GLMF | Loge : Arts et Progrès - Orient de Six Fours Les Plages | Date : NC |
Le
Mythe de Prométhée
Nous avons déjà beaucoup travaillé ce soir. Alors détendez-vous ; nous sommes assis près du temple de Delphes, sous des oliviers centenaires, un soir d’été. La légende de Prométhée, transmise oralement pendant des siècles dans les théâtres de la Grèce Antique, apparaît pour la première fois, au 7ème siècle avant J.C., dans une pièce du Grec Hésiode intitulée « La Théogonie ». C’est le récit le plus complet de l’origine du monde et de la naissance des premiers dieux, selon la mythologie grecque. Du chaos initial étaient nés Ouranos, « Le Ciel », et Gaïa, « La Terre », qui donnèrent naissance à douze Titans. Longtemps maîtres suprêmes de l’Univers, les Titans étaient d’une taille énorme et d’une force remarquable. Chronos, le plus important des Titans, régna sur l’Univers jusqu’à ce qu’il soit détrôné par son fils Zeus. Parmi les autres Titans se trouvaient : Océan, le fleuve qui entourait la Terre ; Atlas, qui portait le monde sur ses épaules, et Japhet, le père de Prométhée. En ce temps de l’Age d’Or, Prométhée crée l’humanité en animant des créatures d’argile, les autochtones, c’est-à-dire littéralement les humains nés spontanément ( du grec Autos) de la terre ( du grec Chton). « Autrefois, écrit Hésiode, l’humanité vivait sur la Terre à l’écart et à l’abri des souffrances, de la lourde fatigue, et des maladies pleines de douleurs, qui conduisent les hommes au trépas ». Dans cet Age d’Or, l’humanité rend hommage aux Dieux par des sacrifices. Une partie des animaux sacrifiés est offerte à Zeus, l’autre partie revient aux hommes. De ce partage naît querelle, et dans le règlement du conflit, Prométhée va prendre le parti de la race humaine. D’un boeuf de grande taille qu’il doit partager, il fait deux lots : d’un coté, les bons morceaux, dissimulés dans la peau de l’animal, et de l’autre, les os , nettoyés de toute chair, mais recouverts d’une graisse blanche qui les rend appétissants. Confiant mais berné, Zeus prive les humains de feu en supprimant la foudre. Intervient alors la deuxième grande ruse du Titan, dont le nom signifie « Celui qui pense avant, le Prévoyant », celle qui va l’inscrire à jamais dans la culture occidentale. Prométhée trompe la vigilance de Zeus, lui dérobe le feu et en fait don aux hommes, en le dissimulant au creux d’un narthex, sorte de fenouil géant. « Lorsqu’il voit briller sur terre, parmi les hommes, l’éclatante lueur du feu, nous dit Hésiode, la colère s’empare du cœur de Zeus, blessé en son âme » Prométhée est alors enchaîné à une colonne érigée dans une région désertique. Un aigle dévore, chaque jour durant, son foie immortel, qui se reconstitue durant la nuit. Pour punir les hommes, Zeus leur envoie un mal délicieux, la première de toutes les femmes, Pandora, dont le nom signifie » don de tous », ainsi nommée parce que tous les habitants de l’Olympe participèrent à l’élaboration de ce cadeau. C’est le frère de Prométhée, Epiméthée, dont le nom signifie « celui qui comprend après coup », le benêt de la famille en quelque sorte, que Zeus charge de livrer le funeste cadeau. Parmi les bagages de Pandora se trouve une jarre qu’elle ne doit jamais ouvrir. Mais la curiosité l’emporte, et, quand elle soulève le couvercle, se répandent sur la terre d’innombrables maladies du corps et dérangements de l’esprit. Seule l’espérance, unique bienfait au milieu de tous les maux, resta dans la jarre pour réconforter l’humanité. Voici résumée, mes frères, l’histoire compliquée de Prométhée, exposée par Hésiode, telle qu’elle faisait les délices des Grecs, lors de représentations théâtrales à Athènes, Delphes ou Epidaure. Après Hésiode, c’est Eschyle qui reprend le mythe de Prométhée, au 5ème siècle avant J.C. dans une pièce intitulée « Prométhée enchaîné ». Eschyle introduit une fin heureuse au sort de Prométhée, pris en pitié par Hercule, qui tue l’aigle et délivre le condamné. La logique tragique de l’affrontement de deux puissances autour de la question du droit conduit Eschyle à étoffer le personnage. Prométhée fait don aux êtres humains de toutes les sciences et de tous les arts : menuiserie, astronomie, science du nombre, du cheval, de la navigation, de la pharmacologie. Interrogé sur les motifs de son supplice, Prométhée évoque son opposition au désir de Zeus d’anéantir la race des mortels afin d’en créer une nouvelle. » A ce projet, dit Eschyle, par la voix de Prométhée, nul ne s’opposait, - que moi - ! J’ai délivré les hommes de l’obsession de la mort. J’ai installé en eux les aveugles espoirs ». Grâce à Platon, Prométhée fait une troisième fois son entrée en Grèce, dans