Aspects
de la Saint Jean
« La
Lumière luit dans les Ténèbres, les
Ténèbres ne peuvent
L’atteindre »
Evangile de St-Jean
Nous venons de
célébrer ce qui est peut-être la
plus belle fête de l’année pour les
Francs-Maçons. C’est sur ce moment que nous
vous invitons à partager, symboliquement, quelques
réflexions.
"Symboliquement".
Le grand mot est
lâché ! Comme vous vous en doutez
certainement, il ne s’agit pas du
symbolisme du franc des juges magnanimes ni de l’abus de
langage qui voit dans
un symbole quelque chose qui n’a rien de réel.
C’est même tout le
contraire : si tout, pour les Francs-Maçons, est
symbole, c’est que, pour
eux, le symbolisme constitue avant tout un mode de relation au
réel, qui
s’appuie sur un vécu, une expérience,
par nature indicible.
Tout le fameux
secret maçonnique, dont on fait
tant de bruit, est là : même si nous le
voulions, nous ne pourrions le
dévoiler ! Car comment expliquer le goût
d’une orange à qui n’en a jamais
mangé ? Mais, pour qui en a
goûté, la seule couleur de l’orange
suffira à
en évoquer la saveur…
Et à ceux qui penseraient pouvoir suppléer
à cette expérience par de savantes
lectures, aussi édifiantes soient elles, nous dirions, pour
filer la métaphore,
que la lecture du meilleur livre de recettes de Girardet ne saurait
remplacer
même le plus minable des sandwiches !
Cette
expérience, donc, est accessible au cœur des
Rites et de ce qu’ils véhiculent de la Tradition
Universelle. Ceux-ci mettent
en oeuvre un ensemble de symboles cohérent et
ordonné, la symbolique
maçonnique, à la fois spécifique
à notre Ordre dans sa réalisation, et
universel dans son essence.
L’accès
vécu à l’expérience
intérieure - c’est-à-dire ésotérique
au sens
propre - de ces Rites, est l’Initiation
Symbolique, que véhicule et transmet la
Franc-Maçonnerie. Avec le
Compagnonnage, elle constitue l’une des deux voies
initiatiques traditionnelles
de l’Occident.
Cette
Initiation a pour objet la
transmission d’une influence spirituelle, au sens
où l’entend René Guénon,
notamment dans les Aperçus sur
l´Initiation. Elle a pour moyen
une instance traditionnelle rituellement constituée, tant du
point de vue des
personnes qui la composent que de l’espace-temps
rituélique utilisé. Elle a
pour sujet un être humain reconnu apte
à la recevoir, et elle doit avoir
comme effet sur le sujet un processus de
régénération. Comme le disent
les Alchimistes : il s’agit de
« transmuter des choses viles en des
choses précieuses », du profane en
sacré…
Comment alors,
nous direz-vous, penser ou espérer
pouvoir partager un symbole tel que la St-Jean d'hiver ? Sans
doute parce
que ce qui se joue en cette fête est un drame cosmique,
auquel nous avons tous
part, au titre de membres du même Univers. Et le but de ces
lignes n’est, au
fond, que de nous aider à retrouver tous, en nous, les
échos de ce moment-clé
de l’année. Si la gageure est réussie,
chacun aura pu, à partir de son propre
vécu, de son expérience individuelle, faire un
petit pas de conscience dans la
direction de ce qui nous est commun, quels que soient les modes
d’approche que
chacun en a.
Engageons-nous
donc, tout simplement tels que nous
sommes, dans un voyage, dont chacun sait ce qu’ils ont de
formateur… et
peut-être bien d’initiatique !
Depuis que
l’Humanité a accédé
à la conscience,
elle s’est rendue compte de la
régularité des cycles qui rythment sa vie. Parmi
une multitude, le premier et le plus immédiat est sans doute
celui de
l’alternance régulière des jours et des
nuits. Alors, par la pensée et
l’imagination, essayons d’en re-marquer les moments
essentiels :
C’est
d’abord ce que les hindous appellent
« l’heure de Brahmâ » :
le soleil va se lever, un côté
du ciel s’éclaircit. Le noir profond
pâlit en bleu, une couronne claire annonce
l’imminence de l’astre de la lumière. De
l’autre côté du ciel, c’est
encore la
nuit semée d’étoiles.
