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L'homme est mort. Il nous reste son oeuvre et son idéal. De son oeuvre, je n'ai extrait que quatre poèmes. Ce ne sont pas les plus connus, mais ce sont ceux que je préfère. Et quatre seulement, parce qu'in ne faut pas abuser ~ même des bonnes choses ! Je commencerai par Banquet's Night - Nuit d'Agapes. La traduction de ce premier titre n'est nullement forcée : agape, se traduit littéralement en anglais par banquet - et festin, par feast - et puis, comme vous pourrez le constater, le contexte est à l'évidence fraternel. Dernier point encore, plutôt que de donner quelques éclaircissements après coup, j'ai choisi le préambule. N'y voyez aucune suffisance de ma part, mais seulement l'unique souci de vous faire mieux saisir le sens et l'idée ; car les traductions qui vont suivre n'ont pas sacrifié à la rime, elles ont seulement essayé de respecter au plus près la forme et le sens des originaux. Dans Nuit d'Agapes, K. ne dissimule aucunement la référence maçonnique. En partant du texte biblique, il distingue bien les deux Hiram : d'une part, le roi Hiram de Tyr qui renouvela en faveur du roi Salomon le traité qu'il avait signé antérieurement avec le roi David et qui l'engageait à fournir le bois nécessaire à la construction du Temple (1) - et d'autre part, Hiram Abi ( ou Abif ; ~ K. écrit Abid ), le maître-ouvrier. Je cite : " Je t'envoie un homme habile et intelligent, Maître Hiram, fils d'une fille d'entre les filles de Dan ( mais, I Rois VII, 14 dit fille de Nephtali ! ) et d'un père Tyrien, adroit dans le travail de l'or et de l'argent, de l'airain et du fer, de la pierre et du bois, de la pourpre rouge, de la pourpre violette, du cramoisi, du lin fin, habile encore à faire toute espèce de gravure et à élaborer tout plan qui lui sera proposé de concert avec tes ouvriers, et ceux du roi David ton père ".(2) Ailleurs, on peut lire une autre requête du roi Salomon : "... et à présent, ordonne que l'on coupe des cèdres du Liban ; mes serviteurs seront avec tes serviteurs, et je leur donnerai comme salaire tout ce que tu me diras, car tu sais que nous n'avons pas parmi nous d'homme sachant couper les arbres, aussi bien que ceux de Sidon. " (3) Dans la Bible toujours, le roi Hiram de Tyr lui répond : " Nous couperons des arbres du Liban selon tes besoins ; nous te les amènerons à Jaffa par mer, sur des radeaux, et toi tu les feras monter à Jérusalem. " (4) C'est ce contexte que K. va nous rappeler. Pour les détails, si l'hysope est bien de la même famille ( les labiacées ! ) que la menthe, le temps ou le romarin, et possède quelques vertus médicinales revigorantes, vous savez qu'elle est surtout plante biblique par excellence, qu'elle symbolise, outre la purification, plus précisément encore l'humilité. De la même façon - l'ail - qui symbolise la frugalité des hommes d'action ( il était au menu quotidien des soldats romains en campagne ) l'ail a surtout la réputation quasi universelle de protéger contre le mauvais sort, contre le mauvais oeil - mauvais oeil qui pourrait atteindre ceux qui n'ont pas compris qu'en dépit de leurs degrés, cordons ou qualités diverses, ils ne sont que des Compagnons, ni plus, ni moins !.. Que certains d'entre vous sachent que c'est dans la région de Jaffa justement, que selon la légende (5) fut retrouvé le premier des assassins de maître Hiram, que d'autres rencontrent souvent des " Princes du Liban " dont le bijou est la hache des coupeurs de bois de Sidon (6), que d'autres soient " Amiraux, ou Maçons de Marque ", et que Kipling ait lui-même appartenu à ces degrés qualifiés improprement de " Supérieurs ", tout cela est finalement d'une importance secondaire pour la compréhension de ce magnifique poème qui