le même morceau de viande, occuper le même endroit dans l’abri, etc. C’est le même processus que chez les jeunes enfants que nous venons d’évoquer.

Plus tard, au paléolithique (1), les biens produits, la nourriture en premier lieu, et les maigres productions artisanales étaient répartis de sorte que les besoins de chacun soient satisfaits au mieux de ce qu’il était possible de produire. La chaude fraternité des chasseurs néandertaliens ou Cro- Magnon (paléolithique moyen) était garante de la survie du groupe. D’autre part, et contrairement aux idées qui ont la vie dure, les divers groupes ne se trucidaient pas entre eux, si l’on excepte les échauffourées pour une proie, pour un coin de chasse ou encore pour le rapt de fiancées. À l’appui de cela aucun site archéologique n’a laissé de traces de batailles qui attesteraient d’une volonté d’éliminer systématiquement une concurrence. Notons qu’il ne pouvait exister de pression démographique au paléolithique supérieur — et encore moins avant. Les préhistoriens estiment que la population européenne devait se situer aux alentours de 250’000 habitants il y a 10’000 ou 12’000 ans.

Mais venons-en à des périodes plus récentes et voyons brièvement le mode de fonctionnement des communautés vieilles de quelques milliers d’années seulement — je veux parler des premières communautés agricoles, là où va se nouer le drame.

La vie des hommes va se simplifier avec l’invention de l’agriculture et, paradoxalement, elle va se complexifier dans le même temps. La vie va se simplifier parce que l’homme sédentarisé cultive la terre, élève des animaux, sélectionne plantes et bêtes. Les techniques se développent (outillage, irrigation, fumure, construction de lieux de stockage, céramique, etc.), des métiers spécialisés apparaissent et les productions augmentent en diversité et en quantité au point de dégager des surplus. Le souci d’approvisionnement sera donc moins obsédant. Ces communautés, sédentaires maintenant, vont s’organiser en villages, puis en bourgs plus importants, en villes et, finalement, en États (démarrage de l’Antiquité dans la perspective occidentale — vers 3000 av. J. -C.). Mais ces premières sociétés agricoles et pastorales se sont complexifiées aussi.

Ce qu’il y a de radicalement nouveau dès ce moment, c’est l’atomisation des communautés humaines de type préhistorique dans une structure nouvelle : la maisonnée, c’est-à-dire la famille — et non plus le clan homogène formé de membres fortement solidaires. Ces familles vont tôt affirmer leur indépendance les unes envers les autres. Les surplus produits seront échangés dans les premières formes de marchés et cette pratique nouvelle sera elle-même à l’origine du souci d’accumulation, car les hommes vont bien vite comprendre que l’abondance de biens, la richesse, met la maisonnée à l’abri des caprices de la nature. Et toutes les maisonnées vont se préoccuper activement de leur propre approvisionnement.

C’est à ce stade de l’évolution sociale et économique que vont naître affrontements et jalousies entre maisonnées membres de la même communauté. Cela dit sans parler d’une évolution plus large qui amènera aux premières formes de régimes aristocratiques (désir du pouvoir) fondés sur la propriété foncière et les inégalités sociales. L’individualisme est né de ces développements qui fait alors son irruption dans le champ de la conscience humaine.

Dès lors, tout est prêt pour que les rivalités mimétiques basées sur le désir de puissance éclatent et déploient leurs effets dévastateurs. Rivalités pour les terres, pour l’eau d’irrigation, pour des bêtes, pour des troupeaux, pour une fille, non plus pour les jeunes femmes indifférenciées du clan voisin comme réponse instinctive aux risques de consanguinité, mais pour une fille de famille dans le cadre d’une cité, ce qui est maintenant lourd d’un tout autre sens.

