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Les Plis du Temps Les vents avaient
tourné ; le suroît douceâtre avait fait
place à un petit La route est bosselée comme un chemin à boeufs, les tournants mal équarris par les caprices des propriétaires, relevés à contre-pente pour laisser l'eau courir aux douves : tout cela sentait bon son moyen âge. De tournants en carrefours, le propos fut vite avalé, et je me mis en peine, depuis le plateau qui domine le bas pays de GOELO, de négocier la sente à peine goudronnée qui serpente à l'écart de la nationale, pour mourir aux pieds du Leff, dans cette ancienne cité qui avait dû voir débarquer, vers 850, les premiers vikings, pilleurs de Lans et d'églises. Voici bientôt dix ans que je fréquente le silence et le recueillement de ce temple, ainsi qu'on le nomme ici. Bien des chercheurs, bien des curieux y ont perdu leur (bas) latin. La pierre, du temps passé a gardé l'injure, et d'année en année, perd son grain. C'est tout d'abord une tour ronde, à moitié éboulée, qui attire le regard, flanquée d'un déambulatoire circulaire, lui-même agrémenté d'une abside centrale et de deux absidioles collatérales. L'allure globale de cet édifice le fit prendre pour un " Temple " romain, gaulois, mérovingien. Plus récemment, daté du XIème siècle, mais avec tant d'incertitude, ce lieu nous invite à la réflexion et au dépouillement. La verdure part depuis longtemps à l'assaut de ces murs en partie écroulés. Le soleil joue avec les fenêtres doubles très minces, où seul un rai pouvait filtrer dans la pénombre de l'ancien monument. Douze piliers massifs, en croix, de style résolument roman soutiennent la maçonnerie de la tour. Le tout, circulaire, énigmatiquement et bizarrement circulaire. On invoqua les Templiers pour sa construction, d'où son nom, les Moines Rouges ( les hospitaliers), etc... La naïveté de la décoration laisse rêveur. Jamais église ne fut ornée à la fois simplement et païennement. Ce matin là, mes pas me portèrent donc au sommet de la petite vallée où se trouve le Lan. Là aussi, le vent d'est faisait glisser ses ouates de brume. Par lambeaux étirés, elle enveloppait les arbres et les buissons d'un flou lumineux, gommant les frondaisons dénudées, et déformant les perspectives. Plus je descendais dans la vallée, plus l'air stagnait ; la brume tombait maintenant en fines gouttelettes qui mouillaient mon blouson. Le petit raidillon qui permet la descente dans la cuvette est gras, et je n'y vois pas à dix pas. Je glisse et me rattrape de justesse à la branche basse d'un petit chêne de clôture. Je n'étais plus loin du lieu, et j'étais curieux de voir ce monument sous la brume, car enfin, jamais je n'avais été gratifié d'un tel coton, sauf en mer. Il me sembla à ce moment entendre le tac-tac d'un outil, puis la sonnaille d'une lame qui vibre sur la pierre. Je distinguai un chuchotis, puis plusieurs voix se répondant dans la brume. J'eus un mouvement d'humeur, car je n'avais pas choisi ce jour pour être bousculé par la foule. Arriver un 21 Décembre dans un lieu que l'on croit désert est toujours décevant quand il ne l'est pas. Je me dis qu'après tout, la beauté appartient à celui qui sait la voir, et somme toute, je ne me reconnus pas le droit de manifester cette humeur-là. Je m'approchai donc en silence, et bien que ne distinguant pas encore le monument, les appels de voix se faisaient plus clairs, plus présents. En moi-même, je me dis qu'il ne devait pas faire bon du côté des Héaux ou du Libenter... Le vent était tombé, et le son des outils vibrait plus joyeusement dans l'air immobile. Je fronçais les sourcils, car bien que je ne mette pas leur vaillance en doute, j'ignorais que les Monuments Historiques avaient entamé une nouvelle campagne de restauration. Bah ! l'abside gauche méritait bien d'être remontée, et le blocage des voûtes de ce côté là aussi. Mais tout de même, par ce temps, quelle fureur ! ! ! L'ombre du Temple se laissait maintenant deviner, mais par quelle bizarrerie, il me paraît aussi de loin, plus petit, plus trapu mais aussi, plus complet. L'allure générale est plus massive qu'à l'ordinaire ; parvenu à quelques pas de l'entrée du chemin, je remarquai que des échafaudages entouraient la partie qui m'était visible . Des échafaudages de bois, assurés par des brélages en corde de chanvre ! ! ! Pousser le respect de la tradition à ce point me paraît curieux, mais enfin, nos modernes architectes ont de ces caprices. Il paraît même qu'ils confient le plus clair de leurs travaux à des compagnons bouclés du Tour de France ! En m'approchant encore, je remarquai avec surprise que non seulement le Temple était plus bas, mais que son assise était complète, parfaitement circulaire, tel qu'il avait dû exister vers l'an Mil. Des tâcherons s'affairaient sur les échafaudages, faisant couiner les grosses planches d'orme mal équarries supportant des blocs de pierres taillées, des moellons et des bacs de bois creusés dans des troncs, et contenant un mortier blanchâtre mêlé au sable de coquillages. A l'écart, une petite équipe de compagnons vêtus de grandes blouses, et de braies attachées de bandes, une grande coule sur la tête, dont la pointe revenait sur la poitrine à chaque mouvement, attaquaient des pierres de tuf avec une petite massette et une laie d'acier trempé. Ils riaient et plaisantaient, mais je ne comprenais pas leur langage. Dans un lieu écarté, accotée à un des murs montants de l'édifice, une cabane couverte de chaume, sans fenêtres, construite en planches d'orme, la porte ornée de gros clous martelés. Sur le pas de la porte, deux personnages étaient absorbés dans une discussion animée : l'un en robe blanc sale, les pieds nus dans des sandales, la tête rasée, la corde à la ceinture ; l'autre en froc gris à capuchon, un bâton à la main, le pommeau orné d'ivoire. Les maillets sonnaient allègrement, les rires fusaient, mais l'ouvrage avançait. A l'autre bout du tertre, une petite équipe, à l'aide d'un palan, s'occupait à hisser un chapiteau en haut de sa colonne, le tout en fort bonne humeur. Allant et venant, un grand gaillard au port noble et austère, une gigantesque équerre de bois à la ceinture, une corde à nœuds à la main, semblait arpenter le sol et mesurer l'édifice. A l'écart, assis sur une pierre grossièrement équarrie, un adolescent muni d'une mailloche et d'une pointerolle s'escrimait longuement sur le tuf qui refusait de se laisser faire. Ses doigts de la main gauche saignaient, et ses yeux étaient rougis par les éclats de roche qui volaient bas. Je déambulais ainsi, hébété : chacun était à son ouvrage, et personne ne me voyait. J'étais devenu transparent. Cependant cette vision si pointue d'un événement depuis longtemps enfoui hors de la mémoire des Hommes m'épouvanta. Je
me laissai choir près de l'apprenti. |
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