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Brèves
réflexions
sur le sablier et le temps qui
passe Au
début de chaque tenue au Temple, le
Vénérable retourne le sablier qui se trouve
à côté de lui. Que signifie le sablier,
pour le Franc-Maçon, mais surtout pour
tout être humain ? C’est,
d’abord, une allégorie sur la fragilité
des
choses et la fuite du temps : le temps est donc
précieux parce qu’il nous
est à tous mesuré, il ne faut pas le gaspiller,
chaque jour, chaque heure,
chaque minute qui passe pouvant être la dernière.
Ainsi , le sablier nous
enseigne, dans un premier temps, à agir de
manière efficace et à ne pas
différer à plus tard ce qui peut être
accompli immédiatement. Réfléchissons
un peu plus profondément à cette fameuse fuite du
temps. "Ô
temps ! suspends
ton vol, et vous, heures propices ! (…) Aimons
donc, aimons donc ! de
l'heure fugitive, Ce passage du poème Le
Lac, de Lamartine, évoque
l’apparente impuissance de l’homme face
à
la fuite du temps. Mais dans un commentaire sur son propre
poème, le même
Lamartine parle du sablier. Certes, il symbolise « la chute éternelle du
temps, son écoulement inexorable et
son aboutissement, dans le cycle humain, à la
mort ».
Mais
pour, toujours pour Lamartine, le sablier, parce qu’il peut
être renversé,
signifie aussi la possibilité de renverser le temps, de
retourner aux origines. Toutefois,
outre qu’il se renverse, comment fonctionne vraiment le
sablier ? Par sa
forme à doubles compartiments égaux, il montre
l’analogie entre le haut et le
bas ainsi que la nécessité, pour que
l’écoulement se produise vers le haut, de
renverser le sablier. Renverser le sablier, c’est inverser
notre mode d’agir et
de penser. En fait, agir et penser de manière
différente, c’est s’approprier le
temps et l’espace. Le vide et le plein doivent se
succéder : passage du
supérieur à l’inférieur, du
céleste au terrestre, et ensuite, par renversement,
du terrestre au céleste. Le sablier symbolise donc, dans un
second temps, le
véritable choix mystique, profondément
initiatique, du mystérieux lien qui unit
l’homme, le temps et la divinité. « Qu'est-ce
l'homme dans la nature ? Un néant à
l'égard de l'infini, un tout à l'égard
du
néant, un milieu entre rien et tout. Il est infiniment
éloigné des deux
extrêmes ; et son être n'est pas moins distant du
néant d'où il est tiré, que
de l'infini où il est englouti.
» C’est étonnamment Blaise Pascal, à nouveau, qui fournit une réponse possible, dans une autre de ses fameuses Pensées : « L'homme n'est qu'un roseau le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue ; parce qu'il sait qu'il meurt ; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. » Ce
lien
entre le haut et le bas – que symbolise le sablier
– , ce lien entre le vide et
le plein, entre l’avenir et le passé,
c’était le mince goulot,
l’étranglement
médian par où passe chaque grain. C’est
ce qu’André Gide appelle « La
porte étroite », par laquelle
s’effectuent les échanges, c’est
l’instant,
incarné par chaque grain de sable qui
s’écoule, à la fois unique et sans
cesse
identique. C’est l’éternel
présent. Car
c’est à tort que l’on oppose
traditionnellement présent et
éternité. Ce qu’il
faut opposer à l’éternité,
c’est en fait la durée. Dieu , le Grand Architecte
de l’Univers comme nous l’appelons, est celui qui
est, celui qui a été et celui
qui sera. L’instant, pour lui, n’existe pas et, a
fortiori, la durée qui n’est
qu’une somme déterminée
d’instants accumulés. L’homme est donc
sur terre pour
faire une expérience que seule lui, en tant que
créature à l’image de Dieu dont
son cœur recèle une particule, est capable de
vivre. Vivre une vie d’homme, ce
n’est pas qu’accumuler une somme
d’instants fugaces, ce n’est pas que compter
un tas de sable constitué de grains de présent et
estimer le nombre de grains
qui vont s’écouler. Vivre une vie
d’homme, c’est expérimenter consciemment
la
durée, ce qui est impossible à la
divinité éternelle. Et pour
expérimenter
cette durée en homme libre, il faut non pas, en renversant
le sablier,
simplement ajouter des instants au passé, remplir
à nouveau ce qui est devenu
vide, en clair subir passivement la dualité ; il
faut, au contraire, s’en
libérer en vivant pleinement cet éternel
présent dont il détient les clés. Oui, cet éternel présent n’est pas, comme le suggère Pascal, une prison aux murs opaques, mais bien une ouverture vers l’équilibre de la Sagesse, un affranchissement définitif de la dualité, une porte cette fois grande ouverte sur l’univers où l’homme libre est à sa juste place en tant que lien pensant entre le macrocosme et le microcosme. « Qui peut juger de la vie et de la mort ? Combien de gens vivent alors qu’ils auraient mérité de mourir ; et tous ceux qui sont morts en justes, peux-tu les faire revivre ? (…) La question à laquelle il nous est demandé de répondre, c’est Que faire du temps qui m’est imparti ? » Pierre-Alexandre Joye |
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