III. MYTHES.

Les crises mimétiques, ces rivalités ou concurrences corruptrices vont se faire plus violentes et il faudra trouver d’autres moyens pour pacifier ces communautés à l’aube de la civilisation. Le droit et la justice n’existent pas encore, chaque maisonnée élabore son propre code, ses propres justifications, ses propres raisons. Le risque est alors grand que la communauté n’éclate sous les coups des rivalités et jalousies pour aboutir à sa décomposition. Ce pourrissement des rapports sociaux doit trouver un exutoire, impérativement.

Et c’est là qu’apparaît un personnage nouveau sur la scène du monde, un personnage qui va jouer un rôle d’une immense importance et jusqu’à nos jours — et çe n’est pas fini : le bouc émissaire. Le déferlement des haines va se fixer sur un membre de la communauté, mais toujours un membre peu ou mal assimilé et qui sera rendu responsable du désordre, c’est-à-dire qui sera convaincu d’avoir comploté pour pervertir la communauté. En ces époques, les sociétés n’avaient pas le recul nécessaire pour comprendre les causes et l’origine véritables des problèmes qu’elles avaient à affronter. Des questions se posaient: qui avait perverti les maisonnées pour qu’elles s’affrontent et menacent la cohésion sociale ? D’où est venu le «poison» corrupteur? Qui est le «corbeau» pour parler un langage romanesque ou cinématographique moderne ? Tout naturellement, ces consciences superstitieuses et frustes vont se tourner vers celui qui présente des caractéristiques suspectes au regard de ceux qui cherchent un coupable à défaut de pouvoir comprendre. Et ce sera le marginal, le bossu, le boiteux, l’étranger, la belle sauvageonne, l’orpheline dont on ne sait rien, la vieille recluse qui radote, etc., et l’on invoquera quelque maléfice, le mauvais œil ou quelque pratique suspecte. Bref, l’idée de sorcellerie était née. Par un processus mystérieux, lorsque la crise est à son comble, un sursaut salvateur canalise cette violence de «tous contre tous» en violence de «tous contre un» — ou contre un clan déterminé de coupables. La machinerie victimaire entre en action avec cette conviction unanime que la victime désignée est réellement coupable. Par exemple, la loi de Lynch est basée sur cet expédient (voir à ce propos le film exemplaire de John Ford sur ce thème : «Le sergent noir») (2). Ce coupable va donc concentrer sur lui tous les regards vengeurs sans souci de vérité, c’est-à-dire sans vérification élémentaire des faits incriminés. La communauté en crise va croire à cette culpabilité, pour elle évidente, obnubilée par des croyances ou des signes issus d’imaginaires limités aux compréhensions du monde qu’elle pouvait avoir. Ces accusations dénoncent la faute qu’il faut réparer par des moyens définitifs. Et c’est ainsi que le bouc émissaire sera mis à mort d’une manière ou d’une autre, selon les époques et les lieux.

Les conséquences de cet acte vengeur vont être considérables : après le meurtre, la communauté sera pacifiée et l’harmonie régnera à nouveau comme avant le déclenchement de la crise mimétique. Le mauvais sort a été conjuré et la communauté retrouvera sa quiétude en attendant une nouvelle crise etÉ un nouveau bouc émissaire — probablement sans comprendre ce prodige : le meurtre sacrificiel est source de paix.

Si le bouc est convaincu d’être à la source du malheur qui a frappé la cité, sa mort a ressoudé la communauté. C’est donc que le bouc a deux attributs : d’une part, il est destructeur du contrat social et d’autre part il en est le reconstructeur grâce à un processus que les communautés primitives n’étaient pas en mesure d’expliquer. La paix est revenue, ce qui avait perverti les esprits et créé le chaos a disparu par la mort de l’ennemi désigné. Et c’est probablement là l’origine du sacré, et donc l’origine des mythes archaïques par ce processus paradoxal de la sacralisation de la dualité de la victime.

On peut donc dire que le meurtre sacrificiel était un progrès pour l’humanité et c’est même le fondement des culture s et des civilisations. Néanmoins, le sacrifie ne pouvait (ou ne peut) limiter la violence de la crise mimétique qu’en sacrifiant des innocents ce qui est aujourd’hui totalement inacceptable.

