Les quatre
convives
C’est arrivé une nuit
d’hiver, au chaud, à l’abri du temps. Il
n’y avait qu’un seul couvert à
l’unique table de cette auberge. Et pourtant ce soir
là, quatre convives étaient là, quatre
hommes ont dîné ensemble.
Il y avait, assis sur l’un des sièges
l’homme que j’ai voulu être, dans sa
gloire et sa belle apparence.
A ses côtés était l’homme qui
passe pour être moi et que les autres semblent
connaître.
Sur un autre tabouret était l’homme que je crois
être.
Et enfin présent à cette table était
l’homme que je suis en réalité.
Et bien qu’ayant fait halte sous un même toit,
dîné à la même table,
goûté les mêmes mets, ces quatre hommes
ne se sont pas reconnus, ils n’ont
échangé aucun signe de reconnaissance, aucun
n’a nommé l’autre
« son frère ».
Et puis vint la Lumière,
la première, celle de l’initiation
et les quatre convives de cette soirée firent bombance,
apportant comme en Espagne, et s’en régalant, le
complément de l’autre.
Mais qui étaient ces quatre convives, et
pourquoi ne se sont-ils pas reconnus ?
Il y a d’abord l’homme
que j’ai voulu être
Somme des regrets et espoirs déçus, mais dont le
maître mot reste Espérance.
Ne serait-il pas cet homme, le produit de
l’expérience primaire et du conditionnement
familial, social, professionnel etc... ? Et comme le dit Eric BERNE,
mélange de parent, enfant et adulte dont les proportions
changeront ensuite tout au long de la vie dans le vase
alchimique dont la forme idéale reste encore
à trouver.
Mais cet homme là, espérance de
réalisation, m’apparaît comme le
Maître futur qui grandira dans l’Apprenti que je
suis.
Peut-être faut il y voir le symbole du levier
qui me permettra de découvrir, agir et
révéler !
Force intérieure que d’autres appellent
motivation, mais raisonnée, guidée, et
canalisée, tant il est vrai qu’un levier mal
utilisé peut être le pire des outils.
Mais ou se trouve le point d’appui ?
Vient l’homme que je crois
être
Avec sa capacité d’analyse, son
expérience, son savoir, sa prudence aussi !
Cet homme là qui « n’est
pas », ou pas encore et qui existe seulement, tout
accaparé qu’il est par sa vie de tous les jours.
Cet homme là, dont le besoin de reconnaissance est immense,
lutte farouchement pour atteindre des buts dont il voit mal la
finalité.
Mais qui est-il, cet homme ? Si ce n’est le ciseau
du discernement à la recherche de la meilleure voie.
Voici en effet, que la pierre brute perd petit à petit de
ses aspérités et la boue qui l’entoure,
car associé au maillet, dont nous
parlerons plus loin, le ciseau va permettre à
l’homme que je crois être de tracer son chemin vers
la Lumière avec fermeté et précision.
Et bien sur, il y a l’homme que
les autres voient
Différent de sa propre perception, regard des autres que je
suis et qui m’accompagnent.
Cet homme ne serait il pas le reflet multiple d’un prisme aux
yeux de ceux qui m’ont reconnu et
accepté ?
Je ne suis plus seul à présent, car
d’autres portant le même tablier
ont envahi la carrière à l’ouverture
des travaux ;
Et chacun avec ses outils va partager l’expérience
et le savoir faire de tous, soif
de connaître, tolérance, et acceptation des autres.
Mais qui est il donc, cet homme qui paraît et que les autres
voient ?
Quelle enveloppe va t’il enfin revêtir ?
Et que dire de l’influence des autres, profanes et
Frères en Maçonnerie ?
Et qui suis-je enfin pour mes Frères, si ce n’est
celui que l’on reconnaît comme tel ?
Et enfin le quatrième convive
L’homme que je suis et ne connais pas, mais que je rencontre
pourtant à chaque moment fort de la vie sans jamais bien le
reconnaître.
Cet homme tel le maillet, symbole de la
volonté qui transforme la matière et renforce
l’Apprenti dans sa détermination à se
perfectionner apparaît enfin à la Lumière.
Mais le travail est il achevé pour autant ?
On pourrait en effet se poser la question, pourquoi quatre
convives ? et non pas 2, 3, 5 ou 7 par exemple ?
Et si ces quatre convives représentaient les quatre
côtés égaux du carré
qui font face aux quatre orients du
monde ?
Nous savons que le carré, expression du 4
est la première figure rationnellement habitable par
l’homme (le triangle par exemple étant la demeure
du principe car il n’est pas conçu pour
l’homme).
Le carré évoque la
stabilité tout en ayant la capacité de se
métamorphoser (cube, tétraèdre,
carré long etc...). Il est aussi la manifestation symbolique
de l’accomplissement du TOUT ; comme
pour le · (point), l’axe
zénith-nadir passe par son centre.
Et selon les propos que l’on prête à
Pythagore : « Le nombre 4 est la
divinité même, source de la nature, 4
possède en soi tous les nombres, comme le cube contient
toutes les formes. ».
Plus tard dans nos études, nous aborderons la
caractéristique la plus importante du carré
représentée par sa diagonale porteuse
de la racine de la dualité et qui par son
multiple nous ramènera au 1 dont le 4
révèle la puissance de création en
regroupant les éléments de celle-ci (la puissance
de création).
Et voici que nos 4 convives se retrouvent, chaque
instant qui passe les rapproche pour demain n’être
qu’un seul.
Viendra alors le temps de l’ultime
initiation, lorsque ma pierre dégagée
de sa gangue originelle prendra enfin sa place avec les autres
déjà assemblées sur le chantier du Temple
Divin.
« Qu’importe
alors ce qui est advenu avant ou après ? Maintenant
avec moi-même je vais commencer et finir ! »
Postface : Je voudrais, si
vous le voulez vous lire ce vieux conte chinois :
« Un vieux Chinois, avant
de mourir, fit un voeu. Il désirait voir l’enfer
et le paradis. Comme sa vie s’était
déroulée dans
l’honnêteté, son voeu fut
exaucé.
On le conduisit d’abord en enfer. Il y vit
des tables couvertes de nourritures délicieuses, mais les
convives paraissaient affamés et furieux. Assis à
deux mètres des tables, ils devaient utiliser de
très longues baguettes et ne parvenaient à faire
pénétrer aucune nourriture dans leurs bouches.
D’où leur souffrance et leur colère.
Ensuite on transporta le vieil homme au paradis et il y
vit exactement le même spectacle. Oui, raconta-t-il
à son retour. Les mêmes tables, la même
nourriture, les mêmes baguettes. Mais tous les convives
semblaient heureux et rassasiés.
- Pourquoi ? lui demanda
quelqu’un.
- Parce qu’ils se nourrissaient les
uns les autres. »
J’ai dit V\M\
P\ M\
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES :
- P.D. JAMES « Une certaine justice »
FAYARD
- Daniel LIGOU « Dictionnaire
de la F\ M\ »
PUF
- Robert AMBELACH « Symbolique
des outils » EDIMAF
- Andréa AROMATICO « Alchimie,
le grand secret » GALLIMARD
- Robert BEGEY « La
quadrature du cercle et ses métamorphoses »
DU ROCHER
- Jean-Claude CARRIERE « Le
cercle des menteurs » PLON
- GLNF « Instruction de
l’Apprenti »
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