GODF | Loge : Union et Solidarité - Orient de Montluçon | Date : NC |
Du
Moi à l’Autre
Pourquoi
ce sujet ? Je n’ai ni la
prétention ni la compétence pour aborder ce
thème, sous l’angle de la
psychologie ou de la psychanalyse. Cette planche est tout simplement un
témoignage de ce lien indéfectible qui me
rattache à cet autre qui m’attire et
me fascine ; pourtant, comme il peut être
insupportable lorsqu’il
recherche des réponses dans la fange, en se laissant aller
à la bassesse, voire
à l’intolérable. Alors,
quand cela a-t-il commencé,
quand ai-je pris conscience de cet autre qui avait son propre
univers…
différent du mien ? À
partir de quel moment, ai-je franchi
ces quelques pas qui me séparaient de lui, à
partir de quel moment lui ai-je
accordé de l’importance, du moins une importance
qui m’a permis de transcender
les limites de mon petit monde ; petit monde qui tournait
autour de mes
repères, de mes règles… bref, qui
tournait autour de moi ? À
partir de quand ai-je cessé de ne
m’intéresser qu’à
moi-même et de ne plus tenir compte des
réalités extérieures que dans la
mesure
où elles concernaient mes
intérêts ? Quand s’est donc
opéré ce changement,
cet instant décisif où j’ai
accepté que cet autre, soit tout autant que moi,
propriétaire du sol que je foulais, de ce paysage dans
lequel j’évoluais, de ce
soleil qui me réchauffait et de la lumière de la
lune qui rendait la noirceur
de la nuit, plus acceptable ? Quand
ai-je donc accepté de tendre la main et de
partager ? À
partir de quel moment suis-je passé du « je »
au « nous »
? Cela
peut paraître frustrant, de ne pas avoir de
réponses claires à toutes ces
questions ; mais au fond, cela m’est bien
égal, les raisons et le moment
de ce changement… l’essentiel, c’est que
cela se soit passé, que cette porte se
soit ouverte et que cette rencontre ait eu lieu. L’idée
de cette planche est récente, même si toutes ces
questions m’ont longtemps
taraudé. C’était le début de
l’été, j’étais
assis sur un banc, sous de grands
platanes qui me faisaient profiter de la fraîcheur matinale.
Des tapis de
fleurs distillaient leur parfum. Dans l’allée
principale du parc, de belles
jeunes femmes discutaient tout en souriant, pendant que les rires des
enfants
accompagnaient la course d’un chien qui poursuivait des
papillons multicolores
en aboyant joyeusement. Quelle
sérénité, quel étrange
sentiment de paix. Ce n’était pas habituel, je ne
connaissais pas les raisons de ce ressenti, mais j’avais
intuitivement la
conviction que quelque chose de tant attendu
s’était passé… et
là,
une voix aseptisée m’a tiré de mon
sommeil, la radio de mon réveil, annonçait
sans fléchir, l'explosion
d'un camion piégé avec une
tonne d'explosifs à Taza, une localité chiite du
nord de l'Irak, près de
Kirkouk, qui a fait au moins 64 morts et 202 blessés ; Il
s'agissait de
l'attentat le plus meurtrier dans ce pays depuis 15 mois.
Ensuite tombèrent
les derniers chiffres catastrophiques du chômage en France,
la sortie de neuf
heures de garde à vue de Monique Pouille 59 ans,
épouse d'artisan peintre, qui
avait commis la faute de recharger les portables de sans-papier etc,
etc... Le
sentiment de bien-être n’était plus
qu’un vague souvenir qui s’estompait,
avalé
par la brutale réalité qui surgissait du
monde des ondes. J’étais allongé
sous la couette, livré à un malaise grandissant
qui me laissait dans la bouche
le mauvais goût d’une soirée un peu trop
chargée. Nous étions à des lieues de
la concorde universelle. Je
me
suis alors souvenu de conversations avec des frères, amis,
collègues de travail
et tous ces autres ; lors de ces échanges, certains
se risquaient à dire
que nous nous ennuierions certainement, dans un monde serein et
heureux. Hé
bien moi, ce matin là, j’aurais aimé
qu’une voix chargée
d’émotion, m’annonça
que le dernier foyer de pollution sur notre terre avait
été circonscrit, qu’au
Sahel on avait réussi à endiguer
l’avancée du Sahara, permettant ainsi aux
éleveurs aidés par une irrigation
maîtrisée, de maintenir un élevage
vital pour
la population autochtone et qu’enfin dans le monde et de
façon concomitante,
nous allions célébrer pour la première
fois dans notre histoire, la grande fête
de la Fraternité… non, vraisemblablement, je
n’aurais pas trouvé cela ennuyeux.
