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Saint Jean d’Hiver

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi. » (Is. IX, 1) et plus loin, en IX, 5 « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom :
Conseiller merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-Paix. »
Tous, textes repris par la liturgie chrétienne de la Nativité. Mon propos n’est pas de me placer sur ce plan dogmatique et institutionnel particulier, qui relève de la conscience de chacune, au-delà du Porche du Temple, même s’il constitue la matière de la pierre qui s’insérera dans la construction du Temple.

A ce propos, cette citation de Richard de Saint-Victor, qui m’est tombée sous la loupe, alors que cette Planche était terminée : « Dans la foi est le commencement de tout bien mais dans la connaissance est la consommation de tout bien ; hâtons nous donc de passer par tous les degrés possibles de la foi à la connaissance. » (De Trinitate, cité par Tourniac p.262 in Principes et Problèmes spirituels du R.E.R.)

De tout temps, l’homme a eu peur de la nuit et de la mort, de nombreux mythes ou rites ont été créés pour conjurer cette angoisse ou pour montrer la puissance divine du Feu, source de lumière et de chaleur, pour supplier le Soleil défaillant de ne pas abandonner la Terre et les Hommes dans des Ténèbres éternelles.

D’où l’importance des solstices, et tout particulièrement de celui d’Hiver.
Un rapide rappel : pour les Grecs, Apollon allait se réfénèrer en Hyperborée, au Royaume de Thulé, loin au Nord, vers où se décalait le Lever du Soleil. Les pays nordiques, plus affectés par cette longue nuit, glaciale et pleine de terreurs, gardent peu ou prou des coutumes issues de ces rites de conjuration : les roues enflammées de la St Sylvestre en Forêt Noire, la couronne d’Avent et le sapin de Noël, les jeunes filles couronnées de bougies de la Ste Luce pour les plus connues.

Quand le Christianisme se constitue, on fait naître Jésus, au solstice d’hiver, date en totale contradiction avec d’autres éléments du texte, dans une Grotte comme Mithra. On reprend l’invocation romaine de Sol invictus...
Il ne m’appartient pas de prendre position sur l’historicité de l’événement.
Il s’est passé quelque chose à la jointure de l’ère du Bélier et de celle des Poissons.
Un personnage, ou plusieurs personnages fondus dans cet Un, a délivré un message qu’on a greffé sur le Livre des Hébreux, même si, en particulier pour Jean, bien d’autres connaissances y transparaissent.

Que fêtons-nous en Maçonnerie ? Non pas tant les solstices que la St Jean, la St Jean d’été et la St Jean d’hiver ? Et ainsi que le dit le Rituel de la St Jean d’été, nous venons d’une Loge de St Jean.
L’un comme l’autre sont fêtés en parallèle, en symbiose avec le solstice le plus proche : le 24 Juin pour le Baptiste, c’est à dire trois jours après le solstice d’été, et le 27 Décembre pour l’Evangéliste, soit 3 plus 2 jours après le solstice d’hiver. Mais un autre personnage est censé naître, en symétrie du Baptiste 3 jours après le solstice d’hiver, dans la nuit du 25 décembre, qu’on appelle Emmanuel, Jésus, Christ, mais aussi Orient et Soleil de Justice, et ce, dans une des grandes Antiennes préparatoires à cette fête de Noël, justement le jour même du solstice. Curieux n’est-ce   pas ?

D’autre part que sait-on de ce Jean ?
- Il a reposé sur la poitrine, le cœur du Seigneur lors du repas de la Pâque.
- Il était le disciple que Jésus aimait.
- Il se tenait debout au pied de la Croix, avec la mère de Jésus, qui dit : « Femme, voici ton fils » et à Jean : « voici ta mère ».
Il a comme symbole l’Aigle, oiseau solaire. Et Blanquart cite ce tympan, de l’église Ste Trophime d’Arles où figure le Christ entouré des Totems des 4 Evangélistes, chacun présentant le livre écrit par celui qu’il symbolise, SAUF l’Aigle. Le livre qu’il devrait tenir entre ses serres pour le présenter, à l’instar de ses homologues, est dans la main du Christ. Il y aurait certainement une analyse intéressante à faire sur l’attitude de ce personnage et sur l’intention de l’artiste.

Et, parce qu’un jour Jésus aurait dit à Pierre, parlant de Jean : « S’il me plaît qu’il reste jusqu’à la consommation des siècles, que t’importe... », la croyance se répandit que Jean ne connaîtrait pas la mort. D’où aussi, semble-t-il, son aspect d’éternelle jeunesse.
Enfin, comme son frère Jacques, patron des Compagnons, il est appelé « Fils du Tonnerre ».
Le nom même de Jean possède en hébreu une double signification : louange ou grâce montante et miséricorde descendante. D’autre part, il semble, sinon une extension, du moins en étroite relation avec « yonah » : la colombe, qui est la manifestation imagée de l’Esprit Divin, inséparable de son souffle, « ruah », censé descendre sur le personnage central, Jésus, lors de son Baptême par l’autre Jean, le Baptiste, dans le Jourdain.
Que déduire de tout ceci ?

Notre Jean, qui se tient debout, louange montante, ayant pour totem l’aigle, signe du soleil renaissant, qui s’est reposé au plus près de la source de vie, son oreille collée pour écouter les battements de ce cœur nous en délivre le message. Ce message commence avec les mêmes images que la Genèse

Que nous dit la Genèse : « Le souffle d’Elohîm planait sur les faces des eaux. »
Elohîm dit : « une lumière sera ».
« Et ce fut la lumière » (Gen I, 2,3, trad. Chouraki).
Création par la Parole, le Logos d’Elohîm, (la sens premier du mot Logos serait : la raison, cf Barbara Cassin au Forum du Mans, 1998) et le premier résultat de cette vibration, issue de la pensée, du souffle d’Elohîm est la Lumière, elle-même vibration.

