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En « rando » sur
les pentes du R.E.A.A. Mais qu’est-ce
donc que ce Rite Écossais Ancien et Accepté ? Ce rite
dont on peut dire sans exagération qu’il n’a
« d’Écossais » que le
nom, qui est « Ancien », si l’on veut, parce qu’il a
été si souvent
réaménagé ! Et qui n’est pas « Accepté » par
tout le monde…
Qu’en dire ? Je vois
bien qu’en Maçonnerie, quelles que soient nos pratiques, nos multiples
Rites,
nous aspirons tous à arriver au même point, là-haut, le plus élevé, le
plus
proche du ciel, celui des neiges éternelles où règnent la clarté
céleste et la
paix du Grand Architecte De L’Univers et d’où il nous sera donné le
bonheur de
contempler les hommes, vivant enfin harmonieusement dans la
plaine !! Notre but
est commun, inutile de revenir là-dessus. Ce qui
nous intéresse c’est avant tout le chemin particulier que nous
empruntons pour
parvenir à cet éclatant sommet. Car avec
nos rites différents nous sommes comme des alpinistes qui font, soit la
face
Nord, soit la piste des aiguilles, soit le versant sud, avec chacun
notre
matériel et notre habillement spécifique. Que
peut-on dire, en le survolant sans le trahir, et sans entrer dans ses
mystères,
évidemment, de la voie du Rite Écossais Ancien et Accepté ? Du
R.E.A.A.
disent les frères pressés, voire du R.E.2.A, disent les encore plus
pressés ! Tout
d’abord, une constatation d’évidence : Notre route est celle
où il semble
y avoir le plus de monde, on se croirait à Chamonix, au pied du Mont
Blanc, par
un bel après-midi d’été… c’est sacrément encombré… qu’est-ce que ce
grand
nombre prouve ? Rien, car nous savons tous qu’au monde de la
quête
spirituelle le nombre n’est preuve de rien. Laissons donc tomber ce
dérisoire
et superficiel décompte des effectifs. Quelle
autre spécificité, alors ? Que nous dit le catalogue de notre
voyage
organisé ? Nous, on a
prévu de faire le voyage de l’ascension et atteindre les toits de
l’esprit, en
33 étapes… On a déjà une petite idée que cela ne va pas se faire
rapidement, et
je pense que l’on a raison… il ne faut pas aller trop vite quand on
s’élève, le
mal aigu des montagnes nous guette, avec son cortège de symptômes… la
raréfaction de l’oxygène fait rapidement son œuvre. On en a vu, hélas,
qui
soudain partent dans des propos abscons – qu’ils sont les seuls,
apparemment, à
comprendre, même si de nombreux grimpeurs, autour d’eux, font mine
d’acquiescer
histoire de ne pas les choquer… Le R.E.A.A. (comme d’autres rites,
d’ailleurs)
si l’on n’y prend pas garde, peut déclencher le gravissime œdème
cérébral de
haute altitude, nombreux sont ceux qui n’en sont pas revenus : C’est
pourquoi
les gentils organisateurs ont prévu de commencer doucement avec de
sérieux
camps d’entraînements aux points 1.2.et 3. On se
doute bien que ces trente trois étapes on ne va probablement pas les
faire
toutes… imaginez que l’on en accomplisse une par an, il faudrait donc
33 ans
pour atteindre le sommet… C’est tout à fait irréaliste, souvenons-nous
que nous
ne sommes pas là dans un enseignement académique, mais initiatique…
alors il
peut y avoir de grandes enjambées, parfois… on saute par-dessus les
précipices
et les crevasses et l’on fait des haltes plus ou moins longues. Ce qu’il
faut savoir, avant tout, c’est qu’à chacune de ces haltes on procède à
un « débriefing » complet
(comme on dit en français moderne). Le soir,
au bivouac, on raconte des légendes qui fourmillent de péripéties, de
meurtres,
de vengeances, de pardons, d’égarements au fond de puits profonds qui
mènent à
des salles fermées par de mystérieuses portes ! Je vous
assure, ce n’est
pas triste ! Et on nous demande de découvrir le sens caché de
tout cela.