proclame l'idéal d'humilité et de fraternité de la Franc-maçonnerie universelle. Nuit d'Agapes Le moment venu, le roi Salomon déclarait A ses ouvriers qu'il voyait tailler la pierre : Nous allons mettre en commun, l'ail, le vin et le pain, Et festoyer tous ensemble. Je descendrai de mon trône, Et tous les frères devront venir à ces agapes, En tant que Compagnons, ni plus, ni moins ! Qu'on envoie promptement une chaloupe à Hiram de Tyr, Lui qui assure l'abattage et le transport sur les flots De nos arbres si beaux. Dites-lui, que les Frères et moi Désirons parler avec nos Frères qui naviguent sur les mers, Et que nous seront heureux de les rencontrer à ces agapes, En tant que Compagnons, ni plus, ni moins ! Qu'on porte aussi le message à Hiram Abib, Le Grand Maître des forges et des mines : Moi-même et les Frères, nous aimerions qu'il soit possible Que lui-même et ses Frères viennent à ces agapes, Portant riches décors ou simples vêtures, En tant que Compagnons, ni plus, ni moins ! Dieu a assigné à chacun sa place : au cèdre majestueux, A la modeste hysope, et au mûrier sauvage, au figuier Et à l'aubépine... mais cela n'est pas une raison suffisante Pour reprocher à un homme, de n'avoir pas réussi à être, Ce à quoi il n'était pas nécessairement destiné ! Et à propos de notre Temple, je maintiens et j'affirme : Nous ne sommes que des Compagnons, ni plus, ni moins ! Ainsi il ordonna, et ainsi il fut fait. Et les Coupeurs de Bois, et les Maçons de Marque, Avec les simples matelots de la flotte de Sidon, Et les amiraux du Royal Arche, Vinrent s'asseoir et se réjouir à ces agapes, En tant que Compagnons, ni plus, ni moins ! Dans les carrières, il fait encore plus chaud que dans les forges d'Hiram, Nul n'y est à l'abri du fouet du gardien. Le plus souvent, il neige sur la passe du Liban, Et le vent souffle toujours, au large de la baie de Jaffa. Mais quand le moment est venu, le messager apporte L'ordre du roi Salomon : alors oublie tout le reste ! Que tu sois Frère parmi les mendiants, l'ami des rois Ou l'égal des princes, oublie tout cela ! Seulement Compagnon ! et oublie tout le reste. D'après R.K. - Traduction M.R. Banquet Night Once in so often, King Salomon said, Watching his quarrymen drill the stone : We will club our garlic and wine and bread And banquet together beneath my throne, And all the brethren shall come to that mess, As Fellow-Craftsmen, no more, no less ! Send a swift shallop to Hiram of Tyr, Feilling and floating our beautiful trees, Say that, the Brethren and I, desire Talk with our Brethren who use the seas. And we shall be happy to meet them at mess As Fellow-Craftsmen, no more, no less ! Carry this message to Hiram Abid, Excellent Master of forges and mines : I and the Brethren would like it if He and the Brethren will come to dine, Garments from Bozrah or morning dress, As Fellow-Craftsmen, no more, no less ! God gave the cedar and hyssop their place Also the bramble, the fig and the thorn, But that is no reason to black a man's face Because he is not what he hasn't been born. And as touching the Temple, I hold and profess : We are Fellow-Craftsmen, no more, no less ! So it was ordered, and so it was done, And the Hewers of Wood and the Masons of Mark, With the fo's'le hands of the Sidon run, And navy Lords from the " Royal Ark ", Came and sat down, and were merry at mess, As Fellow-Craftsmen, no more, no less ! The quarries are hotter than Hiram's forge ; No one is safe from the dog-whips reach. It's mostly snowing up lebanon gorge, And it's always blowing off Joppa beach ; But once in so often, the messenger brings Salomon's mandate : Forget this things ! Brother to beggars and fellow to kings, Companion to Princes, forget these things ! Fellow-Craftman, forget