D’ailleurs, cette Parole, forcément inséparable de ce « ruah », traduit aussi bien par souffle que par esprit, et dont les exégètes juifs se demandent si elle précède ou suit la pensée, est toute-puissante, c’est aussi elle qui délivrera les Hébreux selon le texte de Sagesse, XVIII, 14,15 :
« Quand le silence paisible cerne toute la nuit étant au milieu de sa course rapide, descend ta Parole toute-puissante, de ton trône royal, des ciels. », telle une épée.

En parallèle maintenant, les premiers versets du Prologue de Jean, toujours dans la traduction de Chouraki, parfois rugueuse au plan de la langue française, mais qui cherche, même pour ce texte écrit, en principe, en grec, à retrouver les racines hébraïques ou araméennes sous-jacentes, et premières dans la forme orale.
« En-tête, lui, le logos, et le logos, lui, pour Elohîm,
et le logos, lui, Elohîm.
Lui, en-tête pour Elohîm.
Tout devient par lui ; hors de lui, rien de ce qui advient ne devient.
En lui, la vie - la lumière des hommes.
La lumière luit dans la ténèbre, et la ténèbre ne l’a pas saisie. »

Dans le monde de la matière, lumière et ténèbre sont indissociables. La lumière qui heurte un corps solide, projette l’ombre de ce corps, plus ou moins longue ou courte, selon la hauteur du soleil. L’eau la réfracte, voire la décompose.

Ce double ou triple personnage, au-delà des événements historiques ou légendaires, nous délivre au travers des paroles de ces chroniqueurs le même message essentiel, résumé par Matthieu, le plus proche de la tradition hébraïque :
1)- il est venu pour accomplir le Loi (Matt. XI, 17) et plus loin en XXII,37, en réponse à une question des Pharisiens sur le plus grand commandement de la Loi :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». Le second lui est semblable :
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
2) - révéler aux hommes que, tous, ils sont Fils du Père, Fils de Dieu. Cette qualité de Fils était jusqu’alors réservée aux seuls Hébreux.
3) - Que ce Dieu devait maintenant être adoré, non plus dans un édifice par des sacrifices matériels, mais en esprit et en vérité, que son Temple est partout dans l’univers, que l’univers est son Temple, et dans cet univers, ce macrocosme, l’Homme, ce microcosme, son résumé est un Temple privilégié.

Tout ceci est à la fois donné et à conquérir de haute lutte. Le Royaume appartient aussi aux « violents », mais il est hic et nunc, là où est l’Amour ainsi que le chante une hymne chrétienne : « Ubi caritas et amor, Deus ibi est » il y faut à la fois la « caritas » et l’ « agape ».

Le personnage est caché sous le nom trompeur d’agneau, dont aussi bien l’étymologie latine que grecque renvoie à « agni », « igné », le Feu.
L’amour est aussi qualifié de feu dévorant.
Pour revenir à nos solstices, un peu oubliés en cours de route, Jean, le Baptiste, Grâce descendante, lié à l’horizontalité :
qui, paraphrasant Isaïe, s’intitule Voix qui crie dans le désert
« Tout val sera relevé, toute montagne ou colline seront abaissées ;
la sinuosité sera plane... » Is IL, 4.

Donc, le Baptiste fait descendre l’Agneau, le Feu de Dieu, le Sol Invictus, dans les eaux primordiales ou matricielles, d’où il remontera, tandis que le « ruah » de Dieu descendra sous forme de colombe et qu’une voix se fait entendre, une voix, une vibration ?
Et à la fin, la tradition le présente sur une croix, formée de 4 équerres, alors que le supplice romain semble avoir eu plutôt la forme d’un tau. 4 équerres, soit 4 fois 90° = 360°. La surface du cercle décrit, apparemment, par le soleil autour de la terre. Au pied, debout, notre Jean, symbole de la verticalité montante, du solstice d’hiver. Et celui qui est au centre unit l’horizontalité et la verticalité. Il est vraiment le Sol Invictus, par-delà les aléas de la nature.

Au cours de cette ère des Poissons, le véritable sens de la Révélation a peut-être été caché.
Le Dieu Un, présent au milieu de son peuple dans la colonne de feu ou de brume, se révèle dans la création par son Verbe et son souffle. Sans souffle pas de parole, et la parole se prolonge aussi par le souffle terminal que l’on perçoit après que la vibration sonore se soit éteinte. Ne dit-on pas : rendre le dernier soupir et expirer ?

Que fait-on dire au personnage central en quittant les siens : je vous enverrai l’Esprit, c’est à dire : le souffle. Et comment se manifeste cet esprit dans le texte ? Par des langues de feu, par le feu.

Ce feu, caché sous ce nom d’agneau, qui annulera Soleil et Lune dans la Jérusalem Céleste.
Ce Trois, plénitude du Un, symbolisé par notre Delta, est aussi une sorte de monde clos. Il y a un dedans et un dehors. Point n’est besoin d’adhérer à une définition dogmatique d’un seul Dieu en trois personnes, pour simplement contempler cette plénitude du Un, telle qu’elle se manifeste dans la Genèse et le Prologue de Jean. Et le diagramme grec de cette plénitude : une ligne droite - la rend à la fois plus difficile de prime abord et merveilleusement simple ensuite. Dieu crée et se révèle par son Logos qui procède d’un souffle et s’achève en un souffle qui vient nous caresser et nous aspirer pour nous faire remonter vers et en Lui, les yeux fixés sur l’Etoile qui a guidé les Mages, et qui nous guide et nous transforme de solstice en solstice jusqu’à l’illumination au-delà de la suprême Porte.

J’ai dit.

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