C’est absolument indispensable si l’on veut reprendre la route pour
l’étape
suivante… Une fois
franchies les trois premières montées, essentielles, à notre formation
d’alpinistes
de la pensée, nous voici logiquement au camp numéro 4, je ne vous en
dirai rien
puisque ce camp se nomme : « Maître
secret ». Il faut toujours
garder des surprises, sinon, aurions-nous envie d’aller voir ce qu’il
se passe
plus haut ? Et, à
partir de là, cela dépend un peu des tours opérateurs. Il peut y avoir
des
pauses au 6, au 9, au 12… Ah le
12 ! J’y ai passé un excellent moment. Là, on ne ferme pas la
porte de la
grande tente où tout le monde est rassemblé, aussi un voyageur qui
passerait
par là, égaré –ou pas- pourrait rentrer et se joindre au groupe (je
n’ai jamais
vu que cela fût arrivé) mais le sens est là, de cette porte que l’on a
bien
pris soin de ne pas refermer… cela en dit long sur l’esprit d’ouverture
qui
règne à ce degré… Puis après
un temps de repos plus ou moins long, fin du premier tronçon, nous
sommes au
point kilométrique 14. On peut très bien se poser et décider d’y rester
définitivement, la vue est dégagée, il y a de quoi palabrer tout au
long des
nuits. Mais, les plus curieux, ont bien envie de savoir ce qu’il se
passe au
camp 18… il y a des précipices à passer, un pont, bien gardé…ce n’est
pas cela
qui va nous arrêter, nous sommes d’une nature à nous autoriser toutes
les
libertés, non seulement celle de penser, mais aussi celle de passer… et
avec
nous, nos chevaux puisque nous voici des chevaliers qui couvrons
l’espace de
l’Orient à l’Occident ! Et, d’un trait, grand bond vers le 30
ème degré…
ici bivouaquent les Chevaliers Kadosh… et cette halte va durer
longtemps… arrêt
complet même, pour la plupart. C’est que
la fatigue commence à se faire sentir, et cette l’altitude rend la
respiration
très difficile… d’ailleurs la troupe s’est clairsemée, il y en a qui
déposent
piolets et bagages, ils n’ont manifestement pas envie d’aller plus
loin, la vue
est très belle ici et étend ses vastes réflexions à perte d’esprit, et
puis
c’est que les terribles crevasses du destin en ont déjà fait chuter
quelques
uns. La blancheur éternelle est là qui attend… ce Trente troisième
piquet… plus
que quelques mètres pourtant… Cela semble si proche… on sait que les
derniers
pas sont les plus difficiles à accomplir. Cependant,
tout au long de ce beau parcours qui apporte tant de réflexions sur
notre
voyage terrestre, une question occupe continuellement l’esprit des
voyageurs du
R.E.A.A. et les fait parfois, se quereller entre eux : Pour être
un Maçon accompli, sage et respectable, faut-il s’inscrire dans une si
longue
épreuve ?… Ou est-ce encore un procédé marketing
d’organisateurs qui
pratiquent la segmentation de leur produit pour gonfler d’importance un
trajet
qu’on dit être largement suffisant pour comprendre l’esprit de la
« maçonnerie » si on fait seulement les trois
premières
enjambées ? Et le
débat est loin d’être clos, entre les tenants des trois pas, face à
ceux des
trente trois marches ! Ce qui me
permet de glisser vers la deuxième grande caractéristique de notre
rite :
Chez nous, ça fait parfois un peu désordre ! Et cela dépend
beaucoup des
équipes. Oh, les
intentions de départ sont bonnes : « On
va tous faire
pareil ! » qu’on dit !
Mais c’est plus fort que nous,
dès l’ouverture des travaux, dès que l’on se met en route, ça dérape ou
ça
dévisse devrais-je dire pour rester dans la métaphore alpestre. Rien
que pour
allumer les colonnes ! Et je vous passe les commentaires du
style : « Mais
pourquoi tient-il son « piolet » de la main
droite ! C’est de la
main gauche ! » « Et,
tu as vu… le Véné s’est
encore trompé de côté pour descendre de son
plateau ! » Si
les feux de St-Elme n’embrasent pas soudain les lames symboliques, la
foudre
illumine à l’instant les yeux des Maîtres chenus. Alors les F\
souffleurs de se
mettre de la partie… c’est un poste d’Officier que l’on devrait créer
dans les
ateliers : Le F\souffleur ! Nous sommes, c’est vrai,
une troupe turbulente,
c’est là où l’on pourrait dire que ces Écossais ont parfois des airs de
Gaulois ! Mais au bout du compte l’émotion est là, la magie de
la
transmission opère, et l’esprit du Grand Architecte finit par
guider « nos
pas et nos œuvres ». Troisième caractéristique
de notre cheminement sur les pentes escarpées du rite : la
parole.