these things ! Rudyard Kipling Le second poème est un peu plus connu. Il a pour titre : Le Palais. D'entrée de jeux, ici encore, K. indique clairement l'aspect maçonnique. Il commence par : " Quand j'étais Roi et Maçon ! ". Il s'agit effectivement d'un Maçon qui, au moment où il devient Maître Prouvé, pense qu'il a de ce fait acquis toutes les connaissances et les qualités maçonniques. Mais alors qu'il atteint " le plein zénith de sa vanité ", une parole lui est envoyée, qui lui fait comprendre son erreur et retrouver l'humilité nécessaire à toute démarche initiatique. En fait, ce texte permet surtout de mieux appréhender le sentiment de Kipling, issu de sa propre expérience, sur la valeur relative des choses soi‑disant très importantes, que l'on a pu, que l'on a dû, et surtout que l'on a cru devoir réaliser tout au long de notre existence. K. a appris à ses dépens, que l'humilité était, je cite : "... nécessaire à la fondation de tout problème ambitieux. " Et c'est encore tout jeune, à peine 17 ans, quand il travaillait à la " Civil and Military gazette " qu'il a compris que la plus belle, la plus géniale des oeuvres, n'est que de la simple " copie " pour l'éditeur qui la triturera comme bon lui semble, pour les besoins de la mise en pages. A l'heure où doit " tomber " le journal, doivent tomber également toutes les hésitations, tous les scrupules, même ceux de la plus transcendante des inspirations ! En fait l'auteur n'est rien d'autre qu'un des multiples rouages qui conduisent la matière imprimée jusqu'aux yeux des lecteurs. Vérité pour les écrivains, mais également vérité pour toutes les actions, tous les ouvrages, toutes les ambitions de notre vie. C'est encore à cette époque qu'il s'est habitué à ce qu'il appelle " the economy of implication ", méthode qui consiste à dire le plus possible choses avec le minimum de mots ! C'est là aussi qu'il vérifia ( je cite ) : "... que les faits valent mieux que les théories, que les paroles valent mieux que les idées, et que les actes valent mieux que les intentions ". Ceci dit en se gardant de condamner celui qui a tenté sans réussir, car lui au moins, il a fait l'effort d'essayer ! Même sentiment qui lui fera écrire plus tard : " La réalité a parfois été laide, mais le rêve était beau ! ~ formulation à peine différente de celle que vous allez pouvoir lire dans un instant. C'est dans ses dernières années que K. s'est penché sur le problème de sa survie littéraire, qui pour certains est le souci de ne pas disparaître de la mémoire des hommes, en léguant à la postérité une oeuvre " impérissable ". Dans un discours à la Royal Society of Literature (7), il déclara : " Le mieux qu'un écrivain puisse espérer, c'est qu'il survive de son oeuvre une part assez bonne pour soutenir ou embellir la réaffirmation de quelque antique vérité, ou la résurrection de quelque vieille joie ! ". Nous pouvons ajouter que c'est ce que tout homme en général devrait pouvoir souhaiter : Que l'œuvre de sa vie, que ce qu'il considère comme ses plus beaux marbres, puissent continuer à servir après sa mort, même si le seul usage qu'on puisse en faire... c'est de les réduire en poudre, pour fabriquer de la chaux toute fraîche, et en enduire les murs du Palais qu'un autre fait construire ! Le Palais Quand j'étais Roi, et Maçon - un maître prouvé et habile, Je me dégageai un emplacement pour élever un Palais, Tel qu'un Roi se doit de construire. Je décidai, et fis creuser selon mes propres instructions. Et juste là, au dessous du limon, j'atteignis Les restes d'un Palais que jadis Tel un Roi, un autre avait fait bâtir. Il n'avait aucune valeur dans la façon, Et aucune intelligence dans le Plan. Cà et là, ses fondations ruinées couraient au hasard : Maçonnerie