Depuis l’émergence dorée de
l’astre du jour, la lumière ne va cesser
d’augmenter, jusqu’à midi plein. Le
soleil est alors à son zénith et
l’ombre
d’un bâton fiché en terre est la plus
courte de la journée. Après cette
apothéose, ce minuscule mais perceptible temps
d’arrêt, l’ombre s’allonge et
la
course parabolique du char de Phébus tend à
rejoindre l’occident pour y disparaître
dans un flamboiement majestueux et mélancolique. La nuit
alors envahit le ciel
par l’est, où commencent de scintiller,
après Vénus, les myriades galactiques.
Nos
ancêtres auraient pu s’en tenir là et
aller se
coucher…
C’est
d’ailleurs ce que beaucoup ont fait !
Mais quelques originaux, que la nuit fascine, ne peuvent aller aussi
tôt
essayer de trouver dans le sommeil l’oubli des questions qui
les habitent. Ils
observent, notent et pensent.
Ils ont vu et compris que la nuit et le jour sont
complémentaires, donc
semblables et comparables. A l’instar de tout ce qui vit, la
nuit, comme le
jour, naît, croît, atteint une apogée
pour ensuite diminuer, et mourir. Et de
même que le milieu du jour inaugure la marche vers la nuit,
le milieu de la
nuit annonce l’arrivée de la lumière.
De jours en jours et de nuits en nuits,
l’observation s’est affinée. Une
activité interprétative a suivi, elle a
donné
naissance à l’Astrologie.
Mais revenons
au cycle journalier. Les quatre
temps forts : aurore, midi, crépuscule et minuit,
marquent la structure de
tous les cycles et permettent de s’orienter sur la Terre qui
nous porte. Ils
sont en somme le témoin de lois universelles.
Et nos Temples, comme les Cathédrales et tous les Temples
dignes de ce nom,
sont orientés, au moins symboliquement : selon
l’Orient d’abord,
d’où vient la Lumière, puis le Midi,
où brille le Soleil, et le Septentrion,
domaine de la Lune, enfin l’Occident,
où se trouve la porte qui
conduit à l’extérieur de
l’espace sacré. Un Temple est donc un
condensé
symbolique de l’Univers et de son harmonie.
Un ancien texte dit d’ailleurs qu’il y a trois
Temples : l’être humain,
que nous sommes, le Temple terrestre, où nous avons pris
place, et le Temple
parfait de l’Univers.
Kosmos,
en grec, désignait à la fois une mise en ordre et
un embellissement :
c’est donc à une fête des lois cosmiques
que nous convie la Saint-Jean d’Hiver.
Il s’agit au fond, en vivant consciemment ce temps fort dans
le Temple
terrestre, de mettre le Temple de l’Homme en harmonie avec le
Temple Universel.
Car le cycle
que nous venons d’évoquer permet
aussi de rendre compte des saisons de
l’année : l’aube de
l’année, le
passage de la nuit au jour, est l’équinoxe de
printemps ; les feux de midi
sont aussi ceux du Solstice et de la Saint-Jean
d’Été ; l’automne
est le
soir de l’année et, en cette Saint-Jean
d’Hiver, Minuit plein va sonner à
l’horloge solsticiale.
C’est
donc en héritiers d’une longue tradition que
nous nous sommes assemblés afin de passer symboliquement
ensemble le cap, la
porte du Solstice d’hiver, dédiée
depuis l’avènement du christianisme à
Saint-Jean l’Évangéliste et,
auparavant, à Janus, le dieu au double
visage des Romains. Le symbole cosmique passe, de civilisation en
civilisation,
toujours identique dans son essence malgré la
diversité de ses manifestations
culturelles.
Ce qui a
été dit du cycle journalier une fois
transposé au cycle annuel va nous permettre de comprendre
à la fois la dédicace
de la Fête à
l’Évangéliste et l’importance
toute particulière que lui accordent
les initiés.