René Girard dit ceci : «La sacralisation fait de la victime le modèle d’une imitation et d’une contre-imitation [c’est-à-dire que la victime est à la fois fautrice de troubles et rédemptrice]. On demande à la victime d’aider la communauté à protéger la réconciliation, à ne pas retomber dans la crise des rivalités. On veille donc bien à ne pas imiter cette victime dans tout ce qu’elle a fait ou a semblé avoir fait pour susciter la crise [et ces interdictions correspondent à l’invention des tabous]. Lorque une crise menace à nouveau, on recourt aux grands moyens et on imite ce que la victime a fait pour sauver la communauté: elle a accepté de se faire tuer. On va donc choisir une victime qui lui sera substituée et qui mourra à sa place, une victime sacrificielle : c’est l’invention du rite. En effet, dans le sacrifice, on refait le mythe. Pour faire en sorte que le mécanisme du bouc émissaire fonctionne à nouveau et qu’il rétablisse une fois de plus l’unité de la communauté, on prend bien soin de copier très exactement dans le rituel la séquence originelle. On commence donc par se plonger dans une imitation de la crise des rivalités (É) pour arriver à l’immolation de la victime dont on pense qu’elle va ramener une fois de plus l’ordre et la paix.»

Il faut rappeler ici que nos rituels, bien qu’ils aient une autre finalité, procèdent de la même manière. Pensons notamment, et entre autres, au rituel de passage au grade de maître, scénographie particulièrement éclairante parmi d’autres, où l’on rejoue le meurtre d’ Hiram, le maître architecte du Temple de Salomon: on recrée allégoriquement ce moment de crise pour les besoins de l’enseignement initiatique.

Revenons-en aux sociétés et mythes archaïques. Nous avons tous remarqué que la littérature ou les films ethnologiques, bons ou mauvais, sur fond d’aventures en brousse, mettent en scène des sauvages adorant une divinité terrifiante, un monstre capable de détruire la communauté. Le monstre l’a détruite dans un passé légendaire, mais il a été vaincu à son tour. Par ce processus, la bête dangereuse a refondé cette communauté autour d’elle et est devenue une idole à respecter au risque de voir se répéter la scène originelle. Pour neutraliser le risque, on rejoue cette scène rituellement.

On retrouve une démarche similaire dans des films comme «Independance Day» ou «Mars attaque» entre autres. Ce qu’il faut retenir, c’est que le moyen le plus sûr d’unir les hommes entre eux est d’avoir à combattre un danger global. En l’occurrence, les extraterrestres hostiles ont refondé l’unité de l’humanité en même temps que les hommes ont détruit ceux-là

mêmes qui sont à l’origine de cette refondation. La chose alimente une imposante littérature de science-fiction. Seulement, au-delà du spectacle, il y a cette vérité non évidente, mais d’une immense importance : la destruction est pacificatrice.

Des enseignements seront tirés des rivalités mimétiques et ces enseignements obligeront les hommes à éviter certains comportements à risques : il s’agit des interdits et des tabous comme le rapporte la citation de René Girard. Ces normes seront autant de zones protégées au bénéfice de la communauté. Je le cite une dernière fois : «Les interdits ont une fonction primordiale : ils réservent au cœur des communautés humaines une zone protégée, un minimum de non-violence absolument indispensable aux fonctions essentielles, à la survie des enfants, à leur éducation, à tout ce qui fait l’humanité de l’humain.» Les libertaires de tout crin seraient bien inspirés de lire attentivement Girard.

Revenons-en au processus victimaire. Les acteurs ne sont pas conscients du mécanisme d’unanimité collective sur la tête du coupable désigné. Le phénomène du bouc émissaire n’est jamais révélé en tant que tel, le phénomène échappe à ses acteurs, aux accusateurs comme aux bourreaux. Les victimes n’étaient pas choisies au hasard, il ne fallait pas que le choix soit le prétexte à de nouvelles crises. Par conséquent, elles étaient choisies parmi les hommes ou les femmes faisant l’unanimité contre eux, tels des prisonniers de guerre, des étrangers bizarres, etc. Puis, en fonction d’évolutions diverses dans le temps et les lieux et par souci d’éviter des retours vengeurs, des animaux ont incarné des hommes.