grossière, maladroite. Cependant, gravé sur chaque pierre on lisait : " Après moi viendra un autre Bâtisseur ; Dites-lui qu'un jour, j'ai su, moi aussi ! " M'en servant rapidement pour mes propres tranchées, Où mes fondations, bien conçues - elles ! s'élevaient, J'ai placé ses pierres taillées et ses pierres d'angle, Les retaillant et les ajustant à ma façon. De ses plus beaux marbres j'ai fait moudre de la chaux Que j'ai brûlée, éteinte, puis étendue. Et j'ai pris ou délaissé, selon mon bon plaisir, Les cadeaux posthumes de cette humble dépouille. Pourtant, je n'ai éprouvé ni mépris, ni gloire, Et comme nous les arrachions et les dispersions, J'ai lu dans ces fondations rasées, Au fond du cœur et de l'âme de leur bâtisseur. Pareillement, ( en son temps ) il s'était élevé Et avait plaidé ( et défendu sa cause ). Pareillement j'ai compris La forme du rêve qu'il avait poursuivi, En face de l'œuvre qu'il avait réalisée. Quand j'étais Roi, et Maçon Dans le plein zénith de ma vanité, Ils m'envoyèrent une Parole du fond des ténèbres. A voix basse, et me prenant à part Ils m'ont dit : La fin ultime des choses t'est interdite. Ils m'ont dit : Tu as maintenant joué tout ton rôle. Et ton Palais deviendra comme celui de l'autre, Des décombres dont un roi à son tour, usera pour bâtir. J'ai dis à mes ouvriers de quitter mes tranchées, Mes carrières, et mes quais, et ( de laisser là ) Leurs ciseaux ( qui travaillaient la pierre ). Tout mon ouvrage, je l'ai abandonné et confié au destin De ces années qui n'ont plus foi ( en l'avenir ) ; Seulement, j'ai gravé sur les madriers, Seulement, j'ai gravé sur la pierre : " Après moi viendra un autre Bâtisseur ; Dites-lui qu'un jour j'ai su, moi aussi ! ". D'après R.K. - Traduction M.R. The Palace ( 1902 ) When I was a King and a Mason - a Mason proved and skilled - I cleared me ground for a Palace such as a King should build. I decreed, and dug down to my levels. Presently, under the silt, I came on the wreck of a Palace such as a king had built. There was no worth in the fashion, there was no wit in the plan. Hither and thither, aimless, the ruined footings ran, Masonry brute, mishandled, but carven on every stone : " After me cometh a builder. Tell him, I too have known. " Swift to my use in my trenches, Where my well-planned ground-works grew, I tumbled his quoins and his ashlars, And cut and reset them anew. Lime I milled of his marbles ; burned it, Slacked it, and spread, Taking and leaving at pleasure the gifts of the humble dead. Yet I despised not nor gloried ; yet, as we wrenched them apart I read in the razed foundations The heart of that builder's heart. As he has risen and pleaded, so did I understand The form of the dream he had followed In the face of the thing he had planned. When I was King, and Mason - in the open noon of my pride, They sent me a word from the darkness. They whispered and called me aside. They said : " The end is forbidden " ; They said : " The use is fulfilled. This Palace shall stand as that other's, The spoil of a King who shall build. " I called my men from my trenches, my quarries, My wharves, and my sheers. All I had wrought I abandoned to the faith of the faithless years. Only I cut on the timber - only I carved on the stone : " After me cometh a Builder. Tell him, I too have known. " Rudyard Kipling Le troisième poème que vous allez lire, l'Envoi ( to life's handicap ), est sans doute un des textes de Kipling des plus difficiles à traduire, à décrypter devrais-je dire plus justement. Les traductions profanes sont toutes différentes, et très éloignées les unes des autres quant au sens. C'est normal, puisque la clef encore une fois, est maçonnique. Elle se trouve dans les deux premiers vers, dès les premiers mots : " My new-cut ashlar... " - Ma pierre nouvellement taillée... car ashlar est le mot qui désigne très précisément dans la Maçonnerie anglaise, ce que nous appelons la pierre taillée, la pierre que le Franc-maçon doit s'efforcer de polir, d'améliorer toute sa vie durant. Crimson, c'est la couleur rouge-cramoisi, couleur symbolique et sacrée que nous avons déjà rencontré dans la Bible, à propos d'Hiram Abif : "... habile à travailler la pourpre rouge, la pourpre violette, le cramoisi... ". Cette couleur est tout autant celle des décors de plusieurs degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté, que de certains degrés du Holy Royal Arch anglais. Dans les deux premiers vers donc, tout le décor est planté : ... Un Maçon, à la fin de sa vie, avant " le grand sommeil de la nuit éternelle ", fait le point. Il fait le bilan de son oeuvre et il cherche à estimer la valeur de la Pierre qu'il a taillée, sous l'éclairage de la Lumière qui tombe des fenêtres de sa Loge, fenêtres dont le nombre diffère selon les degrés, et cette Lumière à ce degré, est de couleur cramoisie... En fait, Kipling nous dévoile surtout l'idée qu'il se fait de Dieu. Pour lui, il s'agit bien du Grand Architecte de l'Univers, du Grand Surveillant. Dans son oeuvre, il a toujours évolué très librement au milieu des différentes religions, dont il connaît bien les multiples langages. C'était en fait, une sorte d'agnostique, et à plusieurs reprises, il a évoqué ( je cite ) : "... son horreur de ces religions qui inspirent aux hommes la terreur de l'enfer, qui leur donnent la hantise du péché, et qui les avilissent sous prétexte de les purifier ". Pour lui, un homme ne doit jamais rendre Dieu responsable de ses malheurs. A la rigueur seulement de ses bonheurs ! Il doit par contre s'efforcer de respecter tous ses engagements, envers lui-même, envers les autres, et envers la vie... Pour Kipling, il n'y pas de race " supérieure ", pas de nation ou de classe qui puisse prétendre " être élue ". Pour lui, il n'y a que des hommes qui s'efforcent d'être plus responsables que les autres, qui s'efforcent de tenir leurs engagements et leurs serments, et c'est cela, cela seulement, qui les rends plus " respectables "... Ce poème encore, nous donne sans doute la plus belle définition de la Fraternité. Il ne s'agit pas là, de la fraternité de ceux qui en parlent sans arrêt, comme ils parlent de la tolérance, en exigeant bien entendu d'en être les premiers bénéficiaires ; airs patelins et discours papelards, servent trop souvent en la matière, de paravent à dame Hypocrisie ! Kipling sait bien que les égoïstes, les intolérants et les racistes agissent comme les voleurs de l'Inde qui viennent de commettre un larcin ; ils se mettent à crier " au voleur " les premiers, pour détourner l'attention de leur personne, et désignent du doigt le premier " innocent " qui vient à passer. Pour K., il ne s'agit pas de la fraternité avec les mots, mais de la vraie fraternité qui ne peut être qu'active ! D'ailleurs, Fraternité et Tolérance sont des sentiments de la même nature que l'Amour ; plutôt que des déclarations ou des serments solennels, valent mieux l'action ou le geste. Il faut agir ainsi tant qu'on en a la force, ou la possibilité, et remercier la divine providence, chaque fois qu'on a la chance inouïe " de pouvoir faire bien, envers ceux qui ont besoin ". C'est la conclusion du poème l'Envoi. L'Envoi ( to life 's handicap ) Ma Pierre nouvellement taillée, reçoit sa Lumière Là, où d'un pur cramoisi, les fenêtres flamboient. A côté de mon oeuvre, avant que ne vienne la nuit, Ô Grand Surveillant, je fais ma prière. S'il y a du bon dans ce que j'ai fait, Ta main m'y a contraint Grand Maître, la Tienne ! Là où j'ai failli, en ne rejoignant