Vous
vous
ennuyez lorsque vous marchez, le long des boulevards dans des villes, dans les ruelles des
villages, dans tous ces
lieux connus ou inconnus, ne sachant plus où donner de la
tête, tant les
architectures qui ont traversé les siècles vous
interpellent ; de la
simple maison, à la majestueuse cathédrale en
passant par ces mystérieuses
pyramides. Comment ne pas sentir résonner en nous toute
cette histoire, ce
désir de construire ensemble, cette volonté
d’avoir un grand projet commun. Je ne
suis pas
blasé lorsque je pousse la porte d’un
musée ou d’une galerie, lorsque je visite
ces lieux dédiés à une
réponse directe à la vie ; des arts primitifs, où la
qualité la plus frappante commune à tous, est
leur intense vitalité, aux peintures expressionnistes d’un Van
Gogh tourmenté et dépressif,
comme en témoignent l’incroyable
« Nuit
étoilée »
et bien d’autres
toiles de l’auteur. Non, je ne m’ennuie pas, lorsque,
voyageur
intemporel je suis transporté dans
tous ces univers musicaux,
qu’ils soient baroque, classique, jazz, pop-rock, folk,
chanson
française ; toutes ces notes sont autant de bulles
musicales
effervescentes qui me font oublier toute la lourdeur de
l’actualité et du quotidien
de notre monde. Et toute la littérature, avec son
abondance de livres
et de romans, toute
cette profusion de mots qui nous racontent cet autre qui fut, qui est
et qui
sera. Ces écrits qui ont matérialisé
la pensée humaine et qui dans le registre
épique nous ont menés sur les traces de
héros auxquels nous nous sommes
identifiés. Je me souviens de ces livres que je
n’arrivais pas à quitter, les
dévorant goulûment à la lueur de la
lampe de chevet… allez encore un dernier
chapitre.
Comment pourrais-je rester étranger
à cet
autre et à toutes ces œuvres conçues par un être doué
d'intelligence ;
c’est la
manifestation tangible d'une pensée qui
n’a jamais cessé de
m’interpeller et de nourrir ma réflexion. Comment ne serais-je pas attaché
à cet autre
qui n’a jamais oublié de ressentir,
d’observer et de regarder autour de
lui ? Cet autre qui est capable de restituer et
d’interpréter avec des
outils, de la peinture, des sons et des mots, le monde dans lequel il
grandit. Comment pourrai-je tourner le dos à
cette ouverture
sur la vie, comment pourrai-je ignorer cet intarissable
imaginaire ?
Qui n'a pas rêvé de
créer quelque chose, preuve ultime de ses
compétences et de son existence ? Enfin,
je vous noie de questions mes frères… et puis,
peut-être suis-je
un peu sujet à l’angélisme, voire
à un idéalisme un peu crédule en
considérant
cet autre.
Dans le
courant de ma vie, il m’est arrivé
fréquemment de
douter de moi, comme j'ai
aussi douté de cet autre, surtout lorsque je regarde notre
histoire sanglante
et meurtrière. J’ai souvent mis dans la balance,
le bon et le mauvais de cette
humanité un peu déjantée, vous
conviendrez que nous sommes capables du meilleur
comme du pire. Car
nul ne peut ignorer, que cette pensée et ces mots ont permis
à certains de
développer des thèses basées sur la
haine, le refus de l’autre… des
sociétés
ont été bâties sur
l’exclusion, l’esclavage et
l’inégalité entre les Hommes. C’est
cette intelligence qui a permis et permet toujours la mise au point
d’armes
terriblement meurtrières, capables de destruction massive. Par
le passé, même récent, c’est
encore cette même intelligence qui a permis à des
hommes, d’imaginer et d’organiser la
déportation et l’extermination d’autres
êtres humains et tout cela au nom d’une
supériorité raciale
supposée… quelle
vision insupportable du monde. Et
c’est au son de la musique, certes militaire, que les jeunes
gens de tous les
pays allaient mourir sur les champs de bataille, spoliant au passage
des
populations civiles abasourdies et terrorisées par la
violence de la guerre.