Annexe 1 : le Bouc émissaire, Lévitique 16, versets 20-22 (traduction de Louis Segond).

L’histoire de l’humanité plonge donc ses récits ou ses mythes fondateurs dans la violence des rivalités mimétiques. René Girard note qu’il est souvent question de deux frères, par exemple Rémus et Romulus. En quelques mots, selon une variante de la légende, Romulus tua son frère Rémus, selon une autre il le contraint à l’exil et Romulus, auréolé de prestige, fonda la ville de Rome. On peut prendre encore l’exemple de Moïse et de Pharaon. Le chaos extrême dans lequel a été plongée l’Égypte a sa source dans la rivalité mimétique entre ces deux hommes qui, tous deux, voulaient exercer un primat sur le peuple des Hébreux en invoquant des raisons ou des visions diamétralement opposées.

Toute l’histoire du monde se serait construite sur ce schéma d’une succession de crises mimétiques — depuis les conflits légendaires, jusqu’aux grandes catastrophes planétaires récentes. Ces tragédies ont un point commun: elles témoignent de la permanence des mythes archaïques païens. Le nazisme, par exemple, a soudé le peuple allemand humilié dans une ferveur nationaliste déclenchée par le Diktat de Versailles. Hitler a su instrumentaliser ce sentiment d’injustice et les fauteurs de troubles désignés, convaincus d’orchestrer un complot mondial, ont subi les atrocités que l’on sait. Le peuple, fanatisé et fourvoyé par une puissante propagande de pure essence païenne, a suivi et ce fut la Shoah (3). La Révolution russe a utilisé les mêmes ressorts.

Dans tous les cas, ce qu’il faut relever c’est que les victimes sont toujours livrées à la colère populaire sans instruction judiciaire, sans recours à une justice vraie et impartiale. À cet égard, l’affaire Dreyfus est exemplaire dont, à part le capitaine Dreyfus lui-même, une victime expiatoire probable fut Émile Zola.

IV. PROGRES DE L’HUMANITE ET MESSAGE DES ÉVANGILES.

Nous allons évoquer à nouveau quelques événements bibliques qui vont permettre de comprendre comment les Écritures ont démoli ces machineries sacrificielles. Il faut préciser d’emblée que nous parcourrons ces quelques épisodes en les analysant d’un strict point de vue anthropologique, c’est­à-dire sous l’angle d’une histoire de l’homme. Nous n’aborderons pas le domaine de la transcendance, c’est-à-dire le domaine de la foi.

René Girard a remarqué, ainsi que d’autres philosophes et théologiens, que les mythes mettaient souvent en scènes des frères jumeaux et ce fait véhicule une symbolique connue que nous n’aborderons pas ici.

Citons néanmoins le cas de Caïn et Abel.

Annexe 2 : Genèse, 4, 8-15 (traduction de Louis Segond).

Que retirer de cet épisode de la Genèse ? Essentiellement ceci et c’est fondamental : Dieu punit le vrai coupable et lui accorde son pardon dans le même temps. Nous avons là un renversement total de la machinerie victimaire païenne : au lieu de se défausser sur des innocents et de valoriser ainsi la voix et la loi de l’accusateur le plus violent, les Écritures montrent un chemin diamétralement opposé, celui certes de la punition, mais de la punition du vrai coupable ainsi que la voie du pardon — donc de l’amour (au sens chrétien du terme).

Un autre exemple : l’histoire de la femme adultère.

Annexe 3 : l’Évangile selon Saint Jean, chap. 8, versets 3- 11 (traduction de Louis Segond).