un dialogue philosophique intitulé » Protagoras ». Pour Platon, Epiméthée a été chargé par les Dieux de créer toutes les espèces vivantes sur la terre, de façon à empêcher qu’aucune espèce ne soit en mesure d’en éliminer une autre. Mais, ayant réparti parmi les animaux toutes les capacités dont il disposait, il laisse l’espèce humaine complètement démunie. Pour la sauver de la destruction, Prométhée lui donne, après les avoir dérobé aux Dieux, le feu et le savoir des techniques. Mais ces acquis sont insuffisants sans une organisation politique. La question soulevée par Socrate n’est plus celle de l’origine du malheur parmi les hommes, comme pour Hésiode, ni celle de l’accord entre l’ordre institué par la Cité Athénienne et l’ordre des Dieux, comme pour Eschyle, mais celle déjà très moderne de la démocratie, de l’idéal politique de la citoyenneté, et de ses implications éducatives. Chez les Romains, Aristophane, Horace et Ovide traitent du mythe de Prométhée en accréditant définitivement la version du récit selon laquelle Prométhée a façonné l’homme avec de l’argile et de l’eau. Durant le Moyen-Age, Prométhée apparaît comme un dangereux rival du dieu chrétien, ce qui résume une phrase de Saint-Augustin : « Le Dieu Unique, qui a fondé toute chose, qui a bâti l’homme à partir de la terre, celui-ci est le vrai Prométhée ». Les poètes et les artistes de la Renaissance dressent la statue d’un Prométhée artiste créateur, et c’est avec la philosophie des Lumières qu’apparaît le Prométhée moderne, comme figure emblématique de la révolte des philosophes et des artistes contre les autorités théologiques et politiques. Prométhée, sous diverses versions en Europe, apparaît comme le créateur d’une humanité nouvelle, l’insurgé vaincu et torturé par un Dieu auquel il arrache la reconnaissance d’une liberté toute neuve. Voltaire, Goethe, Victor Hugo, le poète anglais Shelley déclineront chacun à leur manière les vertus de Prométhée, libérateur de l’humanité contre les tyrannies. Enfin, plus proches de nous, Auguste Comte, Nietzsche, Marx, Gaston Bachelard, André Gide et Albert Camus ont contribué à l’établissement du mythe moderne de Prométhée. Albert Camus, dans » l’Homme Révolté » publié en 1951, considère Prométhée comme le plus grand mythe de l’intelligence révoltée, comme le premier humaniste qui aima assez les hommes pour leur donner en même temps le feu et la liberté, les techniques et les arts, pensant que l’on pouvait libérer en même temps les corps et les âmes. Le Prométhée moderne est donc considéré comme l’exemple du rebelle aux pouvoirs tyranniques. La notion de rébellion face aux pouvoirs théologiques, caractérisée par la phrase de Marx : « En un mot, j’ai de la haine pour tous les dieux », me semble un peu obsolète vis-à-vis du christianisme dans sa forme actuelle. Ayant réduit progressivement, par conviction ou par obligation, ses prétentions temporelles, le christianisme semble de plus en plus s’accommoder de son rôle philosophico-religieux de transmetteur de valeurs morales et de recours individuel devant l’inéluctabilité de la mort terrestre. L’article 1er des Constitutions d’Anderson rappelle qu’un maçon est tenu par son engagement, d’obéir à la loi morale. Et s’il comprend correctement l’art de la Maçonnerie, il ne sera jamais ni athée stupide, ni libertin irreligieux. Mieux que tout autre, il devrait comprendre que Dieu ne voit pas comme l’homme voit, car l’homme regarde l’apparence extérieure, mais Dieu regarde le cœur. On imagine mal, d’ailleurs, que l’élévation permanente du niveau d’éducation puisse s’accompagner d’un hommage rendu à Epiméthée, celui « qui accepte sans réfléchir ». Elle pourra au contraire s’enrichir du mythe de Prométhée, légende la plus haute de l’Antiquité, noble génération de la douleur et du génie. Prométhée, c’est la leçon immuable de l’homme, l’émancipation par l’effort, la seule juste et efficace. Elle apprend à chacun de nous, de tirer de soi son énergie, son art, telle que versifié par Victor Hugo dans « l’Expiation » : L’homme,
en cette époque agitée
Sombre océan Doit faire comme Prométhée Et comme Adam. Il doit ravir au Ciel austère L’éternel feu, Conquérir son propre mystère Et voler Dieu. « En vérité, si Prométhée revenait, écrivait Albert Camus, les hommes d’aujourd’hui feraient comme les dieux d’alors. Ils le cloueraient au rocher, au nom même de cet humanisme dont il est le premier symbole. Les voix qui insulteraient alors le vaincu, seraient les mêmes qui retentissent au seuil de la tragédie eschylienne, celles de la Force et celle de la Violence ». J’ai dit, Très Vénérable. J\C\Fr\ |
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