pas Ta pensée, Je sais, grâce à Toi, que la faute fut mienne. Un instant d'effort que je T'ai refusé Restera, telle une offense éternelle ! Mais, de ce que j'ai pu faire avec Toi pour guide, Pour Toi, grâce à Toi, que ce soit le meilleur ! Toi qui, lorsque tous pensent que le Paradis est perdu, Dépose ce même Paradis dans l'esprit du Franc-maçon, Afin qu'il médite, tel un dieu devant son propre ouvrage, Et puis qu'il revienne, tel un homme auprès de son Dieu. De la profonde irréalité de mes rêves ambitieux, Des sentiers amers où souvent je me suis égaré, Tu sais parfaitement, Toi, qui en a fait le Feu, Tu sais parfaitement, Toi, qui en a fait l'Argile. Une Pierre seulement s'ajuste à sa bonne place, Dans le Temple redoutable de Ta Divine Valeur ; ( Et ) c'est assez déjà, que Tu m'ais fait la Grâce, De n'avoir rien vécu d'ordinaire sur Ton monde ici-bas. ( Alors ) ne retire pas cette vision d'entre mes certitudes, Et que rien ne vienne la gâcher ou ternir : Aide-moi à ne pas dépendre du secours des hommes, Pour qu'il me soit permis d'aider ceux qui en ont besoin ! D'après R.K. - Traduction M.R. L'Envoi ( to life's handicap ) My new-cut ashlar takes the light Where crimson-blank the windows flare ; By my own work, before the Night, Great Overseer, I make my prayer. If there be good in that I wrought, Thy hand compelled it, Master, Thine ; Where I have failed to meet Thy Thought, I know, through Thee, the blame was mine. One instant 's toil to Thee denied Stands all eternity's offense ; Of that I did with Thee to Guide, To Thee, through Thee, be excellence. Who, lest all thought of Eden fade, Bring'st Eden to the Craftsman's brain, Godlike, to muse o'er his own trade, And manlike, stand with God again. The depth and dream of my desire, The bitter paths wherein I stray, Thou knowest Who hast made the Fire, Thou knowest Who hast made the Clay. One Stone, the more, swings to her place In that dread temple of Thy worth. It is enough that, through Thy Grace, I saw naught common, on Thy earth. Take not that vision from my ken, Or whatsoe'er may spoil or speed ; Help me to need no aid from men That I may help such men as need ! Rudyard Kipling Ce quatrième poème n'a pas besoin d'introduction, vous le constaterez vous‑mêmes. J'ai seulement noté, et Kipling n'y est évidement pour rien, que - un pour mille - est environ la proportion des Francs-Maçons en France aujourd'hui. Le Millième Homme ( Seulement ) un homme entre mille - affirme le Roi Salomon, Te soutiendra plus sûrement qu'un Frère. C'est peu de peine encore, si tu le cherches la moitié de tes jours, Et que tu le trouves avant l'autre moitié. 999 te jugeront en fonction de ce que le Monde pense de toi, Alors que cet homme entre mille restera ton ami Même si le monde tout entier se dresse contre toi. Ce ne sont ni promesses, ni prières, ni faux semblants Qui le décideront à s'attacher à toi. Les 999 ( autres ) ne jugeront que Ton apparence, ton comportement, ou ta gloire. Alors, s'il te rencontre et que tu sais le reconnaître, Le reste du monde n'aura plus d'importance ; Car cet homme entre mille te suivra Dans les échecs ou les triomphes, en toutes circonstances. Tu peux te servir de sa bourse, sans plus de mots Qu'il n'en aura pour user de la tienne, Et le lendemain, vous retrouver en riant, et marcher ensemble Comme s'il n'y avait jamais eu d'emprunt. 999 n'établiront avec toi, Que des relations basées sur l'argent et sur l'or, Alors que cet homme entre mille vaudra plus qu'eux tous réunis Puisque, à lui, tu pourras dévoiler jusqu'au fond de ton âme. Ses fautes te nuisent, ses réussites te profitent Dans les bons comme dans les mauvais jours. Alors lève-toi, et défends le contre tous Avec rien que cela, comme unique raison ! 