Nous accédons ici à un stade supérieur si l’on peut dire, là où apparaît l’originalité absolue et la grand e supériorité de la loi d’Israël sur celle des nations païennes : elle oblige les délateurs et accusateurs à prouver non seulement le bien-fondé de leur réquisitoire, mais également elle les oblige à s’accuser eux- mêmes d’abord (parabole de la paille et de la poutre, selon l’Évangile de Luc, 6, 41). Là aussi, Jésus indique le chemin de l’amour, du pardon et de la vérité, seule attitude possible pour éviter que ne se perpétue le cycle infernal de la violence alimenté des pulsions et passions mimétiques venge resses.

Malgré cette révélation éminemment subversive, que de cataclysmes se sont abattus sur les hommes, désastres fondés sur les anciens repères et réflexes archaïques qui impliquent toujours le retour de la violence. Nous connaissons l’aphorisme «celui qui tire l’épée périra par l’épée».

Malgré ces enseignements les peuples ont besoin d’exutoires aux haines inévitables qui se déchaînent au gré des événements qui agitent le monde, et cette réalité n’a pas échappé au Grand Prêtre Caïfe.

Annexe 4: l’Évangile selon Saint Jean, chap. 11, versets 47-51 (traduction de Louis Segond).

Nous remarquons ici aussi les prémices d’une crise de rivalité mimétique puisque Caïfe va rechercher des accusateurs de commande. Mais il ira plus loin: il dit clairement que la nation risque de se disloquer à cause des représailles que les Romains vont faire subir au peuple qui soutient et suit le trublion Jésus. Et ce peuple, en même temps, commence à avoir peur. Alors Caïphe désignera Jésus qui se présente comme source d’espoir bien sûr, mais également comme source de leurs maux en défiant les Romains. Le peuple a besoin de focaliser sa haine/peur et, par là même, de retrouver son unité comme nous l’avons illustré plus haut. Même Pierre sera pris dans cette machinerie mimétique infernale puisqu’il reniera Jésus par trois fois.

Annexe 5 : le reniement de Pierre, Évangile selon Saint Marc, chap. 14, verset 53-72 (traduction de Louis Segond).

Caïphe livrera donc Jésus à la vindicte populaire. Il acceptera de se charger de tous les péchés du monde et de subir la crucifixion alors que ses proches, bien sûr, savent qu’il est innocent. De même, d’ailleurs, que Ponce Pilate. La Passion du Christ nous transmet désormais ce message: le bouc émissaire est innocent et le sacrifice du fils de Dieu lui-même ruine à jamais la mécanique des mythes archaïques païens, et donc les cycles de violence du monde. Mais encore faut-il que le sens de la tragédie soit compris.

Dès lors, le message christique délivre toute sa force : Jésus, coupable désigné, est sacrifié comme Agneau de Dieu, animal pur et sans tache, innocent, c’est-à-dire conçu hors du péché originel. C’est sur la Croix qu’il a emporté avec lui tous les péchés du monde comme le bouc des Hébreux précipité du haut de la falaise d’Azazel dans le Sinaï après qu’Aaron l’a chargé de toutes les souillures et péchés des enfants d’Israël. Mais la Passion du Christ dépasse le monde hébraïque et son message s’adresse dès lors au monde entier. Par l’acceptation de son sort, et dans les conditions que nous savons, il montre que la paix ne peut résulter que de la non-violence, du pardon et de l’amour. Après le sacrifice de lui-même, aucun retour de violence n’est possible de la part de ceux qui auront compris cet enseignement.

Serait-ce à dire que le christianisme est supérieur à tout autre tradition ? Sur le plan anthropologique, le christianisme est la tradition qui a définitivement dépassé les archaïsmes sanglants toujours à l’œuvre sur terre, et le symbole de la Croix est là pour affirmer la victoire de la vérité, du pardon et de l’amour. Rappelons-nous de Platon: «Les hommes ne connaîtront la lumière dujour que lorsque les Princes du temps auront réalisé la pure et droite philosophie.»