Exercice absolument incontournable ! Le
R.E.A.A. est un rite fait pour ceux qui aiment parler ! C’est le côté
Latin de
ces Écossais-Gaulois. Pour nous,
l’exercice de l’Art Royal passe tout autant à travers les mots, qu’à
travers la
pratique gestuelle. Vous voyez
au sein des équipes, bien assis au long des colonnes, la petite troupe
qui
attend sagement, et voilà que l’un d’entre les membres se lève pour
accéder au
plateau de l’orateur et il y va de son exposé. Tous les autres
l’écoutent.
Sagement. Parfois, c’est bref, souvent c’est long, même trop long…
C’est qu’il
veut bien faire le Frère, il veut tout dire, ne rien oublier ;
sur les
colonnes les paupières s’alourdissent, les esprits s’engourdissent… pas
grave,
on a une certaine habitude. Et quand notre distingué frère a fini de
parler,
c’est un concert de louanges, quoi qu’il ait pu dire, c’est quasi
rituel ;
même si, à notre rite il paraît qu’il ne faut pas faire de compliments…
mais ça
fait bien plaisir quand même… Pourquoi s’en priverait-on ? Et
puis,
n’est-ce pas méritoire que de faire ces efforts de réflexion ?
N’est-ce
pas cela que l’on complimente, cette vertu de l’homme qui ne cesse de
creuser
le mystère qui l’environne. Cette
activité de causerie, est un élément essentiel de notre rite. Mais
qu’on
s’entende bien, il ne s’agit nullement de faire une leçon, un
catéchisme, un
exposé de société savante, un subtil, et autant que possible
indiscernable,
exercice de copié-collé – car si l’on aime disserter autour des outils
traditionnels que sont le maillet, le ciseau, le compas, et l’équerre…
certains
n’en dédaignent pas pour autant l’ordinateur et les avantages
bibliographiques
d’internet – il s’agit donc d’apporter les fruits de son travail, de
faire part
de l’état de sa progression sur le chemin maçonnique. C’est un don de
soi pour
ses Frères. Et celui qui parle n’est pas plus méritoire que celui qui
écoute,
car l’effort de chacun pour se rejoindre est le même. Ces mots,
ces mêmes mots, qui dans la vie profane servent aux hommes à se
fracasser les
uns contre les autres, on va leur demander cette fois de faire tout le
contraire et de provoquer une rencontre d’amour. Par les
mots nous nous exerçons à ne plus nous exprimer en conquérant, mais à
apporter
une offrande de soi. Je sais
que si le propos atteint souvent son but, il peut prendre parfois des
tournures
pompeuses, sentencieuses, trop riches d’érudition, ou tout au
contraire, trop
brèves, trop sèches, mais ce que l’on doit retenir c’est cette
fantastique
volonté de l’échange, chacun à notre façon, la première des fraternités
est là
dans ce : « Je te donne ce que je
sais, comme je le sais,
avec ma façon de te le donner… je te montre comment je suis parce que
je pense
que cela peut être utile pour toi, donc pour nous… et j’espère que ce
don tu le
transmettras, à ton tour, autour de toi ». A travers
la diversité de la culture ainsi échangée, cela nous permet de
renouveler
l’expérience du fractionnement de la vérité, donc d’accepter l’autre et
d’affirmer, une fois de plus, que le projet de l’homme n’est pas de
triompher
de son voisin mais de conjuguer nos savoirs multiples pour en faire une
force
d’élévation. Sans
doute, ce projet là n’est pas exclusif du R.E.A.A. c’est l’ambition de
la
Maçonnerie tout entière. J’ai donc
envie de dire que nous sommes identiques avec nos pratiques variées,
nos rites
si pittoresques… car ce sommet du grand savoir et de la fraternité que
nous
convoitons tous, nous avons bien compris que c’est en descendant à
l’intérieur
de soi qu’on y monte ! |
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