999 ne pourront supporter pour toi Humiliations, moqueries et railleries, Alors que cet homme entre mille restera à tes côtés Jusqu'au pied de la potence, et ( même ) au-delà ! D'après R.K. - Traduction M.R. The Thousandth Man One man in a thousand, Salomon says, Will stick more close than a Brother. And it's worth while seeking him half your days If you find him before the other. Nine hundred and ninety-nine depend On what the world sees on you, But the Thousandth Man will stand your friend With the whole round world agin you. 'Tis neither promise nor prayer nor show Will settle the finding for'ee. Nine hundred and ninety-nine of'em go By your looks, or your acts, or your glory. But if he finds you, and you fin him, The rest of the world don't matter. For the Thousandth Man will sink or swim With you in any water. You can use his purse with no more talk Than he uses yours for his spendings, And laugh and meet in your daily walk As though there had been no lendings. Nine hundred and ninety-nine of'em call For silver and gold in their dealings ; But the Thousandth Man he's worth'em all, Because you can show him your feelings. His wrong's your wrong, and his right's your right, In season, or out season. Stand up and back it in all men's sight With that for your only reason ! Nine hundred and ninety-nine can't bide The shame or mocking or laughter, But the Thousandth Man will stand by your side To the gallows-foot, and after ! Rudyard Kipling A propos de " Si..." : Dans son autobiographie, p. 205 " Parmi les poèmes du Retour de Puck ( Rewards and Fairies, 1910 ) il s'en trouvait un, intitulé " Si... ", qui s'échappa du livre et courut le monde pendant quelques temps. c'est le caractère de Jameson qui me l'avait suggéré ; il contenait les conseils de perfection, les plus faciles à donner ! Une fois lancés, l'automatisme de l'époque fit faire boule de neige à ces vers, d'une façon qui me confondit. Les écoles et les lieux où l'on enseigne s'en emparèrent à l'usage de leurs jeunes victimes, et cela m'a desservi auprès de ces mêmes victimes, quand je les ai rencontrées plus tard : - Pourquoi avez-vous écrit cela ? Je l'ai eu deux fois à copier comme punition ! On en imprima des pancartes à suspendre dans les bureaux et les chambres à coucher ; on l'enlumina à la manière des textes sacrés ; on le fourra, jusqu'à l'écœurement, dans les anthologies. Vingt-sept nations de la terre le traduisirent dans leurs vingt-sept langues, et l'imprimèrent sur les substances les plus variées !. " Kipling affirme donc, sans équivoque possible, que c'est la force de caractère du dénommé Jameson qui l'avait impressionné au point de lui donner l'inspiration et la matière de ce poème. Comme ce Jameson était son ami, et qu'il le cite pas moins de sept fois dans son autobiographie, il ne peut y avoir d'erreur sur la personne ! Prenons par exemple, à la page 126 (8) : " Jameson, lui aussi voyagea avec nous, lors d'un de nos retours vers l'Angleterre, et il se tint " assez mal " à la table que nous avions pris l'habitude d'occuper ( sur le bateau ). Une dame " très anglaise ", accompagnée de ses deux filles blondes, y avait été également placée le premier jour du voyage. Et lorsque, ayant quelque peu raison, elle se plaignit de la nourriture disant qu'elle était " tout juste bonne pour les prisons ", Jameson lui répondit : " En tant que membre moi-même, de la classe des criminels, je puis vous affirmer qu'elle est pire encore ! ". Au repas suivant, la table fut toute à nous. " On sent très bien que Kipling se souvient avec beaucoup de plaisir de cette anecdote. Il a beaucoup apprécié que son ami Jameson ait réussi aussi rapidement, et avec tellement d'humour, à les débarrasser de cette lady envahissante, qui leur