Et notre mission de francs-maçons est précisément de travailler à la propagation de cette connaissance : les boucs émissaires sont innocents et l’humanité ne pourra se débarrasser des cultures d’affrontement, de luttes, de conquêtes, d’asservissement — ce qu’elles ont toujours été — en dénonçant le mensonge et l’erreur que Jésus, sur la Croix, a désignés; un monde enfin débarrassé des aveuglements millénaires, un monde enfin éclairé des lumières de la vérité et de la justice.

V. LE FRONT DU PRESENT.

Qu’en est-il aujourd’hui ? La situation est singulièrement compliquée. D’un côté, nous voyons tous les horizons du monde plombés de toutes les frustrations, de toutes les injustices perpétrées par les pouvoirs en place. La situation est explosive d’autant plus que le viol sans retenue de Ga•a, notre Terre-mère, prépare des époques à venir très difficiles et particulièrement pour les populations déjà déshéritées qui seront autant de boucs émissaires commodes au moment proche des vraies poussées migratoires liées aux dérèglements climatiques. Et ces impasses programmées seront d’autant plus insolubles qu’on ne négocie pas avec la Nature — ni avec les gueux qui voudront légitimement et simplement vivre décemment après avoir fui leurs régions dévastées, leurs terres de misère.

D’un autre côté, aucune autre époque de l’histoire des hommes n’est aussi consciente de l’innocence des victimes passées, présentes et à venir. Il n’est pas un traité, pas un texte législatif, pas une ONG qui ne se réfère explicitement ou implicitement aux Droits de l’homme, ou qui ne dénonce les comportements et pratiques indignes de l’homme.

Tous chrétiens alors ? Oui, tous chrétiens, les croyants bien sûr, mais aussi les tièdes, les agnostiques, les «sans avis» comme dans les sondages, les athées qui, comme le dit la boutade, se disent incroyants en rajoutant «Dieu merci !» Toutes les aspirations des honnêtes gens, des humains normalement évolués vont vers la vérité, vers la justice et plus personne ne peut se satisfaire du jeu archaïque d’un rituel sacrificateur, ni ne peut croire en une quelconque vertu salvatrice de la mise à mort d’un bouc. Et pourtant...

Il ne reste plus qu’à s’éveiller au message, mais le réveil est lent et pénible.

Je conclurai ces quelques réflexions par une citation dont malheureusement je n’ai plus la référence. Je cite cet auteur en résumant le texte: «(...) La révélation évangélique est inéluctable. Le rôle du christianisme historique [c’est-à-dire au plan anthropologique, comme science de l’homme] se laisse voir par le texte évangélique, comme une histoire qui se dirige infailliblement vers la vérité universelle [dévoilée par le Christ] par les moyens d’une patience infinie. Et pourtant, l’homme aveuglé, essaie de retarder cette révélation pour perpétuer le mensonge du mécanisme victimaire. Tous les avatars de la théorie contemporaine [le matérialisme exacerbé, la soif de pouvoir] ne sont jamais que des chicanes destinées à empêcher la démystification des mythologies ou encore de nouvelles machines à retarder le progrès de la révélation biblique. Autrement dit, le christianisme s’imposera à l’humanité entière quoi que nous fassions pour retarder son avènement et quoi qu’en disent les autres religions. Ou alors une convergence des sagesses est-elle possible ? Mais c’est là un bien épineux problème

O\ M\

(1) Paléolithique inférieur: de 3 MioA à 300’000 ans. Paléolithique moyen: de 300’000 ans à 30’000 ans. Paléolithique supérieur: de 30’000 ans à 10’000 ans (fin de la dernière grande glaciation dite de «Würm», début d’une phase interglaciaire dans laquelle nous nous trouvons).
(2) Voir aussi un autre film exemplaire: «Dupont Lajoie» d’Yves Boisset. La «mécanique» girardienne dans sa plus pure expression au quotidien.
(3) Voir l’histoire des «Illuminati de Bavière» et «Les Protocoles des sages de Sion», origine de la fable du complot judéo-maçonnique qui a grandement inspiré Hitler.

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