Au solstice
d’été, la lumière est
manifeste, c’est
l’apothéose de la clarté. Nous avons
tous peu ou prou en mémoire les feux de la
Saint-Jean, le 24 juin. Pourtant, au milieu de la joie
exubérante de ceux qui
se fient aux apparences, ceux qui savent ne peuvent
s’empêcher d’avoir un
pincement au coeur car ils ont conscience de ce que, malgré
la canicule et
l’éclat des jours, la marche inexorable vers les
longues nuits d’hiver est
amorcée.
Mais
à la Saint-Jean d’Hiver, les mêmes sont
dans
la joie, au cœur de la plus longue nuit de
l’année, car elle marque le début de
l’ascension de la clarté, de la victoire de la
Lumière sur les ténèbres. Pour
eux, le Minuit de l’année devient le Midi des
sages.
Pour le
comprendre, mettons à nouveau en relation
ces deux temps forts, inséparables comme le sont les deux
visages de
Janus :
Le solstice d’Été est
dédié au Baptiste essentiellement pour deux
raisons : c’est d’une part le point
culminant et terminal de l’Ancienne
Loi, qui voit poindre, selon les mots du Christ, son accomplissement.
Or à fin
juin, la lumière est à son maximum. En second
lieu, le Baptiste a désigné le
Christ au monde en disant « Il faut qu’il
croisse et que je
diminue ». Or dès le Solstice
d’été, la lumière va
diminuer, jusqu’à celui
d’hiver.
Si le Solstice d’été est donc le moment
de la lumière manifestée, extérieure
en
somme, celui d’hiver est la fête d’une
lumière plus subtile, que seule peut
révéler une connaissance intérieure.
Lumière
des yeux ou lumière du coeur, clarté
visible ou invisible, deux modes de relation au monde sont ainsi
illustrés et,
à l’image du cycle qui les rend explicites,
révélés comme
complémentaires.
C’est ce que l’on appelle la connaissance
ésotérique, qui se définit par
rapport à la connaissance exotérique oppose le
monde des sens à celui de
l’intériorité, et les
révèle, nous l’avons dit, comme
complémentaires. Aussi,
s’il peut être indiqué par les sens,
c’est intérieurement que le grand
mystère
du Cosmos parle véritablement à l’homme
en quête d’éveil.
Alors, la
dédicace à celui qui est venu annoncer
le triomphe du Logos incarné n’est plus une
énigme, mais revêt la clarté de
l’évidence. « L’heure
vient, et c’est maintenant, où les adorateurs de
mon
Père l’adoreront en esprit et en
vérité. »
Mais ce
triomphe est avant tout celui, infiniment
subtil, de l’intériorité,
au-delà et même malgré le monde des
évidences ou de
l’apparence : « La
Lumière luit dans les Ténèbres, les
Ténèbres ne
peuvent L’atteindre. »
Nos prédécesseurs dans la voie, les constructeurs
de Cathédrales, l’ont
d’ailleurs illustré d’une
façon inattendue mais très explicite dans le
porche
Sud de la Cathédrale de Lausanne.
Il est constitué de quatre parties dessinant un rectangle,
que les Anciens
appelaient un carré long. Au sommet de chacun des
côtés, en haut et au centre,
figure un cartouche circulaire: à l’Orient il
représente un jeune Soleil, au
Midi un Soleil adulte et à l’Occident un Soleil
âgé. Mais au Septentrion figure
un cartouche où est sculpté un agneau portant une
bannière, symbole christique s’il
en est.
Ainsi, la Lumière spirituelle, issue du Logos, prend
naissance au Nord, au plus
noir de la nuit comme au plus froid de l’année.
Elle n’est perceptible qu’au
sein du silence intérieur de qui a su faire un instant taire
ses bavardages
devant l’ineffable.
Et c’est vers elle que convergent ce que Don Juan, le
maître de Castaneda,
appelle « les voies qui ont du
coeur » et dont la clé nous est
offerte par Saint-Exupéry, dans la bouche du
Renard : « L’essentiel
est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le
coeur. »
Puisse cet
essentiel, discret comme un mot
d’amour, mais résonnant, à
l’échelle du Cosmos, jusqu’aux confins
de l’Univers,
illuminer pour chacun l’année qui
s’ouvre.
Fraternellement à tous.
Le Webmaster |