laissa ainsi l'usage entier de leur table habituelle pour tout le reste du voyage. Ce Jameson, est en fait Sir Leander Starr Jameson ( 1853-1917 ), né à Edimbourg ( Ecosse ), médecin et agent politique anglais. Ce fut un important collaborateur de Cecil Rhodes ( son " adjudant " ! ) et il contribua donc personnellement à l'expansion anglaise en Afrique du Sud. C'est également lui qui tenta d'envahir par surprise le Transvaal, à la tête de 470 cavaliers, le 27 décembre 1895. Il comptait sur un soulèvement général qui n'eut pas lieu, le plan ayant été éventé par le Président Kruger. Le sachant, Rhodes annula l'opération, sans pouvoir prévenir à temps Jameson ! Celui-ci fut cerné à Doorkop, et dut se rendre le 02 janvier 1896. Il ne fut libéré que contre rançon ! Le Haut Commissaire anglais au Cap et le Gouvernement de Londres désavouèrent le complot qui, s'il avait réussi, aurait placé le Transvaal sous protectorat britannique, comme le rêve impérial de Cecil Rhodes le souhaitait. Une réussite aurait bien entendu consacré le commandant de l'opération, héros national ! Ce ne fut pas le cas, et ce qui s'intitula par la suite " Le raid Jameson ", s'acheva désastreusement... Il mit fin à la carrière de Cecil Rhodes qui préféra démissionner, et surtout, il unit le peuple Boers contre les anglais, en leur donnant en plus, le soutien moral et parfois actif des autres puissances, qui se dirent " scandalisées par cette lâche agression.. ". Compte tenu de tout ceci, Sir Leander Starr Jameson ne parut pas aux yeux de la postérité digne d'être l'homme qui avait inspiré le merveilleux poème " Si... ". On oublia volontairement ce qu'en avait dit Kipling lui-même. Robert Escarpit par exemple, un de ses rares biographes français accessible aisément aujourd'hui, n'hésite pas à écrire ( p. 214 ) : " Le poème " If... ", s'applique à George Washington refusant de déclarer la guerre à l'Angleterre pendant la Révolution française, malgré la pression qu'exerçait sur lui l'opinion publique." Pourtant si l'on en croit l'Encyclopaedia Britannica (9), le destin de Jameson fut assez remarquable : "... médecin et chirurgien, il tomba malade pour cause de surmenage professionnel, et donc pour raison de santé il s'expatria en Afrique du Sud. Installé à Kimberley ( province du Cap ), il y rencontra Cecil Rhodes et devint son bras droit ( son adjudant ! ) avant d'être plus tard son exécuteur testamentaire ! Après le fameux Raid, il sera emprisonné à Londres pendant un an. De retour en Afrique du Sud, il se consacra exclusivement à la politique, et devint Premier Ministre du Cap en 1904. Après avoir été battu aux élections de 1908, il donna sa démission du Gouvernement, et quelques temps plus tard, il dut de nouveau démissionner de son parti politique, pour raison de santé. " L'Encyclopaedia Britannica le qualifie encore : "... d'homme modeste, tolérant, totalement dépourvu de vanité ", et elle ajoute : " ses travaux pour la réconciliation raciale et le progrès en Afrique du Sud étaient évidents. Son amitié personnelle avec Louis Botha, le Premier Ministre du Transvaal, fut en fait une preuve finale de son patriotisme. " Il fut fait Chevalier ( K.C.M.G. ) en 1909, un peu avant la parution du poème ( 1910 ), et fait Baron en 1911. Vous voyez que ses qualités morales et les vicissitudes de sa fortune avaient bien de quoi être source d'inspiration pour Kipling... et tant pis pour le Frère Washington ! M\ R\ (1) I, Rois V ; II Chron. II, 2. (2) II Chron. II, 12. (3) I, Rois V, 20. (4) II Chron. II, 15. (5) 9ème degré - Maître élu des Neuf. (6) 22ème degré (7) cité par Hilton Brown, p. 218 (8) traduction J.Vallette, 1938, Hartmann Editeur, Paris (9) Vol. XII, p. 886. |
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