L’homme déborde toujours d’imagination,
pour se trouver une bonne raison
d’aller écraser l’autre sous sa botte et
de donner ainsi à la haine, sa ration
de mort et de douleur. Il
y
a toujours dans un coin de notre planète, même si
elle est ronde, un petit
apprenti dictateur, un tyran cruel et sanguinaire, un intellectuel
dément et
mal éclairé qui s’acharne à
construire une théorie, qui va chercher l’Homme
dans ce qu’il est de plus vil, afin de mettre cet autre, au
banc d’une société
qu’il imagine idéale. Non
décidemment non, je n’ai pas besoin de voir le
monde plongé dans le chaos, je
n’ai pas besoin de voir la souffrance de
l’humanité exposée pour
apprécier la
magie de la vie, pour goûter tous ces instants
qu’il m’est permis de vivre sur
cette planète… comme ce soir par exemple, avec
vous. Tout
être vivant est déjà
confronté durant son passage sur cette terre, à
des
malheurs inhérents à la condition
humaine… la maladie, la souffrance et la
mort ; nous naissons, nous vivons et nous mourons. Nous
essayons tant bien
que mal, de combler ce vide que laissent ceux qui partent et dont le
souvenir
n’atténue pas toujours la douleur de
l’absence. Alors,
combien de sacrifices sur l’autel de
l’intolérance, des dogmes et des croyances
seraient donc nécessaires pour que nous soyons conscients du
bonheur, pour que
nous ne sombrions pas dans l’ennui d’un monde
pacifié et faisant preuve de
tolérance mutuelle. Le bonheur aurait-il besoin
d’une contrepartie, le bonheur
aurait-il un prix ? Quelle faute avons-nous donc commise, pour
supporter
ce sentiment de culpabilité, qui nous permet
d’accepter ce que l’autre vit de
terrible et d’inhumain ? Le bonheur est-il une
émanation de la souffrance,
tout cela est-il inéluctable ? Henrik
Ibsen (dramaturge norvégien) disait :
« Le véritable esprit de révolte consiste à exiger le bonheur ici, dans la vie. »
Tient
au fait, comment en suis-je arrivé là ?
Je suis parti de mes
interrogations, j’ai considéré cet
autre et de façon non exhaustive, j’ai
abordé ce qui émane de notre existence et
j’en suis arrivé
à cette furieuse envie de bonheur ;
peut-être me
suis-je éloigné du sujet, j’en
conviens. À la réflexion, je pense être
complètement en accord avec le philosophe Clément
Rosset à propos du bonheur, je le cite :
« le
bonheur est une approbation
inconditionnelle de l’existence ». Donc
en tant qu'Être grégaire, je revendique cette part
d'humanité qui tapie au fond
de moi, ne me permet d'accéder au bonheur que si il est
partagé avec les
autres. Alors
oui, tout n’est pas simple et parfois, toi, lui, moi, nous
sommes cet autre qui
est souvent dépassé par les
événements, n’envisageant pas toujours de solution,
tant les données du problème sont
complexes. Nous ne
savons pas par quel
bout commencer et cela paraît si difficile, que nous nous
persuadons que c’est
un travail de Titan et que Prométhée serait de
nouveau le bienvenu. Pourtant,
il est de notre devoir, à nous, Maçons,
d’être les pionniers d’un monde
meilleur. Bien sur, la tâche est lourde, mais le bonheur
existe, soyons ses
ambassadeurs, en menant une action incessante et féconde. Chacun
à notre petit niveau, nous pouvons contribuer à
l’amélioration de ce monde, il
n’y a pas de petite pierre qui ne puisse trouver sa place
dans l’édifice.
Les
promoteurs de l’obscurantisme et autres consorts ne
chôment pas. Ils
s’attellent chaque jour à construire un monde
à l’image de dieux vengeurs et
rancuniers, qui comme Zeus chargea Epiméthée de
livrer un funeste cadeau aux
Hommes, pour les punir de leur volonté
d’émancipation. Oui,
funeste cadeau, car il s’agissait d’un mal
délicieux… la première de toutes les
femmes, « Pandora »,
dont le nom signifie « don
de tous », ainsi
nommée parce que tous les dieux de l’Olympe
participèrent à
l’élaboration de ce cadeau.
Parmi
les bagages de Pandora se trouvait une jarre qu’elle ne
devait jamais ouvrir.
Mais la curiosité l’emporta, et, quand elle
souleva le couvercle,
d’innombrables maladies du corps et de l’esprit se
répandirent sur la terre.
Seule l’Espérance, unique bienfait au milieu de
tous ces maux, resta dans la
jarre pour réconforter l’humanité. Alors
mes frères, Espérons, Espérons,
Espérons que nous soyons capables de relever le
défi perpétuel d’un travail toujours
inachevé, au dehors comme au-dedans. Accrochons-nous
à la face positive de cet autre, à sa force
créatrice, à sa volonté de
bâtir un
mieux vivre ensemble. Mais
pour autant, ne tendons pas l’autre joue, soyons vigilants et
ne laissons pas
la démocratie servir de marchepied à ceux qui
n’ont d’autre objectif, que de
vider de leur sens les valeurs fondamentales de notre
République. Ne
nous résignons pas, retrouvons le chemin qui nous
mène à l’autre et ensemble
participons à la construction d’une
société plus éclairée,
ensemble, ayons tout
simplement la volonté d’être des mecs
biens. Pour
conclure, je vous laisse entre les mains expertes du saxophoniste
Didier
Malherbe avec un morceau qui s’intitule Hadouk.
G dit J\P\
M\ |
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